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David Cayla: Comment l’euro a conduit la France dans l’impasse
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.lefigaro.fr/vox/economie/comment-l-euro-a-conduit-la-france-dans-l-impasse-20190429
La monnaie unique a vingt ans cette année. Pour l’économiste David Cayla, cette monnaie ne s’est pas avérée être l’outil promis au service des économies européennes, mais plutôt un cadre normatif auquel les peuples européens sont condamnés à s’adapter, en dépit de leurs différences économiques structurelles.
David Cayla est économiste, maître de conférences à l’université d’Angers. Il est l’auteur, avec Coralie Delaume, de La Fin de l’Union européenne (Michalon, 2017), et a publié l’année dernière L’économie du réel (De Boeck supérieur, 2018).
Il vient de publier, avec Coralie Delaume, 10+1 Questions sur l’Union européenne chez Michalon, pour orienter les citoyens sur les questions liées à l’Union européenne à l’approche des élections.
En février dernier, un institut de recherche allemand d’obédience ordolibérale, le Centre des politiques européennes (Cep), fêtait à sa façon les vingt ans de la monnaie unique en dévoilant une étude qui montrait que, vingt après sa création, l’euro avait eu des effets contrastés. Si pour certains pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, l’Union monétaire se serait traduite par un gain de revenus par habitant estimé à plus de 20 000 euros sur la période 1999-2017, pour d’autres, la perte cumulée apparaît considérable, évaluée à environ 56 000 euros par habitant pour la France et 73 600 euros pour l’Italie.
La monnaie unique n’aurait donc pas eu les mêmes résultats pour tous les pays. Le rapport annuel du FMI sur les déséquilibres extérieurs rappelle d’ailleurs depuis plusieurs années que le taux de change de l’euro est sans doute surévalué pour des pays comme la France ou l’Italie (ce qui nuit à leur compétitivité), et largement sous-évalué (d’environ 20%) pour l’Allemagne, ce qui représente un avantage déterminant et expliquerait ses énormes excédents extérieurs.
En vingt ans, l’économie européenne s’est profondément transformée
Pourquoi une même monnaie engendrerait-elle des effets si différents d’un pays à l’autre? La France serait-elle inapte à l’euro? Et si oui pour quelle raison?
Bien sûr, on peut s’interroger sur la fiabilité de ces études, notamment de la première dont la méthodologie est en réalité très contestable. Mais plus fondamentalement, réduire les déséquilibres économiques européens à la seule question monétaire c’est prendre le risque de laisser de côté les nombreuses transformations institutionnelles qui ont affecté l’économie européenne en profondeur au cours des dernières décennies.
Dans les années 1970, les économies européennes avaient chacune des spécificités héritées de leur histoire, de leurs cultures et de leurs institutions nationales...
Depuis la fin des années 1990 la création du marché unique, la libéralisation des anciens monopoles publics, le renforcement les politiques d’austérité, l’approfondissement de la financiarisation de l’économie, la réforme de la Politique agricole commune, la mise en œuvre généralisée d’un système de marchés concurrentiels supervisé par la Commission, la signature de très nombreux traités de libre-échange et surtout les élargissements de 2004 et 2007 qui ont intégré les pays d’Europe centrale et orientale à l’espace économique européen et ont contribué à renforcer le dumping social, font que l’Union européenne de 2019 n’a en réalité plus grand-chose à voir avec celle d’il y a vingt ans. Tout a changé dans l’économie européenne, et pas seulement la monnaie.
En toute rigueur, on ne peut donc pas faire de la monnaie unique la cause unique des déséquilibres économiques actuels. D’ailleurs, lorsqu’on regarde la dynamique industrielle européenne des vingt dernières années comme je l’ai fait dans une étude récemment publiée, on constate assez vite que l’appartenance à la zone euro n’est pas un critère déterminant. Les pays périphériques européens qui se situent en dehors de la zone euro comme le Royaume-Uni ou la Suède se désindustrialisent au même rythme que les pays qui ont adopté l’euro et qui se situent dans la même zone géographique tels que la France et la Finlande. De même, les pays du cœur attirent les investissements industriels qu’ils appartiennent à la zone euro (Allemagne ou l’Autriche) ou non (Pologne et République Tchèque).
La création de la monnaie unique ne constitue en fait que l’une des nombreuses réformes qui ont contribué à transformer l’économie européenne. Même s’il s’agit de la plus emblématique et ambitieuse des réformes, elle a aussi un effet paratonnerre en attirant à elle toutes les critiques et en masquant la logique d’ensemble autour de laquelle l’économie européenne s’organise désormais.
Un nouveau système économique européen
Quelle est justement cette logique d’ensemble? Entre 1986 et 2012, l’économie de l’Union européenne est entièrement reconstruite autour de six traités.
C’est toutes ces spécificités nationales que les traités européens vont contribuer à démanteler.
L’Acte unique de 1986, qui établit les principes du marché unique, le traité de Maastricht en 1992, qui lance l’euro et en fonde les principales caractéristiques, le traité d’Amsterdam de 1997, qui pérennise et renforce les contraintes budgétaires prévues par Maastricht, le traité de Nice en 2001, qui réorganise les institutions européennes en vue de son élargissement, le traité de Lisbonne de 2007, qui reprend l’essentiel du traité constitutionnel européen rejeté deux ans plus tôt et qui réécrit et précise tous les traités antérieurs, et enfin le pacte budgétaire de 2012 qui renforce les contraintes budgétaires auxquelles les États doivent se soumettre. Ces six traités ont bâti une architecture économique afin d’encadrer les économies nationales dans un ensemble de règles communes et de les faire converger institutionnellement.
Dans les années 1970, les économies européennes avaient chacune des spécificités héritées de leur histoire, de leurs cultures et de leurs institutions nationales. La France se caractérisait par un capitalisme fondé sur de grandes entreprises, sur un secteur public puissant, sur des rapports sociaux conflictuels et sur une administration centrale forte. L’Italie était un pays de PME industrielles efficaces, dont la monnaie était faible et le secteur financier peu développé. L’industrie située au Nord bénéficiait d’une main œuvre nationale bon marché venant du Sud qui la rendait très performante. L’Allemagne quant à elle pouvait compter sur un dynamisme industriel fondé sur les complémentarités entre son système éducatif, des länder puissants et interventionnistes, un secteur bancaire qui n’hésitait pas à investir sur le long terme dans le développement industriel et un syndicalisme de cogestion.
Ces trois pays avaient chacun connu un petit miracle économique durant les «trente glorieuses», bâtissant des modèles de croissance qui leur était propre et qui les rendaient efficaces, non seulement en interne, mais aussi à l’étranger. Ainsi, jusqu’au début des années 1980, l’Italie exporte plus que l’Allemagne en proportion de son PIB et dégage régulièrement d’importants excédents commerciaux.
Toutes les études concordent : une même monnaie peut avoir des effets opposés selon la manière dont les économies fonctionnent.
La France bénéficiait quant à elle d’un puissant secteur industriel construit à l’occasion de grands projets nationaux fondés sur des politiques publiques ambitieuses (nucléarisation du parc électrique, TGV, Airbus…).
Un moule européen unique
C’est toutes ces spécificités nationales que les traités européens vont contribuer à démanteler. Jusqu’aux années 1980, la CEE avait établi un système économique pragmatique qui consistait, en gros, à protéger son marché intérieur par un tarif extérieur commun et à supprimer les entraves à la circulation des marchandises en interne afin d’augmenter la taille potentielle des débouchés de ses industriels. Dans les années 1990, le marché commun se transforme en marché unique. À la libre circulation des marchandises s’ajoute celle des capitaux et de la force de travail. Pour éviter les distorsions à la concurrence, on décide de limiter très strictement les interventions publiques. Vis-à-vis du reste du monde, le choix est fait de supprimer toute entrave à la circulation des capitaux et de signer des accords commerciaux d’abord multilatéraux, dans le cadre du GATT et de l’OMC, puis de manière bilatérale en multipliant des traités de libre-échange.
L’économie européenne s’est ainsi transformée en un moule juridique (un marché unique, une monnaie unique) identique pour tous les pays européens. Un moule fondé sur la financiarisation de l’économie, sur la concurrence interne et externe et sur l’arbitrage économique des marchés.
Il est évident que certains modèles économiques nationaux étaient plus ou moins compatibles avec ce moule. L’euro est à ce titre emblématique. Toutes les études concordent: une même monnaie peut avoir des effets opposés selon la manière dont les économies fonctionnent. En effet, une monnaie unique implique une banque centrale unique et un taux de refinancement bancaire unique. Or, les taux d’inflation sont différents d’un pays à l’autre, si bien que le taux d’intérêt réel proposé par la BCE sera trop faible dans les pays à forte inflation (ce qui favorisera la création de bulles financières) et trop élevé dans les pays de faible inflation où ils risquent de nuire à l’investissement. De même, le même taux de change ne peut être adapté à un ensemble économique hétérogène.
L’euro est symptomatique d’un système qui est passé d’une logique où les institutions économiques étaient nationales à une logique strictement inverse où il s’agit d’adapter les économies nationales à un cadre institutionnel préétabli et construit directement à l’échelle européenne.
La libre circulation du capital ayant renforcé la concentration des investissements industriels dans les pays du cœur, là où se trouvent les principaux ports de la mer du Nord et des voies navigables qui y mènent, au détriment de l’Europe périphérique, certains pays voient leurs exportations progresser, dégagent d’importants excédents et devraient donc théoriquement avoir une monnaie qui s’apprécie… à l’inverse, les pays en voie de désindustrialisation devraient pouvoir bénéficier d’une dépréciation monétaire. Mais le moule de la monnaie unique interdit de tels ajustements.
La création du marché unique engendre des problèmes similaires. La concurrence européenne exacerbée ne tient aucun compte des disparités entre les systèmes fiscaux et sociaux. Or, les besoins en termes de dépenses publiques et les prestations sociales (retraites, dépenses de santés, politiques familiales) sont liés à des paramètres démographiques et culturels qui sont eux strictement nationaux.
«Il faut s’adapter»
L’euro est symptomatique d’un système qui est passé d’une logique où les institutions économiques étaient nationales, car elles entendaient s’adapter aux spécificités des pays… à une logique strictement inverse où il s’agit d’adapter les économies nationales à un cadre institutionnel préétabli et construit directement à l’échelle européenne. Le problème, c’est qu’en niant les spécificités nationales et en exigeant de chaque pays qu’il s’ajuste à un cadre commun sans entendre que ces derniers évoluaient à l’origine dans des univers institutionnels extrêmement différents, on a considérablement renforcé les dynamiques de divergence au lieu de créer la convergence attendue.
Dans un livre publié récemment, Barbara Stiegler résume l’idéologie néolibéralisme par une formule: «Il faut s’adapter». Elle souligne avec raison un mécanisme de pensée qui est au cœur de l’idéologie contemporaine. L’essence du néolibéralisme explique-t-elle, n’est pas, contrairement au libéralisme classique, d’assurer à chacun la libre quête de son émancipation personnelle, mais de produire un carcan normatif et rigide établi au nom d’un principe supérieur - par exemple la concurrence libre et non faussée - qui en réalité n’est qu’un mécanisme de hiérarchisation entre ceux que ce cadre avantage et qui s’adaptent facilement, et les autres dont le processus d’ajustement est infini car ils se trouveront toujours «en retard» vis-à-vis des pays leaders.
À ce titre, les conclusions de l’étude du Cep rappelées plus haut sont assez révélatrices. Pour ces économistes, si la France et l’Italie sont les grandes perdantes de l’euro, ce n’est pas parce que la création de la monnaie unique pose en elle-même un problème, mais parce qu’ils auraient pris du «retard» dans les réformes de leurs institutions nationales.
L’euro n’a pas été créé pour être un outil au service des économies européennes mais pour constituer un cadre normatif auquel les économies d’Europe sont condamnées à s’adapter.
Vingt ans après sa création il serait temps de l’admettre. L’euro n’a pas été créé pour être un outil au service des économies européennes mais pour constituer un cadre normatif auquel les économies d’Europe sont condamnées à s’adapter. Mais ce qui n’est jamais rappelé, c’est justement que cet impératif d’adaptation revient à nier les différences géographiques, historiques, culturelles… qui persistent d’un pays à l’autre et qui sont, elles, bien réelles. Ainsi, au lieu de permettre à la France ou à Italie d’adopter une politique monétaire ou industrielle adaptée à leurs réalités économiques, l’euro et le marché unique, tels qu’ils fonctionnent, les enjoint à de perpétuelles et impossibles réformes pour rattraper un «retard» dans une compétition où les règles sont, de toute évidence, faussées.