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Cameroun: le choix de la France
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
À trois mois de l’élection présidentielle au Cameroun, l’Élysée a choisi de réaffirmer son soutien au vieux dictateur Paul Biya... qui a pu dans la foulée officialiser sa candidature à sa succession. Cette "clarification" de Paris n’est pas remise en cause par les nouvelles révélations sur les crimes commis par l’armée camerounaise, qui bénéficie de la coopération militaire française.
Fin juin, Emmanuel Macron se prépare à son déplacement à Nouakchott, en Mauritanie, pour le sommet de l’Union africaine auquel il est invité – pour ne pas dire qu’il s’y est invité. Mais ce déplacement se double d’une visite au Nigeria, mastodonte économique... et puissant voisin anglophone du Cameroun, où une guerre larvée oppose le régime à des militants anglophones radicalisés par des mois de répression féroce (cf. Billets n°274, février 2018). Certes, le Nigeria collabore officiellement avec le Cameroun, mais la rébellion armée sécessionniste, les Ambazoniens, profite de la frontière pour échapper à ses poursuivants du sinistre Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), qui se venge en rasant et en incendiant des villages dans les régions anglophones camerounaises. Ces exactions ont été dénoncées par l’ambassadeur des Etats-Unis à Yaoundé (cf.Billets n°278, juin 2018), et sont relatées épisodiquement par des médias français (France 24, RFI, etc.). Les griots du régime prétendent voir dans ce traitement médiatique la marque d’un soutien de Paris aux sécessionnistes : une rumeur efficace pour relégitimer le vieux dictateur Paul Biya, présenté comme une victime potentielle de la Françafrique ; une recette qui avait déjà fonctionné en 2014 et 2015 au sujet des groupes armés se revendiquant de Boko Haram dans la région Extrême-Nord du pays. Biya serait trop proche des Chinois, au point que les Français voudraient s’en débarrasser, tantôt en s’appuyant sur le Tchad et les chefferies de l’Extrême Nord, tantôt sur les anglophones des régions Nord-Ouest et Sud-Ouest. Ces accusations délirantes des partisans de Biya ont pu provoquer depuis 2014 un certain embarras du côté du Quai d’Orsay, qui redoute une explosion du sentiment antifrançais, lequel a de bonnes raisons historiques d’être virulent dans ce pays où de grands groupes français continuent de faire prospérer leur business. Tout en démentant, Paris évitait donc d’affirmer trop haut et trop fort son soutien à ce régime honni de son peuple et dénoncé internationalement. Cette timidité a été interprétée par certains comme un prétendu lâchage... Ont pourtant été maintenus d’étroits liens de coopération, y compris policière et militaire, au nom de « l’amitié » franco-camerounaise dont se vantent nos diplomates, à l’instar de notre ambassadeur Gilles Thibault sur Twitter : « Félicitations à nos militaires nommés hier au grade de Chevalier de l’Ordre national du Mérite de la République du Cameroun » (20/06).
Lemoyne fait le facteur
Mais Biya, octogénaire susceptible, comme tout vieux potentat ayant passé plus de 35 ans au pouvoir (se souvenir des caprices d’Omar Bongo...), ne pouvait pas se satisfaire de si peu. En 2015, il avait obtenu la visite express de François Hollande (quelques heures sur place lors de sa tournée africaine), et il était logique de lui accorder à nouveau une petite faveur, pour éviter qu’il ne gâche la belle image d’un président français invité d’honneur au sommet de l’Union africaine. L’onction démocratique d’un président français est toujours utile, quelques semaines avant une élection présidentielle : c’est en effet en octobre que les Camerounais rééliront Paul Biya pour un septième mandat. Fin juin, il n’est pas encore officiellement candidat, mais nos diplomates savent que ce n’est qu’un détail.
Premier acte, un Secrétaire d’État aux Affaires étrangères est envoyé sur place pour préparer le terrain : les 28 et 29 juin, Jean-Baptiste Lemoyne est à Yaoundé, où il est reçu par Biya. « Le Cameroun [c’est] l’unité dans la diversité », affirme-t-il en sortant (RFI, 30/06), reprenant à son compte l’argument du parti au pouvoir, opposé à toute idée de fédéralisme – et évidemment de sécession. Lemoyne vante même une « volonté qui est avérée de dialogue » chez Biya, tout en justifiant que « par rapport à des exactions qui sont commises, [le gouvernement apporte] des réponses parce qu’on ne peut pas impunément comme cela, abattre des gendarmes, des fonctionnaires ». Mais il en est sûr, le Cameroun « peut justement pleinement se projeter, compte tenu de ses hommes et de ses femmes, pour certains francophones, pour d’autres anglophones, et pour d’autres bilingues. » Pour cette première expression diplomatique depuis la répression féroce d’octobre (cf. Billets n°271, octobre 2017), il n’est plus question de renvoyer dos à dos la violence de l’armée et celle de la guérilla indépendantiste : on condamne la seconde, on rejette toute idée de sécession ou fédéralisme, et on fait de Biya un homme d’avenir.
Second acte, Macron prend son téléphone et gratifie le vieux potentat de quelques mots de soutien. Un communiqué de l’Elysée (30/06) officialise cet appel, dans lequel il aurait été question « plus particulièrement [de] la nécessité de poursuivre la coopération régionale dans le domaine de la lutte contre les actions terroristes du groupe Boko Haram. » Macron soutient l’action du gouvernement à l’Extrême-Nord, mais pas seulement : interrogé par un journaliste camerounais lors de son séjour au Nigeria, il précisera : « nous avons parlé des grands sujets en cours. Le Cameroun a clairement un défi, qui est la cohésion, la stabilité de l’État, nous savons les tensions qu’il y a dans la région anglophone, et là aussi j’ai apporté tout mon soutien au gouvernement pour qu’il puisse justement aller vers la stabilité » (panoramapapers, 4/07). Ca tombe bien, avec un dictateur en place depuis 36 ans, le Cameroun est « stable », vu depuis Paris.
Emmanuel Macron au micro de Canal2 International. Derrière lui, son ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui tend l’oreille.
Et Macron de poursuivre : « Je pense que la stabilité va aussi vers la reconnaissance des éléments de pluralisme, parfois de décentralisation qui permettent de régler ces problèmes et ces tensions. Je pense que ce dont la région a besoin, c’est de stabilité. Et ce dont la région a besoin, c’est de trouver les bons modèles d’ouverture, de régulation. C’est pas au président de la France de le dire mais d’accompagner toutes ces réformes de décentralisation, de liberté régionale qui sont offertes dans un cadre national clair. » Ce qui est clair, c’est le soutien de la France à la position du régime camerounais : faire un peu de « décentralisation » pour accompagner la répression.
Exécutions arbitraires
Tout va bien, Macron peut aller au Nigeria, Biya signe le 9 juillet un décret fixant la présidentielle au 7 octobre, et annoncera le 13 juillet sur Twitter sa candidature. Entre temps, une vidéo fait le buzz sur les réseaux sociaux : on y voit des militaires camerounais (donc de l’armée qui, contrairement au BIR, bénéficie pleinement de la coopération militaire française) exécuter de plusieurs balles deux femmes, une fillette et un nourrisson, accusés d’être des « B.H. », des éléments de Boko Haram [1]. Authentifié successivement par deux ONG, le REDHAC et Amnesty International, l’enregistrement de 3 minutes n’a suscité aucun commentaire côté français. Paul Biya a pour sa part assuré, le 13 juillet : « nous resterons fidèles à nos engagements internationaux et à nos valeurs, notamment en matière de respect des droits de l’Homme ». Parole de dictateur ami du pays des droits de l’Homme.
[1] La vidéo est en ligne sur Internet sur ce lien. Il s’agit d’une vidéo extrêmement violente dont le visionnage n’est pas recommandé