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Algues vertes en Bretagne: 4 points pour comprendre le problème

écologie

Lien publiée le 15 septembre 2019

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https://reporterre.net/Algues-vertes-en-Bretagne-4-points-pour-comprendre-le-probleme

Algues vertes en Bretagne : 4 points pour comprendre le problème

En Bretagne, les marées vertes, nourries par des pratiques agricoles intensives, seraient responsables de plusieurs décès. Pourquoi les algues vertes sont-elles dangereuses ? Que fait l’État pour contrer leur prolifération ? Explications en quatre points.

Une marée pestilentielle s’est abattue cet été sur les côtes bretonnes. Les algues vertes y ont proliféré de manière exceptionnelle, prenant de court les autorités. Des dizaines de milliers de tonnes ont recouvert le sable fin. Six plages ont été interdites au public près de la baie de Saint-Brieuc. Une usine de traitement, saturée, a même dû fermer en urgence. Alors que s’achève la période estivale, Reporterre revient sur ce dossier toxique qui empoisonne le littoral breton depuis des décennies. D’où viennent ces algues vertes ? Que risque t-on ? Que fait le gouvernement ?

Ce week-end, le 14 et 15 septembre, des militants écologistes se retrouvent sur la plage de Planguenoual (Côte-d’Armor) pour le premier salon littéraire consacré à ces algues vertes. À l’honneur : la bande dessinée d’Inès Léraud et de Pierre Van Hove, vendue à plus de 50.000 exemplaires. Ce livre retrace plusieurs années d’enquête sur le terrain et dénonce le mensonge des élus, la mise à l’écart des experts, la pression des lobbies de l’agro-industrie. « Les algues maudites sont le symptôme d’un mal profond », écrit Inès Léraud. Les associations écologistes mobilisées ce week-end espèrent « une prise de conscience plus générale » et « un regain d’actions »

D’où viennent-elles ?

Ces marées à l’odeur putride ne sont pas récentes. Le phénomène a été observé la première fois en 1971, à Saint-Michel-en-Grève, près de Lannion. « L’algue Ulva armoricana est présente naturellement sur les côtes françaises, rappelle France Nature EnvironnementElle se développe sans support dans une frange de l’eau de mer de certaines plages et s’échoue en partie à marée descendante. » Sa croissance en Bretagne s’explique par trois raisons : la mer est peu profonde et claire, ce qui permet une photosynthèse efficace ; le faible courant ne permet pas de disperser les algues au large ; et enfin, les eaux sont saturées de nutriments dont les algues se nourrissent — à savoir le phosphore et l’azote directement issus des nitrates.

Les marées vertes apparaissent surtout à partir du printemps, mais il arrive, comme en ce début du mois de décembre, qu’elles soient encore présentes, comme ici dans la baie de Saint-Brieuc.

Le lien entre le développement de l’agriculture industrielle et les algues vertes n’est plus à démontrer. Dans les années 1960, le taux moyen de nitrate dans les eaux bretonnes ne dépassait pas les 5 mg/litre. Aujourd’hui, il est estimé à environ 33 mg/litre. Ce taux a culminé dans les années 2000 autour de 50 mg/litre avant de baisser progressivement. Il stagne désormais depuis plus de trois ans.

Ces nitrates proviennent à 94 % de l’agriculture. Ils sont présents dans les engraisutilisés pour fertiliser les cultures et dans les déjections animales issues de l’élevage. En Bretagne, l’élevage est extrêmement intensif. La région ne couvre que 7 % de la surface agricole française, mais concentre 50 % des élevages de porcs français, 50 % des élevages de volailles et 30 % des bovins. « La quantité de lisier, de fientes et de fumier produite chaque année dans les quatre départements bretons équivaut aux déjections émises par 50 millions d’habitants ! », évalue l’association Eaux et rivières de Bretagne. Pour Greenpeace« si l’on veut arrêter les marées vertes, il faut diviser par trois le taux de nitrate dans l’eau pour le ramener à 10 mg/ litre ».

Quels sont les risques sanitaires ?

En pourrissant sur le sable, les algues vertes dégagent du sulfure d’hydrogène (H2S). « Un gaz qui, à concentration élevée, peut s’avérer mortel en quelques minutes », prévient André Ollivro, le président de l’association Halte aux marées vertes.

Depuis trois décennies, plusieurs décès suspects ont été recensés sur le littoral. Une sombre litanie. Le premier drame remonte à juillet 1989. Cette année-là, le corps d’un jeune homme était retrouvé trois jours après sa disparition à Saint-Michel-en-Grève. Les causes de sa mort étaient obscures, mais elles ont interpellé le docteur Pierre Philippe, un des premiers lanceurs d’alerte. Le jeune homme était en effet allongé sur un épais tapis d’algues. Dix ans plus tard, le 5 juillet 1999, un ramasseur d’algues a été retrouvé inconscient, presque au même endroit. La victime restera plusieurs jours dans le coma et quatre mois à l’hôpital.

Le 22 juillet 2009, Thierry Morfoisse, 48 ans, est mort au pied de son camion de ramassage d’algues alors qu’il effectuait sa troisième collecte de la journée. Le tribunal des affaires sociales de Saint-Brieuc a reconnu, en juin 2018, soit neuf ans plus tard qu’il s’agissait bien d’un accident du travail. Thierry Morfoisse n’avait aucun matériel de protection. Une semaine après ce drame, le 28 juillet 2009, un cheval s’écroulait dans des algues putréfiées, et mourait. Son cavalier resta plusieurs jours dans le coma. En 2011, 36 sangliers étaient retrouvés morts sur une grève de l’estuaire du Gouessant. En 2016, un joggeur de 50 ans s’affaissait au même endroit.

« Un gaz qui, à concentration élevée, peut s’avérer mortel en quelques minutes », prévient André Ollivro, le président de l’association Halte aux marées vertes.

Inès Léraud et Pierre Van Hove racontent tous ces éléments dans leur livre Algues vertes, l’histoire interdite (aux éditions Delcourt, 2019) et mènent une véritable investigation. Ils montrent comment des pièces compromettantes ont été retirées des dossiers ou comment des demandes d’autopsie ont été refusées par les autorités. Interrogée par le Guardian, Inès Léraud pense que l’étendue du scandale pourrait être beaucoup plus ample : « Environ vingt personnes meurent chaque année sur la côte, souvent emportées par les marées ou les courants. La question qui se pose est la suivante : certaines de ces personnes pourraient-elles s’être évanouies à cause du gaz toxique provenant d’algues, avant d’être emportées ? L’État n’a pas fait la lumière sur ces questions. »

Que s’est il passé cet été ?

Cet été, la Bretagne a connu une vague d’algues vertes intense et précoce. En grande partie en raison des conditions météorologiques. Un hiver doux, un printemps pluvieux et la canicule ont permis la prolifération de ces végétaux toxiques. Le phénomène s’est aussi élargi. Les marées vertes ont frappé des communes distantes de milliers de kilomètres, de la Normandie à la Gironde.

À titre d’exemple, autour d’Hillion (Côtes-d’Armor), plus de 9.500 tonnes d’algues vertes ont été ramassées entre mi mai et début septembre. Soit beaucoup plus qu’en 2018. L’année dernière, 3.400 tonnes avaient été récoltées.

Thierry Burlot, vice-président du conseil régional breton, évalue à 35.000 tonnes les algues vertes collectées en 2019 dans toute la région. Cela représente un coût non négligeable : plus d’1,5 million d’euros ont dû être consacrés au nettoyage des plages. Si l’on prend en compte le préjudice économique et touristique causé à la région depuis 30 ans, le chiffre s’envole. Les marées vertes auraient coûté plus d’un milliard d’euros à l’État et à la région. C’est-à-dire aux contribuables.

Que fait l’État ?

Le premier plan de lutte contre les algues vertes qui visait à faire baisser les taux de nitrate dans l’eau date de 2010. L’État a été sommé d’agir après la mort de Thierry Morfoisse et après une décision de justice du 1er décembre 2009 où la Cour d’appel administrative de Nantes jugeait l’État responsable de la prolifération des algues. Quels en sont aujourd’hui les résultats ? Malgré les fonds investis, 177 millions d’euros entre 2010 et 2015 puis 55 millions d’euros entre 2017-2021, « les avancées restent assez modérées car elles dépendent de la bonne volonté des agriculteurs. Il n’y a pas de contrainte », regrette Greenpeace.

Les association locales dénoncent, de leur côté, « la débâcle des élus et des administrations »« Il faut reprendre à la base le problème et changer de modèle agricole en stoppant l’agrandissement des structures », disent-elles.

À l’inverse, l’État promeut toujours le système intensif. Jean-Yves le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et ancien président de la région Bretagne, est très proche des lobbies agro-industriels bretons. Le 24 décembre 2018, le gouvernement a déposé un nouveau décret pour simplifier encore les autorisations de ferme usines dans les régions concernées par les algues vertes.


  • Algues vertes, l’histoire interdite, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, aux éditions Delcourt, 2019, 19.99 euros.