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Offensive à Afrin : sur l’entente entre les Kurdes et le régime syrien
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Visées par une offensive turque depuis le 20 janvier, dans l’enclave syrienne d’Afrin, les forces kurdes ont lancé un appel à l'aide au régime syrien, leur "adversaire". Une démarche que décrypte Jordi Tejel, spécialiste de la question kurde.
Comme annoncé depuis quelques jours, alors que des négociations secrètes se tenaient entre Damas et les autorités kurdes qui contrôlent la région d’Afrin (nord-ouest de la Syrie), des forces pro-gouvernementales syriennes sont entrées, mardi 20 février, dans ce territoire visé par une offensive turque depuis un mois.
Les Unités de protection du peuple (YPG), bras armé du Parti de l'union démocratique (PYD), qui dirigent l’enclave avaient multiplié les appels au régime de Bachar al-Assad pour les aider à repousser l'offensive turque. Selon Ankara, cette opération a pour but de permettre le retour de réfugiés syriens dans leur pays.
Recep Tayyip Erdogan n'avait pas hésité à menacer d'affronter les forces syriennes si celles-ci entraient dans Afrin afin d'y soutenir les miliciens kurdes, qu’ils considèrent comme des terroristes. Des forces kurdes pourtant alliées de Washington dans la lutte contre l’organisation État islamique (EI) en Syrie.
Pour comprendre les enjeux d’une telle entente entre Damas et les forces kurdes, deux camps antagonistes, France 24 a interrogé Jordi Tejel, professeur titulaire à l’Institut d’histoire de l’Université de Neuchâtel et spécialiste de la question kurde. Un entretien réalisé quelques heures avant l’entrée des forces pro-régime à Afrin.
Le régime syrien et les forces kurdes de Syrie se sont rapprochés ces derniers jours. Comment décrivez-vous la nature de leurs relations pour le moins ambivalentes ?
Depuis 2011, Damas et les Kurdes du PYD entretiennent effectivement des relations ambigües, c’est le moins que l’on puisse dire. Lorsque les mouvements anti-Assad ont commencé en mars 2011, le PYD avait rapidement indiqué qu’il ne prendrait position pour aucun des deux camps. Cette neutralité affichée lui a valu d’être accusé par les rebelles syriens de collusion avec le régime syrien, voire d’avoir noué une sorte d’alliance non-écrite avec lui. Notamment en 2012, lorsqu’une partie des forces du régime se sont retirées du nord de la Syrie, pour se déployer sur des fronts plus chauds, ce qui a permis au PYD de prendre le contrôle de trois cantons dans le nord du pays, Afrin, Kobane et Djézireh. Plus qu’une alliance stratégique, je dirais qu’il s’agit d’une question de survie et d’intérêts géostratégiques. Leurs rapports ont évolué en fonction des bouleversements provoqués par le conflit syrien, avec des périodes de tension puis de rapprochement. On constate qu’en réalité, ils ont besoin l’un de l’autre, notamment lorsqu’ils sont dos au mur. C’est dans ce contexte que l’opération turque a contraint les Kurdes à demander à Damas d’intervenir pour protéger les frontières internationales de la Syrie. Donc d’exercer en quelque sorte sa fonction en tant qu’État et de faire obstacle à l’armée turque. S’ils parviennent à trouver un accord, et que des forces pro-Assad sont déployées dans la zone, il s’agira d’un succès pour Damas, car le régime syrien avait demandé aux YPG de se retirer d’Afrin avant le début de l’opération turque, en vain.
Au risque de provoquer une confrontation directe avec la Turquie ?
Il y a un jeu d’équilibre dans lequel tous les acteurs du conflit jouent un double-jeu, voire un triple-jeu. Comme la Turquie, le régime syrien cherche à avoir son mot à dire lors des négociations d’après-guerre, il veut lui aussi être en position de force. Or, cette région reliée à la Méditerranée est stratégique, donc il en va de l’intérêt de la Syrie d’empêcher la Turquie d’y placer ses pions. Il en va de même pour la Russie et l’Iran, les deux parrains du régime syrien, qui n’ont aucun intérêt à voir les Turcs renforcer leurs positions en Syrie. Même si Moscou n’a pas empêché Ankara de lancer son offensive, d’où son double-jeu.
L’offensive turque et l'entente avec Damas peuvent-elles remettre en cause le projet kurde en Syrie ?
Le PYD a changé très souvent de discours. Son projet politique est aussi souple qu’ambigu dans le sens où il est tantôt question de confédéralisme, tantôt de fédéralisme démocratique. Son projet n’est pas territorial et se dit ouvert à tous, donc aux Arabes. Ils ont une idéologie en commun, qui passe tout de même par un encadrement de la société. Par conséquent, je ne crois pas que la perte d’un territoire n'ait aucune conséquence sur le projet kurde.
Finalement après avoir connu autant de déboires en Syrie, en Irak, les Kurdes ne doivent-ils compter que sur eux-mêmes ?
Ils sont réalistes, comme le montre leur relation avec Damas. Ils gardent toujours la possibilité de s’allier aux uns et aux autres, même pour des alliances fragiles qui peuvent être rompues à tout moment. La question kurde, d’un point de vue général, est avant tout une question liée aux problématiques des minorités. Même s’ils ne se considèrent pas comme telles, les Kurdes sont souvent sacrifiés. Parfois, ils doivent faire marche arrière lorsque la logique des États et la realpolitik s’imposent. Avec la baisse significative du risque incarné par l'Organisation État islamique, les Kurdes sont moins nécessaires en Syrie et en Irak. Les acteurs régionaux et les grandes puissances cherchent désormais à préserver leurs intérêts et les frontières étatiques. Cela ne signifie pas que les Kurdes ne rebondiront pas, ils l’ont fait à plusieurs reprises par le passé.