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Etat espagnol. Et maintenant? L’avenir de l’unité populaire

Espagne

Lien publiée le 28 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/europe/espagne/etat-espagnol-et-maintenant-lavenir-de-lunite-populaire.html

Par Raúl Camargo

L’accord tout neuf Íñigo Errejón-Ramón Espinar avalisé hier [19 avril] par Pablo Iglesias tentait de mettre un terme au spectacle honteux engendré par une crise au sein de Podemos à la suite de la convocation à des primaires visant à déterminer le candidat et la liste [de Podemos] pour les élections à la Communauté autonome de Madrid. Au cours de cette même semaine, une assemblée de Podemos en Movimiento – l’espace duquel Anticapitalistas est partie prenante – a décidé de ne pas se présenter et de viser à impulser un processus modifiant l’axe de discussion, lequel devrait être à même d’engendrer une ouverture plus enthousiasmante culminant par des primaires d’unité populaire [c’est-à-dire ouvertes à d’autres courants et forces que le seul Podemos]. Quels sont les défis auxquels nous faisons face?

Un moment de crise politique

La convocation de ces primaires était complètement inopportune. En pleine crise politique et morale du PP (Parti Populaire) à Madrid [1] et alors qu’une motion de censure était actionnée et faisait trembler son projet politique, l’ouverture d’une guerre interne à Podemos est incompréhensible. Dans cette conjoncture, était et reste prioritaire la mise en avant d’une alternative solide au PP. La seule manière de le faire consistait à placer les intérêts de la majorité au centre.

Cela exige de faire sortir le PP de l’exécutif, sans toutefois mettre en première ligne la pièce de rechange Ciudadanos, ni offrir le leadership de la gauche à un PSOE qui, encore il y a peu, était hors jeu: il s’agissait de proposer un programme visant à éradiquer la corruption du PP – soit sa manière de gouverner le domaine public et d’assurer sa reproduction – en même temps que de mettre en avant un programme social et politique répondant aux problèmes des Madrilènes. Un programme à même de faire place aux revendications féministes, aux luttes de travailleurs et travailleuses comme celles d’Amazon, à celles des retraité·e·s, ainsi qu’aux luttes de ceux et celles qui, d’une manière presque invisible, continuent de s’organiser pour défendre le système de soins et l’éducation publics ou encore celles des étudiant·e·s qui sont témoins de la manière dont les politiciens s’offrent des titres universitaires [allusion au master revendiqué par Cristina Cifuentes sans avoir suivi un cursus, ainsi qu’à d’autres exemples] alors qu’ils ne peuvent se payer des taxes d’études exorbitantes.

L’objectif consistait à faire front à la corruption en même temps que de mettre en cause un système pourri jusqu’à la moelle. Il est injustifiable et maladroit que face à une telle conjoncture de crise politique parmi nos adversaires, nous ouvrions la porte à une crise politique en notre propre sein. Personne ne le comprend car il est impossible de l’expliquer: lorsque la logique interne d’un parti se heurte aux besoins de la base sociale qu’il représente, il est temps de changer de cap.

L’épuisement d’un modèle

Aux débuts de Podemos et suite à l’introduction du système de primaires ouvertes en vue de la constitution des listes électorales, le problème sous-jacent était simple: il s’agissait de chercher des mécanismes permettant la participation et l’engagement politique de tout un secteur de personnes en colère contre la politique traditionnelle.

Le spectacle de ces dernières semaines au sein du Podemos de la Communauté de Madrid démontre toutefois que les méthodes qui se sont montrées utiles un certain temps ne le sont plus: la façon de concevoir les primaires de Podemos éloigne les gens de toute participation, provoque le désengagement de nombreux secteurs de la société et encourage une logique de compétition impitoyable plus proche de celle d’une entreprise que d’un espace politique qui aspire à transformer la société. Il n’y a même plus, dans ces primaires, de débat politique préalable au vote des listes: subitement, la direction impose le ticket Errejon-Espinar en écartant les documents politiques adoptés lors de la dernière assemblée de Podemos Madrid. Or, ces derniers misaient sur la construction d’une unité populaire autour d’un programme de rupture.

Il est clair que ces primaires ne remplissent déjà plus l’objectif pour lequel elles ont été lancées: loin d’accroître les forces, elles en suscitent la perte. Chaque processus de ce type laisse moins de gens au sein de Podemos. Et la direction de Podemos, au lieu de réfléchir à cela et de tenter de sortir de cette situation, décide d’engager une fuite en avant mettant en scène une fausse issue à la crise.

Ces primaires proposent en outre le même système que celui lors du Congrès Vistalegre II (février 2017), ledit système «débordement» [on pourrait dire que c’est une sorte de «spoils system»: le premier emporte (presque) tout], qui pénalise les courants critiques. Soit ceux qui ne disposent pas de l’ensemble de l’appareil pour présenter leurs propositions. A ceux qui affirment qu’Anticapitalistas est surreprésenté au sein de Podemos, rappelons que la liste que nous avons mise en avant à Vistalegre II a reçu 13% des suffrages et 3% des représentant·e·s. De même, lors du dernier processus [de primaires] en ville de Madrid, la liste que nous avons impulsée a reçu 30% des suffrages et seulement quatre représentant·e·s (sur 28). En d’autres termes, la direction de Podemos a confectionné un système devant lequel les courants critiques n’ont que deux possibilités: soit passer sous le joug et s’intégrer dans des listes [existantes], sans discussion politique, soit présenter des listes et être laminés, quand bien même elles représentent 30% des inscrit·e·s ainsi qu’un secteur important des activistes du mouvement social madrilène. Tout cela, souvenons-nous, sans qu’il soit possible même de débattre d’une proposition politique pour la Communauté de Madrid, comme s’il n’était question que de personnalités et de responsables et non de projets et de programmes.

Au cœur de cette logique informelle propre à la politique professionnelle, nous avons lu dans les médias que notre position relèverait d’un renoncement. Mais face à une question aussi sérieuse que l’avenir de la possibilité d’un changement dans la Communauté de Madrid, à aucun moment la question correcte n’a été soulevée: quelles sont les tâches politiques du moment? Quel processus et projet est-il le plus favorable à la classe laborieuse? Comment l’emporter face au PP? Ce n’est qu’ainsi que l’on peut mesurer le succès ou l’échec d’un projet politique, à moins que nous n’envisagions directement une transformation en agence de répartition des postes. Que personne ne se trompe. Il n’y a pas de recul, aucun renoncement: il s’agit d’une nouvelle ouverture autant des activistes de Podemos, comme ceux du «municipalisme» ainsi que des mouvements sociaux et syndicaux en vue d’engager l’initiative et de construire une proposition politique réellement à même de forger une unité capable de battre le PP et de transformer la Communauté de Madrid.

Miser pour l’unité populaire et un programme de changement

Nous partons de la conviction que l’unité la plus large est nécessaire afin de remporter la Communauté de Madrid. De plus, seul un programme de transformation peut changer en réalité les conditions d’existence des classes laborieuses. L’un des motifs pour lesquels nous n’avons pas intégré la liste placée sous la candidature Errejón-Espinar, au-delà de la méthode peu démocratique, tient au fait que nous ne partageons pas leur proposition politique. Errejón a toujours été clair sur ce point. Son courant politique a soutenu, au sein du législatif municipal de Madrid, par exemple, l’opération Chamartín [méga projet urbain dans un quartier madrilène], qui s’inscrit dans le sillage du modèle de ville de la droite, fondé sur un projet immobilier au service du capital financier, face aux propositions des associations de quartier, des écologistes, des syndicats et des collectifs de quartier. Ou encore son acceptation des coupes budgétaires dans la capitale face aux attaques du ministre des finances Montoro au lieu d’adopter une perspective de résistance et de lutte contre l’austérité au sein même des institutions.

La stratégie d’Errejón est, elle aussi, claire: il s’agit de concurrencer «vertueusement» le PSOE, mais l’objectif est bien un accord avec ce parti, en renonçant progressivement aux éléments les plus transformateurs du programme de Podemos. Notre conviction était, et reste, que le PSOE est un adversaire, un parti du régime qui a toujours défendu les intérêts de ceux d’en haut. Nous sommes disposés à l’appuyer tactiquement pour dégager le PP, mais non à gouverner avec eux en l’absence de tout accord programmatique et politique.

En ce qui concerne le sujet politique qu’il faut construire, le document politique qui a remporté la dernière assemblée de Podemos dans la Communauté de Madrid a établi clairement que l’objectif était de construire un projet d’unité populaire, ancré dans les classes populaires, les communes et les quartiers, avec toutes les organisations qui, au quotidien, luttent pour changer les choses. Il faut compter sur les mouvements sociaux, sur les luttes de ceux et celles d’en bas, il faut engendrer une dynamique ouverte et participative: c’est la seule façon de gagner.

Le meilleur exemple en ce sens était Ahora Madrid [liste large qui a remporté la mairie de Madrid en 2014] au sein de laquelle des gens de provenances très diverses se sont regroupés autour de normes communes afin de construire une convergence réelle. Ces primaires visent aussi à renoncer à cet objectif et envisagent les prochaines élections comme une coalition négociée par en haut entre les partis. Ce n’est pas, à notre avis, la meilleure méthode pour l’emporter face au PP.

Notre obligation est de lutter en faveur de ce que nous considérons préférable, pour ce que nous estimons être plus adéquat à chaque moment. Pour cela, nous ne nous présentons pas à ces primaires, nous ne nous intégrons pas non plus à des listes dont nous ne croyons pas au programme.

Nous allons lancer un mouvement afin de tenter de convaincre tout le monde (y compris Errejón-Espinar) qu’il existe une autre façon de faire les choses, une manière plus utile autant pour gagner que pour transformer les choses. Le rôle de Podemos, ainsi que nous l’avons toujours cru, doit être celui de catalyseur de processus plus larges. Nous œuvrerons en ce sens avec la conviction qu’il est toujours possible d’opérer un changement de cap nous permettant de retrouver l’enthousiasme, de dégager le PP et de changer la Communauté autonome. (Article publié le 20 avril 2018 sur un blog du quotidien en ligne Público.es; traduction A l’Encontre. Raúl Camargo est député de Podemos au législatif de la Communauté de Madrid et militant d’Anticapitalistas)

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[1] En particulier en lien avec les «affaires» qui ont conduit, le 25 avril, à la démission de la présidente de la Communauté autonome de Madrid, Cristina Cifuentes, mais aussi dans le contexte de la gestion clientélaire et corrompue par le PP de cette communauté, depuis plusieurs décennies. (Réd. A l’Encontre)