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    Les inspecteurs élèves du travail à l’école du patronat

    fonction-publique

    Lien publiée le 25 mars 2019

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.humanite.fr/fonction-publique-les-inspecteurs-eleves-du-travail-lecole-du-patronat-669807#xtor=RSS-1

    Ces agents en formation dénoncent les conditions de leur stage obligatoire dans les services de ressources humaines d’entreprises privées. Fin février, un inspecteur élève a tenté de se suicider sur son site de formation (Intefp), près de Lyon.

    Dans le jargon, on les appelle IET, pour inspecteurs élèves du travail. Frais émoulus du concours de l’inspection ou contrôleurs du travail renvoyés sur les bancs de l’école pour accéder au grade supérieur, ils étudient pendant douze à dix-huit mois le droit du travail, les politiques publiques mais aussi la déontologie propre à leur métier de fonctionnaire chargé de faire respecter la législation sociale. Des exigences d’éthique professionnelle dont l’un des piliers reste l’indépendance vis-à-vis des entreprises, en vertu de l’article 15 de la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui fonde leur statut.

    C’est donc avec beaucoup de réticence que les IET accueillent depuis deux ans l’injonction d’effectuer un stage de trois semaines dans des grandes entreprises comme Carrefour ou Coca-Cola, avec la réalisation d’une étude pour l’employeur comme partie intégrante de leur formation. « Il y a toujours eu des stages en entreprise. Avant, on appelait ça des stages ouvriers, l’idée était de sentir les conditions de travail réelles des salariés. Mais au fil du temps, il y a eu un glissement, et s’est installée l’idée que les inspecteurs avaient besoin de comprendre la logique de l’entreprise : on est passé de l’autre côté », explique Gilles Gourc, représentant Confédération nationale du travail (CNT) à l’inspection du travail, qui estime que ce que l’on demande actuellement aux IET revient à « jouer les petites mains des services RH ». La direction de l’Intefp (le centre de formation des inspecteurs élèves), elle, affirme que l’étude collective vise à « formuler une problématique générale portant sur la vie de l’entreprise et les relations de travail », et souligne en outre qu’« aucun rendu écrit n’est fait à l’entreprise ». Mais la fiche d’orientation pédagogique délivrée cette année aux IET précise bien que « le travail de diagnostic et l’exposé des pistes de réflexion (…) pourront faire l’objet d’une présentation à l’entreprise ».

    D’entrée de jeu, les règles de l’exercice semblent viciées

    « Comment expliquer que des entreprises privées, condamnées pour certaines à de multiples reprises pour des violations du Code du travail, participent directement à notre formation ? » s’indignaient les IET syndiqués à la CGT et à SUD dans un tract fin février. « Les employeurs risquent de se prévaloir d’une validation de l’administration du travail à un plan d’action élaboré par des inspecteurs élèves », redoute Camille Planchenault, membre du conseil national de SUD travail. Et ce alors qu’un flou existe sur la situation de subordination des IET par rapport aux entreprises qui les accueillent en stage.

    Une ambiguïté dont a souffert Florian (1), inspecteur élève du travail dans la promotion 2017-2018, affecté en stage dans une grande entreprise industrielle avec pour mission de réaliser une étude et un plan d’action touchant à une problématique de santé au travail. D’entrée de jeu, les règles de l’exercice lui semblent viciées. « Le thème de l’étude est censé être fixé en commun entre l’entreprise et l’Intefp, mais en réalité, c’est vraiment l’entreprise qui passe commande », estime-t-il. Une impression qui se confirme lors de la rédaction de l’audit et du plan d’action. « Les managers me sont rentrés dedans, en me disant que je ne voyais que les aspects négatifs », témoigne l’agent, sommé de revoir sa copie. Il affirme en outre avoir reçu des pressions de la part de l’entreprise pour qu’il leur transmette son audit par écrit. L’une de ses collègues, placée dans le même établissement, aurait également subi un « entretien de recadrage » après avoir relevé une infraction aux règles de sécurité dans l’entreprise.

    C’est l’un des aspects problématiques de la présence de ces inspecteurs intégrés aux services RH des employeurs pendant trois semaines : ils « ne peuvent pas prendre position pour le compte de l’administration du travail », précise bien la fiche d’orientation pédagogique. Au-delà de cette interdiction à exercer les missions qu’ils seront censés respecter quelques mois après, ils n’ont pas non plus le droit d’alerter les services compétents. « L’étude collective menée par les IET ne doit aucunement interférer dans les relations internes au sein de l’entreprise, ni dans la relation que celle-ci entretient avec les agents de l’État chargés d’une mission de contrôle. À cet effet, les IET n’entretiennent pas de relations particulières avec l’inspecteur du travail chargé du contrôle de l’établissement », soulignent les consignes écrites remises aux IET.

    Une obligation de loyauté vis-à-vis de l’entreprise accueillante qui était autrefois contrebalancée par une distance imposée vis-à-vis de l’employeur. Car, il y a encore quelques années, l’Intefp semblait mesurer le potentiel problématique d’une mise à disposition des IET au profit des employeurs. L’ancienne mouture de la fiche d’orientation pédagogique (celle que nous nous sommes procurée date de 2014) interdisait d’ailleurs aux agents en formation d’effectuer leur stage sur des postes de ressources humaines ou de réaliser une mission pouvant être exploitée par l’entreprise. « Si l’inspecteur élève du travail ne doit faire aucune restitution à une autorité administrative compétente, il ne doit pas non plus faire de restitution à l’entreprise d’accueil. Il ne doit en aucun cas émettre des propositions ou avis, juridiques ou techniques, sur l’organisation du travail, sur l’application du droit du travail dans l’entreprise, l’éventuelle résolution de conflits…, etc. L’inspecteur élève du travail doit conserver son rôle d’observateur et se garder de devenir acteur des relations sociales ou conseiller de l’entreprise », précisaient les anciennes consignes.

    Des tensions explosives avec la direction de l’Intefp

    En plus de ces placements dans les services RH d’entreprises, l’Intefp s’est rapproché cette année de l’école 42 du fondateur de Free, Xavier Niel. « Sous couvert d’un partenariat dont les contours ne sont pas connus des inspecteurs et inspectrices élèves, l’Intefp met donc à disposition d’une entreprise privée des élèves fonctionnaires pour travailler à une initiative à visée mercantile », se sont insurgés les IET syndiqués à la CGT et SUD dans une lettre ouverte à leur ministre de tutelle, Muriel Pénicaud, fin février, craignant d’être mobilisés sur un projet baptisé « Matrice droit du travail » , financé par les Éditions Lefebvre Sarrut, les Éditions législatives et Dalloz dans le but de produire des logiciels qui seront vendus aux services RH des entreprises. La direction de l’Intefp, elle, assure qu’il s’agit d’un stage d’observation et que les IET « ne sont pas chargés de coopérer à la création de ce projet porté par l’école 42 ». Pourtant, sur son compte Twitter, le projet Matrice se vante bien d’avoir « recruté » « trois inspecteurs du travail » pour Lawapi, une application d’accès au droit, qui fait partie intégrante de la Matrice droit du travail.

    « Alors que nous serons contraint·e·s de remplir une déclaration d’intérêts et qu’on nous rabâche les oreilles (sic) avec la déontologie à longueur de temps, la réalisation d’un audit gratuit au profit des entreprises pose question. » Car – et c’est là tout le paradoxe – le ministère du Travail a en effet renforcé, ces dernières années, les obligations faites aux inspecteurs du travail au nom de l’éthique professionnelle. En avril 2017, le gouvernement a instauré un code de déontologie de la profession, au titre duquel les agents sont notamment sommés de remplir une déclaration d’intérêts pour rendre transparents les liens qu’entretiendraient les inspecteurs avec certaines entreprises ou organisations.

    Des injonctions contradictoires qui gênent fortement les IET, jusqu’à générer des tensions explosives avec la direction de l’Intefp. En plein mouvement contre les réalisations de ce stage et de l’étude collective associée, un inspecteur élève a tenté de se suicider sur le campus de l’institut, à Marcy-l’Étoile, près de Lyon, dans la nuit du 27 au 28 février. Un geste qui serait intervenu après un recadrage collectif tendu de la promotion par le directeur de l’Intefp, Bernard Bailbé, et quelques heures seulement après un entretien individuel dudit IET avec le directeur de l’établissement. « ll ne s’agit pas de tension entre la direction et les IET », soutiennent la direction de l’Intefp et la Direction générale du travail, qui estiment que les tensions ressenties par les futurs agents seraient dues à des frictions entre étudiants liées à « des points de vues extrêmement divers ». « Le comportement de certains élèves a pu être jugé agressif par d’autres élèves », explique l’institut de formation, qui affirme que son action a consisté à intervenir « pour réguler ces tensions ». « Ce point de vue (d’opposition à la réalisation d’un audit en entreprise – NDLR) n’est pas partagé par la majorité de la promotion et ne correspond pas aux objectifs fixés pédagogiquement », avance en outre la direction de l’Intefp. « Il n’y a aucune situation de conflit d’intérêts puisque les IET n’ont pas de lien personnel ou professionnel avec les entreprises d’accueil », poursuit le représentant du centre de formation.

    À la suite de cet épisode dramatique, une quinzaine des camarades de promotion de l’élève concerné, sous le choc, ont déclaré des accidents de service bénins. Des déclarations qui auraient été « refusées par le directeur de l’établissement », dénonce une intersyndicale CGT/SUD/FSU/CNT dans une lettre ouverte à la Direction générale du travail et au ministère de tutelle. Ce que récuse la direction de l’Intefp, qui affirme avoir signé et transmis les déclarations d’accidents de service aux services RH du ministère.

    Une « cellule d’appui » téléphonique a été mise en œuvre, et des mesures telles que des suspensions de cours ont été prises, mais « aucun soutien psychologique physique n’a été organisé au sein de l’Intefp pour les IET », déplorent les syndicats. Surtout, un vide juridique fait que ces agents en formation ne sont rattachés ni au CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) du ministère qui concerne les inspecteurs titulaires, ni à celui de l’établissement, qui ne couvre que les agents employés par l’Intefp, habilités à réaliser des enquêtes dans de tels cas. Sous la pression des syndicats, le DRH du ministère a fini par consentir à ce qu’une enquête paritaire soit réalisée sous la houlette d’une commission ad hoc.

    (1) Le prénom a été modifié.