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Gustave Lefrançais, Étude sur le mouvement communaliste

Lien publiée le 28 juillet 2018

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https://dissidences.hypotheses.org/9386

Gustave Lefrançais, Étude sur le mouvement communaliste suivi de « La Commune et la Révolution », Paris, Klincksieck, 2018, 422 pages, 29,50 €.

Un compte-rendu de Frédéric Thomas

Écrit en exil, publié en Suisse en 1871, Étude sur le mouvement communaliste constitue à la fois une analyse à chaud des événements et, comme l’affirme l’auteur, une « protestation indignée » contre les vainqueurs, en général, et les hypocrites, qui se couvrent du misérable « masque de prétendues vertus républicaines », en particulier (p. 4). Contre la presse également – appelant, des semaines durant, au meurtre, et attisant la haine –, et contre les « vengeances et représailles » envers les communards (p. 248 et suivantes). Dans cet essai, il s’agit de parer au plus pressé ; livrer un témoignage des choses vues et vécues, au cours de la Commune de Paris, à laquelle l’auteur a pris une part active, et « de dégager le principe au nom duquel s’est accompli le mouvement communaliste de Paris », « de rétablir la physionomie réelle et la moralité du 18 mars et de ses suites » (p. 8). C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet essai.

Inspiré par Proudhon, proche de Bakounine, Gustave Lefrançais (1826-1901), « l’un des orateurs les plus écoutés des réunions publiques autorisées en 1868 », selon Jacques Rougerie (préface, page VII), fut l’un des membres élus de la Commune. Même s’il s’affirme « républicain socialiste », il est représentatif du brassage des divers courants politiques au sein du mouvement communard. Et Lefrançais de se revendiquer ainsi de Pierre Leroux, Saint Simon, Fourier, Cabet et Proudhon (p. 26). D’où, parfois, une certaine confusion ou des contradictions entre une radicalité affichée et, de-ci de-là, un appel à l’unité nationale et à rapprocher bourgeois et prolétaires (p. 51).

Le livre suit une ligne chronologique, divisée en deux parties ; avant et après la proclamation de la Commune de Paris, le 18 mars 1871. Non sans verve et ironie – rappelant Marx ou Lissagaray –, l’auteur revient sur la guerre franco-prussienne, la chute de l’Empire et la proclamation de la République début septembre 1870. Ce « Gouvernement de la Défense nationale », qui porte si mal son nom, était composé de républicains bourgeois, plus inquiets de la pression sociale du peuple que de la défaite devant Bismarck. Comme le résume Lefrançais, en une phrase : « lutter en même temps contre les Prussiens qui s’avançaient sur Paris et réprimer les prétentions des travailleurs résolus à s’affranchir enfin de l’oppression capitaliste, leur semblait une tâche au-dessus de leur énergie, et en vérité ils n’avaient pas absolument tort » (p. 40).

Au fil des pages, se précisent la radicalisation d’une partie du peuple parisien, et l’émergence de l’idée communaliste, avec ses détours et ses hésitations. Ces dernières sont dues à la situation – un « gouvernement » insurrectionnel parisien confronté à une Assemblée nationale dominée par les « Ruraux » ; la France conservatrice et royaliste du milieu rural –, ainsi qu’aux divergences au sein même de la Commune. Lefrançais dresse à ce propos un panorama des forces en présence. « Trois courants d’idées se trouvèrent en présence à la Commune dès ses premières séances » : « le parti républicain bourgeois ou conservateur » ; « le parti révolutionnaire pur, composé des Jacobins et des Blanquistes, différenciés seulement en ce que les premiers veulent la dictature d’un groupe et les seconds la dictature d’un seul » ; « enfin les socialistes (…) ; adversaires absolus de la notion d’autorité gouvernementale, et convaincus que la Révolution sociale ne s’effectuera que lorsque les institutions politiques actuelles, toutes représentatives du principe autoritaire, auront cédé la place à de nouvelles institutions ayant l’autonomie communale pour base »  (p. 135-136). À ces forces, il convient d’ajouter « la fraction Gambettiste, sorte de tiers-parti, tenant le milieu entre les conservateurs et les révolutionnaires de toutes nuances » (p. 137).

L’auteur se classe d’emblée parmi les socialistes, en mettant l’accent sur la critique libertaire de « cette nouvelle religion du suffrage universel » (p. 12), et du principe même du gouvernement représentatif. « Qu’on se dise républicain, royaliste ou bonapartiste, dès qu’on arrive au pouvoir et par cela même qu’on est le pouvoir, on est fatalement préoccupé du besoin de sauver la société, constamment menacée, paraît-il » (p. 19). Et, plus loin, encore : « même lorsqu’ils sont issus d’un fait révolutionnaire, les gouvernements ne reconnaissent aux citoyens d’autre faculté que celle de leur obéir » (p. 44). D’ailleurs, Lefrançais, au sein de l’Association internationale des travailleurs (AIT), est proche de Bakounine, et présidera, en septembre 1872, le congrès de Saint-Imier, d’où émerge l’Internationale « anti-autoritaire ».

Du fait de son positionnement, Lefrançais fit partie, au sein de la Commune, de la minorité ; soit le groupe qui s’opposa au vote de la majorité des élus, consacrant la création (décret du 4 mai 1871) d’un Comité de salut public. « La plus désastreuse des résolutions » selon Lefrançais (page 185). Déjà, quelques semaines plus tôt, au cours des élections complémentaires de la Commune, cette division entre majorité et minorité s’était dessinée ; cette dernière votant contre la validation des membres qui n’avaient pas atteint le quorum ; quorum fixé par la Commune elle-même (p. 180).

« Le mouvement communaliste, écrit Lefrançais, avait pour but de faire disparaître la notion d’autorité et de gouvernement, pour y substituer celle du droit et de la souveraineté directe et inaliénable des citoyens. Et voilà que les autoritaires de la Commune tendaient de plus en plus à se constituer en gouvernants indiscutables et, malgré leur apparente acceptation du principe de la responsabilité, à se placer en réalité au-dessus de toute revendication effective » (page 198). Or, selon l’auteur, cette « dictature Jacobino-Blanquiste (…) allait hâter de ses propres mains le moment de sa défaite » (p. 184).

En effet, les polémiques, les divisions, l’absence ou l’échec de la stratégie militaire de la Commune affectent le moral des Parisiens. La lassitude gagne. Faute de légitimité et de coordination, une fois les troupes versaillaises entrées dans la capitale, la lutte se fait de manière farouche, mais désorganisée – « aucun ordre n’était plus sérieusement exécuté » –, quartier par quartier. « La résistance reprit donc généralement l’aspect anti-stratégique et désordonné qui avait été si funeste à l’insurrection de juin 1848. (…) L’énergie des fédérés ne pouvait plus que prolonger la lutte, mais leur exaltation même empêchait que cette lutte tournât à leur avantage, en s’opposant à ce qu’on pût la régularise » (p. 230 et 240).

La critique lucide de Lefrançais envers les errements et contradictions de la Commune ne l’empêche pas d’affirmer sa solidarité envers tous ses membres – de la minorité comme de la majorité – et cette expérience, dont il tente de dégager le principe en fonction des mesures qui lui semblent emblématiques, telle que le fait d’accorder aux veuves (y compris celles non mariées) et aux orphelins (y compris les enfants non reconnus) les mêmes droits qu’aux conjoints et aux enfants légitimes ; « défi jeté aux prétendus principes d’une moralité toute de convention et pratiquée jusqu’ici dans nos sociétés en dehors de toute équité, dans l’unique but de sauvegarder la propriété » (p. 176-177). Mais c’est véritablement l’action de la commission de l’Enseignement et celle du Travail et de l’Échange, qui a, à ses yeux, une importance cardinale (p. 194).

« À travers donc les fautes et les erreurs de la Commune, deux faits principaux s’étaient dégagés jusqu’alors de son action générale : la suppression, au nom de la véritable liberté de conscience, de tout culte officiel et de tout enseignement religieux dans les écoles (…) ; puis la reconnaissance pour les travailleurs du droit à l’outillage, par la reprise, en leur faveur des ateliers abandonnés par leurs propriétaires » (p. 197).

Reste que le principe premier de la Commune est, pour l’auteur, cette invention d’une manière de gouverner directement, de restituer à chaque citoyen sa souveraineté effective. De la sorte, il rejoint Marx, écrivant dans La Guerre civile en France, que le secret de la Commune résidait dans sa forme même : « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ». Et Lefrançais d’affirmer de son côté : « c’était donc toute une politique nouvelle que la Commune avait à inaugurer » (p. 266).

Complété d’importantes annexes, écrit dans un style nerveux, Étude sur le mouvement communaliste constitue une pièce importante dans l’appréhension de la Commune de Paris – surtout des membres et des courants qui la composent ,– et offre une analyse complémentaire au désormais célèbre Histoire de la Commune de 1871 de Lissagaray.