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Repousser l’âge de la retraite ou le mépris des dominants
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Billet invité, par François-Xavier Devetter, professeur d’économie à Lille
La question du report de l’âge de départ en retraite est revenue en force ces dernières semaines. Le passage à 62 ans en 2010 peut alors être perçu comme une première étape permettant d’aller jusqu’à 65 ans et pourquoi pas au-delà... Plusieurs ministres sont allés en ce sens, l’OCDE y a ajouté son point de vue expert tandis que le nouveau président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, se prononçait clairement en faveur d’un report au-delà de 62 ans en affirmant que «dire aux Français qu'on peut continuer avec un âge légal à 62 ans, c'est aller contre le simple bon sens de la démographie.»
Le bon sens est toujours un argument solide. Le sens de la démographie n’est cependant pas toujours aussi simple… et ces propositions oublient un peu rapidement les toujours immenses inégalités sociales face au vieillissement et plus encore au vieillissement au travail.
Les données de l’enquête emploi 2017 nous donnent à voir qu’entre les cadres (4,5 millions d’actifs occupés) et les agents d’entretien (environ 1,65 million de salariés), travailler en vieillissant ne signifie pas la même chose : alors qu’environ 10% des premiers se déclarent, à 60 ans, « limités, depuis au moins six mois, à cause d'un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement », c’est le cas d’un tiers des second.e.s (ces salarié.e.s étant à près de 85% des femmes) (graphique 1.).
Source : Enquête Emploi, Insee, 2017 ; Lecture : Les cadres correspondent ici à la catégorie « 2. Professions intellectuelles et scientifiques » de la Classification Internationale des Travailleurs et des Professions. Les agents d’entretiens à la catégorie 91 regroupant les agents d’entretien à domicile et ceux travaillant dans les bureaux, écoles, hôpitaux, etc.
Et ce constat ne porte ici que sur les actifs occupés. Or à 60 ans, de nombreux agents d’entretien ont déjà dû quitter leur emploi pour des problèmes de santé. Ainsi, si l’on ajoute à la population précédente les anciens cadres d’un côté et les anciens agents d’entretien de l’autre, l’écart se creuse encore : seuls 50% des seconds ne déclarent pas de limitations physiques contre 20% pour les cadres et anciens cadres (graphique 2, où les âges vont jusque 80 ans).
La remontée du pourcentage des personnes sans limitation après 60 ans qui s’observe pour les agents d’entretien provient essentiellement de l’intégration dans ce second graphique des inactifs qui ont quitté leur emploi de manière précoce soit à cause du chômage soit justement pour « économiser » ce qui constitue leur outil de travail direct : leurs épaules, leurs dos, leurs poignets… En résumé : ils et elles se portent mieux (en moyenne) après avoir quitté ces emplois !
Ces éléments nous rappellent que le travail use et que certaines fonctions usent les corps de manière particulièrement rapide. Reculer l’âge de départ à la retraite peut alors apparaître comme une véritable violence pour de nombreux salariés. D’autant que cette situation s’appuie certes sur des différences liées à la « nature » de l’activité de travail mais aussi à des pratiques d’organisation et de management sur lesquelles des marges de manœuvre importantes existent.
Deux exemples parmi d’autres.
Le premier renvoie au temps de travail. Les métiers du nettoyage usent les corps alors même que le temps partiel y est très largement dominant. Mais est-ce encore un temps partiel si l’exercice de ce travail durant 25h hebdomadaire est déjà non soutenable ? La « consommation de ressources humaines » est ici de toute évidence loin d’être partielle et la reconnaissance d’un temps plein pour des durées « d’activité effective » (telle que décomptées aujourd’hui) plus réduites semble nécessaire, à l’image des équivalences existantes pour certaines professions mieux régulées (comme les enseignants). Pour le dire autrement quand les deux-tiers des travailleur.euse.s de certains métiers pénibles sont à temps partiel, cela signifie que le temps de travail n’est très probablement pas tout à fait décompté comme il le faudrait, il l’est sans doute au plus « serré ». Une autre mesure, complémentaire, consisterait à désintensifier les rythmes d'un travail de plus en plus soumis à des normes de productivité elles-mêmes trop "serrées", pour ne pas parler de cadences infernales.
Le second exemple repose sur le fait que ces métiers sont également les grands oubliés de la « gestion prévisionnelle des emplois », et que pour eux le licenciement pour incapacité demeure un outil majeur de gestion des ressources humaines, bien plus que la formation. Ainsi toujours selon l’enquête emploi alors que 21% des salariés de toutes catégories ont participé à une formation formelle ou non formelle (donc dans une acception très large) au cours des 4 dernières semaines, ce n’est le cas que de 6% des nettoyeurs.