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Nicaragua: Quelles ont été les mutations le FSLN ?

Lien publiée le 18 juillet 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.inprecor.fr/article-Nicaragua-Qu%E2%80%99est-ce%20que%20ce%20r%C3%A9gime%C2%A0%20%20Quelles%20ont%20%C3%A9t%C3%A9%20les%20mutations%20le%20FSLN%20pour%20arriver%20%C3%A0%20ce%20qu%E2%80%99il%20est%20aujourd%E2%80%99hui%20%20?id=2144

Quels sont les marqueurs essentiels, les plus distinctifs, du régime de Daniel Ortega ? Quelles ruptures, quelles involutions observons-nous dans ces traits et que signifient-ils par rapport aux propositions programmatiques du FSLN et au projet de la révolution sandiniste ? Voyons plusieurs de ces marqueurs, pour analyser ensuite quelques-unes des mutations.

Les marqueurs du régime

1. Nous ne sommes pas dans une seconde étape de la révolution ; les transformations qui nous mettraient sur le chemin d’un système de justice sociale ne se réalisent pas. Bien au contraire : comme jamais auparavant, on voit le renforcement d’un régime socio-économique où les pauvres sont condamnés à survivre avec des emplois informels, précaires, à travailler àleur propre compte ou pour des salaires misérables et durant de longues heures, condamnés à émigrer dans d’autres pays à la recherche de travail, condamnés à des pensions de retraite précaires. C’est un régime d’inégalité sociale avec un processus croissant de concentration de la richesse dans des groupes minoritaires.

2. La subordination du pays à la logique globale du capital s’est approfondie. Sans que nous nous en rendions compte, notre pays a été livré aux grandes multinationales et aux capitaux étrangers, qui viennent exploiter nos richesses naturelles ou profiter de notre main-d’œuvre bon marché, comme si c’était une zone franche. Le cas le plus pathétique de cette logique de bradage du pays et de ses ressources, c’est la concession pour la construction du Canal interocéanique, mais il y a eu beaucoup d’autres concessions minières, forestières, de pêche et de production d’énergie qui couvrent tout le pays.

3. Le système socio-économique actuel avait besoin d’en finir avec les résistances sociales et le régime d’Ortega y réussit en exerçant un sévère contrôle social. Il contrôle les organisations syndicales, professionnelles et populaires et cela facilite l’aliénation de ces secteurs, ceux-là mêmes qui seraient appelés à la résistance, mais imaginent que nous vivons sous un gouvernement de gauche et révolutionnaire.

4. Un processus démesuré de concentration du pouvoir s’est développé au profit de la famille Ortega-Murillo. Il s’agit d’un processus en expansion et en croissance qui, à notre avis, n’est toutefois pas parvenu à son niveau le plus élevé. Il menace de détruire tout vestige d’institutions démocratiques, vu que dans l’immédiat il n’existe aucune force capable de le freiner ou d’y mettre fin.

Je crois que ces quatre traits essentiels sont les facteurs pesant le plus sur la réalité. On ne peut pas expliquer les mutations expérimentées par le FSLN en tenant compte d’un seul de ces facteurs isolément. Il faut analyser leurs interactions et leurs interdépendances. Il faut tenir compte du fait que des processus distincts de développement ont eu lieu, certains sont plus mûrs que d’autres, certains ont commencé avant d’autres. Par exemple, la privatisation du Front sandiniste s’est développée avant la création de l’oligarchie économique du Front. La somme, le mélange, l’entrelacement de tous ces facteurs ont débouché sur une réalité indéniable : la concentration illimitée du pouvoir.

Comment appeler ce que nous avons aujourd’hui. Ortega-murillisme ? Le clan Ortega-Murillo ? Je l’ai appelé « chayo-ortéguisme ». Et je le définis comme le système de pratiques, de valeurs, de conceptions et de comportements politiques d’un collectif important au sein de la société nicaraguayenne : il contrôle complètement les principales institutions du pays et utilise ce pouvoir concentré pour se reproduire, se renforcer et s’installer au sommet de l’État pour des années. Pour y parvenir, il s’avère fondamental d’influencer les esprits et les croyances des Nicaraguayens, et plus particulièrement des jeunes.

Le chayo-ortéguisme est une rupture profonde avec le meilleur de l’héritage idéologique du sandinisme. Sur certains aspects, c’est le retour d’un obscurantisme médiéval et c’est sans doute la perversion la plus terrible du sandinisme. Ce phénomène politique a émergé du cadavre du Front sandiniste de libération nationale et de celui d’une révolution qui, bien qu’ayant réalisé d’importantes transformations, fut interrompue et entravée par des années de guerre. La révolution et le Front sandiniste de Carlos Fonseca n’existent plus. Certains comparent cette involution avec ce qui s’est passé avec le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), engendré par la révolution mexicaine. Mais sur plusieurs aspects le cas du Nicaragua est pire, parce qu’au moins le PRI a établi temporairement l’alternance alors que ce que nous avons au Nicaragua, c’est un pouvoir unipersonnel et familial.

Cheminement vers le « chayo-ortéguisme »

Pour y arriver, il y eut des antécédents. Le caudillisme de Daniel Ortega a commencé avant les élections de 1990, avec les décisions de sa candidature présidentielle et d’une campagne électorale centrée sur sa personne, désignée comme « le coq flamboyant », sans aucune proposition programmatique. Son caudillisme s’est renforcé davantage dans les années suivantes. L’affrontement au sein du Front sandiniste entre 1993-1995 a persuadé Ortega et sa garde rapprochée de l’importance de contrôler l’appareil partidaire. Et ça s’est concrétisé plus précisément lors du congrès du Front en 1998, où ont commencé à se diluer totalement ce qu’étaient les restes de la Direction nationale, de l’Assemblée sandiniste et du Congrès du Front : ils furent remplacés par une assemblée à laquelle participaient principalement les dirigeants des organisations populaires fidèles à Ortega. Peu à peu, même cette assemblée a cessé de se réunir. À ce moment, une rupture importante eut lieu. Il était alors évident que Ortega s’éloignait toujours plus des positions de la gauche et centrait sa stratégie sur l’élargissement de son pouvoir. Il mettait l’accent sur le pouvoir pour le pouvoir.

Dès lors, pour accroître son pouvoir, il a commencé des processus successifs d’alliances. La première avec le président Arnoldo Alemán produisit les réformes constitutionnelles de 1999-2000. La proposition centrale de l’alliance avec Alemán consista à réduire à 35 % le pourcentage nécessaire pour gagner les élections, répartir entre les deux partis les postes de toutes les institutions de l’État et garantir la sécurité des propriétés et des entreprises personnelles des dirigeants du FSLN. En échange, Ortega a garanti à Alemán la « gouvernabilité » : les grèves et les luttes revendicatives prirent fin. Le Front sandiniste cessa de s’opposer aux politiques néolibérales. Les organisations dont les principaux dirigeants sont devenus députés dans les années suivantes ou se sont intégrés aux structures du cercle de pouvoir de Ortega cessèrent de résister et de lutter.

Durant ces années, s’est aussi produit l’amarrage – je ne l’appellerais pas alliance – avec le chef de la hiérarchie catholique, le cardinal Obando. Cet amarrage avait pour but principal le contrôle du Poder Electoral [l’autorité de contrôle électoral], grâce à la relation personnelle, intime, d’Obando avec Roberto Rivas, président depuis 2000 du Poder Electoral . Avec cet amarrage, Ortega a obtenu aussi contrôle et influence au sein de la hiérarchie catholique et parmi les fidèles.

À partir de 1998, l’ortéguisme a commencé à se « murilliser », l’ascension de Rosario Murillo a commencé à devenir plus patente. Après la dénonciation de sa fille Zoilamérica contre son beau-père, Daniel Ortega (1), Rosario Murillo commence à apparaître sur les estrades et son influence au sein du Front sandiniste devient évidente. Ce pouvoir a continué à croître d’une manière étrange. Lors des élections de 2001 et de 2006, elle fut cheffe de la campagne électorale de Ortega. La victoire d’Ortega en 2006, bien qu’avec seulement 38 % des suffrages, termina d’affermir son influence et son pouvoir. À l’intérieur du clan, la clique Ortega-Murillo s’est alors formée.

Il faut rappeler que la campagne d’Ortega comme candidat lors des élections de 2006, dirigée par Rosario Murillo, fut complètement vide d’engagements à faire des changements sérieux dans les politiques économiques néolibérales. Si on lit le feuillet rose-fuchsia élaboré pour cette campagne, on ne trouvera aucun contenu programmatique progressiste. On y parle seulement de « pardon », et on y réitère seulement une demande : « Donnez-nous une opportunité »… Ce n’est qu’à la venue de Hugo Chávez à l’investiture de Daniel Ortega en janvier 2007 que nous avons entendu Ortega tenir un discours à contenu de gauche, mais c’était seulement rhétorique. Lors de l’arrivée de Hugo Chávez au gouvernement en 1998, Ortega s’occupait d’autre chose en préparant son alliance avec Alemán. Je me souviens que Tomas Borge avait déjà qualifié Chávez de « putschiste » et avait dit que le Front sandiniste n’établirait pas de contacts avec lui. À mon avis, la relation de Ortega avec Chávez durant toutes ces années c’était pour profiter du pétrole vénézuélien et de l’appui politique de l’ALBA. Je me souviens qu’avant l’arrivée de Ortega au gouvernement, durant toutes ces années, quand les sandinistes se demandaient : « Où allons-nous ? », on leur disait : « Il faut mettre le clignotant à gauche, mais doubler à droite ». C’est ce qu’a fait et ce que fait Ortega : il parle à gauche, mais va à droite. Et c’est ce qu’il a fait avec Chávez.

Symbiose avec le grand patronat

En 2007, avec l’arrivée d’Ortega à la présidence, se manifeste de manière évidente une tendance qui est devenue toujours plus claire. Le pragmatisme économique montré par le Front par rapport aux privatisations et aux politiques néolibérales se déploie pleinement. Débute alors une nouvelle phase où Ortega entre dans un processus de rapprochement avec l’autre pilier du pouvoir national : les grands patrons regroupés au sein du Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP). Alors se produit la symbiose entre Ortega et le grand capital national. Je ne l’appelle pas alliance : c’est une symbiose car ce qui définit la nature du régime actuel, c’est que sa mission principale consiste à fortifier et à créer les conditions pour l’économie de marché, fortifier le grand capital, tout en distribuant des miettes aux pauvres pour que ceux-ci restent tranquilles.

Les rencontres continuelles d’Ortega et de son gouvernement avec les patrons nicaraguayens durant toutes ces années montrent une fusion d’intérêts qui a des prétentions à une longue durée. Il ne s’agit pas seulement d’accords bilatéraux avec certains des grands capitaux nationaux. C’est une symbiose d’intérêts. Elle vient des années précédentes, parce qu’au cours de ces années s’était créée une « bourgeoisie rouge-et-noire ». Et comme ça me fend le cœur de l’appeler « rouge-et-noire », je préfère l’appeler « bourgeoisie rose-fuchsia ». Ce groupe de pouvoir économique a une communauté d’intérêts avec le grand capital national. Il ne s’agit pas d’une alliance pour des raisons tactiques, comme le croient parfois certains qui disent aux grands patrons : « Attention, ils vont vous mettre le couteau sous la gorge… ». Non, ce qu’il y a, c’est une symbiose d’intérêts. Ortega et son groupe ne sont pas avec le grand capital par convenance tactique. Ils sont avec le grand capital, parce que maintenant eux-mêmes sont un important groupe capitaliste : aujourd’hui, le gouvernement représente cette communauté d’intérêts entre la nouvelle oligarchie sandiniste, l’oligarchie traditionnelle et le grand capital multinational.

Il ne s’agit pas non plus pour Ortega de vouloir promouvoir les entrepreneurs nicaraguayens pour renforcer une bourgeoisie nationale capable de développer le pays à partir de nos propres possibilités, en suscitant un capitalisme national, un objectif qui n’a jamais été atteint au Nicaragua. Ce n’est pas ça. Il s’agit d’une symbiose au service de la logique du grand capital multinational. Raison pour laquelle les principaux acteurs de cette symbiose sont les chefs des grands groupes financiers du pays (Pellas, Ortiz Gurdián, Fernández Hollman et Zamora Llanes), ce ne sont pas les capitalistes d’autres aires productives. Parce que c’est le capital financier spéculatif qui régit aujourd’hui la logique du capitalisme du XXIe siècle, c’est lui qui prône le développement extractiviste, le bradage des richesses naturelles et l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché avec la dérégulation du marché.

Nous ne trouvons pas de tels niveaux de subordination à la logique du capital dans les gouvernements de Violeta Barrio et d’Arnoldo Alemán, ni même dans le gouvernement le plus proche du patronat, celui de Enrique Bolaños. Cela s’explique parce que, durant ces gouvernements, il y avait des forces syndicales et associatives leur servant de contrepoids. Il y avait un sandinisme de base qui résistait.

La réalité, c’est qu’aujourd’hui le gouvernement Ortega a mis fin à ces résistances et qu’il a annulé tout contrepoids. La réalité, c’est que le Nicaragua a vendu à vil prix la distribution de l’énergie, les télécommunications, les centres de santé sociaux, il a facilité la privatisation de l’éducation supérieure avec l’apparition de dizaines de mini-universités dites « de garage », il a reprivatisé l’activité financière en faisant disparaître la banque étatique de développement, il a liquidé la nationalisation des mines en débutant l’époque des concessions… et tout cela s’est fait avec la complaisance d’Ortega et de son groupe, alors dans l’opposition à ces trois gouvernements. Le traité de libre commerce avec les États-Unis fut rendu possible par les votes des députés du Front sandiniste à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, avec ce gouvernement qui se fait appeler « chrétien, socialiste et solidaire », les privatisations se sont consolidées et approfondies. Voyons quelques exemples.

Ortega et les multinationales

Examinons par exemple les relations du Nicaragua avec la multinationale espagnole Unión Fenosa. Je me suis consacrée à l’étude de ce cas, jusqu’à participer à une réunion de l’Observatoire des multinationales au Pays Basque. Les relations du gouvernement de Enrique Bolaños avec Unión Fenosa étaient tendues. En 2006, lors de l’arrivée de Daniel Ortega au gouvernement, Bolaños avait déposé des plaintes contre Unión Fenosa et il y a eu douze jugements, des plaintes et des amendes prononcés les tribunaux contre cette multinationale. Tout fut résolu avec le gouvernement Ortega. En novembre 2007, alors que Daniel Ortega tenait un discours virulent contre les multinationales au sommet ibéro-américain à Santiago du Chili, Bayardo Arce était en train de rencontrer à Madrid, au Palais de la Moncloa, la direction de Unión Fenosa. À partir du « Protocole d’accord entre le gouvernement du Nicaragua et Unión Fenosa » – auquel fut donné rang de loi, le 12 février 2009, par l’Assemblée nationale, une législation comprenant des garanties de toutes sortes pour l’entreprise – tout le passé conflictuel fut rayé d’un trait de plume. Rayés tous les jugements, toutes les plaintes et les amendes en souffrance. Ensuite, d’autres lois furent promulguées au bénéfice de la multinationale. Jamais les relations avec la multinationale espagnole qui distribue l’énergie ne furent aussi fluides que sous ce gouvernement. Et que se passe-t-il avec la production d’énergies alternatives ? Elle se trouve de manière croissante en mains privées, bien que sa base soit les ressources naturelles du pays, comme le vent, l’eau, les volcans… Tous les nouveaux projets d’énergie éolienne, hydroélectrique ou géothermique ont fait l’objet de concessions aux entreprises multinationales où Ortega et son groupe détiennent des actions.

Nous avons un autre exemple du bradage du pays au capital multinational avec les relations entre ce gouvernement et la multinationale canadienne B2Gold, aujourd’hui propriétaire des principales exploitations minières du pays, qui a reçu du gouvernement toutes sortes d’appuis. Une étude du Centre Humboldt informe que, à cause du soutien massif à l’extraction minière par le gouvernement Ortega, le pays ne reçoit que 3 % en redevances et la mine ne contribue que pour 1,8 % au produit intérieur brut national. Par contre, les résultats sont dramatiques : contamination des rivières, atteintes à la santé des communautés, et au travail traditionnel des güiriseros, les chercheurs d’or qui vivent de l’exploitation artisanale.

Nous avons un autre exemple avec les concessions forestières. Le cas le plus médiatisé est celui de la déforestation dans la réserve de Bosawas. Les mafias du bois octroient des titres de propriété sur le territoire de cette réserve à de prétendus colons pour garder ensuite la terre et les arbres. Et nous savons qu’à ces mafias participent des militaires et des fonctionnaires gouvernementaux qui font de très bonnes affaires avec le bois sorti de la réserve.

Pour avoir une information adéquate sur le problème de la déforestation au Nicaragua, le gouvernement de Enrique Bolaños invita une organisation indépendante, Global Witness, qui surveille et valorise l’exploitation des ressources naturelles dans le monde et qui a joué par exemple un rôle clé dans la dénonciation des mafias contrôlant les mines de diamant et du travail esclave grâce auquel fonctionnent les multinationales extractivistes. Son dernier rapport date de 2008. Ensuite, le gouvernement de Ortega ne les a pas laissé entrer. Nous pouvons nous demander pourquoi…

Un autre exemple, moins connu, est celui de la pêche, aux mains de la multinationale espagnole Pescanova. La chercheuse espagnole María Mestre a publié dans Diagonal (décembre 2010) un rapport sur l’action de Pescanova au Nicaragua. Pescanova est arrivée au Nicaragua en 2002, en achetant l’entreprise Ultracongelados Antártida S.A., la plus grande usine espagnole de conditionnement de fruits de mer, qui possédait un tiers d’une entreprise nicaraguayenne de production de crevettes opérant à Chinandega. À partir de là, Pescanova s’est étendue, ne se limitant pas à traiter les crevettes et la production de larves de crevette en laboratoire, mais en obtenant toujours plus de surface en concession. Si en 2006 Pescanova disposait de 2 500 hectares, en 2008 – sous le gouvernement Ortega – elle avait doublé cette surface, et contrôlait 58 % de la superficie des concessions de pêche. Entre janvier et avril 2009, Pescanova en contrôlait 82 %. Comment est-elle arrivée à une telle expansion ? María Mestre l’explique : « Pescanova s’est approprié les fermes des coopératives grâce à des investissements avec des intérêts élevés. Dans la majorité des cas, les dettes ont étranglé les propriétaires des coopératives, jusqu’à ce qu’ils aient cédé leur ferme à l’entreprise ».

« La grande extension de cette entreprise ne doit pas être attribuée seulement à ses mérites propres, vu que Pescanova bénéficie de conditions privilégiées de la part du gouvernement nicaraguayen, parmi lesquelles se détache l’attribution à l’entreprise du “régime de zone franche”, l’exemptant de la majorité des impôts ». Il s’agit d’une culture orientée vers l’exportation, qui affirme réduire la pauvreté et améliorer la sécurité alimentaire, mais non seulement ces objectifs ne s’appliquent pas, mais ils produisent des effets contraires. María Mestre signale ce qui se passe : « Disparition des coopératives comme petites unités communautaires de commerce, création de postes de travail précaires, conséquences préjudiciables aux moyens de subsistance des populations locales et à l’environnement, journées de travail de 12 heures sans repos, non-rémunération des heures supplémentaires ou des congés, taux d’accidents élevés, manque de protections adéquates pour le personnel travaillant dans les entreprises de crevettes, entraves aux inspecteurss du travail, engagement irrégulier d’adolescents, pollution de l’Estero Real, pollution des eaux par le déversement des eaux usées des ateliers, abattage sauvage des palétuviers, obstacle au travail des pêcheurs artisanaux.

Ce que Pescanova provoque dans cette zone est visible. Il y a deux ans, je suis allée à Jiquillillo et j’ai vu comment vivent les gens qui travaillent à Pescanova. Ils vivent dans de véritables taudis, dans des maisons faites entièrement de palmes. Une misère épouvantable. Les pêcheurs quittent ces logements misérables pour aller en mer sur leurs barques et ils livrent la pêche à Pescanova. Un jour, nous avons voulu leur acheter du poisson, mais même en leur payant un prix quatre fois supérieur à celui de l’entreprise ils ne nous en ont pas vendu. C’était interdit. Ils s’engagent à tout livrer à l’entreprise. Ils sont littéralement captifs de Pescanova.

Un autre exemple, c’est l’agro-industrie qui s’est développée sous le gouvernement Ortega. En montant sur le volcan Casita, on verrait le territoire environnant totalement semé de canne à sucre. Le capital Pellas est dans un processus d’expansion énorme de la culture de la canne, pas pour la production de sucre, mais pour l’éthanol, une production qui a continuellement augmenté durant ces années.

Mutations du modèle économique

Face à cette voracité du marché et du capital multinational allié au grand capital national, les institutions de l’État apparaissent toujours plus faibles. Pas seulement faibles, mais complices. Les travailleurs, les coopératives, les citoyens sont de moins en moins protégés face aux multinationales. Nous sommes totalement « les mains en l’air » devant ces grandes entreprises. Cela démontre que nous ne sommes pas face à un processus d’alliances entre le gouvernement de Ortega et des patrons nicaraguayens, mais à une symbiose des deux groupes basée sur les intérêts de ce libre marché, qui n’admet pas, ou déprécie, rejette et combat toute régulation. Cela démontre que le chayo-ortéguisme est capitaliste et qu’il relève du capitalisme le plus sauvage.

En prenant en compte ce contexte, examinons les mutations ayant converti le sandinisme en chayo-ortéguisme. Nous voyons une première mutation dans le modèle économique. La révolution fut un projet pour transformer le Nicaragua. Cette transformation incluait la nationalisation des ressources naturelles et du système financier, la réforme agraire… Dans le programme d’unité nationale de la révolution, nous avions trois piliers : économie mixte, pluralisme politique et non-alignement.

L’économie mixte signifiait que le gouvernement allait promouvoir un secteur socialisé de l’économie, représentée par les entreprises de l’aire de propriété du peuple et par les coopératives. On respectait la propriété privée et les moyens privés de production, mais on promouvait la propriété sociale et la régulation de l’économie à partir de l’État. Les politiques économiques du pays seraient subordonnées à la prédominance du secteur public. Et qu’avons-nous aujourd’hui ? 96 % du produit intérieur brut du Nicaragua est généré dans le secteur privé et l’État national a des institutions incapables de promouvoir une vision socialisée de l’économie. C’est tout le contraire de ce qu’était le projet de la révolution sandiniste, ayant le secteur public comme secteur hégémonique. Le processus de symbiose du gouvernement Ortega avec le grand capital a réussi ce que Julio López appelle « le natacamal [plat typique nicaraguayen enveloppé et ficelé dans une feuille de bananier] le mieux ficelé de l’histoire politique du Nicaragua ». Et il paraît ficelé de telle manière qu’il vise à rester ainsi pour beaucoup de temps.

Les dirigeants des grands patrons regroupés au sein du COSEP l’affirment. Ils se félicitent de ces sept années de gouvernement Ortega où ils ont cinq ans d’accords salariaux à leur profit, 68 lois de consensus et 39 contrats en partenariat public-privé en cours d’application. Ils oublient de dire que dans tous ces succès il y avait un grand absent : les intérêts des ouvriers, des paysans, de la petite et moyenne entreprise et des classes moyennes. Ainsi, « l’État bourgeois » s’est consolidé et les institutions de l’État obéissent à la logique du capital. Quelle différence entre la situation actuelle et celle des années de la lutte contre Somoza, quand nous disions que « sur les ruines de l’État bourgeois se dressera l’État révolutionnaire » !

Naturellement, la symbiose du gouvernement avec le grand capital ne s’explique pas seulement par les intérêts de la nouvelle « oligarchie rose-fuchsia », qui a opté pour le modèle capitaliste extractiviste subordonné aux organismes financiers internationaux. Elle s’explique aussi par la logique du grand capital national qui tout au long de son histoire a priorisé l’intérêt et le bénéfice, sans accorder d’importance aux valeurs éthiques et politiques. Même s’ils parlent toujours davantage de la « responsabilité sociale de l’entreprise », le modèle que nous avons correspond à la philosophie traditionnelle de nos grands patrons.

Du rationalisme au fondamentalisme religieux

Une seconde mutation à analyser est celle qui a mené le Front sandiniste du rationalisme au fondamentalisme religieux. Le programme de la révolution revendiquait le respect des croyances religieuses et préconisait la laïcité. La Constitution de 1987 établit que l’État n’a pas de religion officielle et que l’éducation publique est laïque. Et qu’avons-nous maintenant ? L’usage et l’abus de la religiosité populaire et sa manipulation continuelle en vue de fortifier le projet de pouvoir. Les institutions étatiques opèrent comme reproductrices des croyances religieuses pour souligner que tout ce qui se passe dans le pays est le produit de « la volonté de Dieu ». Établissant ainsi que l’autorité chayo-ortéguiste provient de la volonté divine, tout comme sous l’absolutisme monarchique le pouvoir des rois venait directement de Dieu. Et ce lien divin, selon le discours officiel, fait que le Nicaragua vit « béni et prospère ». Comme résultat de ce modèle, les hiérarchies religieuses légifèrent, les Églises commandent, les autorités civiles promeuvent des croyances religieuses et toutes les institutions étatiques et municipales sont remplies d’images, de symboles et de messages religieux. La pensée critique, le marxisme – qui fut « l’épée intellectuelle » du sandinisme, en évoquant ce mot de Rosa Luxemburg – ont été remplacés par les idées religieuses les plus corrosives, par le spiritisme, par l’ésotérisme, par – nous pourrions aussi le dire – le satanisme, qui remplacent aujourd’hui l’idéologie et la théorie révolutionnaire.

De la direction collective au pouvoir autocratique

Une troisième mutation a mené le Front sandiniste de la direction collective au pouvoir autocratique et absolu. Durant la révolution, nous entendions l’exercice du pouvoir selon une dimension collective. Nous ne concevions pas les transformations selon le culte de la personnalité, selon la déification de quelqu’un. Et que voyons-nous maintenant ? Une centralisation du pouvoir que nous n’avions jamais connue, pas même sous le somozisme. Pas une feuille ne bouge, pas une décision prioritaire, même pas une décision secondaire, ne se prend sans la volonté du couple. Il est utile de rappeler ici que Carlos Fonseca, dans son texte Un nicaragüense en Moscou (Un Nicaraguyen à Moscou), commentant le discours de Nikita Khrouchtchev sur les erreurs du stalinisme, pensait que « la principale erreur avait été d’accepter que le parti communiste et le peuple soviétique rendent un culte à Staline, ce qui a contribué parmi de grands secteurs à attribuer à Staline les succès russes dans les domaines de l’économie, de la politique et de la culture ». Carlos rappelait la thèse marxiste attribuant aux masses populaires le rôle principal dans le développement de la société. Et il écrivait : « Une autre erreur réside dans le fait que Staline viola la direction collective du Parti, en prenant maintes fois des décisions d’importance nationale sans consulter l’opinion d’autres hauts dirigeants… Tant que Staline vécut, il était impossible de le critiquer ».

En lisant le texte de Carlos, nous disons, et non sans base, que le pouvoir autocratique chayo-ortéguiste ressemble beaucoup dans ses méthodes et dans ses formes au stalinisme : le culte de la personnalité, la déification de ses deux figures, car maintenant on n’encense pas seulement la figure de lui (Daniel Ortega), mais aussi la figure d’elle (Rosario Murillo), la manipulation des masses, la suppression de la direction collective, l’utilisation des tribunaux et du terrorisme fiscal comme mécanisme de persécution pour mettre à genoux l’opposition, particulièrement les sandinistes critiques, mais aussi des gens dans leurs propres rangs. Le régime se trouve toutefois dans une phase de répression souterraine. Il applique des techniques staliniennes, mais souterraines. Néanmoins, nous n’avons aucun doute qu’il va appliquer des formes de répression plus dramatiques, car il les a déjà appliquées de manière sélective et focalisée, parce que ce type de régime se construit ainsi.

Le pouvoir autocratique est l’antipode de la pensée critique, de l’usage de la raison. Il promeut une citoyenneté passive, et un militantisme passif, qui dépose toute sa souveraineté sur la personne de l’autocrate. C’est quelque chose de si subtil que les subordonnés eux-mêmes ne se rendent pas compte qu’ils font reposer toutes les décisions sur l’autocrate, qui promeut la soumission et l’aliénation. De révolutionnaires « sujets et maîtres de leur propre destin », « maîtres de leur histoire et architectes de leur libération » (2), ils sont devenus des subordonnés dociles dominés par la peur.

L’autocrate ne s’intéresse pas au débat, à la diversité de pensée, à l’information alternative et à la formation politique. Pour maintenir son pouvoir, l’autocrate a besoin d’un ensemble compact de courtisans. Il n’y a pas d’autocratie sans cour et sans courtisans qui la soutiennent. L’autocrate a besoin de la cour et de ses courtisans, et les courtisans ont besoin de l’autocrate. Un besoin mutuel. À la cour, tout tourne autour de la meilleure approche du pouvoir et il y a toujours des luttes pour des postes de pouvoir. Périodiquement, nous voyons que les principaux cadres de la cour actuelle se battent dans des luttes intestines pour être inclus dans les postes.

Cette mutation a été rendue possible par la privatisation du Front sandiniste, une privatisation déjà commencée dans les années 1990 et terminée par la liquidation du FSLN. Il n’y a plus de Front sandiniste. Il y a un drapeau, certaines structures formelles, mais le FSLN est seulement une franchise électorale. Il n’existe plus au Nicaragua une organisation de révolutionnaires avec une pensée critique, de gauche. Cette mutation a été profonde : l’autocrate a soumis les dirigeants du passé et du présent et les a rendus soumis… et il les a soumis par l’argent. Comme l’a dit Eduardo Galeano : « les sandinistes qui furent capables de risquer leur vie sont maintenant incapables de risquer leurs postes ». Ainsi, furent liquidées la philosophie et l’éthique de Carlos Fonseca, qui avait proclamé l’éthique comme un héritage légué par Sandino aux dirigeants du Front sandiniste.

Les courtisans défendent l’absolutisme actuel avec l’argument de la légitimité que leur donnent les résultats électoraux, alors qu’ils savent, comme nous le savons tous, que les élections ont été frauduleuses. Mais quand bien même ils auraient compté sur un appui électoral majoritaire, les votes ne légitiment pas la nature économique et politique d’un régime injuste. On peut avoir un appui massif et ne pas être un gouvernement juste, celui dont nous avons besoin au Nicaragua. Durant de nombreuses années, Hitler, Mussolini et Somoza, et tant d’autres régimes oppresseurs dans l’histoire de l’humanité, ont pu compter sur un appui massif. L’appui des votes ne légitime pas la nature injuste d’un État. Il faut rappeler que le Somoza des dix premières années ne fut pas le Somoza des dernières années, celui dont les gens se souviennent. Après l’assassinat de Sandino et le massacre de ses partisans, Somoza commit ses premiers crimes contre ceux qui s’opposaient à sa réélection présidentielle. Maintenant, nous ne voyons pas une répression comme celle de Somoza, mais nous voyons qu’il y a déjà des morts dans tous les secteurs en lutte.

Ce système, qui tente de réduire le militantisme à une soumission, génère évidemment de nombreuses contradictions. Il y a un certain type de contradictions, peut-être celles que nous connaissons le plus, à savoir les affaires internes du régime pour des pans de pouvoir, pour l’argent, pour les postes. Et quand il s’agit de telles affaires, elles ne génèrent pas des résultats positifs. Nous ne pouvons pas espérer des changements à partir de ce type de contradictions internes. Les contradictions qui pourraient avoir des effets positifs sont celles qui naissent de l’indignation éthique ou idéologique, celles qui naissent en se rendant compte que c’est un régime de domination capitaliste et qu’il y a la conviction de ne pas vouloir y consentir. Ce serait une contradiction positive. Mais les contradictions des courtisans, celles qui se produisent dans la cour, ces intrigues que nous voyons dans les films, quand le fils du roi conspire parce qu’il veut être roi, ne sont pas celles qui génèrent la transformation que nous souhaiterions.

Voyons une autre mutation. Le pluralisme politique, figurant dans le projet révolutionnaire et dans le projet de Carlos Fonseca, n’existe plus, il a disparu. Durant ces dernières années, nous avons assisté à l’anéantissement des organisations non subordonnées au régime et à la proscription de la gauche. Et les dirigeants de la droite ont été réduits par leurs propres erreurs et limitations ou par la manipulation des appareils électoral et judiciaire contrôlés par Ortega. Quoi qu’il en soit, ils n’existent plus. Lors des dernières élections, on n’a pu construire aucune force alternative. Ce qui existe aujourd’hui au Nicaragua, c’est un parti unique, le parti de la prébende et de la répartition, le parti du « comé y comamos » (je mange et nous mangeons). Peu importe qui gagne. Le pluralisme politique n’existe plus et il y a une volonté de supprimer la possibilité de l’émergence de partis de gauche, de partis avec un projet alternatif. Raison pour laquelle on a enlevé la personnalité juridique au Movimiento renovador sandinista (MRS, Mouvement sandiniste rénovateur) et tout est fait pour empêcher la concrétisation de toute autre alternative disputant réellement le pouvoir à Ortega. Au Nicaragua, nous avons déjà un parti unique et l’on dépense des millions dans le rituel électoral, mais nous savons tous qu’il y a un parti unique, un seul parti.

Pauvreté et charité ostentatoire

Une autre mutation a mené le Front de l’esprit révolutionnaire et de la solidarité au pragmatisme et à l’accommodement. Le pragmatisme et l’accommodement sont devenus une sorte d’idéologie nationale. Pendant de nombreuses années, la conscience sandiniste a lutté pour la transformation, pour le changement, pour approfondir le projet révolutionnaire, maintenant la philosophie consiste à accepter la réalité telle quelle et à s’en accommoder en se situant le mieux possible. Un phénomène qui mérite une analyse socio-politique. Pourquoi les citoyens et les militants ont-ils adopté ce comportement ? Le pragmatisme remplace l’idéalisme et l’utopie révolutionnaire. Aujourd’hui peu importe de s’associer avec des voleurs, des corrompus et des délinquants, comme Ortega l’a fait avec Alemán ou comme il le fait avec Roberto Rivas, du moment que l’on préserve ainsi le pouvoir, en gagnant les élections… ou en les volant. Conserver le pouvoir, s’agripper au pouvoir, c’est la nouvelle « éthique ». Beaucoup de gens ont renoncé à jouer leur rôle de transformateur de l’histoire. J’ai rencontré beaucoup de jeunes du Front qui n’attachent aucune importance à ce que les élections aient été volées, parce que la seule chose qui leur importe, c’est que le pouvoir reste aux mains de Daniel Ortega. Pourtant au Nicaragua beaucoup de gens sont morts en luttant pour des élections libres, pour que les gens puissent se mobiliser et élire qui ils voulaient, parce qu’il y avait un débat libre d’idées et dans ce débat nous avons pu convaincre de la justice inhérente au projet révolutionnaire des gens qui ne pensaient pas comme nous.

Une autre mutation a consisté à passer de la lutte pour la justice sociale à la pratique de la charité ostentatoire. Dans le sandinisme, nous luttions pour donner aux ouvriers et aux paysans le contrôle direct des richesses pour qu’ils les gèrent, les développent et qu’ils soient sujets de leur propre transformation. Ce que nous avons maintenant, c’est un socialisme compassionnel, où l’on fait des choses pour les pauvres par charité, avec des cadeaux qui lient la religiosité populaire au pouvoir, comme ces grandes queues que font les plus pauvres devant les autels de la Púrisima pour que le gouvernement leur donne quelque chose à manger. La légère réduction de la pauvreté que signalent quelques indicateurs a été obtenue par des programmes permettant aux pauvres de recevoir quelque chose de manière immédiate : des plaques de zinc, des animaux, des semences. Mais cela ne signifie pas une transformation profonde des conditions matérielles où ils vivent, transformation qui leur permettrait de cesser d’être pauvres. Les politiques actuelles pour combattre la pauvreté ne s’apparentent même pas aux politiques social-démocrates, entre autres parce qu’au Nicaragua on n’a pas réformé de manière juste la politique fiscale : elle continue d’être récessive, basée sur les impôts indirects qui pèsent principalement sur les classes moyennes, et elle favorise les plus riches par des exonérations et des exemptions. Le budget de ce gouvernement n’a pas non plus vaiment progressé sur le montant alloué à l’éducation, qui dépasse à peine les 3 %, Par comparaison avec le reste des pays centraméricains, nous sommes au sous-sol.

Le gouvernement affirme qu’il a réduit la pauvreté extrême et qu’aujourd’hui il y a moins de pauvres, mais il ne dit pas qu’aujourd’hui il y a plus de riches, qu’un processus de concentration de la richesse est en cours. Aujourd’hui, 7 % à 8 % de la population nicaraguayenne s’approprient 46 % des richesses nationales. De 2012 à 2013, les multimillionnaires au Nicaragua – le nombre de personnes avec un capital de 30 millions de dollars ou plus – est passé de 180 à 190. Ils sont plus nombreux au Nicaragua qu’au Costa Rica, un pays avec un niveau de développement beaucoup plus grand que nous, il n’en compte que 85 ; ils sont plus nombreux qu’au Panama, où il y en a 105, et qu’au Salvador, où il y en a 140. Nous pouvons affirmer que, bien qu’il y ait des bénéfices pour les pauvres, les meilleurs bénéfices de ce modèle « chrétien, socialiste et solidaires » sont obtenus par les plus riches.

Il n’y a pas de manière d’expliquer cet enrichissement si ce n’est par la corruption à partir de l’appropriation illégale de ressources publiques. Depuis des années, avec les camarades du MRS et d’autres forces, nous avons affirmé que la principale corruption de ce gouvernement a consisté à privatiser la coopération vénézuélienne, base matérielle sur laquelle se sont construits les nouveaux capitaux « rose-fuchsia ». Ce thème reste clé et doit rester l’objet d’interpellation, un thème que nous ne pouvons pas oublier au moment où les choses changent dans notre pays.

Tout ne fut pas parfait dans la révolution

Peut-être est-ce le moment d’une précision. En parlant des mutations expérimentées par le Front sandiniste, je fais référence aux propositions du sandinisme et de la révolution, en montrant le contraste avec ce qui se passe aujourd’hui. Mais je ne dis pas, ni ne veux dire, que tout fut parfait dans la révolution, qu’alors il n’y eut ni corruption ni erreurs. D’autre part, je crois que les propositions et les succès de la révolution ne peuvent être mesurés de manière adéquate si nous ne tenons pas compte du facteur de la guerre, qui a tout déformé radicalement. Le troisième pilier de notre programme, le non-alignement, n’a pas été accompli. Nous avons fini par être alignés sur l’Union soviétique et sur le camp socialiste. Mais quelle part de cet alignement avait-elle à voir avec la guerre lancée contre nous par Reagan et pour l’affronter les fournitures d’armes qui nous arrivaient de l’URSS via la RDA ou Cuba étaient-elles vitales ? Ce que les États-Unis ont voulu faire contre le Nicaragua fut monstrueux. L’appui des États-Unis à la contre-révolution, les ressources immenses qu’ils dépensèrent pour mettre en déroute la révolution ont été une réalité. Cela n’exclut pas que nous fassions la critique de nos erreurs d’alors. C'est pour cela que j’affirme qu’une des raisons pour lesquelles ont commencé à se produire tant de déformations au sein du Front sandiniste dans les années 1990 fut que nous ne nous sommes jamais attelés à faire une analyse critique des années 1980.

Le rôle des États-Unis étant tellement clé dans les conflits que nous avons vécus au Nicaragua, quel est aujourd’hui leur rôle face au régime d’Ortega ? Les États-Unis en sont arrivés à voir avec un intérêt croissant et de manière très positive la gestion gouvernementale de Daniel Ortega. Interrogé pour connaître son opinion sur Ortega, Robert Callahan, l’ambassadeur ayant précédé l’actuelle ambassadrice, avait dit : « Nous ne sommes pas préoccupés par ce qu’il dit, nous nous fions à ce qu’il fait ». Et en se fiant à ce que fait Ortega, ils ne sont pas mécontents. Parce que, bien qu’il se proclame « anti-impérialiste », ce que fait Ortega est ce qui compte : tous les avantages donnés au capitalisme mondial et au grand capital national. De plus, pour les États-Unis la subordination de toutes les polices du monde à ce qu’ils appellent le combat contre le trafic de drogue est prioritaire. Ortega l’applique aussi. Cela inclut une présence militaire des États-Unis sur les côtes nicaraguayennes où patrouillent des militaires étatsuniens, des conseillers étatsuniens qui travaillent avec l’armée nicaraguayenne et des officiers de l’armée nicaraguayenne qui continuent d’aller dans des écoles militaires aux États-Unis.

Involution des forces armées

Je veux enfin parler d’une mutation très dangereuse. La révolution sandiniste a détruit la Garde nationale, la force prétorienne au service des intérêts de Somoza. À partir de là, a commencé le processus de construction de forces armées respectueuses du peuple et obéissant aux lois. Il n’est pas certain que ce processus ait commencé dans les années 1990. Il a commencé auparavant et ce fut un objectif de la révolution dont l’institutionnalisation se termina dans les années 1990, puisque que dans les années 1980 il fut déformé par la guerre qu’il fallut affronter. Et qu’avons-nous maintenant ? Un clair processus d’involution, avec des forces armées –la police et l’armée – toujours plus dociles à la logique du gouvernant. Il faut rappeler ce qu’a dit Mao : « Le pouvoir se trouve au bout du fusil ». Nous le savons bien pour avoir connu la dictature militaire somoziste et nous avons dû l’affronter par les armes. Raison pour laquelle nous mettons en garde sur ce qui peut arriver au Nicaragua comme produit de cette mutation.

L’involution de la police est un fait extrêmement délicat. Et l’involution de l’armée a déjà été mise à l’ordre du jour par le régime. Le problème principal du nouveau code militaire n’est pas que Daniel réélise le chef de l’armée, que des militaires soient ministres, que le servilisme s’alimente dans les rangs militaires ou que se crée une « tandona » (3) empêchant les militaires subordonnés de pouvoir accéder aux grades supérieurs. Le problème, c’est qu’avec la révolution nous avons conçu les forces armées comme un instrument national pour garantir la paix et pour que les fusils cessent d’être braqués contre les gens. Le sandinisme a légué au Nicaragua une armée qui n’était la propriété de personne, qui a finit par être une armée nationale, une institution très respectée. Ce que font aujourd’hui Ortega et Murillo, anéantit cette pré-condition pour la paix.

C’est une très profonde régression. En reconvertissant cette armée, facteur décisif pour conserver la paix, en une institution subordonnée à eux, Ortega et Murillo la rapprochent de cette garde prétorienne que nous avons détruite. À mon avis, c’est le plus dangereux et le plus délicat de tout ce qui s’est passé jusqu’à maintenant depuis l’arrivée d’Ortega au gouvernement. L’armée nationale est la pré-condition de la paix et de la stabilité nationale et une armée ortéguiste est le début du potentiel retour de la violence.

Malgré tout cela, je crois que ce régime, tel qu’il est aujourd’hui, ne peut pas être catalogué comme une dictature. Nous devons encore moins le cataloguer comme une dictature pire que le somozisme. Je crois que quand nous disons cela, notre discours et notre critique s’affaiblissent. Je crois qu’il peut devenir une dictature. Tous les pas franchis par l’ortéguisme vont dans la direction de l’installation d’un régime dictatorial. Nous avons déjà vu comment il avance dans le contrôle du « bout du fusil », en assujettissant les forces armées. Dans la mesure où cela devient une réalité, le facteur militaire commencera à jouer en faveur de la continuité de ce régime, ce qui est très grave.

Sans luttes pas de victoires

Que faire face à ce modèle, ce système, ce régime ? Jusqu’à maintenant, nous avons vu la continuelle dénonciation des moyens de communication indépendants et de quelques groupes d’opinion, dont l’apport reste très important. Nous avons aussi vu de nombreuses résistances revendicatives, des luttes sociales très petites ou silencieuses qui n’arrivent pas aux médias tant qu’il n’y a pas de prisonniers ou de licenciés. Il faut appuyer et accompagner tous ces efforts.

Jusqu’à maintenant, il n’existe pas de forces politiques organisées avec une base sociale capable de résistance de manière intégrale à ce projet. On a privilégié la dénonciation de la manière dont se construisent les bases institutionnelles d’une dictature, et comment les droits politiques et les lois sont violées. Mais il y a un grand écart entre la lutte et la dénonciation de ces grands thèmes politiques – qui semblent ne pas intéresser les gens, qui ne les mobilisent pas – et les grands thèmes quotidiens qui les intéressent et en font les victimes de ce régime.

Le pragmatisme et l’accommodement peuvent être affrontés seulement en reprenant les luttes pour les problèmes sociaux, en liant les problèmes sociaux aux grands thèmes politiques : la réforme de la Constitution, la concession du Canal… Qui représente les pêcheurs artisans captifs de Pescanova ? Il est nécessaire de travailler pour qu’ils comprennent que les responsables de leur misère ce sont Pescanova et un gouvernement qui favorise cette entreprise.

Je crois que la représentation et l’accompagnement des groupes comme ces pêcheurs donneront les moyens pour faire face à la volonté de ce régime de se perpétuer et pour trouver une voie progressiste qui change le cours du modèle où nous nous trouvons. Et pour faire ce chemin, nous ne doutons pas que pourront s’y joindre même des bases actuellement aliénées, dociles, subordonnées à l’ortega-murillisme.

Ce régime, basé sur la concentration des richesses entre très peu de mains et sur l’octroi d’avantages aux multinationales, génère de nombreuses contradictions. Et c’est sur toutes ces contradictions qu’il faut travailler, en les révélant, en y réfléchissant. Tout l’art, c’est de relever les contradictions et de pousser les gens à exprimer leurs frustrations dans les combats des mouvements sociaux. Il faut construire des connexions entre les problèmes sociaux qui préoccupent les gens et les thèmes politiques.

Quand on travaille sur les problèmes concrets des gens et avec les gens, on rencontre les bases de l’ortéguisme, qui ressentent aussi ces contradictions. Si le contact que nous établissons avec les gens se base sur les problèmes sociaux, les questions politiques viendront ensuite. À l’époque, nous avons commencé à convaincre les gens de la nécessité de lutter contre la dictature somoziste en parlant des problèmes sociaux. Nous étions parmi les gens et avec eux. Il faut identifier quelles mesures gouvernementales déçoivent et frustrent les gens, et les accompagner jusqu’à ce qu’ils obtiennent une victoire. Parce qu’obtenir quelque chose renforce la conscience et la conviction qu’en étant organisés et unis nous pouvons avancer.

Il faut être là, avec les gens. La sœur brésilienne Valeria Rezende, une éducatrice, une élève de Paulo Freire, avec qui elle a appris à faire de l’éducation populaire, me raconta un cas et une leçon. Elle me raconta que des religieuses étaient venues travailler dans une communauté très pauvre, où les gens avaient construit leurs cabanes dans une carrière et pour y arriver il fallait traverser une rivière. Ils la traversaient sur un fragile tronc de cocotier. C’était difficile. Les nonnes commencèrent à dire qu’il fallait aller à la mairie pour exiger un pont et les gens leur disaient oui, mais ils n’y allaient pas, ils ne s’en occupaient pas. Les années passèrent et quand il pleuvait la pluie emportait le tronc de cocotier, mais les gens coupaient un autre tronc et tout continuait comme avant. Les nonnes insistaient, mais… rien. Jusqu’à une année où le propriétaire du terrain où on coupait les troncs y mit une barrière et ne permit plus aucune coupe. C’est alors que dans la communauté les gens dirent : allons à la municipalité ! Ils s’organisèrent, occupèrent la mairie et enfin le pont fut construit. La sœur Rezende me disait : il faut être avec les gens, avec leurs problèmes, même s’il semble que ça ne les intéresse pas de lutter, même s’il semble qu’ils ne veulent pas changer, parce qu’arrive le moment où ils sont prêts à se mobiliser. Et c’est important d’être là pour les appuyer et les conduire… C’est une leçon d’une éducatrice populaire, valable en ce moment que nous vivons… et pour quand arrivera « le moment ».

J’ai toujours dit, et je le crois de plus en plus, qu’il n’y a aucune possibilité de solution progressiste au Nicaragua sans prendre en compte les bases sandinistes et sans les idéaux sandinistes. Les transformations dont le pays a besoin ne sortiront ni des secteurs alemanistes, ni des secteurs montealegristes [ndt : référence aux partisans de l’ex-président Arnaldo Aleman et du candidat présidentiel du Parti libéral constitutionnel en 2006, Eduardo Montealegre]. Elles sortiront du sandinisme dans son ensemble, de cette masse forgée par 25 ans de luttes contre la dictature somoziste, 10 ans de révolution, toutes ces années de résistance. C’est là où se trouve un potentiel de transformation, même si beaucoup de ces gens travaillent aujourd’hui avec Ortega, sont employés de son gouvernement ou doivent aller « manifester » pour conserver leur emploi. Il y a là un potentiel, mais auquel certains messages n’arrivent pas. Nous devons avoir l’habileté de trouver les messages qui leur parviennent et les fassent réfléchir. Il faut être là, près de ces gens. Je crois qu’au sein des bases du sandinisme les contradictions vont surgir.

Le jour viendra où cet homme qui maintenant se contente des dix plaques de zinc qu’on lui donne se demandera pourquoi on ne lui donne que cela, alors que les hiérarques « rose-fuchsia » vivent comme des millionnairess. Le jour doit arriver où l’on se demande, comme cela est toujours arrivé dans l’humanité, où les opprimés se demandent si l’oppression qu’ils subissent est juste. Je crois que nous n’allons pas pouvoir développer un mouvement fort qui rejette ce modèle et qui propose une alternative, s’il ne vient pas aussi des bases de l’ortéguisme quand elles seront capables de se défaire de ce lien. Et je le crois parce que historiquement ces gens ont été pleinement enclins à l’organisation et à la lutte.

Je crois que nous devons faire attention à ne pas abuser de la comparaison de ce régime avec le somozisme. Les gens ne le voient pas ainsi. Nous ne sommes pas au moment où les gens le voient ainsi. Il y a des persécutions et une répression souterraines, des menaces et des chantages, des choses pires, mais elles ne se voient pas. Et tant qu’il n’y aura personne pour dénoncer, pour expliquer qu’ils collaborent avec le gouvernement en raison du chantage ou de la menace, les gens ordinaires ne verront pas la répression existante.

L’autoritarisme se voit. Il faut aider les gens à réfléchir sur l’autoritarisme qui fonctionne dans leur quartier, leur communauté, leur travail. En tenant compte du fait que ça ne se passe pas toujours ainsi. Parce que ce serait une grande injustice de dire que tous sont pareils, ce serait un mauvais message. Je connais des gens des Conseils du pouvoir citoyen (CPC) – je ne sais pas si ce sont maintenant des Conseils de la Famille – qui sont de braves gens. D’autres sont des petits chefs, de véritables oppresseurs. Là où il y a des petits chefs, nous pourrons mettre plus en évidence l’autoritarisme, mais là où le CPC est bon, il faut chercher comment y travailler, comment l’influencer. Nous ne pouvons attaquer uniformément tous les CPC. Certains croient fermement qu’ils font la révolution, certains font de très bonnes choses pour leur communauté.

Nous ne devons pas cesser d’envisager un projet alternatif avec une stratégie à moyen et à long terme. Un tel projet a besoin d’une force avec une identité et un profil progressiste clair, avec des objectifs clairs, ceux qui sont vitaux pour le Nicaragua, pour son peuple, pour la démocratie. Une force qui prétend devenir une alternative sérieuse pour les Nicaraguayens ne peut pas être soumise au va-et-vient d’intérêts électoralistes à court terme ou soumise à des alliances utilitaires.

Nous croyons à une force qui rejette les logiques caudillistes et qui s’engage dans l’éducation du peuple pour convertir la conscience populaire en force matérielle de changement.

Je voudrais terminer en lisant ce dialogue entre le moine et Galilée dans une pièce de théâtre de Bertold Brecht, un homme qui a tant apporté à la culture politique de notre temps. Le moine dit à Galilée : « Et vous ne croyez pas que si la vérité est telle, elle s’impose aussi sans nous ? », comme pour lui dire de ne plus lutter, de ne plus insister… Et Galilée lui répond : « Non, non et non. Seule s’impose la part de vérité que nous imposons ; la victoire de la raison ne peut être que la victoire des êtres raisonnables. » Conclusion. Sans luttes, il n’y a pas de victoires.

Managua, décembre 2013

Mónica Baltodano (« Isabel 104 » dans la clandestinité), une des dirigeantes de l’insurrection urbaine de juin 1979 à Managua, commandante guérillera, ex-membre de la Direction nationale du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) et ex-députée du FSLN, est fondatrice du Movimiento por el Rescate del Sandinismo (MpRS, Mouvement pour le sauvetage du sandinisme). Lors des congrès du FSLN en 1994 et 1998, Mónica Baltodano animait la tendance Izquierda Democratica, opposée à celles et ceux qui allaient fonder le Movimiento renovador sandinista (MRS). Elle avait alors soutenu Daniel Ortega comme secrétaire général du FSLN (contre Henry Ruíz, qui s'était porté candidat contre Daniel Ortega en 1994), convaincue par son « discours gauche ». Elle a quitté le FSLN en 1998, au moment du pacte Ortega-Alemán. Nous publions ici sa réflexion, retranscrite par la revue Envio de Mangua d’un entretien qui a eu lieu fin 2013. Elle y réfléchit sur plusieurs mutations survenues dans le sandinisme du FSLN originel pour déboucher sur ce qu’elle appelle le « chayo-ortéguisme ». Ce texte a été d’abord publié par Envio n° 382 de janvier 2014 : www.envio.org.ni/articulo/4792 (Traduit du castillan – Nicaragua – par Hans-Peter Renk).

Notes

1. Zoilamérica Narváez Murillo est la fille de Jorge Narváez et de Rosario Murillo, actuelle épouse de Daniel Ortega. En mars 1998, la belle-fille du président actuel – alors députée à l’Assemble nationale du Nicaragua – dénonça ce dernier dans la presse nicaraguayenne, pour lui avoir infligé des abus sexuels et diverses agressions physiques et psychologiques, depuis l’âge de 11 ans jusqu’au moment de cette dénonciation. Ortega demanda alors au premier juge du district du crime le rejet de cette plainte, alléguant qu’il jouissait du privilège de l’immunité en vertu de l’article 139 de la Constitution politique du Nicaragua et que les délits qui lui étaient supposément imputés s’étaient produits de 1978 à 1982, raison pour laquelle ils étaient prescrits à la date de cette dénonciation. Lors de ce procès, qui se termina effectivement par la prescription demandée par Ortega, le mouvement féministe accompagna et appuya la dénonciation de Zoilamérica, en condamnant non seulement Ortega, mais aussi son épouse, pour avoir omis de dénoncer et pour avoir couvert ce délit.

2. C’est une strophe de l’hymne sandiniste, composé par Tomas Borge et mis en musique par le chanteur Carlos Mejia Godoy.

3. La « Tandona » était dans l’armée salvadorienne la promotion des officiers de 1966. Cette clique a pris le contrôle de l’armée et ses membres parrainaient les enfants de leurs pairs, créant ainsi de forts liens de réciprocité et de loyauté. Pour devenir officier, il fallait d’abord intégrer la clique.