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Elections en Russie 2018. Démocratie contrôlée?

Russie

Lien publiée le 30 mars 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/europe/russie/elections-en-russie-2018-democratie-controlee.html

Par David Mandel

Cet article examine les bases du soutien populaire au président russe récemment réélu Vladimir Poutine. Bien que ce soutien soit fortement «cultivé» par le régime par des moyens illicites divers, il a néanmoins une base véritable qui doit être comprise par la gauche qui s’efforce d’avoir une position éclairée dans la confrontation croissante entre «l’Occident» et la Russie.

Les discours de Poutine pendant sa brève campagne électorale n’ont signalé aucun changement important en politique intérieure et extérieure. Dans le domaine international, on peut s’attendre à la poursuite de la dégradation des relations avec «l’Occident», dont «l’Occident» est largement responsable. On peut aussi supposer qu’un effort significatif sera entrepris pour préparer la succession de Poutine après 24 ans au pouvoir (débutant en 1998 comme directeur du Service fédéral de la sécurité de la fédération de Russie (FSB) jusqu’à la fin de son nouveau mandat en 2022). Cependant, qu’il quitte le pouvoir n’est pas certain dans un système où les relations personnelles de corruption jouent un rôle important.

Certains porte-parole du régime l’ont eux-mêmes décrit comme une «démocratie contrôlée». C’est un régime situé quelque part entre une dictature classique (qui ne tolère aucune opposition organisée et publique) et une démocratie capitaliste qui tolère les libertés politiques (mais dans laquelle les intérêts de la classe dominante sont garantis par des moyens autres que la répression brutale). Cette «démocratie contrôlée» tolère des libertés politiques mais uniquement dans la mesure où elles ne représentent pas une menace sérieuse pour la continuité au pouvoir de l’élite politique.

Une démocratie contrôlée

Ceci dit, le soutien dont jouit Poutine parmi la population de Russie ne peut pas être expliqué entièrement par les mesures répressives de l’Etat ou par son abus des dites «ressources administratives». Celles-ci comprennent, parmi d’autres, son contrôle des principaux réseaux de télévision, des restrictions sévères aux manifestations publiques, des pressions illicites variées sur les employé·e·s du secteur public, et quand nécessaire, la falsification des résultats électoraux.

La popularité de Poutine est clairement cultivée par le régime. Mais elle jouit également d’une réelle base dans la population, même s’il n’est pas facile de séparer cette base des efforts du régime pour la cultiver.

Le premier élément de cette popularité, c’est le contraste profond, particulièrement économique, entre la période de Eltsine et la période Poutine qui a suivi. Même si la jeune génération n’a pas de mémoire personnelle directe de l’ère Eltsine, cette dernière jette toujours encore fortement son ombre sur la conscience populaire. Les années 1990 furent une période de dépression économique très profonde et prolongée: hyperinflation, appauvrissement dramatique de la population, chômage de masse, versements retardés des salaires et des pensions (parfois de nombreux mois, et sans indexation), le vol massif de la richesse nationale, et la domination par la mafia sur des secteurs entiers de l’économie.

Ces processus ont pris fin et ont été largement inversés sous Poutine, même si ce n’a pas été principalement grâce aux efforts de Poutine, mais grâce à la hausse rapide du prix du pétrole qui a débuté à la fin des années 1990. Si les niveaux de vie de la population ont stagné, et même décliné quelque peu ces toutes dernières années, ils avaient connu une hausse rapide dans les années 2000 et, dans la conscience populaire, est toujours encore très vif le contraste entre le présent et les années 1990. Pour citer un indicateur démographique du niveau de vie populaire, l’espérance de vie était de 65 ans en 2000 (à comparer avec 79 ans au Canada). Aujourd’hui en Russie, c’est 72 ans.

La mafia, les oligarques et l’Etat

Pour ce qui est de la suppression de la démocratie, qui en Occident est habituellement attribuée faussement à Poutine, elle avait en fait déjà eu lieu sous Eltsine. Poutine a au moins éliminé de l’économie le contrôle par la mafia et rétabli le monopole de la violence de l’Etat. Et il a domestiqué les oligarques, sans, néanmoins, toucher à leurs fortunes illicites, excepté dans les quelques cas peu nombreux où ils persistaient à interférer dans les affaires politiques. Poutine a aussi arrêté et inversé les tendances centrifuges qui menaçaient l’intégrité de l’Etat, même s’il a employé des méthodes terroristes pour y arriver, dans le cas de la Tchétchénie irrédentiste.

Le second facteur de la popularité de Poutine, c’est son affirmation de la souveraineté de la Russie face aux actions de l’Occident qui sont largement perçues par les Russes comme agressives et hostiles. Je suis d’avis que cette perception populaire a une base significative dans la réalité.

Ce n’est pas une exagération de dire que la Russie des années 1990 était sous l’administration coloniale du G7, en particulier des Etats-Unis. La thérapie de choc, concoctée par le FMI et la Banque mondiale à la demande du G7, en peu d’années, est toujours encore très vive et a transformé un géant industriel en un pays dépendant de l’exportation de ses ressources naturelles. L’adoption de cette politique fut la condition du soutien par le G7 dont Eltsine avait besoin. Le G7 a également encouragé puis approuvé la violente suppression de la démocratie par Eltsine en automne 1993, puis validé le vol par effraction des élections présidentielles de 1996, commis par Eltsine.

A cela il faut ajouter le bombardement illégal de la Serbie par l’OTAN en 1999, l’allié traditionnel de la Russie, l’abrogation du Traité ABM (Anti-Balistic Missile) par les Etats-Unis en 2002, l’expansion continuelle de l’OTAN vers l’Est et, finalement, le rôle qu’a joué l’Occident dans le renversement armé du régime ukrainien et la guerre civile qui s’ensuivit.

Ce ne sont pas moins de douze pays qui ont rejoint l’OTAN ces quinze dernières années, et l’OTAN compte aujourd’hui 29 pays membres.

Il est vrai que le régime de Poutine a investi beaucoup d’effort pour cultiver le sentiment patriotique. Il a même retardé la date de l’élection présidentielle pour qu’elle coïncide avec l’anniversaire de l’annexion de la Crimée qui fut un acte très populaire. Mais le régime trouve dans la population un terrain idéologique très fertile, de toutes les couleurs politiques, sauf les plus néolibéraux. Pour comprendre cela, il ne faut qu’une connaissance superficielle de l’histoire russe et reconnaître la nature agressive de la politique de l’OTAN, et particulièrement des Etats-Unis, dans la défense de sa domination sur un monde unipolaire.

Le troisième facteur de la popularité de Poutine, c’est le résultat de la dite «révolution de la dignité» de février 2014 en Ukraine: le renversement d’un gouvernement corrompu, mais légalement élu, par un mouvement qui fut populaire dans ses origines mais qui fut vite rejoint par des forces néofascistes armées et des émissaires de l’OTAN. Même s’il est vrai que les médias russes, contrôlés par le gouvernement, propagent une image de chaos et désastre en Ukraine, il se trouve qu’ils n’ont vraiment pas besoin d’exagérer cette réalité.

Quelle que soit la manière avec laquelle on regarde l’Ukraine, sauf du point de vue des ultranationalistes et des oligarques, la situation des classes populaires en Ukraine s’est détériorée radicalement. Et cela fait voir la situation en Russie tellement meilleure. Ce contraste pèse lourdement sur le choix politique même de ceux qui détestent le régime de Poutine. Même s’il est vrai que cela est favorisé par les efforts de régime pour empêcher l’émergence d’une alternative crédible à Poutine, la situation en Ukraine aide grandement.

Quelques mots à propos de la jeunesse russe. Des comptes rendus récents citent des enquêtes qui montrent que la jeunesse soutient Poutine encore plus que le reste de la population. C’est peut-être le cas, la masse des jeunes gens apparaît encore plus apolitique que leurs aînés. Mais, en 2017, il y a eu quelques manifestations de protestations vraiment grandes, particulièrement de jeunes entre 16 et 24 ans. Ces manifestations ont été appelées, mais pas organisées, par Alexei Navalny, connu pour faire campagne contre la corruption. Ces jeunes gens sont descendus dans la rue malgré la menace très réelle d’arrestation, et il y en a eu des centaines. Comme j’ai été moi-même témoin d’une de ces manifestations, je peux dire que ce qui mobilisait ces jeunes gens, c’était moins leur colère face à la corruption des sommets de la société, que leur protestation contre les limites arbitraires de leur liberté. Ce début d’un réveil dans la jeunesse russe augure peut-être de changements dans la scène politique jusqu’à présent stagnante de ce pays. (Article publié en date du 22 mars 2018, sur le site SocialistProject.ca; traduction A l’Encontre)

David Mandel enseigne la science politique à l’Université du Québec à Montréal. Il s’est engagé depuis de nombreuses années dans la formation au sein du mouvement ouvrier en Ukraine et en Russie. Il est l’auteur de Les Soviets de Petrograd, Les Travailleurs de Petrograd dans la Révolution russe (Février 1917-Juin 1918), récemment publié en traduction française en coédition par Syllepse, les Editions Page 2 et M-éditeur.

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«Cette tragédie va hanter de nouveau mandat de Poutine»

Par Benjamin Quénelle

À Kemerovo, au moins 64 personnes, dont 41 enfants, sont mortes dans les flammes du centre commercial. La population pointe du doigt la négligence et la corruption des autorités.

«Les pots-de-vin tuent les enfants». Cette pancarte donne le ton de la colère qui, derrière le recueillement et la tristesse, a commencé à éclater en Russie. A Kemerovo, en pleine Sibérie, au moins 64 personnes sont mortes dimanche soir dans l’incendie de «Zimnaia Vishnia». Ce vaste centre commercial («cerise d’hiver»), comme souvent dans les villes russes, était devenu au fil des ans le principal lieu de vie de cette cité minière pour les week-ends en famille. Mais, ce soir-là, la sortie dominicale au magasin, restaurant, cinéma ou bowling a viré au drame. Les enfants se comptaient par centaines.

Lorsque, après un court-circuit, le feu a ravagé le dernier étage et que le toit s’est effondré, des groupes entiers se sont retrouvés prisonniers des flammes: les portes du cinéma avaient été fermées à clef et les issues de secours bloquées; le système d’évacuation de fumées était déficient et l’alarme débranchée; les responsables de la sécurité ont fui et les services de secours tardé. Des dysfonctionnements au lourd coût humain: au moins 41 enfants sont morts.

«Petite entreprise»

Depuis, la Russie est en deuil. Et en colère. A Kemerovo et à Moscou, comme un peu partout à travers le pays, la population a improvisé pour se recueillir devant des mémoriaux improvisés, garnis de matelas de roses et de bougies, de jouets et de boîtes de chocolats. Avec, au milieu, des messages poignants: «Les enfants, pardonnez-nous» mais aussi ce «Les pots-de-vin tuent les enfants».

Le drame du « Zimnaia Vishnia» a en effet rappelé un mal endémique dans ce pays où la corruption appartient au fonctionnement quotidien: nombreuses et strictes, les normes de sécurité servent souvent de prétextes aux pots-de-vin pour mieux les ignorer et les contourner.

«Au-delà du fait divers et des causes du feu, c’est l’incurie, la corruption et la négligence de nos autorités qui sont en cause», fulmine ainsi cette grand-mère rencontrée parmi des centaines d’autres anonymes rassemblés sur la place Pouchkine. Au pied de la statue du poète, au cœur de Moscou, ils sont venus déposer depuis deux jours peluches et fleurs.

Les premiers éléments de l’enquête l’ont confirmé: le centre commercial de Kemerovo a été construit et exploité depuis 2013 sans respecter les mesures de sécurité, pourtant multiples et précises. Malgré ses 23’000 m 2 sur quatre étages, il avait été enregistré en «petite entreprise» afin d’éviter les inspections. «Gérants et commerçants ont dû bien arroser les autorités locales!», ironise un homme d’affaires venu pareillement se recueillir au pied de Pouchkine, roses à la main et colère dans les yeux.

«Ni oublier, ni pardonner»

Arrivé à Kemerovo, le président Vladimir Poutine a fustigé «la négligence criminelle». Mais, une semaine après sa triomphale réélection, il s’est bien gardé d’aller à la rencontre des familles manifestant devant les bureaux du gouverneur de la région aux cris de «Démission!», «Criminels» et «Vérité». Aman Tuleyev, ce vétéran parmi les leaders régionaux, a destitué deux hauts responsables, mais il pourrait lui-même être rapidement remercié par le chef du Kremlin.

Lors de la présidentielle du 18 mars, grâce à une campagne soigneusement orchestrée, il avait pourtant obtenu l’un des meilleurs résultats pour Vladimir Poutine: plus de 85% des voix avec une participation supérieure à 80%. Mais, après l’incendie, la colère monte à Kemerovo contre le gouverneur…

«Nous ne pouvons pas oublier et ne pouvons pas pardonner», prévient une affiche déposée au pied de Pouchkine à Moscou où, derrière le recueillement, gronde pareillement la protestation. Dans la petite foule bigarrée, le niveau de défiance est tel que, comme souvent aux lendemains de tragédies en Russie, sont mis en doute les bilans officiellement publiés.

«Peut-être ne saura-t-on jamais le vrai nombre des morts. Dans notre pays, on ne peut pas faire confiance au pouvoir», peste une femme. Et une grand-mère, portrait type de l’intelligentsia libérale moscovite, prévient: «Cette tragédie va hanter le nouveau mandat de Poutine…» (Article publié dans le quotidien de Belgique Le Soir, en date du 29 mars 2018)