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État espagnol: socialistes qui rient, Podemos qui pleure, mariage en vue ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le 26 mai, les Espagnols étaient appelés à faire un triple vote : européen, autonomique (régional) et municipal. Et cela après avoir voté aux législatives le 28 avril...
Ces élections ont connu une hausse notable de la participation : pour les législatives probablement, en fonction de la poussée annoncée, et finalement moins forte qu’annoncée, de l’extrême droite. Pour les trois élections de ce dimanche, leur cumul aura précisément attiré vers les urnes des gens qui n’étaient motivés a priori que par une ou deux et qui, à y être, ont voté aux trois, mais ce sont en fait les Européennes qui auront connu une forte progression (+15 %) alors qu’aux municipales et aux autonomiques c’est la stabilité qui a prévalu. Pour bien mesurer ce que signifient ces votes, c’est-à dire en dehors de toute déformation électoraliste, prenons, pour les cinq partis se présentant à l’échelle de l’État espagnol et dépassant les 5 %, les votes exprimés des Européennes en les rapportant aux inscritEs. Il apparaît qu’ils n’en représentent que 49 %. Avec ce calcul, le PSOE obtient 20 %, le PP 12 %, Ciudadanos 7 %, Unidas Podemos 6 % et Vox moins de 4 %. Malgré la poussée (ou la stabilité) de la participation, la crise de représentation reste grande...
Victoire des socialistes
Cela étant posé, la première grande tendance qui s’affirme est celle de la victoire des socialistes du PSOE. Avec 32 % des voix (près de 10 points de plus qu’en 2014), ils obtiennent aux Européennes 20 (+6) des 54 sièges en jeu pour l’Espagne. A cela s’ajoutent la conservation des cinq Autonomies qu’ils dirigeaient et les deux qu’ils prennent au Parti Populaire (PP). Mais ils ratent de très peu le joyau de la couronne, la Communauté de Madrid, qui est détenue depuis 20 ans par le PP et qui lui revient à nouveau malgré les gigantesques affaires de corruption qui ont émaillé sa gestion (cela grâce à l’appui de Ciudadanos et de l’extrême droite). Le PSOE rate aussi la conquête de la mairie de la capitale qu’il voulait ravir à « l’élue du changement », Manuela Carmena, tout en visant à l’intégrer à une coalition de gestion. Résultat : malgré la victoire de celle-ci, c’est le PP qui, là aussi grâce à une alliance avec Ciudadanos et Vox, devrait être en mesure d’emporter la mise.
Vainqueur, le PSOE l’est aussi aux municipales : il est majoritaire dans 29 des 54 chefs-lieux de province (départements), mais la droite coalisée, résistant relativement bien, est en tête dans 24 d’entre eux.
A droite, la bande des trois...
Si globalement, les résultats des élections municipales et autonomiques confirment et même amplifient la dynamique victorieuse des socialistes lors des législatives d’avril, celle-ci est entravée ici ou là par la réponse donnée par la droite. Voyant venir ses déconvenues, celle-ci a répondu avec la formule inaugurée en Andalousie en décembre dernier afin de chiper ce fief historique des socialistes : là où une majorité unipartidaire s’avère impossible, elle la construit désormais à trois (comme on l’a signalé concernant Madrid), le PP et Ciudadanos n’hésitent plus à s’allier à l’extrême droite émergente (le candidat « orange » à la mairie de Barcelone, Valls, y a vu - à tort - la raison de son piteux crash politique !).
Le PP - en perte de vitesse considérable lors de la législative il y a un mois et relative aux autonomiques de ce dimanche - limite les dégâts aux Européennes et, à moindre échelle, aux municipales. Ciudadanos, qui le talonnait fin avril, ne parvient pas à obtenir le sorpasso du PP qu’il visait aux Européennes et aux deux élections locales.
Enfin, Vox ne sera parvenu, à aucune de ces quatre élections, à opérer la percée espérée à l’unisson des principaux partis d’extrême droite européens. En témoignent ses petits 6,6 % et ses 3 sièges aux élections européennes. Il n’en reste pas moins qu’il peut se créditer d’avoir déplacé vers lui les deux partis de droite, en particulier Ciudadanos, avec son féroce anticatalanisme, qui à une époque pas trop éloignée avait pu se réclamer de la gauche libérale ! De par l’histoire du recyclage des franquistes permis par la Transition, l’extrême droite est restée fichée - longtemps en relative sourdine - dans le PP, et Vox (dont la direction est pour une bonne partie sortie du PP) a été essentiellement l’activateur externe de cette tendance lourde interne au PP qui a aussi happé Ciudadanos… Dans l’immédiat, c’est bien cette extrême droitisation d’une droite néolibérale, instrumentalisant Vox bien plus que l’inverse, qui est un danger face auquel il est illusoire de penser que fera barrage le vainqueur de ces scrutins.
Déconfiture de la gauche de la gauche
La victoire incontestable du PSOE, qui signe une récupération politique il y a peu encore inimaginable, n’en reste pas moins fragilisée par la déconfiture de celui qui sur sa gauche avait opté pour lui faire l’appoint gouvernemental à tous les échelons de pouvoir. L’apport que Podemos (en fait Unidas Podemos, UP, composé avec IU) et des « coalitions du changement » qu’il avait contribué à faire gagner, devait apporter s’est en effet réduit comme peau de chagrin : toutes les mairies conquises en 2015 (dont, on l’a vu, celle de Madrid mais aussi celle de Barcelone – sauf alliance inattendue avec le PSC et aussi, contrenature s’il en est, avec Ciudadanos ! -, Saragosse, La Corogne, Saint Jacques de Compostelle, El Ferrol) sont perdues. Seules échappent à cette hécatombe celle de Cadix dirigée par l’anticapitaliste Kichi (qui frôle la majorité absolue) et celle de Zamora tenue par un IU critique avec la direction nationale. A Valence, Compromís, qui s’était précocement distancié d’UP, gagne un siège et se maintient à la mairie grâce à son alliance avec le PSOE.
Aux élections autonomiques la déroute est aussi au rendez-vous : Unidas Podemos perd 9 de ses 10 sièges en Castille-Leon, 2 des ses 6 en Extrémadure, 5 de ses 9 aux Asturies, 4 de ses 6 à Murcie, 9 de ses 14 en Aragon, les 3 de Cantabrie, les 3 de Castille-La Manche (dont Iglesias avait fait en 2017 le laboratoire de l’alliance présentée gagnant-gagnant avec le PSOE), 4 des 10 aux Baléares, 3 des 7 aux Canaries, 5 des 7 en Navarre, la moitié des 4 de La Rioja. A Madrid 20 des 27 qu’il avait, ces 20 étant récupérés par le dissident podémite Iñigo Errejón sans qu’ils lui permettent de peser pour empêcher les droites de gagner. Comble de la débâcle, Unidas Podemos, dépassant à peine les 5 %, fait moins que Vox !
A la municipale de Madrid, la maire sortante, Manuela Carmena, qui avait rompu avec Podemos, tout en arrivant en tête, n’atteint pas la majorité comme espéré avec le PSOE, tandis que le regroupement sur sa gauche Madrid Debout (coalition de IU, Anticapitalistas et des indigné-es municipalistes) ne parvient pas à dépasser les 3 %.
L’élection européenne revêtait, quant à elle, un sens particulier pour Podemos puisque c’est lors de l’édition de 2014 qu’il avait initié sa percée tonitruante. Cinq ans après, en cumulé de ses voix et de celles d’IU qui concourait séparément en 2014, le recul dépasse les 21 %, et même 41 % par rapport aux voix obtenues à la législative il y a à peine un mois.
Podemos utile aux socialistes ?
La chute libre de Podemos, d’Unidas Podemos et des coalitions auxquelles il a initialement contribué, sert et dessert les socialistes. C’est une revanche d’une histoire podémite commencée façon (plus ou moins) Indigné-es qui aura finalement peu duré et où lesdits socialistes étaient les ennemis à abattre à l’égal de la droite, tous pointés comme la caste qui bloquait le changement radical à opérer. Mais les socialistes ont récupéré la déception que les virevoltes stratégiques, l’institutionnalisme borné et l’autoritarisme en interne pratiqué par l’iglésisme, ont suscité chez les militantEs mais aussi dans son électorat. Les voix perdues par Podemos se sont pour une bonne part retrouvées au PSOE (une autre partie dans l’abstention).
A contrario, l’affaissement électoral des « violets » prive celui-ci d’une réserve politique élargie sur sa gauche pour franchir le seuil qualitatif nécessaire pour maintenir, sans turbulences, le cap gestionnaire des affaires du pays. Podemos domestiqué par des socialistes que le patronat, en fin politique, félicite pour leur succès, c’est une chose, mais la trop grande perte d’efficience politique de Podemos, révélée à ces élections, réduit le périmètre sur lequel exercer leur hégémonie de parti du régime. Pesant le pour et le contre de ces élections, la balance semble actuellement pencher pour le PSOE, au grand dam d’Iglesias, vers un gouvernement sans Podemos (qui se trouverait appelé à le soutenir de l’extérieur et à accepter par ailleurs, suprême humiliation, qu’il passe les alliances locales qu’il jugerait nécessaires avec Ciudadanos !). Façon d’enfoncer un coin dans le « trifachito » (le trio des droites extrêmisées) tout en tenant en laisse un Podemos jouant les utilités.
Les jours qui viennent amèneront-ils les militantEs de ce dernier à tirer le bilan de l’échec catastrophique de l’orientation adoptée ? Une orientation et un échec dont on retiendra qu’ils font écho, malgré les spécificités des situations respectives (entre autres par la différence du poids des socialistes), au fort recul qu’a connu l’alliée aux Européennes qu’était LFI.
En Catalogne
Ce panorama, au demeurant encore incomplet car les résultats et donc les tendances précises des municipales ne sont pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, encore tous connus, ne saurait faire oublier ce qui s’est passé en Catalogne. Une Autonomie qui est devenue, pour sa volonté autodéterminatrice, le bouc émissaire largement mobilisé à ces élections pour caresser l’électeur dans le sens du poil espagnoliste et lui faire neutraliser ce qu’il aurait à gagner avec les CatalanEs à faire tomber ce pouvoir des possédants et des corrompus.
L’événement le plus spectaculaire des résultats en Catalogne (il n’y avait pas d’élection autonomique) est sans aucun doute l’élection aux européennes de deux personnages parmi les plus emblématiques de la lutte indépendantiste : le « prisonnier politique » le plus célèbre, dont le procès indigne (et celui de ces compagnons d’infortune) a lieu en ce moment même, l’ancien vice-président de la Généralité, Oriol Junqueras, et, l’exilé politique le plus connu, l’ancien président de la Généralité, Carles Puigdemont. Par leur élection, ils vont exercer une douloureuse tenaille politique sur l’État espagnol, avec désormais un impact décuplé, face à une opinion publique européenne de plus en plus sensibilisée à ce que subissent les démocrates catalans. Après les manœuvres qui ont abouti à suspendre les prisonniers politiques élus le 28 avril au Congrès et au Sénat, dans un sinistre ballet incestueux par lequel le Tribunal suprême a réussi à obtenir que le politique, en l’occurrence la présidente du Congrès, prenne la décision de cette suspension, l’élection des deux précités transfère au Parlement Européen la responsabilité de permettre qu’ils puissent jouir pleinement, en toute liberté pour l’un et en toute immunité, y compris en Espagne, pour l’autre, de leur mandat parlementaire. Il se pourrait alors que le sourire de la victoire des socialistes espagnols vire au rictus… Quant aux europarlementaires et aux États membres, ce défi catalaniste devrait les obliger à sortir du bois d’où ils apportaient par inertie, sans avoir de comptes politiques à rendre, leur soutien de fait à l’État liberticide espagnol.
Enfin, sur l’ensemble des résultats, pour ces européennes, en Catalogne, c’est Junts (le parti de Puigdemont) qui l’emporte avec plus de 28 % des voix devant le PSC (plus de 22,14 %) et la coalition d’ERC avec les nationalistes basques et galiciens (plus de 21 %). Bien plus loin, Ciudadanos et Podemos sont à 8 %, le PP à 5 % et Vox à 2 %.
Pour une mobilisation indignée
Le lourd cycle électoral fermé, il faudra suivre l’évolution des recompositions en cours à gauche comme à droite dans un contexte économique maussade qui devrait réduire les marges d’action sociale (revalorisation du salaire minimum) par lesquelles le PSOE a cherché à acheter l’électorat populaire sans rien toucher au développement d’une précarité (record des pays de l’OCDE pour le nombre de jeunes précaires) que masque une baisse relative du chômage. Bruxelles et la Banque d’Espagne ont récemment sonné l’alarme sur le ralentissement économique en cours et le danger que l’Espagne ne respecte pas ses engagements de réduction des déficits. Voici par ailleurs quelques indicateurs de ce qu’est la condition des salariéEs et des privéEs d’emploi espagnols : 24 000 travailleurs ont été touchés sur les trois premiers mois de l’année par des plans sociaux ; l’Espagne détient le record européen, 26,9 %, pour le travail temporaire, le record OCDE aussi pour les postes de travail détruits sur les dix dernières années ; l’électricité et le gaz y sont les plus chers de l’UE ; ce sont 3 millions d’heures supplémentaires par semaine dont l’État tolère qu’elles ne soient pas payées ; la moitié des familles espagnoles comptant un membre qui travaille connaît un risque d’exclusion sociale…
L’absence de réamorçage de la conflictualité sociale à laquelle l’institutionnalisme de Podemos a largement contribué, ce dont il paye cher le prix politique, reste, avec l’anticatalanisme, l’atout majeur du régime et du PSOE. C’est pourtant de la combinaison des deux fronts, social et national, que devrait ré-émerger l’espoir que les choses changent enfin radicalement. Du pain sur la planche pour recréer une mobilisation indignée vaccinée d’avoir passé le témoin à Podemos et se donnant les moyens de dépasser les blocages politiques qui l’ont empêchée d’être le centre de gravité de la mise en crise accélérée du régime ? Question déterminante pour que les anticapitalistes tirent également leur propre bilan, celui de leur impossibilité d’offrir une alternative à la dérive de Podemos.
Antoine Rabadan