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Laurence De Cock (dir.), La Fabrique scolaire de l’histoire

histoire

Lien publiée le 14 juillet 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Laurence De Cock (dir.), La Fabrique scolaire de l’histoire – 2ème édition, Marseille, Agone, collection « Passé et présent », préface de Suzanne Citron, 2017, 216 pages, 15 €.

Un compte-rendu de Jean-Guillaume Lanuque

En 2009, lorsque le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) avait impulsé la parution du premier volume de La Fabrique scolaire de l’histoire, les contributions qu’il contenait s’étaient pour la plupart révélées fort roboratives et stimulantes [1]. Sans que Laurence De Cock, désormais seule maîtresse d’œuvre de ce second volet, n’explique les raisons du long hiatus séparant ces deux publications, cette seconde édition s’avère être en réalité une toute nouvelle édition. Les contributions ont en effet été totalement renouvelées, tout comme l’essentiel des auteurs, d’ailleurs. Mais l’axe dominant demeure identique : nourrir la réflexion autour de l’utilisation de l’histoire dans le cadre scolaire. Décédée depuis [2], la regrettée Suzanne Citron, auteure de l’indispensable Le Mythe national, apparaît ici comme figure historique tutélaire, permettant de replacer la lutte du CVUH et du collectif « Aggiornamento Histoire-Géographie » dans la longue durée, ainsi qu’elle le rappelle dans sa préface, avec les espoirs déçus des années 1968.

La première partie revient sur un thème déjà abordé dans le précédent volume, la question du processus d’élaboration des programmes. Sont ainsi utilement évoqués les différents acteurs, et leur place différenciée au fil du temps, inspecteurs de la discipline, APHG (Association des professeurs d’Histoire Géographie), et autorité politique surplombante. Outre le rôle somme toute toujours très limité accordé à la masse des enseignants de base, Patricia Legris souligne pour la déplorer la marginalisation des didacticiens (actifs lors de la confection des projets de programme pour le collège unique au milieu des années 1970), et la capacité arbitrale du pouvoir exécutif, de la résistance pompidolienne aux réformes du lycée jusqu’aux craintes du ministère Vallaud-Belkacem face à la sphère conservatrice et identitaire au milieu des années 2010… Avec cette constante qui interpelle : les élèves actuels et leur ressenti témoignent de la prégnance du roman national dans leur perception de l’histoire. L’article de Géraldine Bozec sur l’apprentissage de l’histoire à l’école primaire confirme cette dimension nationale, qui va de pair avec un souci de transmission des valeurs de liberté et de tolérance, une finalité civique, donc.

Les autres parties de l’ouvrage se penchent sur la question des minorités et des histoires plurielles, ainsi que sur la nécessité d’enseigner une histoire plus mondiale. La mise en perspective de Samuel Kuhn, abordant l’histoire scolaire des États-Unis, est à cet égard stimulante. Il montre bien que l’introduction des gender studies ou des postcolonial studies, jusqu’à l’histoire des LGBT en Californie récemment, n’a d’une part pas suffi à générer une nation apaisée, et d’autre part se trouve remise en cause par toute une frange de la classe politique (républicaine, principalement), à l’image des polémiques qui peuvent se faire jour en France. La proposition de séquence pédagogique faite par Véronique Servat – appréhender l’histoire de l’immigration en France par le biais de la marche dite des beurs en EMC (enseignement moral et civique, nouvelle dénomination de l’instruction civique) – demeure par contre frustrante, l’auteure n’ayant pas inclus (ou au moins proposé un lien Internet vers) le dossier documentaire que les élèves étaient censés travailler. Plus intéressante est la contribution de Vincent Capdepuy, « Le Monde pour horizon, et tant d’histoires à enseigner ». Il y plaide en effet pour une histoire plus décentrée, mais également pour l’incorporation à l’enseignement de l’histoire locale et régionale, ouvrant sur un emboîtement d’échelles qui nous semble prometteur. Vincent Casanova, pour sa part, propose un angle d’approche différent de la géopolitique : critiquant la version dominante, celle promue en particulier par Yves Lacoste [3], il suggère de ne plus rester prisonnier avec les élèves des conflits entre États, entre dirigeants, mais d’aborder les choses par en bas, par la réalité sociale.

La quatrième et dernière partie se saisit de la dimension critique que doit revêtir l’enseignement de l’histoire-géographie-EMC. Si la réflexion de Servane Marzin sur la question du complotisme est à bien des égards salutaire, en rejetant l’association qu’ont tendance à faire les autorités de tutelle entre complotisme et « radicalisation » djihadiste, pour lui préférer une vision moins manichéenne et sa déconstruction à l’aide des outils de l’historien, il lui manque des pistes concrètes et pratiques à mener en classe. Les deux derniers auteurs insistent sur la nécessité d’une formation continue axée sur l’actualisation des savoirs historiques, et pas seulement pédagogiques, plus développée (mais sous quelles formes ? Sur quels créneaux ?), ainsi que sur la didactique, d’une façon là aussi un peu trop désincarnée (l’appel à la comparaison avec le présent, la nécessité de faire preuve d’empathie vis-à-vis des humains du passé sont des données déjà connues et, peut-on penser, maîtrisées par les enseignants).

Certaines des idées défendues par plusieurs auteurs posent toutefois question, ainsi de la plus grande souplesse des programmes, qu’il s’agirait de pouvoir adapter au gré des situations locales. Certes, une telle idée est tentante, dans la mesure où elle élargirait considérablement la liberté pédagogique et permettrait de contourner les retards ou les limites des instructions officielles [4]. Mais en donnant toute latitude aux enseignants, y compris malheureusement à ceux du Front national (le collectif Racine), le risque est grand d’amoindrir encore davantage le caractère national et universel de l’éducation. Sans parler du fait que cette décentralisation pourrait conduire à une nouvelle mise sous tutelle, cette fois des collectivités territoriales, à l’image de ce qui existe en Allemagne ou, plus encore, aux États-Unis.

La Fabrique scolaire de l’histoire 2 montre par là qu’elle n’est qu’un jalon supplémentaire dans un débat de fond, et que la question des programmes a encore besoin de refontes majeures, dont les enseignants, tous les enseignants, doivent impérativement être partie prenante.

[1]    Nous en avions rendu compte, mais sur notre ancien site, désormais perdu dans les limbes de l’Internet… Ce premier volume est par contre désormais librement accessible sur le site d’Agone.

[2]    Suzanne Citron est décédée le 22 janvier 2018.

[3]    Voir à son sujet la recension sur notre blog de son ouvrage classique, La Géographie ça sert d’abord à faire la guerre : https://dissidences.hypotheses.org/4275

[4]    On peut d’ailleurs noter que les derniers programmes en date, ceux de 2016, se sont avérés plus succincts dans leur formulation, autorisant davantage de prise en main personnelle.