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Eric Toussaint: "Tôt ou tard, il y aura une nouvelle crise financière"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.cadtm.org/Tot-ou-tard-il-y-aura-une-nouvelle
L’interview a été publiée le 17 avril 2018 par The Hindu, un des deux principaux quotidiens de langue anglaise en Inde [1]. Il est diffusé à plus d’un million d’exemplaires [2].
Ce sont les régulateurs, les gouvernements qui sont responsables, déclare Éric Toussaint du Comité pour l’annulation des dettes illégitimes.
Les récentes bulles apparues sur les marchés boursiers et financiers annoncent une crise financière imminente, qui serait probablement plus forte et plus dangereuse que par le passé, selon Éric Toussaint, historien, politologue et porte-parole du Comité pour l’annulation des dettes illégitimes (CADTM).
Dans une interview donnée à The Hindu, Mr Toussaint, qui était récemment au Sri Lanka pour un séminaire régional sur la dette, a parlé des risques des banques qui s’engagent dans des activités spéculatives.
Accusant les autorités de contrôle d’être « très indulgentes » envers les banques, il a déclaré que les gouvernements et les autorités de contrôle sont censés moraliser le système bancaire, séparer les banques commerciales des banques d’affaires, mettre fin aux salaires et bonus exorbitants et finalement financer l’économie réelle. « Au lieu de quoi … tout ce que l’on a eu est une longue liste de détournements qui ont été mis en lumière par une série de faillites bancaires et de grosses arnaques. »
Le CADTM est un réseau international d’activistes travaillant à l’annulation des dettes illégitimes. Son secrétariat international est basé en Belgique et au Maroc, le réseau est présent dans plus de 30 pays répartis sur 4 continents. Ses activistes travaillent à développer des alternatives pour aider les communautés à s’attaquer à l’accumulation de dette, avec une attention particulière pour le Sud global. Bancocratie, le livre de Mr Toussaint publié en 2015 en Inde [3], attire l’attention générale par son analyse du rôle des banques et des gouvernements dans l’augmentation des dettes publiques.
Aujourd’hui, il met en garde contre une « nouvelle crise », conséquence d’une série d’erreurs d’appréciation en politique ces dernières années.
Les banques centrales – la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon – ont mis en place une politique d’Assouplissement Quantitatif (Quantitative Easing) en injectant beaucoup de liquidités dans les banques et en achetant des produits « très toxiques », telles que des créances hypothécaires titrisées et des titres adossés à des actifs (Mortgage Backed Securities, Asset Backed Securities).
Alors que les banques centrales achetaient de tels produits, donnant aux banques « beaucoup d’argent » en contrepartie, les banques ne l’ont pas prêté à des producteurs ou aux ménages. À la place, elles l’ont utilisé pour d’autres activités spéculatives menant à une « nouvelle bulle » sur les marchés boursiers, depuis environ quatre ans.
« Il est absolument évident que la capitalisation boursière est totalement exagérée, qu’elle ne correspond pas à la valeur réelle des actifs des grosses corporations. Tôt ou tard, il y aura une nouvelle crise financière », dit-il.
La dette privée
Notre défi est d’améliorer et de matérialiser le caractère public du secteur bancaire ; et en Inde, il faut défendre le secteur bancaire public et le modifier en profondeurIl y a également une grande inquiétude au sujet de la dette privée de grosses corporations financières et non-financières, dont l’endettement a énormément augmenté ces dernières années. « Il y a une nouvelle bulle dans ce segment du marché financier et c’est une autre possibilité de crise. » (Voir : La montagne de dettes privées des entreprises sera au cœur de la prochaine crise financière ; Tout va très bien madame la marquise ; Pays dits émergents : la dette privée pourrait provoquer une crise de dette souveraine)
Sur la crise du secteur bancaire en Inde et la demande de certaines parties d’une privatisation accrue, Mr Toussaint a dit que le problème ne vient pas du caractère public des banques, mais du fait qu’elles ont adopté un comportement similaire à celui des banques du secteur privé.
La « socialisation des banques »
Mr Toussaint prône la « socialisation des banques » où les citoyens, les employés de banque et les autorités locales contrôlent les activités de la banque. « Les banques publiques devraient intervenir dans l’économie locale et l’aider à se développer et s’adapter aux besoins de la population. »
Sur le microcrédit et sa présence en Amérique latine, en Afrique et en Asie, il a dit qu’il y a une énorme campagne de propagande et un soutien institutionnel très puissant, directement de la Banque mondiale à la plupart des gouvernements nationaux, en faveur de la microfinance.
D’après ses recherches, il a découvert qu’il y a plus de 120 millions d’emprunteurs de prêts de microcrédit, dont 81% sont des femmes.
« Ma visite au Sri Lanka… m’a montré à quelle vitesse l’industrie du microcrédit a développé ses activités dans le pays après la fin de la guerre en 2009 [4] et quelle brutalité elle pouvait exercer ; il est impossible aux gens de rembourser une dette s’ils doivent payer des taux d’intérêts de 40 à 60%. » (Voir : Témoignage accablant sur les victimes du microcrédit)
Meera Srinivasan : Dans votre livre Bancocracie, publié en 2015, vous parlez de la façon dont les banques et les gouvernements à travers le monde s’entendent pour augmenter la dette publique de façon dramatique. Comment considérez-vous la crise maintenant ?
D’abord, il est très clair que les grandes banques aux États-Unis, en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest n’ont pas purgé leurs actifs. Elles étaient censées nettoyer leurs bilans comptables en réduisant les produits toxiques qu’ils contenaient, réduire leurs créances douteuses et augmenter le rapport entre leurs fonds propres et leurs actifs totaux. En réalité, elles n’ont pas pris les décisions nécessaires pour ce faire et pour arrêter une activité spéculative très dangereuse. Les autorités de contrôle étaient censées renforcer leur contrôle sur les banques, mais nous avons vu ces deux dernières années qu’elles ont été très laxistes envers les banques. Les gouvernements et les autorités de contrôle étaient censées moraliser le système bancaire, séparer les banques commerciales des banques d’investissement, mettre fin aux salaires et bonus exorbitants et finalement les amener à financer l’économie réelle. Au lieu d’une moralisation du système bancaire, tout ce que nous avons eu est une longue liste de détournements et de spéculations qui ont été mis en lumière par une série de faillites et de grosses arnaques.
Sous la présidence d’Obama, le Congrès américain a adopté une loi, la loi Dodd-Franck, afin de renforcer la régulation et le contrôle des banques états-uniennes. Et maintenant Trump la démantèle et fait disparaître les quelques règles et mesures régulatrices prises dans le cadre de la loi Dodd-Franck.
Ensuite, les banques centrales – la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon – ont mis en place une politique d’Assouplissement Quantitatif (QE) : cela consiste à injecter beaucoup de liquidités dans les banques, à acheter des produits très toxiques, telles que des créances hypothécaires titrisées (MBS en anglais) et des titres adossés à des actifs (ABS en anglais). Les banques centrales ont acheté ces produits aux banques et leur ont donné beaucoup d’argent en retour. Mais ces banques ne l’ont pas utilisé pour le prêter aux producteurs, aux petits ou moyens producteurs ou aux ménages. Elles utilisent cet argent pour augmenter leurs activités spéculatives, par exemple pour racheter leurs propres actions en bourse. Cela a conduit au développement d’une nouvelle bulle sur les marchés boursiers depuis environ quatre ans. Il y a un risque réel d’un nouvel effondrement boursier. Il est difficile de prédire quand cela va arriver, mais il est absolument évident que la capitalisation boursière est totalement exagérée, qu’elle ne correspond pas à la valeur réelle des actifs des grosses entreprises. Tôt ou tard, il y aura une nouvelle crise financière. Il y a également une grande inquiétude au sujet de la dette privée des grandes entreprises financières (principalement les banques et les assurances) et non-financières. La dette de ces entreprises a énormément augmenté ces dernières années, et donc il y a une autre bulle dans le segment des marchés obligataires. Ces obligations (corporate bonds en anglais) sont émises par les grandes entreprises afin d’emprunter de l’argent à long terme. L’éclatement de cette bulle dans le financier obligataire constitue une autre possibilité de crise. Le dernier grand effondrement du marché obligataire a eu lieu en 1987 [5]. Dans l’avenir, nous allons probablement connaître une crise dans ce secteur, qui sera peut-être plus puissante et plus dangereuse que ce qui s’est passé alors.
Meera Srinivasan : Pour en venir au Comité pour l’annulation des dettes illégitimes (CADTM) et au travail que vous avez réalisé. Vous dites qu’une bonne partie de la dette existante est illégitime, en prenant en compte l’usage qui est fait des fonds, s’ils sont utilisés selon les besoins de la majorité de la population. Quand on prend la question de la dette, au niveau international ou national, les gouvernements ou les banques sont rarement disposés à partager l’information, elle est parfois protégée par une législation qui protège le secret bancaire et la confidentialité. Ils ne sont pas très transparents au sujet de l’utilisation de l’argent en Inde, ce n’est qu’après la loi sur le droit à l’information (Right To Information Act), en 2005, que les citoyens sont en mesure d’exiger des informations. Comment pouvons-nous nous faire une idée raisonnable de cette dette illégitime ?
En tant que CADTM, notre défi est d’aider les citoyens à essayer d’interroger l’accumulation de dette afin d’arriver à une conclusion quant à la légitimité ou à l’illégitimité de la detteIl y a beaucoup d’instruments pour obtenir l’information, même s’il est clair que les banques et les autorités publiques essaient d’éviter la divulgation de tels détails. Néanmoins, vous pouvez trouver beaucoup d’informations sur Internet. Le problème est d’interpréter correctement l’information donnée sur les sites des banques centrales. Nous pouvons aussi utiliser l’information donnée par les départements de recherche de plusieurs grandes banques, compagnies d’investissement et firmes d’audit comme KPMG, PwC, etc. Le défi est de convaincre de plus en plus de citoyens de la nécessité d’essayer de comprendre comment la dette est utilisée dans quel but, à quels taux d’intérêt, qui exactement reçoit l’argent, quelles sont les conditionnalités imposées par des institutions multilatérales comme la Banque Mondiale, la BAD, le FMI. Il est important d’analyser ces contrats et les conditions imposées par les créanciers, et de comprendre le sens réel des politiques mises en œuvre par les gouvernements. Ils peuvent dire : « Nous empruntons de l’argent pour cette raison », quand ils l’utilisent en fait pour une autre raison. En tant que membres du CADTM, notre défi est d’aider les citoyens à essayer d’interroger l’accumulation de dette afin d’arriver à une conclusion quant à la légitimité ou à l’illégitimité de la dette.
Le CADTM a publié un manuel d’audit de la dette à l’usage du citoyen Par exemple, en collaboration avec la Présidente du Parlement grec, le CADTM a coordonné le comité pour la vérité sur la dette publique en Grèce. Le CADTM, en tant que réseau international, a publié un manuel d’audit de la dette à l’usage du citoyen (Voir Audit citoyen de la dette - Expériences et méthodes), a participé à l’audit de la dette en Équateur en 2007-2008, et ensuite au Paraguay en 2008. En Espagne, nous travaillons avec les nouvelles forces politiques qui émanent des mobilisations citoyennes, tel que le mouvement des Indignés qui s’est organisé autour des places publiques en 2011. Après avoir battu les partis traditionnels lors de nombreuses élections municipales, ces forces sont prêtes à faire appliquer les audits de dette citoyens. En dépit de la bonne volonté de ces nouvelles forces politiques, nous sommes convaincus que cet objectif ne peut être mis en œuvre que sous la pression de mouvements populaires ; c’est le sens de notre travail là-bas.
Le niveau massif de dette publique réduit la capacité des autorités publiques de garantir aux citoyens la satisfaction de droits humains au niveau de l’éducation, de la santé, de la sécurité de l’emploi. Par conséquent, s’attaquer au problème des énormes montants d’argent public utilisés pour rembourser la dette est vital si l’on veut libérer des parties considérables du budget pour satisfaire les besoins de la population.
Meera Srinivasan : Vous dites que les montants énormes de la dette publique affaiblissent les institutions publiques, la gouvernance, etc. Pourriez-vous dire un mot de possibles répercussions politiques de cette tendance ? Ces dernières années, dans beaucoup d’endroits en Europe et ailleurs, nous voyons des forces ultra nationalistes gagner du terrain. Y a-t-il un lien entre la crise financière, l’affaiblissement des institutions publiques dû à l’accumulation de la dette et l’ultra-droite ?
Quand les forces réellement progressistes essayent d’expliquer une autre alternative aux citoyens, elles peuvent rassembler un soutien important Oui, il est clair qu’il y a un lien. En même temps, je ne suis pas sûr que la tendance générale est toujours en faveur des politiques de droite. Ça dépend de la situation. En Europe et en Amérique du Nord, il est clair que la majorité des citoyens n’est pas satisfaite des partis traditionnels.
Des partis d’extrême droite réussissent à recueillir le soutien populaire en dénonçant la situation actuelle et en proposant des politiques nationalistes, chauvines, racistes et anti-migrants. Mais en même temps, quand les forces réellement progressistes essayent d’expliquer une autre alternative aux citoyens, elles peuvent rassembler un soutien important. Un exemple en est la campagne de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne l’année dernière. Les Tories ont hâté les élections pensant obtenir la victoire un an après le Brexit. En tant que militant de la gauche du Labour, Corbyn a proposé une politique radicale de nationalisation des chemins de fer, des services postaux, de recherche de solution au problème de la dette estudiantine, de la dette des municipalités et de défense d’une position antiraciste, internationaliste. Les votes en faveur du Labour ont augmenté et il a gagné 30 sièges au parlement, tandis que Theresa May en perdait 13 ! Maintenant la Gauche gagne du terrain en Grande-Bretagne et pas les partis de droite.
Aux États-Unis, la situation était contradictoire. Si le parti démocrate avait décidé de soutenir Bernie Sanders comme candidat à la présidence, il aurait gagné l’élection face à Trump. Aux yeux du peuple, Hilary Clinton représentait l’ordre établi. Trump représentait une possibilité de changement et Sanders aussi ; si Sanders avait été choisi par le parti démocrate, il aurait certainement été victorieux, étant donné que son engagement en faveur du peuple est clairement plus authentique que les gesticulations théâtrales de Trump.
Il est clair que les ainsi dénommées campagnes de la droite populistes gagnent du terrain à cause de l’évolution scandaleuse de la finance et de l’influence des grandes entreprises privées et des banquiers sur les partis traditionnels. Mais la situation n’est pas autant en faveur de la droite quand la gauche est capable de présenter une autre perspective. Alors, la gauche a vraiment la possibilité de l’emporter.
Meera Srinivasan : À la suite de la crise du secteur bancaire en Inde, marquée par d’énormes escroqueries à hauteur de milliards de dollars, de nombreux économistes et décideurs politiques soutiennent que le moment n’a jamais été mieux choisi pour pousser la privatisation du secteur bancaire. Pensez-vous que cela pourrait marcher ?
Le problème ne vient pas du caractère public de ces banques, mais du fait qu’elles ont adopté un comportement similaire à celui des banques du secteur privéLe vrai problème est que les banques publiques actuelles n’agissent pas en faveur de la majorité de la population. Le problème ne vient pas du caractère public de ces banques, mais du fait qu’elles ont adopté un comportement similaire à celui des banques du secteur privé. Elles ne prennent pas sur elles la responsabilité du service au public. Et il y a un manque de contrôle citoyen sur le secteur bancaire public. Le secteur bancaire public, comme le secteur bancaire privé, est en faveur du secret des affaires et ne veut pas être contrôlé. Le défi pour nous est d’améliorer et de matérialiser le caractère public du secteur bancaire ; et dans le cas de l’Inde, de défendre le secteur bancaire public, mais de le modifier en profondeur. Il devrait cesser les activités spéculatives et le clientélisme. Il devrait accorder des prêts aux ménages, aux autorités municipales pour des projets utiles à l’amélioration de l’économie et des conditions de vie de la population. Je préconise la socialisation des banques. Cela signifie que les citoyens, les employés de banque et les autorités locales devraient contrôler les activités des banques. Les banques publiques devraient intervenir dans l’économie locale et l’aider à se développer et répondre aux besoins de la population.
Meera Srinivasan : Au Sri Lanka, il y a une conscience accrue du microcrédit et de l’endettement. Est-ce une tendance dans le Sud global ? Cela semble très répandu en Asie du Sud.
L’industrie du microcrédit : plus de 120 millions d’emprunteurs du microcrédit et 81 pour cent sont des femmesLe microcrédit étend ses activités en Amérique latine, en Afrique, en Asie, partout dans le Sud global. Il y a une énorme campagne de propagande et un soutien institutionnel très puissant, directement de la Banque mondiale à la plupart des gouvernements nationaux, en faveur de la microfinance, qui est présentée comme la solution pour les pauvres à travers leur lien au marché. Les grandes banques privées sont de plus en plus engagées dans le microcrédit. On peut vraiment parler d’une industrie du microcrédit. Il est développé internationalement, soutenu et organisé. Vous avez maintenant plus de 120 millions d’emprunteurs de prêts de microcrédit et 81 pour cent sont des femmes.
Meera Srinivasan : Mais pourquoi est-il plus répandu dans le Sud global, presque comme s’il ciblait ces pays qui aspirent à se développer ?
À l’échelle globale, deux milliards d’adultes n’ont pas encore de compte en banque, et la plupart d’entre eux vivent dans le Sud global. La microfinance vise à connecter ces adultes aux marchés financiers. Le microcrédit est le lien pour les connecter à la globalisation de l’économie. C’est un outil pour les incorporer pleinement au système capitaliste ou au système commercial.
Meera Srinivasan : Quand nous avons parlé de l’ultra-droite, vous avez dit qu’il était possible pour les forces progressistes de présenter une alternative. Vous avez aussi dit plus tôt que les mouvements ouvriers et les syndicats doivent élargir leur lutte afin d’incorporer les questions de l’endettement.
Pour maintenir leur pouvoir d’achat, de plus en plus de gens s’endettentOui ! Nous, à gauche, sommes en déclin depuis que Thatcher et Reagan sont arrivés au pouvoir au début des années 1980. Il y a eu une offensive générale du grand capital contre les droits sociaux. La classe ouvrière traditionnelle a été affectée. De plus en plus d’ouvriers et d’employés ont un emploi très précaire. La partie des salariés, qui est employée dans le secteur formel, est une minorité dans la plupart des pays du Sud, vous le savez en Inde car le secteur informel de l’économie est largement dominant. Cette tendance est aussi vraie dans des pays comme les États-Unis et la majorité des pays d’Europe : les emplois précaires, les temps partiels augmentent. De plus en plus de gens sont endettés parce que les salaires diminuent. Pour maintenir leur pouvoir d’achat, de plus en plus de gens s’endettent.
C’était très clair, par exemple aux États-Unis, avec la crise des subprimes. Après l’explosion de la crise des subprimes en 2006-2007, 14 millions de familles endettées ont été expulsées de leur logement aux États-Unis.
Le défi des mouvements ouvriers est de prendre en compte la question de la dette privée des ménages car il est très difficile de s’engager dans des mouvements sociaux et des grèves pour des gens qui doivent rembourser leur detteMa visite au Sri Lanka m’a montré à quelle vitesse l’industrie du microcrédit a développé ses activités dans le pays après la fin de la guerre en 2009 et quelle brutalité elle pouvait exercer ; il est impossible aux gens de rembourser une dette s’ils doivent payer des taux d’intérêts de 40 à 60%. Accorder des micro-prêts à ce taux, c’est créer la condition d’un surendettement. Les gens doivent contracter plus de micro-prêts pour rembourser les précédents. C’est un cercle vicieux qui cause d’énormes problèmes aux victimes de cette situation, dont la majorité sont des femmes. Il est incroyable d’écouter les témoignages ; des femmes nous disent que des agences de microfinance accordent des prêts à des gens sans revenu. Il est impossible de rembourser une dette sans revenu, et donc ils vont perdre le peu de biens qu’ils peuvent avoir, s’ils ont une maison, un lopin de terre où ils cultivent des légumes, ils vont les perdre pour rembourser la dette.
Et dans le Nord global et dans le Sud global, le défi des mouvements ouvriers est de prendre en compte la question de la dette privée des ménages parce qu’il est très difficile de s’engager dans des mouvements sociaux et des grèves pour des gens qui se trouvent sous une énorme pression parce qu’ils doivent rembourser leur dette.
Traduit de l’anglais par Bertrand Fonteyn
Notes
[1]http://www.thehindu.com/business/Economy/sooner-or-later-there-will-be-a-new-financial-crisis/article23577190.ece
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Hindu
[3] Voir la recension en anglais dans The Hindu
[4] La guerre civile du Sri Lanka opposa, officiellement de 1983 à 2009, le gouvernement du Sri Lanka dominé par la majorité cinghalaise bouddhiste, et les Tigres de libération de l’Îlam tamoul (LTTE), organisation séparatiste luttant pour la création du Tamil Eelam, un État indépendant dans l’est et le nord du pays, majoritairement peuplé de Tamouls de religion hindoue (18 % de la population du pays). Suivant des estimations effectuées en 2008, ce conflit a causé depuis 1972 plus de 70 000 morts, et plus de 140 000 personnes portées disparues. Source Wikipedia
docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.