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Durand et Villemot : Pour l’abandon de l’euro
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Cédric Durand (Economiste, université Paris-XIII) et Sébastien Villemot (Economiste à l’Observatoire français de conjonctures économiques (OFCE)
Pour Cédric Durand et Sébastien Villemot, membres des Economistes atterrés, la remise en cause de la monnaie unique redonnerait un pouvoir de négociation aux pays débiteurs et favoriserait le secteur productif et l’emploi.
Sans souverain européen, pas de véritable budget ; et sans budget, pas de politique économique viable. Tant que l’Europe ne sortira pas de ce dilemme, la zone euro restera engluée dans le cercle vicieux de la stagnation, du ressentiment et des conflits de responsabilité. Si un fédéralisme budgétaire est hors de portée, il est alors crucial de pouvoir ajuster les taux de change pour dynamiser la croissance et l’emploi en sortant de l’union monétaire.
Néanmoins, deux difficultés sont généralement opposées à l’abandon de l’euro. La première concerne les effets perturbateurs à court terme sur les flux commerciaux et les prix. Il ne fait cependant guère de doute que les nouvelles parités permettraient très vite de résorber les déséquilibres et stimuleraient l’activité des pays ayant le plus souffert ces dernières années.
De plus, le contexte déflationniste préalable aiderait à contenir les effets d’entraînement de l’inflation importée dans les pays amenés à dévaluer.
La dette à court terme élément crucial
La seconde objection concerne l’interpénétration financière. Celle-ci serait tellement avancée qu’un démantèlement de l’euro ou, même, la sortie d’un seul pays, aurait des conséquences cataclysmiques sur les bilans des agents économiques. Dans une récente étude (« Balance Sheets after the EMU : an Assessment of the Redenomination Risk », Document de travail, OFCE, 10 October 2016), nous examinons ce problème en détail et en tirons trois principaux enseignements.
Le premier est que l’exposition des différents secteurs est beaucoup moins importante qu’on ne l’imagine généralement. D’abord, parce que l’essentiel des bilans étant adossé à des contrats de droit national, les engagements financiers correspondants seront aisément convertis dans la nouvelle monnaie, sans impact sur la solvabilité des agents domestiques.
Ensuite, les risques associés à une dévaluation du fait de l’accroissement du poids des obligations de droit étranger ou contractées en monnaie étrangère doivent être minorés du fait des actifs étrangers qui eux se valorisent même si, il est vrai, tous les agents ne sont pas uniformément protégés par leurs actifs internationaux.
Enfin, tous les éléments du passif ne posent pas problème. L’élément crucial est la dette internationale et, en particulier, la dette à court terme qui peut entraîner des défauts en série si son poids s’accroît brutalement en cas de dévaluation.
Les secteurs vulnérables peu nombreux
Une fois ces éléments pris en compte, et c’est le second enseignement de cette étude, il apparaît que les pays et les secteurs véritablement vulnérables sont peu nombreux. Les dettes publiques grecque et portugaise, comme la dette du secteur financier grec, devront inévitablement être restructurées en cas de sortie de l’euro, mais on sait déjà que leur soutenabilité est sujette à caution.
Pour le reste, le risque de redénomination concerne principalement les économies de petite taille dont le secteur financier est très développé et fortement internationalisé, notamment le Luxembourg dont la position extérieure représente plus de 180 fois son produit intérieur brut (PIB), mais aussi l’Irlande et les Pays-Bas.
Ainsi, les secteurs non financiers des différents pays sont peu exposés, ce qui suggère qu’une sortie de l’euro ou un démantèlement de la zone n’aura en tant que tel pas de conséquences majeures sur les bilans des entreprises.
Prenons le cas du secteur privé non financier en France. Fin 2015, la dette vulnérable à une redénomination représente 33 % du PIB (dont 17 % à court terme), mais les actifs internationaux représentent 74 % du PIB. Si l’on prend l’hypothèse d’une dévaluation de 11 %, le poids de la dette à court terme augmenterait de 2 % du PIB (3,7 % pour la dette totale), ce qui est important mais limité.
Stimulante dévaluation
Surtout que, dans le même temps, la valeur des actifs internationaux exprimée en monnaie nationale augmenterait (+8,6 % du PIB), ce qui signifie qu’in fine les agents privés seraient plus riches en monnaie nationale en cas de sortie de l’euro (+4,9 % du PIB).
Ce qui est le plus à craindre, ce sont des turbulences pouvant survenir dans le secteur financier. Outre une politique monétaire assurant l’intégrité du système de paiement et l’établissement temporaire de contrôles des capitaux pour contrecarrer la spéculation, les banques publiques devront faciliter l’accès au crédit des firmes les plus directement exposées et garantir la couverture des besoins en devises des entreprises pour les intrants essentiels.
Si ces précautions sont importantes, notre exemple montre surtout que l’effet richesse d’une redénomination suivie d’une dévaluation peut stimuler l’activité économique.
Le troisième enseignement de cette étude est que les conséquences sur les bilans concernent aussi bien les pays qui devront dévaluer – et verront donc leur passif international exprimé en monnaie locale s’accroître – que les pays dont la nouvelle monnaie s’appréciera par rapport à la valeur de l’euro – ils verront leurs actifs internationaux exprimés dans leur nouvelle monnaie nationale perdre de la valeur.
Prime à la coopération
Ce point est extrêmement important, car il donne une prime à la coopération entre les différents pays ; du côté du passif ou de l’actif, les uns et les autres ont intérêt à coopérer pour empêcher des surajustements de change. Pour prévenir les turbulences financières, des négociations devraient également porter sur la restructuration des dettes publiques excessives et la réduction des secteurs financiers hypertrophiés.
Sur le plan économique, un démantèlement total ou partiel de l’euro créerait une nouvelle structure d’incitation favorable à une véritable coopération en Europe. Alors que l’architecture de la monnaie unique pousse à des politiques de compétitivité qui tendent à opposer les différents pays et nourrissent les tendances déflationnistes, sa remise en cause redonnerait un pouvoir de négociation aux pays débiteurs et favoriserait un rééquilibrage en faveur du développement du secteur productif et de l’emploi.
L’analyse de l’ajustement des bilans confirme ainsi que le diagnostic de Joseph Stiglitz : abandonner l’euro peut contribuer à sauver l’Europe.