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Syrie: comment les rebelles ont perdu la bataille d’Alep
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La supériorité numérique et la puissance de feu ne sont pas les seules raisons qui expliquent la victoire de l’armée syrienne et de ses alliés dans la bataille d’Alep. L’infiltration d’Alep-Est par le régime syrien, à tous les échelons, a contribué à la chute relativement rapide de ce fief rebelle très fortifié.
De notre correspondant à Beyrouth,
L’armée syrienne et ses alliés russe, iranien et du Hezbollah libanais ont réalisé un important exploit militaire en prenant les quartiers rebelles d’Alep-Est en un mois de combat. Les insurgés, qui contrôlaient ce secteur depuis juillet 2012, avaient eu le temps de se préparer pour une très longue bataille. En plus des armes légères et moyennes qu’ils ont emportées dans leur retraite et des dépôts qu’ils ont détruits avant de partir, les quantités et les types d’armes et de munitions retrouvés dans les dépôts encore intacts montrent que les 15000 combattants retranchés dans cette zone de 45 kilomètres carrés, étaient supposés soutenir un long siège, même en cas de rupture du ravitaillement. L’armée syrienne et ses alliés ont découvert des entrepôts contenant des vivres ainsi qu’une douzaine de grands dépôts et plusieurs autres caches de plus petites tailles contenant des dizaines de tonnes de munitions et d’armes de tous calibres. Des images publiées par des médias proches de Damas et de Moscou, confirmées par des témoignages de journalistes, qui ont pu visiter certains de ces sites, montrent un impressionnant arsenal d’armes, de fabrication diverse, dont des mortiers de 120 mm, des lance-roquettes Tow de fabrication américaine, des mitrailleuses, des fusils à lunettes…
Les rebelles avaient, en outre, construit de solides fortifications, des tranchées et un réseau de tunnels, leur permettant de se déplacer d’un quartier à l’autre sans être repérés par les drones de surveillance et l’aviation russe et syrienne, maîtres des cieux. Des hôpitaux de campagne équipés d’un matériel médical, livré, entre autres, par des ONG turques et occidentales, ont également été retrouvés.
Grande puissance de feu
Pour venir à bout de ce qui était censé être une forteresse, l’armée syrienne et ses alliés ont mobilisé, selon une source proche du Hezbollah libanais, pas moins de trente-cinq mille hommes, déployés sur un front de 80 kilomètres entourant les quartiers Est. Le gros des troupes était formé d’unités de l’armée syrienne, dont des régiments d’élite de la Garde républicaine, la division palestinienne al-Qods, relevant de l’état-major syrien, et la milice supplétive des «Aigles du désert», composée d’éléments tribaux. Mais il y avait aussi plusieurs milliers de soldats aguerris du Hezbollah, des Gardiens de la révolution iraniens, des membres de la milice irakienne al-Nujaba’, et des combattants chiites afghans appelés les «fatimides». Des dizaines d’officiers et de soldats des forces spéciales russes étaient également déployés sur les lignes de front.
Cette armée disposait d’une impressionnante puissance de feu, composée de centaines de pièce d’artillerie de campagne, de lance-roquettes multitubes, de mortiers, de mitrailleuses lourdes de 23 mm, 14,5mm et 12,7 mm, ainsi que d’une centaine de tanks et des dizaines de véhicules blindés, selon un général libanais à la retraite, expert de la guerre syrienne.
Sous le commandement du célèbre colonel Souheil al-Hassan, surnommé « Le tigre », cette force a mis en œuvre des tactiques militaires inspirées par cet officier, connu pour ses méthodes frontales. Au lieu de concentrer son effort sur les points faibles du front, l’armée syrienne et ses alliés ont attaqué les secteurs bien défendus, utilisant des tactiques de diversion et de segmentation des lignes ennemies. La chute de Hanano, le plus grand quartier situé à l’extrémité Est d’Alep, a porté un coup décisif au moral des rebelles, qui s’attendaient à une offensive d’envergure à Cheikh Saïd, au sud-ouest.
Un soldat de l'armée syrienne devant un bâtiment en ruines d'un quartier d'Alep.REUTERS/Omar Sanadiki
Briser la volonté de l’ennemi
Toutefois, la puissance de feu et la supériorité numérique ne sont pas des atouts suffisants dans une guerre urbaine. La volonté de combattre reste un élément important, qui peut contrebalancer des facteurs qui font défaut chez le défenseur, explique le général libanais. Pour accélérer l’effondrement des rebelles, le régime syrien a procédé à un vaste travail de sape à l’intérieur des quartiers Est, avec pour objectif de désolidariser les habitants des rebelles. Des cellules dormantes implantées au sein de la population ont été activées quelques semaines avant l’offensive finale, le 15 novembre. Parfois, les résidents d’Alep étaient surpris de trouver, à leur réveil, le drapeau officiel syrien hissé sur des bâtiments à Alep-Est. Des vidéos filmées discrètement, montraient des rebelles en colère, arrachant ces drapeaux, et demandant aux gens de dénoncer ceux qui les ont plantés.
Après ces incidents, la méfiance a commencé à s’installer entre les insurgés et une partie de la population, qu’une vaste campagne médiatique initiée par le régime s’est employée à approfondir. C’est ainsi que des rumeurs distillées par les réseaux sociaux et relayées par des médias ont accusé les rebelles de monopoliser les vivres et la nourriture, distribués parcimonieusement aux habitants en raison du siège imposé par le régime, depuis juillet 2016. Des informations accusaient ainsi les groupes rebelles de favoriser leurs combattants et leurs familles, au détriment des citoyens ordinaires, ce qui n’était pas totalement faux.
La tension est montée à un tel point que des émeutes ont éclaté et ont été réprimées par les insurgés. Le 19 novembre, les médias russes et proches de Damas ont fait était de 17 morts et 40 blessés civils lorsque des rebelles auraient ouvert le feu sur des protestataires. L’Observatoire syrien des droits de l’homme, proche de l’opposition, a confirmé ces manifestations, faisant état de victimes. Le ressentiment d’une partie des habitants a grandi lorsque les rebelles ont interdit aux civils d’emprunter les « couloirs humanitaires » instaurés par la Russie et les autorités syriennes à l’intention de ceux qui souhaitaient quitter Alep-Est, soumis à un pilonnage incessant.
Un combattant rebelle marchant arme à la main vers les bastions de la province d'Alep restés sous contrôle des insurgés, le 22 décembre 2016.REUTERS/Ammar Abdullah
Des journalistes agents doubles
Le régime et ses alliés semblaient, par ailleurs, bien renseignés sur les forces rebelles en présence, leurs zones de déploiement et l’armement dont ils disposaient. Après la fin de la bataille, il est apparu que les groupes rebelles étaient infiltrés par des agents doubles, qui travaillaient sous des couvertures diverses. Ainsi, des journalistes ou des citoyens-journalistes de la chaîne de télévision pro-rebelles « Alep aujourd’hui » ou la Brigade des libres de Syrie, sont passés dans la partie Ouest, contrôlée par le gouvernement, quelques jours seulement avant l’évacuation des rebelles et des membres de leurs familles de la ville.
Le journal électronique libanais al-Modon, proche de l’opposition syrienne, a rapporté que les journalistes Naïm Khawajiki et Bachar Nahhal, bien connus du public, ont secrètement quitté Alep-Est pour les zones pro-régimes. Les deux hommes travaillaient pour le compte de la Brigade des [hommes] libres de Syrie, essentiellement déployée dans la vieille ville d’Alep, aux alentours de la citadelle et dans le quartier de Bab-Hadid. Leur fonction leur permettait de se rendre sur le front et dans les bases rebelles, ce qui leur donnait accès à de précieuses informations. Al-Modon indique qu’un autre journaliste-vedette, Ahmad Mostapha, proche des groupes islamistes, a rejoint secrètement Alep Ouest, ainsi que Amer Abou Cham, membre du département de communication de la Défense civile, relevant des rebelles dans les secteurs Est.
Ces militants, et d’autres aussi, n’ont pas été inquiétés par le régime, ce qui prouve, selon le journal électronique, qu’ils étaient des « agents doubles » qui fournissaient à l’armée syrienne des informations sur la situation dans les quartiers Est. Des médias proches de Damas ont d’ailleurs confirmé que des « repentis sont retournés dans le giron de l’Etat », sans toutefois donner de noms.
La bataille d’Alep n’était pas uniquement une campagne militaire mais aussi une guerre psychologique.