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Michèle Audin, La semaine sanglante. Mai 1871. Légendes et comptes

LaCommune

Lien publiée le 11 avril 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/14225

Un compte rendu de Frédéric Thomas

Ce livre aborde, de façon précise, détaillée et même systématique, en s’appuyant sur de nombreux témoignages et documents, dont les registres des cimetières, la question du décompte des morts de la Semaine sanglante, qui marque, fin mai 1871, l’écrasement de la Commune. Il s’agit de revenir sur l’appréciation à la baisse avancée par Robert Tombs dans Paris, bivouac des révolutions. La Commune de 1871 (Libertalia, 2014)1. Ce dernier, en effet, semble accorder du crédit au nombre avancé par le conservateur Maxime du Camp, qui, dans ses Convulsions de Paris, publié en 1880, donne le chiffre de 6.667 morts. Comme l’écrit Michèle Audin : « la soustraction peut engendrer la négation » (page 196).

Mais quel est l’enjeu ? Celui de « considérer les êtres humains qu’ont été ces cadavres avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois – ce qui oblige à se souvenir de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont fait » (page 9). Pour ce faire, il faut revenir sur une histoire, encore aujourd’hui « mal connue » selon Michèle Audin : « à cause de la façon dont elle a été écrite, mais aussi parce qu’elle a été (et est toujours) instrumentalisée de toutes parts, le plus souvent à des fins politiques, cette histoire est mal connue. Pour les mêmes raisons, elle est emplie de mythes et de légendes de toutes sortes » (page 8). Ainsi en va-t-il, par exemple, de la place et du rôle des femmes dans la Commune – que l’auteure resitue – et de la prétendue absence des représentants communards dans les combats des derniers jours de mai.

Aux mythes et aux légendes, sombres ou dorés, il convient d’ajouter les hors-champs, tels que les viols commis par l’armée versaillaise (pages 52-59). Quant à la façon dont cette histoire a été écrite, et qui explique, en retour, sa méconnaissance, cela tient d’abord au fait que la grande majorité des « historiens » et « témoins » étaient hostiles à l’insurrection parisienne, et « surtout étaient des spectateurs » (page 71). Le phénomène est encore plus accentué par rapport aux massacres, pour lesquels il n’y a pratiquement pas de témoignages communards à l’exception de celui de Maxime Vuillaume (lire ses Cahiers rouges. Souvenirs de la Commune, La découverte, 2014). C’est justement à un travail de démystification, d’approfondissement et de transmission, auquel Michèle Audin s’atèle depuis des années, à travers essais, romans et un site web, devenu incontournable sur la Commune de Paris, « un mouvement si populaire que la plupart de ses protagonistes en sont restés inconnus » (page 14)2.

Après un rapide rappel historique, un parcours au jour-le-jour de la Semaine sanglante et un examen synthétique de quelques-unes de ces légendes, La Semaine sanglante aborde le cœur de sa thématique : les massacres et leurs impacts. Michèle Audin commence par signaler la convergence des témoignages. Il y a, en effet, un consensus sur le très faible nombre de morts du côté versaillais : 877. Mais, surtout, « tous les témoignages de mai et juin 1871, journaux versaillais, témoins communards, s’accordent sur la violence et l’amplitude des massacres de la Semaine sanglante – fusillades et exécutions après la fin des combats. Et ce que disent ces témoignages est incroyable » (page 65).

L’auteure recourt à de multiples citations, souvent glaçantes, pour donner à voir l’ampleur des massacres. Notamment un extrait du Constitutionnel du 9 juin 1871 : « toutes les fois que le nombre de condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse les pelotons d’exécution » (page 178). Et Michèle Audin d’insister sur le caractère prémédité, voulu de ces massacres. En témoigne ainsi un télégraphe envoyé au matin du 25 mai 1871 par Adolphe Thiers, alors chef de l’exécutif : « le sol de Paris est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon, il faut l’espérer, aux insurgés qui osaient se déclarer partisans de la Commune » (page 45).

En fin de compte, comme le démontre avec efficacité l’auteure, la comptabilité des morts est une question d’espace et de temporalité. Des corps ont été transportés dans les cimetières de la banlieue parisienne, beaucoup d’autres ont été enterrés là-même où ils avaient été massacrés, dans des fosses communes, d’autres encore ont disparus ou, plus exactement, on les a fait disparaître. Michèle Audin rappelle ainsi qu’« il était donc encore habituel, au début du XXesiècle, de trouver ici ou là dans le sous-sol de Paris des restes de communards » (page 209). Tous ces inconnus, ces morts sans noms n’ont pas été pris en compte.

Mais, depuis quand et jusqu’à quand compter ? « Dès le 2 avril, un gouvernement installé à Versailles mène une guerre meurtrière contre cette inacceptable révolution » (page 7). Et l’histoire de cette guerre – qui ne se réduit pas à des « escarmouches » comme d’aucuns le prétendent – reste à faire. Même à prendre une focale courte – celle de la Semaine sanglante –, la question demeure : quand arrêter le décompte ? Du Camp s’est arrêté le 30 mai, alors que les cours martiales et les exécutions se sont poursuivis en juin. Sans compter les prisonniers abattus sur le chemin de Versailles, celles et ceux exécutés ou morts des maladies et d’épuisement dans les prisons.

La conclusion de ce travail est moins un nombre – « certainement, 15.000 morts pour la Semaine sanglante et ses suites » (page 221) – que la mise en évidence que le « on ne saura jamais le chiffre exact » tient d’une falsification et d’une occultation. En effet, « les amis de l’ordre, au pouvoir à Paris depuis le 28 mai 1871 ont tout fait, justement, pour que ce nombre ne soit pas connu. Ils ont tout fait pour que rien de la véridique histoire de la Commune ne soit connu, et en particulier, pour que ses morts disparaissent autant que possible.

Et ils ont réussi.

Pas complètement, comme le montre ce livre » (pages 221-222).

Un livre donc, nécessaire, documenté et rigoureux, parfois traversé de traits d’ironie, et qui s’accompagne d’une bibliographie et de documents iconographiques. Un livre surtout, sous un aspect parfois austère, qui cherche à rendre justice, pour ne pas laisser s’effacer les noms et les visages de ces hommes et de ces femmes de la Commune de Paris.

Quatre questions à Michèle Audin (entretien numérique réalisé le 22 mars 2021)

Une question d’abord d’ordre général : d’où vous vient cet intérêt pour la Commune de Paris ?

De mon éducation communiste ? De ma « montée » au Mur des fédérés à l’âge de 17 ans (pour le centenaire) ? De mon goût pour l’histoire faite par des inconnus – par ceux « qui n’ont pas d’histoire » ?

Vous écrivez que l’histoire de la Commune est mal connue. Pourtant ces dernières années ont été l’occasion d’une série de rééditions et de publications à ce sujet. Cela n’a-t-il pas entraîné une meilleure connaissance historique – et pourquoi ?

Là, il y a deux choses différentes. Le grand public ne sait rien de la Commune – et où aurait-il appris quelque chose ? Ça n’empêche pas qu’il puisse y avoir une meilleure connaissance du côté des historiens. Et puis il y a le côté « politique », qui « connaît » surtout une légende dorée.

Vous ciblez dans cet essai le travail de Robert Tombs et sa sous-estimation du nombre des morts au cours de la Semaine sanglante. Son livre, Paris, bivouac des révolutions. La Commune de 1871, est également paru chez Libertalia (2014). Voyez-vous dans cette révision de l’ampleur des massacres un cas isolé ou est-ce le signe d’une tendance plus générale – et, si c’est le cas, à quoi l’attribuez-vous et qu’elle en est votre interprétation ?

Je ne cible personne : je n’ai pas écrit un livre sur les historiens, mais un livre sur l’histoire des communards. Par respect pour ces inconnus qui ont pris la parole pendant ces quelques semaines et qui ont défendu leur droit à le faire, souvent jusqu’à la mort, il m’est insupportable de les voir disparaître à nouveau. Les seuls qui ont travaillé sur ces massacres et ces morts sont Du Camp et Pelletan3, dans les années 1879-1880.

Tombs4 a revitalisé les chiffres (minimalistes) de Du Camp il y a une dizaine d’années. Je n’ai vu qu’une ou deux protestations de pure forme et aucun travail historique. Aucune étude historique, aucune recherche dans les archives, sur la Semaine sanglante, depuis 1880 ! Est-ce croyable ? Eh bien c’est vrai. C’est bien plus qu’une tendance !

Enfin, quel espoir mettez-vous en ce 150e anniversaire de la Commune de Paris ? Ce que vous savez des publications, rééditions et événements annoncés vous incline-t-il à l’optimisme quant à une meilleure appréhension de cette histoire ou cela risque-t-il de tourner à un spectacle apolitique ?

Je n’ai jamais cru aux commémorations. Le spectacle apolitique est déjà lancé. S’il est moins spectaculaire qu’on pouvait le craindre, il est bien plus apolitique… Et les « événements » « sans public »… vous voyez la Commune se dérouler par facebook, vous ? Heureusement, il y a plusieurs bons livres (parmi beaucoup de mauvais) ! Et les librairies sont ouvertes.

1Lire la recension de cet ouvrage sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/4810

2Voir https://macommunedeparis.com/. Parallèlement à cet essai, Michèle Audin publie un nouveau roman, ayant pour cadre les lendemains de la Commune de Paris : Josée Meunier. 19, rue des Juifs (Gallimard, 2021), dont la recension est à paraître sur ce blog.

3Camille Pelletan, La Semaine de Mai, Paris, Maurice Dreyfous, 1880. Le livre est accessible sur le site de Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k938169j.texteImage. Voici ce que Michèle Audin écrit à propos de son livre : « La Semaine de Mai décrit, de façon sensible et émouvante, des massacres de masse et des (massifs) cas individuels de Parisiens assassinés alors même qu’ils avaient peu ou qu’ils n’avaient rien à voir avec la Commune (…). Camille Pelletan peut faire état de nombreux témoignages, de  »choses » vues, par d’autres et même par lui-même – il était à Paris et travaillait au Rappel pendant la Commune (…). Camille Pelletan arrive à une estimation de 30 000 morts environ » (La Semaine sanglante, pages 93-95). Voir également : https://macommunedeparis.com/2020/04/03/il-y-a-cent-quarante-ans-la-semaine-de-mai-de-camille-pelletan-2/.

4On peut lire un récent entretien (18 mars 2021) avec Robert Tombs, sur le site Libertalia, où l’auteur revient entre autre sur sa révision à la baisse du nombre de communards tués pendant la Semaine sanglante : http://www.editionslibertalia.com/blog/entretien-avec-robert-tombs-liberation-210317.