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Gloire et chute de Mohamed, éphémère recrue du FN

FN

Lien publiée le 6 décembre 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://oeilsurlefront.liberation.fr/actualites/jeunes-fn

Voilà deux ans, ce jeune adolescent, censé présenter un visage ouvert et avenant du Front national, se brûlait les ailes sur un plateau télévisé. Une désillusion sur laquelle il revient pour «Libération».

Il y a deux ans, Mohamed, nouveau visage jeune mijoté par le Rassemblement bleu Marine (RBM) pour être fin prêt en 2017, se cramait définitivement les ailes en direct sur le plateau de France 5. Ainsi mourait donc sa courte mais fulgurante ascension au Front. Il en était pourtant le porte-drapeau parfait: jeune adolescent à la lippe attachante, enfant d’immigrés algériens d'un quartier populaire de Gonesse, dans le Val-d’Oise, et doté d’une éloquence inhabituelle pour son âge. Le tout seulement éprouvé par un très léger cheveu sur la langue. Un produit d’appel sur-mesure pour un FN en pleine campagne de dédiabolisation.

Mais en novembre 2014, devant plus d’un million de téléspectateurs (sa meilleure audience de l’année), Anne-Sophie Lapix taille en pièces le jeune militant de 14 ans. Déjà en proie au doute sur son engagement bleu Marine, la piètre performance de l’adolescent signe définitivement la fin de son rôle de figurant au sein du parti. Désormais lycéen et de retour du Front, Mohamed ne touche plus de loin ou de près à la politique. Il a déménagé chez son oncle près de la mer, loin des tours de la Fauconnière. Mi-révolté, mi-accablé, il raconte sans trop prendre de respiration ce qu’il appelle son «endoctrinement».

«Tout est allé très vite»

Décembre 2013. Il est encore gosse et nouvellement élu au conseil municipal des jeunes de Gonesse. La campagne municipale commence doucement. Dans la ville-dortoir du Val-d’Oise, Karim Ouchikh, actuel président du mouvement libéral et identitaire Siel, se présente sur une liste bleu Marine soutenue par le FN. Un personnage onctueux, genre oncle bienveillant. Mohamed le rencontre autour d’un café. «Une semaine plus tard, je distribuais des tracts pour lui devant le Leclerc. Deux semaines après, j’étais face aux caméras de Canal+. En janvier, Marine Le Pen me citait dans une vidéo lors de ses vœux. J’avais même pas encore ma carte et Marine parlait déjà de moi!» Sur les raisons de cet engouement soudain, l’adolescent est confus. Ses parents ne votent pas FN, ses voisins de la Fauconnière non plus. «Tout est allé très vite. Je n’ai rien compris.»

Il cite, pêle-mêle, sa passion naissante mais encore un peu naïve pour la politique, son quartier violent, l’écran de fumée du programme que proposait Karim Ouchikh et peut-être aussi un peu l’impression de devenir quelqu’un, tout à coup. Il n’embarque pas seul : Julien, 16 ans à l'époque, un ami dont la famille est d'origine antillaise, également élu au conseil municipal des jeunes de Gonesse et excédé par les «méthodes monarchiques du maire PS en place», se retrouve lui aussi à tracter devant le Leclerc du coin. Puis la paire se retrouve sur les marchés des villes voisines pour les Européennes, avant d’atterrir à Fréjus. On leur vend la javellisation générationnelle du parti: le racisme, c’était avant. Et surtout, ne pas oublier de le préciser en tractant.

«Bouffés par les journalistes»

Convaincus, les deux ados militent d’arrache-pied. «On nous disait de dire que le parti n’était pas ce qu’on pensait. "Regardez, ils ne sont pas racistes puisqu’on est là, nous!" C’était le message à faire passer», raconte Mohamed. D’un timbre hésitant qui trahit cette période ingrate de l’adolescence, il raconte à la presse que le halal va à l’encontre des valeurs de la terre catholique que représente la France, qu’il faut rétablir la peine de mort et retourner au franc. «Je recrachais ce que voulaient entendre les médias, ce que voulait entendre le FN. J’étais un parfait perroquet.»

Dans sa chemise bleu ciel impeccablement repassée, Julien tire machinalement sur ses manches. Aujourd’hui en première année de sociologie, il a du mal à assumer les propos qu’il tenait à l’époque. «J’ai l’impression que ce n’est pas moi qui parlais. Je crois que j’étais en pleine crise d’ado politique.» Puis reprend. «On a été envoyés se faire bouffer par les journalistes : "Moi, Mohamed, 14 ans, militant au FN", ça fait un joli titre de presse. Avec nos photos, ça l’était encore plus. Le contenu, en fait, ils s’en fichaient.» Mais le FN échoue aux municipales et ne gagne pas la mairie. Karim Ouchikh ne revient plus trop à Gonesse. Julien, «réalisant qu’[ils] ont été instrumentalisés», en profite pour s’éloigner du mouvement, avant de se rapprocher de Rama Yade. Mais Mohamed, soutenu par les cadors du parti, voit les choses en grand.

Le «cataclysme Lapix»

En septembre 2014, propulsé par Florian Philippot, il lance le Collectif Racine-Lycée, ersatz du collectif Racine pour les professeurs bleu Marine. L’ado de Gonesse devient alors le plus jeune militant à accéder à de telles responsabilités au sein du RBM. Le collectif est lancé en grande pompe à Fréjus (Var), devant une Marine Le Pen et un Florian Philippot assis au premier rang, radieux. Mais les insultes et menaces de mort qui pleuvaient déjà sur le profil Twitter de Mohamed se multiplient. Son père est agressé en se rendant à la mosquée, par des jeunes du quartier qui lui reprochent l'engagement de son fils. Le jeune homme se sent abandonné par le parti, qui, «à part un tweet de soutien de la part de Philippot», ne fait rien. Peu à peu, il réalise que «le racisme qu’on [lui] avait juré disparu était en fait bel et bien là, au sein du parti».

Il se souvient de ces militants FN rencontrés pendant les municipales, qui brûlaient des voitures la nuit pour attiser le sentiment d’insécurité dans le quartier. Il se souvient aussi des propos rapportés par son ami Julien, qui avaient été tenus par un cadre du parti lorsqu’il avait appris qu’il rejoignait les rangs bleu Marine: «Si c’est pour nous ramener des Yassine et des Mohamed, on n’en veut pas!» Et puis, il y a le «cataclysme Lapix» où il se«plante misérablement» en direct. Un quart d'heure plus tôt, il avait reçu l'appel d'un Florian Philippot affolé de ne pas avoir été tenu au courant de son apparition télévisée. «Il m’a interdit de parler d’à peu près tout. Je me suis retrouvé complètement bloqué.»

Reprendre à zéro

Après l’émission, Mohamed décide enfin de couper les ponts. Discrètement, sans trop faire de vagues. «Je ne servais plus à rien pour leur image, alors ils se sont désintéressés de moi. Une fois qu’on réalise, on est déjà embarqué, c’est dur d’en sortir. Ce moment-là a été atroce. On se rend compte qu’en fait on a tort, mais comment faire? Je ne vais pas dire du jour au lendemain aux médias "bon, je quitte le FN!" Donc j’ai décidé de le faire discrètement, avec le temps.»

Une réaction qui suscite peu d’émotion au Front National. «On a l’habitude des gens qui n’ont pas eu ce qu’ils voulaient et qui sont partis en disant avoir été victimes de racisme»,explique simplement Florian Philippot, selon qui le jeune garçon «reconstruit les choses» :«On trouve souvent tous les défauts du monde à un parti une fois qu’on l’a quitté.» Karim Ouchikh, lui, ne se sent pas plus concerné et n’assume qu’un rôle de porte d’entrée pour le militantisme de l’adolescent. Fort de ses propres origines kabyles, l'homme assure qu’il«n’avait pas besoin de caution ethnique pour être élu». Et prétend même que, voyant croître le phénomène médiatique autour de Mohamed, il lui aurait demandé de s’éloigner de la campagne : «Je n’ai été que l’entrée du tunnel. Si un véhicule prend feu dans le tunnel, ce n’est pas la faute de son embouchure. Pour la récupération politique, adressez-vous donc au FN.»

De son côté, malgré un déménagement à plus de 500 kilomètres de Gonesse, «pour reprendre à zéro», Mohamed s’est résolu à ne pas nettoyer les réseaux sociaux de toute trace de son passage au front, comme l’ont pu faire Julien et d’autres copains dans leur cas. «Ça restera dans ma vie, je ne peux pas l’oublier. Même si j’ai été trompé, ce furent mes tweets, mes propos. Ça, ça ne s’efface pas.»