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Van Gogh, Commune et drapeaux rouges
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Van Gogh, Commune et drapeaux rouges (revolutionpermanente.fr)
Van Gogh n’a, bien entendu, jamais participé à la Commune de Paris. Au printemps 1871, il a à peine 18 ans et habite avec sa famille à Helvoirt, aux Pays-Bas. Van Gogh, en revanche, peut être considéré comme un peintre communard. Ce n’est pas lui qui le dit. Ce sont ses toiles montmartroises, composées en 1886-1887, qui en livrent le secret. A qui veut bien les regarder de près.
L’écrasement de la Commune par les Versaillais obéit à un double objectif. D’un côté, il s’agit de briser les reins d’une expérience de transformation émancipatrice mettant en péril l’équilibre bourgeois. De l’autre, la Semaine sanglante a pour but d’anéantir durablement, pour les générations à venir, toute velléité de révolte. « La saignée, souligne Edmond Goncourt dans son Journal à la date du 31 mai 1871, a été une saignée à blanc. Et les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. (…) C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle [1]. » Les années qui suivent la défaite de la Commune sont en effet une période de réaction au niveau européen, et pas uniquement français. Au sein du mouvement ouvrier organisé de l’époque, son symbole est le naufrage de la Première Internationale. Son explosion est autant liée aux polémiques entre partisans de Marx et de Bakounine qui la secouent qu’un sous-produit de ce climat très particulier, de reflux social et politique, qui imprègne l’époque. Cependant, malgré tous les efforts déployés par « Messieurs les fusillards [2] », en 1871 et au cours des années suivantes, la Commune et l’imaginaire qu’elle charrie avec elle continue à tarauder, de façon souterraine, les esprits les plus inquiets et les plus radicaux, en France et à l’étranger, au niveau politique et au niveau artistique. Cela vaut autant pour Marx ou Rimbaud, pour ne citer que les plus connus, que pour Vincent van Gogh [3]. A l’instar du poète qui fréquente la maison des Verlaine, rue Nicolet, dans le XVIII°, en 1870-1871, le peintre réside lui aussi à Montmartre, entre octobre et décembre 1874, entre mai et décembre 1875 mais aussi et surtout pendant près de deux ans, entre 1886 et 1888, à un moment où il décide de faire de la peinture le centre de sa vie. On peut croire que le quartier revêt une importance absolument singulière pour celles et ceux qui y vivent. C’est notamment la thèse que défend Louis Chevalier, l’un des pionniers de l’histoire sociale et urbaine en France, auteur du fameux Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIX° siècle (1958), dans le dernier ouvrage qu’il consacre à la capitale et qu’il centre, précisément sur le XVIII° arrondissement : dans ce « Montmartre des lendemains de la Commune (…) la passion de l’action historique d’hier, brutalement interrompue, semble travailler en profondeur et métamorphoser la passion de la jouissance elle-même [4] ». Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de la passion de la couleur et des styles nouveaux à laquelle s’adonne van Gogh au cours de ses années parisiennes et à partir de laquelle il va tirer ce coup de pinceau absolument inconnu jusqu’alors, qui n’appartient qu’à lui et qui va caractériser toute son œuvre jusqu’à sa fin, tragique, en juillet 1890.
Le Montmartre des moulins
Montmartre, à l’époque, n’a absolument rien à voir avec le quartier que l’on connaît aujourd’hui, presqu’entièrement gentrifié, domestiqué et voué à l’industrie touristique. Il a été littéralement vidé des creux et les vagues de sa vie et de sa vie nocturne qui le caractérisaient encore à la fin des années 1990. Ce que la Chiraquie n’a pas pu imposer, sous ses mandatures, les socialistes et les écologistes de la capitale ont su le mener à bien, tambour battant, en bonne intelligence avec le capital, en chassant toujours plus, au-delà du périphérique, les classes populaires des arrondissements du Nord-est parisien. Mais revenons en arrière : à partir de la seconde moitié du XIX°, la Butte et ses alentours deviennent un territoire d’expérimentation pour un certain nombre de jeunes artistes et de jeunes peintres, souvent peu connus et avant-gardistes de par les techniques qu’ils adoptent et les idées qu’ils défendent, à contre-courant, généralement, des écoles dominantes. C’est un quartier où l’on s’installe car les loyers sont moins onéreux qu’ailleurs dans la capitale et qui offre la possibilité de disposer d’un atelier. C’est aussi là, dans ce morceau de quasi-campagne, que l’on peut monter son chevalet aux quatre vents. En effet, ce n’est qu’en 1860 que le village de Montmartre a été annexé et intégré au XVIII° arrondissement, créé pour l’occasion. Le Bas-Montmartre, très urbanisé, n’a pas échappé aux transformations haussmanniennes du Second Empire et se développe à grande vitesse dans un roulement d’omnibus à chevaux, de va-et-vient d’ouvriers et d’employés qui se rendent à l’atelier ou au bureau ou qui, en rebroussant chemin, investissent les restaurants, les brasseries, les bouillons, les cabarets et les troquets qui bordent les boulevards, une fois le soir venu. En revanche, le haut de la Butte, sur laquelle n’ont pas commencé les travaux de construction du Sacré-Cœur, édifié pour célébrer la défaite de la Commune et consacrer la victoire de la réaction, conserve encore un aspect presque champêtre et bucolique avec ses jardins clos et ses quasi-chaumières, et quand bien même nombre de familles très modestes, des déracinés de province ou d’un peu plus loin, se pressent, faute de pouvoir se payer autre chose, dans les taudis de ses ruelles tortueuses.
Hippolyte Bayard (1801-1887), Moulins à Montmartre (1839)
Vincent van Gogh (1853-1890), Jardins potagers à Montmartre : la Butte Montmartre (1887), Van Gogh Museum, Amsterdam
Montmartre, donc, est un Paris qui n’est pas encore tout à fait le Paris tel qu’on le connaît aujourd’hui, après les grands travaux « d’embellissement stratégique » pratiqués par le Baron Haussmann sous le Second-Empire consistant à « s’assurer contre l’éventualité d’une guerre civile [et] rendre impossible à tout jamais la construction de barricades dans les rues de Paris [5] ». « L’activité de Haussmann, comme l’écrit Walter Benjamin, s’incorpore à l’impérialisme napoléonien, qui favorise le capitalisme de la finance [et incarne l’]expression de sa haine des populations instables des grandes villes » qui lui rendent d’ailleurs la monnaie de sa pièce car le prolétariat, chassé vers les faubourgs, considère son œuvre comme un « monument du despotisme napoléonien [6] ». Si la Butte est ce Paris tel qu’il existait avant Haussmann et l’Empire, Montmartre, avec ses cabarets et ses souvenirs communards, est l’esprit de cette ville dont la population, comme le note Engels en 1848, « unit, comme jamais nul autre peuple, la passion de la jouissance à la passion de l’action historique [7] ». Montmartre, à la fin du XIX°, continue de présenter bien des traits de la physionomie de la capitale au tournant du siècle, au moment de la Révolution de 1848 : « Le Paris de cette époque est encore mal détaché de la campagne environnante (…) et de la vie paysanne. Malgré les chemins de fer, le bétail et les chevaux y abondent. Il y a encore (…) des écuries et des étables. Les échoppes artisanales, les petites boutiques, les marchands de vin pullulent. (…) De toutes parts, le long des routes, sur de lourds fardiers traînés par des percherons, affluent les tonneaux, les sacs de farine, les denrées [8] ». Ce portrait de la capitale au milieu du XIX° vaut encore pour la butte au moment où van Gogh y débarque, en mars 1886.
Le peintre, rue Lepic
Van Gogh arrive à l’improviste à Paris, au printemps 1886, chez son frère, Théo, galeriste à Montmartre. Vincent a déjà séjourné à Paris, entre octobre et décembre 1874 puis entre mai et décembre 1875, étant à l’époque lui-même employé chez Goupil, le marchand d’art, mais c’est son troisième séjour qui est, pour sa trajectoire et son parcours artistique, central. En 1886, van Gogh s’est pleinement lancé dans la peinture même si, à l’époque, et ce le sera le cas jusqu’à la fin de sa vie, c’est un illustre inconnu en dehors d’un petit cercle d’amis qui apprécient ses tableaux. Il vient d’ailleurs tout juste d’essuyer échec sur échec à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers qui lui refuse l’admission aux cours supérieurs. Van Gogh s’installe donc chez Théo, rue de Laval (actuellement Victor Massé), à proximité de la Place Pigalle, puis les deux frères déménagent, en juin, au 54 rue Lepic, sur les pentes de la butte. Le logement est plus grand et Vincent y dispose d’un atelier. Le rapport du peintre à son frère est orageux et son troisième séjour parisien, le plus long de tous, ne va pas durer deux ans. Il sera, néanmoins, extrêmement productif. Van Gogh quitte la capitale pour Arles, en février 1888, en laissant derrière lui une impressionnante quantité de toiles, plus de deux-cents au total, et davantage, encore, de dessins. Au contact de la capitale, au fil de ses rencontres avec des peintres avec lesquels il va se lier d’amitié (Paul Gauguin, Henri Toulouse-Lautrec, Paul Signac, Emile Bernard, Lucien Pissarro ou encore Louis Anquetin, pour la plupart très peu connus, au-delà de certains cercles) et de sa fréquentation de la bohème littéraire et politique du Nord parisien, van Gogh va métamorphoser son style, emprunter autant à l’impressionnisme qu’au pointillisme et éclaircir considérablement sa palette chromatique, jusqu’alors très sombre. Mais ce sont aussi et surement ses vagabondages dans la « bordure rouge de Paris [9] » qu’est Montmartre, dans les « rues qui escaladent la Butte, dans ce cénacle politico-littéraire qui s’appelle précisément, la Butte [10] », qui impriment à son œuvre les coloris qu’on lui connaît par la suite et font rentrer, dans trois de ses toiles, notamment, un motif communard sans équivoque.
En 1886-1888, van Gogh produit une somme impressionnante de natures mortes et de portraits ainsi que de vues des berges de la Seine, à Asnières et à Clichy, où il se rend avec Emile Bernard. Mais ce qui attire le peintre et ses pinceaux, au cours de son séjour parisien, c’est Montmartre. On retrouve ainsi dans ses œuvres montmartroises nombre de sujets qui sont déjà ou se transforment, progressivement, en figures obligées de la peinture parisienne de l’époque et des décennies postérieures. Van Gogh peint ainsi de sa chambre les toits zingués de Paris, succession infinie de modestes logements et de chambres mansardées.
Vincent van Gogh, Vue de Paris de la chambre de Vincent rue Lepic (1887), Van Gogh Museum, Amsterdam
Il parcourt également la butte dont il représente non seulement ses jardins ouvriers mais aussi ses modestes habitations qui ne sont pas sans rappeler les masures des familles de paysans pauvres de la région de Nuenen, en Hollande, dans le Brabant, qu’il avait fréquentées et peintes, entre 1884 et 1885. On ne peut s’empêcher de penser, également, aux logements des mineurs du Borinage, en Belgique, auprès desquels il a officié en tant que pasteur ouvrier, entre 1878 et 1880, suscitant la réprobation des autorités religieuses locales et du patronat des charbonnages, maître absolu autant des mines que des mineurs qui y sont exploités. Mais van Gogh peint également les troquets et les cabarets de la butte et de ses environs. Ce sont autant des lieux de sociabilité que des ateliers de travail, pour les artistes : on y boit, on y mange, on y fume, on y croise de possibles modèles, on y croque et on y montre ses œuvres, également. C’est ainsi au Café Au Tambourin, tenu par Agostina Segatori, amie de Van Gogh, que le peintre organise la première exposition de ceux qui ont pris le nom, informellement, de « Groupe du Petit Boulevard » (Clichy), à savoir Gauguin, Bernard, Toulouse-Lautrec, Pissarro (fils) et Anquetin, par opposition au « Groupe du Grand Boulevard » (Montmartre), en contrebas, plus côté et fréquenté par leurs aînés comme Degas, Pissarro (père) ou Renoir, dont la renommée est déjà bien installée.
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Portrait de Vincent van Gogh [devant un verre d’absinthe, au café Au Tambourin] (1887), Van Gogh Museum, Amsterdam
Mais la butte offre également une multitude de troquets qui disposent d’extérieurs sous tonnelles et de vastes espaces qui sont transformés en salles de bal, en fin de semaine. C’est le cas de plusieurs « moulins », installés sur les hauteurs Nord de la capitale au cours des siècles antérieurs et dont les activités ne sont plus rentables, ayant été supplantés par les gros minotiers industriels. Le plus connu d’entre eux est, sans conteste, le Moulin de la Galette qui est le sujet de l’un des tableaux les plus célèbres de Renoir, le Bal au Moulin de la Galette, de 1876, œuvre paradigmatique, s’il en est, de l’impressionnisme.
Auguste Renoir (1841-1919), Bal au Moulin de la Galette, Musée d’Orsay, Paris.
Van Gogh s’intéresse lui aussi à ces moulins dont les hautes silhouettes vont créneler plusieurs de ses vues. A la différence de Renoir ou, par la suite, de Kees van Dongen, qui présente dans son Moulin de la Galette ou la Matchiche (1904) une vision plus canaille et moins bon-enfant du bal dominical que chez le peintre impressionniste, Van Gogh ne représentent pas les bistrots champêtres de l’intérieur, mais de l’extérieur ou alors, comme nous le disions, leurs profils lointains pourvus de quatre ailes. Le plus souvent, et suivant les usages de l’époque sur lesquels nous reviendrons, à Montmartre, sur la butte, comme à Asnières, sur les bords de Seine, les façades des cabarets sont pavoisés aux couleurs de la République ou surmontés de drapeaux et fanions tricolores.
Vincent van Gogh, Le moulin de Blute-fin (1886), Museum de Fondatie, Zwolle
Vincent van Gogh, Jardins potagers à Montmartre : la Butte Montmartre [avec au second plan, à droite, la terrasse d’observation du Moulin Blute-fin/de la Galette] (1887), Van Gogh Museum, Amsterdam
Cependant, dans cette série de toiles où figurent des moulins montmartrois, une grosse douzaine au total, trois sont absolument saisissantes. La plupart du temps, les moulins, dont le Moulin de la Galette [11] ainsi que la terrasse d’observation à partir de laquelle on peut admirer tout Paris, sont surmontés de drapeaux tricolores, que van Gogh transpose dans ses toiles. Dans trois cas, cependant, et sans laisser aucune place au doute, la palette du peintre se chromatise de façon homogène et c’est d’un drapeau rouge écarlate qui apparaît et vient les coiffer. Si dans Le Moulin de la Galette(1886), aujourd’hui exposé au Kröller-Müller Museum d’Otterlo, on peut à la limite accepter qu’un blanc cassé, de la bande centrale est encore visible, se confondant avec la hampe du drapeau, alors que la bande bleue, elle, a disparu et que la bande rouge, externe, quant à elle, apparaît distinctement et presqu’exclusivement, au point de masquer les deux premières [12], ce n’est plus le cas dans Le Moulin de la Galette (1886) ni dans Scène de rue à Montmartre (1887), une toile qui avait disparu de la circulation depuis les années 1920 et qui a récemment été authentifiée par les experts du Musée van Gogh d’ Amsterdam [13]. Dans les deux cas, le moulin est couronné d’un drapeau rouge qui n’a pas l’air d’inquiéter, outre mesure, le jardinier du dimanche qui bèche à ses pieds ou le couple et les enfants qui se promènent à côté [14].
Vincent van Gogh, Le Moulin de la Galette, 1886, Kröller-Müller Museum, Otterlo
Vincent van Gogh, Le Moulin de la Galette (1886), collection particulière
Vincent van Gogh, Scène de rue à Montmartre (1887), collection particulière
Cette apparition soudaine du drapeau rouge qui surmonte le Moulin de la Galette et qui, par contrecoup, fait disparaître le tricolore, n’est ni le fruit du hasard, ni celui d’un simple caprice chromatique. En reprenant à son compte et en réinterprétant l’impressionnisme et le pointillisme, Van Gogh transpose dans ses toiles la réalité qu’il peint en la transfigurant à partir de sa propre palette de couleurs. Et quand bien même il interprète cette réalité montmartroise sans vouloir la « représenter fidèlement » comme le préconise la peinture réaliste d’un Courbet qu’il admire profondément, rarement, cependant, il choisit de la travestir complètement. Cette éclosion abrupte du rouge qui surmonte le faîte des moulins relève donc d’un choix conscient du peintre qui tient autant du lieu qu’il décide de représenter, le Moulin de la Galette et de son environnement montmartrois, que de son histoire immédiate, communarde.
Le Moulin de la Galette, cabaret politique et place-forte communarde
A l’instar d’autres cabarets de l’arrondissement, le Moulin de la Galette n’est pas un simple « bastringue de barrière » pour reprendre l’expression consacrée par Zola dans l’un de ses deux romans du Nord parisien, Nana. Ou, plutôt, on y glorifie la barrière, symbole de ces quartiers périphériques situés au-delà du Mur des fermiers généraux qui enclot Paris jusqu’à 1860 et on la revendique avec fierté au nom de la barricade [15]. A la fin du Second Empire et pendant le siège de la capitale, avant la Commune, c’est un lieu de réunions politiques à l’image d’autres établissements du même type du Nord parisien, récemment annexé à la capitale, comme la Boule Noire, l’Elysée Montmartre ou le Bal de la Reine Blanche, à l’emplacement duquel sera édifié et inauguré, en 1889, le Bal du Moulin Rouge. C’est ce foisonnement politique dans des bistrots où l’on trinque, où l’on discute entre militants et habitants du quartier et où l’on s’organise qui décide le gouvernement de Défense nationale de décréter leur fermeture, le 22 janvier 1871, « à la suite d’excitations criminelles dont certains clubs [sont] le foyer [et invitant à] la guerre civile (…) par quelques agitateurs [16] ». Les femmes et les hommes qui s’y réunissent sont plus nombreux que ne le prétendent le général Trochu et son ministre Jules Ferry, et cette décision ne va pas sans contribuer à attiser davantage l’esprit de révolte qui souffle dans la capitale à l’hiver 1871.
Les hauteurs de la butte et le Moulin de la Galette, notamment, représentent un point névralgique de la défense de la capitale. Cela a déjà été le cas au moment de la chute du Premier Empire, lors la bataille de Paris, face aux coalisés, dernier acte de la campagne de France, en mars 1814. En 1870 et 1871, c’est à nouveau le cas pour les Gardes nationaux et les Communards, au cours du siège et tout au long de la Commune, contre les Prussiens puis contre les Versaillais. C’est en effet sur quelques-uns des promontoires montmartrois qui surplombent la capitale, le Champ des Polonais (à l’emplacement actuel du parvis du Sacré Cœur), la Tour Solferino (guinguette pourvue d’une tour, construite en haut de l’actuelle rue du Chevalier de la Barre, et démolie en 1874 ) et le Moulin de la Galette que se situent les postes d’observation des Fédérés [17]. C’est là également qu’est entreposée une partie du parc d’artillerie de la Garde nationale. Comme le souligne Lefebvre, « si le peuple a poussé vers les hauteurs l’artillerie de la garde, c’est d’instinct. Les collines sont faciles à fortifier et à défendre. Et ce sont de hauts lieux, dignes de ces canons qui appartiennent au peuple armé. Lorsqu’il fallut mater Paris, le canon – depuis Bonaparte – a tonné dans la capitale. Maintenant, le peuple détient cet instrument terrible de la puissance [18] ». C’est donc au niveau du Moulin de la Galette que tout bascule, le 18 mars 1871. C’est en effet pour toutes ces raisons que se porte vers Montmartre la majeure partie des troupes envoyées par Adolphe Thiers pour reprendre au peuple et à la Garde national son armement dans le cadre de l’opération militaro-policière du 18 mars, à l’aube. L’opération, on le sait, va tourner au fiasco pour le gouvernement réactionnaire et ouvrir la période brève et intense des 72 jours de la Commune.
Ainsi, vers 4h du matin, le Moulin de la Galette et la Tour Solferino, lieu stratégique tout à la fois pour surveiller les mouvements de troupes prussiens au Nord de la capitale et pour observer Paris, sont pris par surprise ou, plutôt, par traîtrise, à la suite d’un faux ordre d’évacuation qui est signé par le maire de l’arrondissement, Georges Clémenceau. Turpin, le fédéré qui se trouve en faction à la Tour de Solferino, est immédiatement abattu par les gendarmes. C’est notre premier martyr communard et c’est ainsi que les Versaillais inaugurent leurs exactions bien avant que ne commence la Semaine Sanglante [19]. On arrache immédiatement des toits de la Tour et du Moulin les drapeaux rouges et on commence à atteler les pièces d’artillerie pour les ramener dans Paris, en lieu sûr. Rapidement, cependant, la situation bascule et les militaires perdent pied. De petits groupes d’habitants du quartier, principalement des femmes et des enfants, les aînés voire ceux-là même dont van Gogh représente les silhouettes dans ses tableaux montmartrois, une quinzaine d’années plus tard, défient avec bravoure les galonnés de l’armée régulière qui ont pour instruction de faire feu sur la foule en cas de débordements. Ces Montmartroises et leurs gavroches vont donc au contact des soldats et les appellent à désobéir aux ordres. Bientôt, un groupe de 300 Gardes nationaux du XVIII°, rameutés par le tocsin, arrive par la rue Doudeauville et fait irruption devant le Moulin de la Galette. Il est conduit par un officier fédéré, Elie Pigerre, élu par ses hommes, comme cela est d’usage. A la vue des Gardes nationaux, la troupe tourne le dos à ses officiers, refuse de tirer, met crosse en l’air et fraternise. Si « Pigerre et son détachement avaient commencé le mouvement, déterminé la première défection dans la ligne, repris les canons, désarmé des gendarmes et un bataillon entier du 88e [20] », la foule, émeutière, fait le reste. Comme le rappelle Lissagaray, c’est elle qui « a arrêté les chevaux, coupé les traits [des attelages], pénétré les soldats et ramené à bras les canons sur les buttes (...).Intimidés par les appels des femmes, les chasseurs poussent leurs chevaux à reculons et font rire. (…) A onze heures, le peuple a vaincu l’agression sur tous les points, conservé presque tous ses canons (…), gagné des milliers de fusils. Les bataillons fédérés sont debout ; les faubourgs se dépavent [21] ». Immédiatement, le drapeau rouge est hissé à nouveau sur la Tour Solferino et le Moulin de la Galette. Il y restera jusqu’au 23 mai, lors de la prise de Montmartre par les Versaillais, déterminante pour le sort de la Commune qui finit d’agoniser au Père Lachaise, cinq jours plus tard, lors des derniers combats.
Ainsi, comme le souligne très justement Chevalier, et cela vaut pour le 18 mars autant que pour la séquence qui suit cette journée emblématique, c’est dans les « établissements les plus courus [de la capitale] que se passent quelques-uns des événements [les plus importants de la Commune]. Les décors de fête (…) deviennent des décors d’histoire [22] ». Avec van Gogh, le cabaret qui, quinze ans après la défaite de la Commune, est redevenu un décor de fête, retrouve sa dimension historique, non plus de façon souterraine mais aérienne et explicite, avec ses drapeaux rouges claquant au vent. C’est toute une histoire, écrasée par la Troisième République, consolidée sur les ruines de la Commune et sur le sang des Fédérés que le peintre fait passer en contrebande, dans ses toiles montmartroises éclaboussées du drapeau communard.
Drapeaux et programmes écarlates
La question va bien entendu au-delà d’un simple choix de couleurs et la tâche rouge qui apparaît dans la palette de Van Gogh revêt, en 1886, une importance singulière. Le drapeau rouge, adopté par Paris au printemps 1871 comme symbole de la « République universelle » ou « République du travail » est consubstantiel de la capitale sous la Commune, y compris au cours de sa phase préparatoire. Qu’elle est lointaine cette révolution de février 1848, qu’ont connue certains vétérans de lutte contre le Second Empire, lorsque républicains socialistes et bourgeois débattaient encore, au lendemain du renversement de la Monarchie de Juillet, qui du drapeau rouge ou du tricolore était le mieux censé incarner les valeurs de la République. Comme le rappelle Daniel Bensaïd dans sa préface à Souvenirs d’un révolutionnaire de juin 1848 à la Commune de Gustave Lefrançais, « après juin 1848, il n’y a plus une République, mais deux, irréconciliables, la bleue et la rouge, la bourgeoise et la sociale [23] ».
Henri-Félix Philippoteaux (1801-1884), Lamartine refusant le drapeau rouge devant l’Hôtel-de-Ville le 25 février 1848 (1848 circa), Petit Palais, Paris
En 1870, avec l’abdication de Napoléon III et la proclamation de la République, puis en 1871, l’omniprésence du rouge, promesse d’avenir, succède aux tristes couleurs de la guerre, perdue, ainsi qu’à celle de l’hiver et du siège subis par les Parisiens. Il supplante le tricolore, qui était celui des républicains bourgeois qui ont écrasé dans le sang les ouvriers en juin 1848, celui du Second Empire, honni par le peuple de la capitale et pourtant repris, en septembre 1870, par ce gouvernement de Défense nationale qui porte bien mal son nom et que les Parisiens méprisent [24]. Ainsi, le 1er mars 1871, en vertu de l’armistice signé avec Bismarck le 28 janvier et rejeté par les Parisiens, les troupes prussiennes font une brève incursion dans l’Ouest de la capitale. C’est la raison pour laquelle la Garde nationale et les Comités républicains décident de finir de déplacer les pièces d’artillerie qui auraient pu être saisies et qui n’avaient pas encore été mises en sureté sur les hauteurs de Paris. Dans l’idée, propre aux néo-jacobins, d’articuler patriotisme populaire et opposition au gouvernement, Edouard Vaillant, l’une des figures de proue, à l’époque, du blanquisme, et futur membre de la Commune, propose aux Parisiens de suspendre des drapeaux noirs à leurs fenêtres en signe de deuil. A l’inverse, dans une perspective internationaliste, Léo Frankel, militant de l’Association internationale des travailleurs, emblématique délégué au Travail de la Commune quelques semaines plus tard propose d’ajouter « des drapeaux rouges sur lesquels seraient inscrits les noms des démocrates [et socialistes] allemands tels que Liebknecht, Jacoby, etc. [emprisonnés dans les geôles prussiennes pour avoir refusé, dans le cas de Liebknecht et August Bebel, de voter la prolongation des crédits de guerre et s’être opposés à l’annexion des territoires de l’Est] avec le titre de République universelle [25] ». Le ton de la période est donné. Le rouge, par la suite, va envahir l’espace et les imaginaires, tant communards qu’anti-communards.
Le 18 mars, déjà, il flotte sur la colonne Bastille, érigé à la mémoire des martyrs de la Révolution de 1830 et que les troupes qui investissent le quartier aux ordres du général Faron ont ordre d’arracher. A l’image de ce qu’il se passe à Montmartre et au Moulin de la Galette ce matin-là, les Versaillais sont contraints de faire marche arrière en ordre dispersé et le drapeau rouge est bientôt remis en place. Il apparaît également aux façades de l’ensemble des bâtiments pris par les fédérés mais également sur les barricades, aux fenêtres des maisons et il est adopté par les régiments de la Garde nationale qui délaissent le drapeau tricolore. Sa consécration advient le 26 mars, lors de l’annonce des résultats du scrutin municipal organisé deux jours auparavant. Pendant la grande fête qui est organisée sur le parvis de l’Hôtel-de-Ville au cours de laquelle la Commune est proclamée, c’est le rouge qui sature l’espace narratif de l’ensemble des témoignages qui nous ont été légués par les Communards. Nous en citerons trois, parmi les plus représentatifs.
Devant une foule immense, se rappelle Lissagaray, « les bataillons, tambour battant, le drapeau surmonté du bonnet phrygien, la frange rouge au fusil, grossis de lignards, artilleurs et marins fidèles à Paris, descendirent par toutes les rues sur la place de Grève, comme les affluents d’un fleuve gigantesque. Au milieu de l’Hôtel-de-Ville, contre la porte centrale, une grande estrade est dressée. Le buste de la République, l’écharpe rouge en sautoir, rayonnant de rouges faisceaux, plane et protège. D’immenses banderoles au fronton, au beffroi, claquent, pour envoyer le salut à la France. (…) Les drapeaux groupés devant l’estrade, la plupart rouges, quelques-uns tricolores, tous cravatés de rouge, symbolisent tous l’avènement du peuple [26] ». Le rouge, également, prévaut chez Louise Michel, qui insiste, quant à elle, sur la présence du XVIII° populaire, où elle milite activement : « La proclamation de la Commune fut splendide (…). Un océan humain sous les armes, les baïonnettes pressées comme les épis d’un champ, les cuivres déchirant l’air, les tambours battant sourdement et entre tous l’inimitable frappement des deux grands tambours de Montmartre, ceux qui la nuit de l’entrée des Prussiens et le matin du 18 mars, éveillaient Paris, de leurs baguettes spectrales, leurs poignets d’acier éveillaient des sonorités étranges. Cette fois les tocsins étaient muets. Le grondement lourd des canons, à intervalles réguliers, saluait la révolution. Et aussi les baïonnettes s’inclinaient devant les drapeaux rouges qui par faisceaux entouraient le buste de la République. Au sommet, un immense drapeau rouge. Les bataillons de Montmartre, Belleville, La Chapelle, ont leurs drapeaux surmontés du bonnet phrygien ; on dirait les sections de 93. (…) Paris entier est debout, le canon tonne par intervalles. Sur une estrade est le comité central ; devant eux, la Commune, tous avec l’écharpe rouge. Pas de discours, un immense cri, un seul : "Vive la Commune !" [27] ». Gustave Lefrançais est moins orchestral et davantage dans la retenue, presque trop lapidaire, lorsqu’il se souvient du 28 mars 1871. Il évoque dans ses mémoires l’esprit de la journée en quelques mots mais il ne peut passer sous silence le symbole du peuple en armes, les baïonnettes, et ses couleurs : « La place, la rue de Rivoli, les quais sont couverts de gardes nationaux fédérés, dont les baïonnettes sont ornées d’un petit ruban écarlate qui leur donne un aspect indéfinissable et des plus saisissants. Grande et belle journée pour notre histoire révolutionnaire ! [28] »
Musique et chants, scénographie et drapeaux revêtent une signification dont la portée dépasse la seule symbolique révolutionnaire. Comme le souligne quelques années après les événements Arthur Arnould, militant communard, dans son Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, publiée en 1878, « la Commune de Paris fut PLUS et AUTRE CHOSE qu’un soulèvement. Elle fut l’avènement d’un principe, l’affirmation d’une politique. En un mot, elle ne fut pas seulement une révolution de plus, elle fut une révolution nouvelle, portant dans les plis de son drapeau tout un programme original et caractéristique [29] » : démocratie par en bas, liquidation de l’armée et de la police, armement de la population, séparation de l’Eglise et de l’Etat, institution d’un enseignement d’un nouveau type, laïque et gratuit pour tous les enfants, à des années lumières de ce que fera par la suite l’école-caserne de Jules ferry, protection des locataires, mise en place d’une première armature de droits sociaux et, bien entendu, adoption du drapeau rouge. Pour le dire avec Engels, il ne s’agit ni plus, ni moins, de la première expérience vivante de la dictature du prolétariat [30].
Dans la Commune, c’est autant l’événement, insurrectionnel, qui fait prévaloir la légitimité des intérêts populaires sur la légalité républicaine, que son programme et, bien sûr, le drapeau qui le symbolise, que la bourgeoisie vomit. D’où, également, l’audace de van Gogh de le faire réapparaître au détour d’un coup de pinceau qui vaut pour coup de baïonnette, a posteriori, contre une bourgeoisie dont le peintre déteste l’hypocrisie et la veulerie autant que les Communards qui l’ont précédé, rue Lepic. Ou, toujours en suivant Chevalier, qui s’intéresse aux crimes dont la Butte est le théâtre, mais en l’appliquant ici au « crime contre l’académisme » et l’esthétique bourgeoise que Van Gogh commet à travers ses toiles, « que de faits divers (…) de Montmartre jusqu’à la guerre de 14 seront marqués au rouge de la Commune ou prétendront l’être et s’en affubleront [31] ». Van Gogh est trop entier pour s’affubler de quoi que ce soit mais on peut penser qu’il laisse au spectateur le loisir de voir dans ses drapeaux rouges un règlement de compte avec les classes dominantes et un hommage aux Communards et à leur combat qui, dans un sens, est le sien également. C’est sa revanche picturale et chromatique, nous y reviendrons. Il ne peut que s’imprégner des couleurs d’un quartier qui avec la Commune mais également après les événements, ce sur quoi insiste fortement Chevalier, « "porte le deuil en rouge". Et il se marie en rouge. Et il fait la fête en rouge. Qu’il règle ses comptes ou qu’il boive un coup, pas d’hésitation, le rouge. [C’est] la couleur de son drapeau, des balles ou des cerises, celle de la Butte transformée en abattoir [32] ».
Réaction tricolore
La réaction à la Commune de la part de la bourgeoisie et de ses représentants, autant monarchistes et bonapartistes, emmenés par MacMahon, que républicains conservateurs et libéraux, par la suite, s’opère à plusieurs niveaux. L’un d’entre eux, qui n’est pas uniquement symbolique, se traduit par une obsession pour le drapeau national, restauré à tous les échelons de la société et qui va de pair avec une interdiction de tout ce qui peut rappeler, de près ou de loin, la Commune et son étendard. Cette restauration tricolore s’opère au lendemain même de la Semaine sanglante, alors que les ratissages se poursuivent pour traquer les survivants et qu’une paire de godillots de garde mobile ou la présence d’un pantalon de Garde national chez quelqu’un peut signifier, séance tenante, le peloton d’exécution. Selon Zola, qui rentre dans Paris dans les fourgons versaillais et couvre le massacre, qu’il salue, pour des journaux réactionnaires de province, « quand le drapeau tricolore, vers trois heures, [le 23 mai] a été arboré sur le Moulin de la Galette, le quartier a poussé un soupir de soulagement. Voilà donc ce terrible berceau de l’émeute, [Montmartre], au pouvoir de nos soldats. C’est là un résultat excellent, qui coupe la guerre civile dans ses racines mêmes. Je vous avoue que j’ai été ravi (…). On isolait les farouches, on les enfermait dans une souricière, dont pas un maintenant ne sortira que mort ou prisonnier [33] ». Les maisons d’édition offrent, dans la foulée de la Commune, une moisson d’ouvrages au sein de laquelle les auteurs, réactionnaires de la pire espèce, témoins oculaires de la Commune ou se présentant comme tels, font dans la surenchère. Leur trait commun est la façon dont, eux aussi, sont travaillé par une obsession du « rouge », non seulement du communeux ou de la communarde, mais avant tout de la couleur même. Nous ne citerons que deux exemples, moins connus, parmi tant d’autres.
On songera, ainsi, à Paul de Saint-Victor, critique littéraire et publiciste de seconde zone, créature de l’Empire et ami des Goncourt, absolument oublié aujourd’hui mais jouissant d’un certain prestige, à l’époque. Il n’a pas de mots assez durs contre ces Communards qui se recrutent « dans un milieu entre la bohème et le bagne : émeutiers de profession, assassins de fraiche date, journalistes tarés, ruffians des faubourgs, aboyeurs de clubs, ouvriers de grève [34] ». Dans ce portrait collectif qu’il propose dans l’avant-dernier chapitre de son Barbares et bandits : la Prusse et la Commune, intitulé « l’orgie rouge », Saint-Victor oublie les peintres ratés mais malgré tout, il décrit bien, à sa manière, tous ceux que van Gogh fréquentera, plus tard, au comptoir ou aux tables du cabaret Au Tambourin, où il a ses habitudes. On pensera également au grand final du Carnaval rouge, d’Edgar Rodrigues : « La dernière convulsion de la résistance, écrit-il, s’éteignit au Père Lachaise. C’était là que (…) ces insensés se réfugièrent, dressant encore à la vue de Paris en flammes, cette sinistre loque rouge dont ils avaient fait leur drapeau. (…) Et le Paris intelligent, le Paris honnête et travailleur, poussa un long soupir de délivrance ! [35] ». Et Zola de poursuivre, le 31 mai, rempli d’allégresse par cette Semaine sanglante censée apprendre aux générations à venir « le respect de la liberté et de l’ordre [36] » : « Il a poussé sur les pavés de Paris une nouvelle industrie que je vous veux vous signaler en terminant. Comme pour protester contre les loques rouges de la Commune, tous les habitants ont mis à leurs fenêtres des drapeaux tricolores. Immédiatement, des marchands de drapeaux se sont installés le long des trottoirs, avec ce flair du petit commerce parisien qui profite merveilleusement de toutes les émotions de la grande ville. Ce ne sont que drapeaux, qu’étendards, qu’oriflammes. On se croirait dans une foire triomphale. Et il n’y a pas une maison qui ne soit couverte, du haut jusqu’au bas, des trois couleurs. J’ai vu deux petits enfants de quatre ans qui promenaient dans une rue des drapeaux plus grands qu’eux [37] ». Zola rassure le lectorat conservateur et apeuré des journaux pour lesquels il écrit sur commande mais anticipe, ce faisant, une tendance qui s’installe solidement. Cette névrose tricolore post-communarde se traduit en effet également, et durablement, dans le champ artistique et l’avant-garde picturale n’y échappe pas.
Claude Monet (1840-1926), La Rue Montorgueil (1878), Musée d’Orsay, Paris.
On songera ainsi à La Rue Montorgueil, toile jumelle de La Rue Saint-Denis, de Claude Monet, tour-de-force impressionniste. Dans ces deux tableaux exécutés la même année, à l’été 1878, en « vues plongeantes », comme le font, à l’époque, Caillebotte et Pissaro. Monet représente un déluge de cocardes et de drapeaux bleu-blanc-rouge suspendus aux croisées des fenêtres à l’occasion de la fête nationale, de la « paix et du travail », décrétée ce 30 juin 1878, et qui coïncide avec la troisième Exposition universelle parisienne. Ce n’est que deux ans plus tard que le 14 juillet sera définitivement consacré comme fête nationale, expression d’un renversement du rapport de force au sein du régime né sur les décombres de la Commune en faveur des républicains à la Ferry et Gambetta contre la droite réactionnaire qui refusait jusqu’alors que la prise de la Bastille devienne la pierre de touche de l’histoire nationale. Tous, en revanche, se rejoignent dans leur vomissement du drapeau rouge et de toute mémoire de la Commune qu’il faut ensevelir sous les plis du drapeau tricolore. Ce drapeau incarne, lui aussi, tout un programme, symbolise la haine de l’Allemagne et l’obsession de la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine, perdues en 1870, autant de « valeurs » que l’on inculque aux enfants, dès leur plus jeune âge et qui sert de ciment patriotard distillé à l’école, dans la presse et dans la société en général, à mille lieues, donc, du discours émancipateur et anti-nationaliste de la Commune. Comme le soutient Kristin Ross, « le massacre des Communard (…) devait non seulement marquer le début de la Troisième République, mais contribuer à la consolidation de la nation française elle-même » à un moment, rappelle-telle, où « une personne sur deux [résidant dans l’Hexagone] maîtrisait le français ». Ainsi, « L’"altérisation" à laquelle procédèrent les Versaillais, leur perception des Communards, ou leur besoin de les percevoir comme "moins français" (il était ensuite plus facile de les tuer) relevaient en ce sens de la tendance historique des classes dominantes au racisme de classe, par lequel des ouvriers sont considérés, de fait, comme des étrangers à la nation [38] ». En ce sens, l’insistance et la présence post-communarde du bleu-blanc-rouge sert ce même discours et à la tentative d’intégrer au pays bourgeois et à son idéologie dominante ces « classes laborieuses, classes dangereuses », pour reprendre l’expression consacrée par Chevalier, dont les fractions les plus avancées avaient embrassé le drapeau rouge comme leur symbole et programme au cours de la dernière tentative en date de transformation révolutionnaire de l’ordre établi.
Vincent van Gogh, Scène de rue à Montmartre. Le Moulin à Poivre (1887), Van Gogh Museum, Amsterdam
La pratique, au niveau pictural, est extrêmement diffuse. Sans céder à aucun zèle tricolore, van Gogh reproduit d’ailleurs, dans certains de ses tableaux parisiens, ces drapeaux bleu-blanc-rouge qui sont suspendus aux façades ou qui surmontent les toits. C’est ce dont atteste, par exemple, sa façade du Restaurant de la Sirène, à Asnières, toile peinte à l’été 1887, ou encore sa Scène de rue à Montmartre. Le Moulin à poivre, du printemps 1887, reproduit supra, qui reprend tous les éléments scéniques de l’autre Scène de rue à Montmartre, « redécouvert » récemment, à quelques différences près, de taille, à commencer par cette présence presque surjouée de fanions tricolores alors que dans l’autre toile, le Moulin de la Galette est un protagoniste à part entière, principal, presque, et qu’il est, bien entendu, coiffé d’un drapeau rouge. Cela ne rend que plus audacieuse et subversive l’apparition intempestive du drapeau rouge dans les trois tableaux mentionnés plus haut, symbole de retournement historique et d’irruption d’une mémoire alternative au récit national que la République, dans les années 1880, tente d’imposer. « Les transformations physiques de Paris peuvent se lire comme une lutte incessante entre l’esprit du lieu et l’esprit du temps [39] », souligne Eric Hazan en ouverture de Paris sous tension. A rebours de « l’esprit du temps », de la modernité haussmannienne léguée par l’Empire et du républicanisme né de la Semaine sanglante, van Gogh reste fidèle à « l’esprit du lieu » montmartrois et du temps qui fut, cette autre modernité, « celle [de] la République moderne, [à savoir] la sociale, qui n’a rien de commun avec les anciennes républiques à esclaves (…). Le grand honneur de la Commune de Paris de 1871, c’est de l’avoir compris », écrit Lefrançais. Et celui de van Gogh, de continuer à le faire vivre quinze ans après.
Aux origines du rouge chez van Gogh
La question des origines de ces drapeaux rouges dans les toiles montmartroises de Van Gogh ainsi que de leur matrice politique reste néanmoins entière. Ils ne relèvent pas de la coïncidence ou d’une simple tocade d’un artiste souvent présenté, dans certaines biographies, comme un « fou » davantage que comme un incompris de la société et réfractaire à ses codes. Comme nous le disions plus haut, et cela vaut également pour Rimbaud sur l’œuvre de qui la Commune et les Communards ont une influence décisive, ce type de lecture offre l’avantage de présenter la peinture de van Gogh comme l’œuvre visionnaire d’un artiste qui révolutionne, durablement, les codes esthétiques de l’époque tout en passant sous silence, voire en expulsant de sa vision picturale, toute trace de critique radicale de l’ordre établi. Ce serait, en revanche, forcer l’histoire ainsi que la trajectoire artistique de van Gogh et aplatir son œuvre à une banale critique sociale que de justifier la présence de drapeaux rouges dans ses œuvres montmartroises en le réduisant au rôle de peintre populiste. Cela ne veut pas dire, néanmoins, qu’il faille retrancher de la vie du peintre toute une dimension politique, extrêmement radicale, et un parti-pris, tout aussi exigeant, pour ses contemporains les plus humbles. Il est frappant, en ce sens, de constater la permanence, y compris formelle, de thématiques ouvrières, critique de l’ordre usinier, que l’on retrouve dans certaines de ses premières œuvres, à l’instar de Mine de charbon dans le Borinage (1876), aquarelle qui remonte à l’époque de sa pastorale ouvrière auprès des mineurs de charbon belges, et ses Usines à Clichy (1887), peinture à l’huile d’un tout autre style qui date de ses escapades à Asnières et sur les bords de la Seine en compagnie d’Emile Bernard, pendant son séjour parisien.
Vincent van Gogh, Usines à Clichy (1887), Saint Louis Art Museum
Vincent van Gogh, Mine de charbon dans le Borinage (1879), Van Gogh Museum, Amsterdam
Cependant, la présence de drapeaux rouges sur le Moulin de la Galette représente un degré ultérieur d’abstraction et de radicalité qui dépasse sa volonté, manifeste, de rendre hommage au monde du travail. C’est une trace picturale, qu’on ne retrouve pas dans son abondante correspondance, de son attachement à la Commune, à son histoire et à son actualité, malgré la quinzaine d’années qui sépare ses toiles montmartroises de la défaite des Fédérés [40].
Le récit de la Commune, non pas du point de vue des vainqueurs, mais des vaincus, van Gogh l’a probablement reçu, en héritage, à partir d’une multiplicité d’influences. Sa présence, à Montmartre, pendant près de deux ans, lors de son troisième séjour parisien, ses vagabondages sur la butte et sur les boulevards, chevalet à l’épaule, lui ont très probablement permis d’entendre et de vibrer aux témoignages de ceux que Lucien Descaves consacrera dans son ouvrage éponyme de 1913 comme « les vieux de la vieille » [41], ces hommes et femmes vétérans de l’insurrection parisienne qui avaient survécu à la répression. Au moment où van Gogh arrive à Paris pour la troisième fois, un peu moins de six ans après le vote de l’amnistie pour les Communards, la capitale est le lieu de retrouvailles des proscrits de la Commune lorsqu’ils rentrent d’exil, de la prison ou du bagne. En dépit de la surveillance policière dont ils font souvent l’objet, ils se mêlent aux plus jeunes, ouvriers et ouvrières, artistes et bohèmes, qui n’ont pas connu l’insurrection mais à qui le récit versaillais ne convient pas. Nombre de ces proscrits choisissent de revenir à Montmartre, sur « les lieux du crime », au moment de leur retour. On songera ainsi à Louise Michel, icône communarde s’il en est, qui s’installe au 36 rue Polonceau, à la Goutte d’Or, à Eugène Pottier, qui regagne son domicile, dans le même quartier, au 2, rue de Chartres [42], ou encore à Maxime Lisbonne qui ouvre la même année où Segatori inaugure le cabaret Au Tambourin, La Taverne du bagne, avenue de Clichy, également. Les deux troquets offrent de nombreuses similarités. Celui de Segatori, que Van Gogh « décora gratis entièrement [43] », selon Gauguin, et où sont suspendus des tambourins que chaque peintre, habitué du lieu, est invité à décorer, est un « restaurant populaire de l’avenue de Clichy dont Vincent avait conquis le patron [la patronne, en réalité] et qu’il avait transformé en exposition de nos tableaux [celle du groupe dit du Petit Boulevard, à laquelle nous avons déjà fait allusion]. Par malheur, poursuit Emile Bernard, cette exhibition socialiste de nos toiles incendiaires se termina assez piteusement [44] ». La taverne du Bagne, située un peu plus loin, au niveau de la barrière Poissonnière, à l’angle de la rue des Martyrs, est « une longue salle, éclairée par des quinquets à l’huile, et garnie de tableaux [là encore] qui représentaient la vie de bagnard des plus célèbres Communards. (…) Lisbonne [publiciste, chansonnier, chef de la X° Légion fédérée, condamnée à la déportation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie où il passe huit années de réclusion], animateur infatigable, chantait ou invectivait les consommateurs (…) [45] ». On voit bien comment l’espace de sociabilité, diurne et noctambule, de Van Gogh, dans ce Montmartre dont les 72 jours de l’insurrection parisienne est « le baptême sanglant du peuple [46] » de l’arrondissement, ne peut qu’imprégner le peintre.
Cela ne fait que renforcer l’importance que représente, chez les van Gogh et pour Vincent en particulier, le déménagement de la rue de Laval, où il arrive au printemps 1886, située sur le flanc Sud de l’avenue de Clichy et qui qui offre, selon Chevalier, avec « l’avenue Trudaine, (…) un décor harmonieux, abrité, un pétillement de l’esprit », à la rue Lepic, en juin, où il, résidera jusqu’en février 1888. La zone, alors, est beaucoup moins fréquentée par les bourgeois qui habitent encore en contrebas de la Butte et n’est jamais « qu’un vulgaire coin de barrière, avec les mauvais souvenirs de la Commune, par-dessus le marché [47] ». On n’oubliera pas en effet que c’est en contrebas de la rue Lepic, à quelques encablures du logement qu’il partage avec son frère, qu’a été dressée l’une des barricades les plus paradigmatiques de la résistance parisienne, celle de la « barrière Blanche », aujourd’hui Place Blanche, au cours du printemps 1871. C’est là, en effet, que le 23 mai, « un bataillon de femmes, cent vingt environ [48] », défend l’un des principaux points d’accès à la butte. Lorsque les forces versaillaises arrivent, se rappelle le poète communard Sutter-Laumann, « en quelques instants, trois ou quatre gardes nationaux et cinq ou six femmes sont hors de combat. La position n’est plus tenable, il faut l’évacuer. Beaucoup se retirent. Seules quelques enragées restent, décidées à se faire tuer. La grande et belle jeune fille [que certains identifient comme Elisabeth Dmitrieff, de l’Union des Femmes, qui réussit par la suite à gagner le boulevard Magenta et combat jusqu’à la fin de la Semaine sanglante, à laquelle elle réchappe] qui commande la troupe féminine se tient debout sur la plateforme de la redoute, le drapeau rouge d’une main, le revolver de l’autre. Mais c’est folie que rester là [49] ». Dans cette scène de combat de rue, la Commune répond bien à la description qu’en fait Lefebvre, cet « extraordinaire mélange de grandeur et de folie, de courage héroïque et d’irresponsabilité, de délire et de raison [50] », une définition que l’on pourrait reprendre pour dresser le portrait de van Gogh. Il emprunte en effet à la défense de la barrière Blanche le drapeau rouge, qu’il introduit dans ses toiles montmartroises, et le revolver, avec lequel il mettra fin à ses jours, deux années plus tard, à Auvers-sur-Oise, le 27 juillet 1890.
On peut imaginer que van Gogh est familier de cette mémoire, vive, de la Commune, dès 1873, année du premier de ses trois séjours londoniens (de juin 1873 à octobre 1874, puis de décembre 1874 à mai 1875 et enfin d’avril à décembre 1876) qui sont entrecoupés de deux séquences parisiennes (d’octobre à décembre 1874, puis de mai à décembre 1875). Londres, à l’époque, est avec Genève et Lausanne, l’une des capitales de l’exil communard. Il est possible que van Gogh y ait croisé certains déracinés. C’est le cas, semble-t-il, de Charles Montbard, aquafortiste et caricaturiste, ami de Jules Vallès dont van Gogh apprécie les vues qu’il croque des îles anglo-normandes mais également ses illustrations des émeutes irlandaises de 1872. Mais c’est à Paris, par la suite, qu’ont lieu pour le peintre les rencontres décisives, tant sur le plan artistique que politique. L’une d’entre elle, notamment, est absolument centrale.
A l’instar d’autres de ses contemporains, impressionnistes, pointillistes et néo-impressionnistes, van Gogh commence à se fournir chez Julien Tanguy, connu dans tout le milieu artistique comme « le Père Tanguy », marchand de couleurs au 14 rue Clauzel, en bas de Montmartre. Tanguy a servi dans la Garde nationale pendant le siège et la Commune et participe à tous ses combats. Ce n’est que par miracle qu’il échappe au peloton d’exécution après avoir été pris, les armes à la main, sur une barricade, rue Saint-Vincent, le 23 mai 1871, à proximité de la Gare du Nord, mais il est tout de même condamné à la prison en conseil de guerre. Libéré après deux ans d’incarcération, il reprend ses activités de marchand de couleurs en 1873. Ami des peintres dont il expose les toiles dans sa boutique, le 14 rue Clauzel est à la fois la prolongation des cafés du quartier et des ateliers des artistes : on y débat esthétique, mais aussi politique. Parmi les autres peintres qui se servent chez le Père Tanguy et avec lesquels van Gogh noue de solides liens d’amitié, plusieurs se disent libertaires et collaborent ou collaboreront à différentes feuilles anarchistes et socialistes, non pas simplement pour choquer le bourgeois mais par conviction ou détestation de la société et de ses codes. Parmi les membres du « Groupe du Petit Boulevard », c’est le cas de Louis Anquetin ou encore de Lucien Pissarro, le fils de Camille Pissarro, le grand impressionniste anarchiste, lecteur de Proudhon mais aussi et surtout de Kropotkine, lui aussi déraciné et internationaliste par naissance et par choix, juif marrane né aux Antilles, de nationalité danoise, résident en France sur les bords de l’Oise pour peindre, et réfractaire, comme le Père Tanguy, à toute idée de nation.
Vincent van Gogh, Le Père Tanguy (1887), Musée Rodin, Paris
Personnage débonnaire et figure paternelle, Tanguy n’en reste pas moins en effet un fervent communard, très attaché à la mémoire de la révolution parisienne pour laquelle il a risqué sa tête. Il se lie d’une amitié profonde avec Van Gogh, dont il sera l’un des rares à suivre le cortège funèbre, après le suicide du peintre, à Auvers-sur-Oise [51]. Au cours de l’année 1887, Van Gogh fait de lui une série de quatre portraits. Son influence sur le peintre est décisive, non seulement d’un point de vue chromatique, mais également politique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, depuis Arles, où van Gogh séjourne entre février 1888 et mai 1889, c’est à lui qu’il pense lorsqu’il écrit à son frère, Théo, à propos d’une série de portraits qu’il réalise du facteur Roulin, à l’été 1888 : « Maintenant je suis en train avec un autre modèle : un facteur en uniforme bleu, agrémenté d’or, grosse figure barbue, très socratique. Républicain enragé comme le père Tanguy. Un homme plus intéressant que bien des gens [52] ». Pour reprendre Richard Thompson, il n’y a donc pas simplement une « géographie culturelle » du groupe du Petit Boulevard [53], mais bel est bien une géographie subversive, communarde et post-communarde, très forte, qui imprègne l’imaginaire des peintres du petit cercle auquel van Gogh est lié. Dans le quartier, et ce en dépit de tous les efforts déployés par la Troisième République, la préfecture de police, leur presse et leurs artistes officiels, la Commune reste cette trace « ineffaçable, omniprésente, hallucinante [54] » qui habite les coups de pinceaux de van Gogh.
Vincent van Gogh, Le facteur Roulin (1888), Museum of Fine Arts, Boston
La revanche picturale des Communeux
Si l’on suit Marx, la Commune naît sur le terrain de « la guerre civile, engagée par Thiers avec sa tentative d’effraction nocturne à Montmartre », le 18 mars 1871. Quinze ans plus tard, c’est par une autre effraction montmartroise, à rebours, idéologiquement, picturale cette fois-ci, que van Gogh rétablit le drapeau rouge sur les hauteurs de la capitale. Ce faisant, van Gogh restaure plus que des couleurs. Avec ces drapeaux rouges, fièrement plantés sur les moulins de Montmartre en 1886, le peintre force la réalité en procédant à un véritable contretemps historique et politique qui lui permet d’évoquer la Commune au sens premier du terme, un territoire autrefois libéré qui regarde vers l’avenir. Son Montmartre piqué de rouge, encore rural, fortement populaire et surtout non-haussmannien, toujours communard, fait écho à l’expérience parisienne « dont la charge affective, écrit Ross, déborde tout contenu sémantique précis, combinaison puissante de désirs précapitalistes et pré- ou extra-nationaux, à la fois révolution sociale, autonomie locale et mémoire de la Commune insurrectionnelle qui avait fait de Paris la capitale de la révolution en 1792 [55] ».
C’est aussi un véritable pied-de-nez à la bourgeoisie, à ses goûts et à ses codes. Lefebvre rappelle, dans le premier chapitre de son ouvrage sur la révolution parisienne intitulé « Le style de la Commune », ce jeune garçon qui, le 26 février, déjà, vient placer dans les mains du Génie de la liberté qui surmonte la Colonne de Juillet, Place de la Bastille, un fanion écarlate, complété par un pantin de paille qui tourne en dérision le président de l’exécutif, futur bourreau-en-chef de la capitale, sur lequel on peut lire « Je suis Thiers l’Orléaniste ». La foule, souligne Lefebvre, « applaudit » et « éclate de rire [56] ». Les couleurs anticipent cette Commune qui, toujours selon Lefebvre, « fut d’abord une immense, une grandiose fête, une fête que le peuple de Paris (…) s’offrit à lui-même et au monde. Fête du printemps de la Cité, fête des déshérités et des prolétaires, fête des révolutionnaires et fête de la Révolution, fête totale, la plus grande des temps modernes, elle se déroule d’abord dans la magnificence et la joie », avec ses symboles, ceux du « travail désaliéné et désaliénant, la chute du pouvoir oppressif, la fin de la désaliénation, [la proclamation du] monde du travail, c’est-à-dire le travail comme monde et créateurs de monde [57] ». C’est bien ce « style de la Commune » ou, pour le dire avec Chevalier, « l’esprit de Montmartre (…) né du sang de la Commune [58] », qui a été transmis à van Gogh par mille liens, spatiaux, personnels et de camaraderie et le peintre le réactualise dans ses tableaux de la butte au travers ses drapeaux rouges. Quinze ans après 1871, il n’y a qu’une poignée de proches de van Gogh à les applaudir. Peu importe, pour le peintre, qui ne se soucie guère du « goût » de l’époque et n’accorde du crédit qu’à celui de ses véritables amis.
« Ce n’est pas par amour de l’émeute et des étendards que j’arbore ici le drapeau rouge des revendications sociales qui flotta victorieux pendant plus de deux mois à l’Hôtel de Ville de Paris en 1871, après avoir été mitraillé en juin 1848 par les bourgeois multicolores », écrit le poète et chansonnier communard Jean-Baptiste Clément en ouverture de 1871. La revanche des Communeux, publié à Paris la même année où van Gogh y arrive pour son troisième et plus long séjour. « Loin de disparaître, poursuit Clément, il se redresse plus écarlate que jamais après chaque étape de nos luttes sociales (…) Il plane victorieux, non seulement sur Paris, mais sur le monde entier, car on le voit de partout. Les bourgeois lui ont signé sa feuille de route par les massacres de juin 1848 ; aujourd’hui il est en train de faire son tour du monde. Et ce n’est pas par fétichisme que nous avons tenu à l’arborer ici. Nous saurions bien nous passer de drapeau si la paix sociale était faite. Bien plus, nous serions heureux d’avoir à le remplacer par une branche d’olivier ! Mais la société est encore sur le pied de guerre ! Plus que jamais, les dépossédés sont en droit de légitime insurrection ! [59] »
Le 14 février 1886, quelques jours avant de quitter la Belgique pour rejoindre Théo à Montmartre, van Gogh écrit à son frère depuis Anvers sur un ton bien sombre mais qui, dans un sens, fait écho aux promesses du printemps communard : « Le moral est au plus bas, dans les affaires comme chez les gens. Il n’est pas excessif, je crois, d’avoir une vision morose des différentes grèves que l’on voit un peu partout [la dernière en date, importante, à laquelle van Gogh songe probablement étant celle des mineurs de Decazeville, en janvier de la même année]. Mais elles sont loin d’être sans valeur pour les générations à venir car, tôt ou tard, la victoire sera au rendez-vous. Pour l’heure, en revanche, tout est bien sombre pour tous ceux qui doivent travailler pour gagner leur vie, d’autant plus que l’on peut prévoir que cela ira de mal en pis d’année en année. Travailleur contre bourgeois - c’est aussi justifié que le Tiers-état contre les deux autres [la noblesse et le clergé], il y a cent ans. Et le mieux est de se taire, car les bourgeois sont sans foi ni loi, et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Alors, même si c’est le printemps - combien de milliers et de milliers d’entre nous marchent dans la désolation ? [60] ». Le silence, préconisé par van Gogh, est néanmoins loin d’être le champ de ruines et de corps que laissent derrière eux les Versaillais en écrasant la Commune. A Paris, van Gogh le zèbre de coups de pinceaux aux couleurs éclatantes. Et il est émaillé de quelques drapeaux rouges qui résistent avec opiniâtreté car les efforts du passé n’auront pas été vain et « ne sont pas sans valeur ». En effet, prévient Eugène Pottier, dans « la Semaine Sanglante », poème composé en même temps que « L’Internationale », au lendemain de la révolution parisienne, alors qu’il est caché dans une mansarde, quelque part à Montmartre pour échapper aux Versaillais, « ça branle dans le manche, / Les mauvais jours finiront. / Et gare ! à la revanche / Quand tous les pauvres s’y mettront. » A la fin du XIX°, pour Chevalier, dans toute « praxis montmartroise », même dans les « crimes » et autres « faits divers » qu’il analyse, il y a toujours un « arrière-goût ou une prétention proclamée de justice sociale [61] ». Parfois, cet « arrière-goût » se manifeste par une simple tache de couleur écarlate qui fait écho autant à la revanche du passé qu’à une promesse de rédemption malgré la désolation présente à laquelle van Gogh se sent condamné. Que le peintre, qui met fin à ses jours deux ans plus tard, à l’été 1890, à Auvers-sur-Oise, n’ait pas pu échapper à cette angoissante désolation fin-de-siècle est une autre histoire. Il reste ses drapeaux rouges.
Extrait de la lettre du 14 février 1886 à son frère Théo, Amsterdam, Musée Van Gogh, inv. no. b493 V/1962
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NOTES DE BAS DE PAGE
[1] Cité dans Paul LIDSKY, Les écrivains contre la Commune [1970], Paris, Maspero, 1988, p.76.
[2] L’expression est du communard et grand géographe anarchiste Elisée Reclus dans un courrier à sa belle-sœur, citée dans Kristin ROSS, L’imaginaire de la Commune, Paris, La fabrique, 2015, p.46
[3] Comme le soutient Lefebvre, « la pensée de Marx n’est pleinement devenue le "marxisme" tel que nous le connaissons qu’à la suite de la Commune et des réflexions qu’elle inspira à Marx » (Henri LEFEBVRE, La proclamation de la Commune. 26 mars 1871 [1965], Paris, La fabrique, 2018, p.65). On songera, en effet, à l’ajout central de Marx et d’Engels à la préface à l’édition allemande de 1872 du Manifeste du parti communiste où il est souligné que « la Commune, notamment, a démontré que "la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte" », le prolétariat étant appelé à détruire la machine bureaucratique bourgeoise lors de sa prise du pouvoir de façon à mettre sur pied son propre Etat sur le modèle de ce qui existe, fugacement, à Paris, pendant 72 jours, en 1871. Pour l’influence décisive de la Commune sur Rimbaud, on renverra notamment à Kristin ROSS, Rimbaud, la Commune et l’invention de l’histoire spatiale, Paris, Les Prairies ordinaires, 2013, ainsi qu’à Frédéric THOMAS, Rimbaud révolution, L’échappée, Paris, 2019 ainsi qu’à « Rimbaud et les Communards ». Le cas de Rimbaud est intéressant et à rapprocher de celui de van Gogh dans la mesure où la critique a pour habitude de les présenter comme des génies ayant frôlé ou basculé dans la folie. Une façon bien commode pour expulser de leur œuvre toute dimension éminemment subversive et politique, nous y reviendrons.
[4] Louis CHEVALIER, Montmartre du plaisir et du crime, [1980], Paris, La fabrique, 2016, p.190.
[5] Walter BENJAMIN, Paris, capitale du XIX° siècle. Le livre des passages [1924-1939], Paris, Editions du Cerf, 1997, p.57.
[6] Ibid., p.56.
[7] Friedrich ENGELS, « Compte rendu de voyage de Paris à Berne » (oct.-nov. 1848)
[8] H. LEFEBVRE, La proclamation de la Commune (…), op. cit., p.122.
[9] L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.185.
[10] Ibid., p.237
[11] Le Moulin de la Galette rassemble, en réalité, deux moulins, le Blute-Fin et le Radet, regroupés sur un même terrain par les propriétaires, la famille Debray, minotiers de père en fils qui se lancent, par la suite, dans le métier de cabaretier. Les Debray ne baptisent officiellement la salle de bal « Au Moulin de la Galette » qu’en 1895. Cependant, comme en témoigne la toile de Renoir, c’est le nom sous lequel il est déjà connu des habitués qui fréquentent cette guinguette du haut de la rue Lepic dès les années 1870 et même avant puisque c’est ainsi qu’il est présenté dans les souvenirs et chroniques des Communards et des Versaillais pour qui l’emplacement du moulin, comme nous le verrons, revêt une importance stratégique.
[12] Dans la série de trois toiles « jumelles » intitulées Le Moulin de la Galette, peintes à la même époque, à l’été-automne 1886, celle qui est exposée au Stiftung Langmatt de Baden, en Suisse, offre des caractéristiques similaires, alors que celle qui est exposée à la Neue Nationalgalerie de Berlin présente, au niveau de la hampe du drapeau, une touche de bleu bien visible, ce qui tend à indiquer que la disparition progressive des deux couleurs, bleu et blanc, au profit du seul rouge, n’est pas un « oubli » de van Gogh.
[13] Ce tableau est en effet réapparu au grand jour il y a quelques mois. Le 25 mars 2021, à la suite de son authentification, la toile a été vendue aux enchères chez Sotheby’s Paris pour un peu plus de treize millions d’euros. Triste ironie, pour l’œuvre d’un peintre qui n’a jamais réellement vendu de son vivant et qui aurait eu Sotheby’s et l’industrie de l’art en exécration.
[14] On pourrait ajouter, à ces trois toiles, la Vue de Montmartre avec carrières (1886), exposée au Musée Van Gogh d’Amsterdam qui fait partie également d’une série de vues similaires. On y voit le faîte du moulin, à droite, au second plan, coiffé d’un drapeau rouge qui flotte au vent, à la différence des moulins figurant sur les toiles de cette même série qui, eux, sont dépourvus de drapeaux (voir La colline de Montmartre avec une carrière (1886), également au Musée Van Gogh d’Amsterdam) ou encore surmontés de drapeaux tricolores, dans le cas de Vue de Montmartre avec moulins (1886), visible au Kröller-Müller Museum d’Otterlo.
[15] L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.191.
[16] « Décret du 22 janvier 1871 », Cabinet du ministre de l’Intérieur, avant-projet de décret pour la suppression des clubs politiques. Archives de paris, D1J 1 dossier 20.
[17] On notera, au passage, qu’il s’agit bien de plusieurs éminences qui sont présentes sur la colline Montmartre qui n’a pas encore été terrassée pour construire le Sacré Cœur au point où Lissagaray, dans son Histoire de la Commune, parle, souvent, de « buttes » au pluriel, en lieu et place de Butte Montmartre.
[18] H. LEFEBVRE, La proclamation de la Commune (…), op. cit., p.211.
[19] On notera également que les lignards reçoivent l’ordre de tirer et ouvrent le feu, en contrebas, à Pigalle, contre la foule qui se rassemble, un peu plus tard, pour s’opposer aux mouvements de troupe, ce qui indique combien c’est Tiers et ses officiers qui, d’entrée de jeu, ne reculent devant rien pour mater le petit peuple parisien, à rebours d’une certaine histoire qui voudrait que les violences versaillaises soient une riposte légale, si ce n’est légitime, à l’exécution des généraux Lecomte et Clément-Thomas, plus tard dans la journée, le 18 mars, et à la proclamation « illégale » de la Commune, quelques jours plus tard.
[20] Ibid., p.227.
[21] Prosper-Olivier LISSAGARAY, Histoire de la Commune de 1871 [1896], Paris, Maspero, 1976, p.111.
[22] Louis CHEVALIER, Montmartre du plaisir et du crime, [1980], Paris, La fabrique, 2016, p.163. « Le plaisir fait place à la tragédie », poursuit Chevalier, puisque c’est au « Bal du Château Rouge [situé en contrebas] que Lecomte et Clément Thomas sont jugés » avant d’être passés par les armes, rue des Rosiers (actuellement rue du Chevalier de la Barre), sur les contreforts de la Butte (ibid.).
[23] Daniel BENSAÏD, « Connaissez-vous Lefrançais », in Gustave LEFRANCAIS, Souvenirs d’un révolutionnaire de juin 1848 à la Commune, [1902], Paris, La fabrique, 2013, p.14.
[24] Comme le souligne Marx, à l’époque, toute se passe en effet comme si « la bourgeoisie [représentée par ce Gouvernement puis par Thiers préfère] la conquête prussienne à la victoire d’une république de tendance socialiste ». Les événements postérieurs confirmeront son intuition. Voir « Lettre à Beesly du 19 octobre 1870 »,in Karl MARX et Friedrich ENGELS, Sur la Commune de Paris. Textes et controverses, Précédé de Événement et stratégie révolutionnaire de Stathis KOUVELAKIS, Paris, Éditions sociales, 2021, p. 267.
[25] Voir Julien CHUZEVILLE, Léo Frankel, Communard sans frontières, Paris, Libertalia, 2021, p.35-36.
[26] P.O. LISSAGARAY, Histoire de la Commune (…), op.cit, p.478.
[27] Louise MICHEL, La Commune, Paris, Stock, 1898, p.190
[28] G. LEFRANCAIS, Souvenirs (…), op. cit., p.410.
[29] Arthur ARNOULD, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris [1878], Lyon, J-M Laffont, 1981, p.136.
[30] « Introduction à l’édition de 1891 à La Guerre civile en France », in K. MARX et F. ENGELS, Sur la Commune de Paris (…), op. cit., p. 217.
[31] L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.174.
[32] Ibid., p.173-176.
[33] Emile ZOLA, La Commune, 1871, Paris, Nouveau Monde, 2018, p.259.
[34] Paul de SAINT-VICTOR, Barbares et bandits : la Prusse et la Commune, Paris, Michel Lévy, 1871, p.243.
[35] Edgar RODRIGUES, Le Carnaval rouge, Paris, E. Dentu, 1872, p.296-297.
[36] E. ZOLA, La Commune (…), op. cit., p.283.
[37] Ibid., p.290-291. Lissagaray donne une toute autre explication de cette surabondance soudaine de drapeaux tricolores. « L’ordre régnait à Paris. Partout des ruines, des morts, de sinistres crépitements. Les officiers tenaient le milieu de la chaussée, provocateurs, faisant sonner leur sabre les sous-officiers copiaient leur arrogance. (…) Le drapeau tricolore pendait lâchement à toutes les croisées, pour éloigner les perquisitions. (…) Sur les portes, des femmes d’ouvriers assises, la tête dans les poings, regardaient fixement, devant elles, attendant un fils ou un mari qui ne devait pas revenir ». P.O. LISSAGARAY, Histoire de la Commune (…), op.cit, p.372.
[38] K. ROSS, L’imaginaire (…), op. cit., p.40-41.
[39] Eric HAZAN, Paris sous tension, Paris, La fabrique, 2011, p.11.
[40] Van Gogh, en effet, ne mentionne la Commune de Paris qu’à la marge, dans sa correspondance, mais sans jamais laisser de doute quant à ses positions. On songera, par exemple, à sa lettre à Anthon van Rappard, (La Haye, 20 janvier 1883), dans laquelle le peintre mentionne les œuvres de l’artiste anglais Arthur Boyd Houghton portant sur les cours martiales versaillaises et les « pétroleuses » ou encore sa lettre à Theo (Arles, 24 mars 1889), où il fait allusion à son enfermement psychiatrique en le mettant en rapport à la condamnation au bagne d’Henri Rochefort pour sa participation à la Commune.
[41] Voir Lucien DESCAVES, Philémon, vieux de la vieille [1913], Paris, La Découverte, 2019.
[42] Pottier décède à son domicile, le 9 novembre 1887, pendant le séjour montmartrois de van Gogh. La manifestation organisée pour lui rendre un dernier hommage rend bien compte de l’importance, politique et symbolique, du drapeau rouge, à l’époque. Une foule d’environ 10 000 personnes se rassemble rue de Chartres pour accompagner le corps. Une violente bagarre éclate, qui fait les choux-gras de la presse de l’époque car elle lui permet de rétrograder l’événement à la section des fait-divers, en raison d’un drapeau rouge dont les agents, présents en nombre également veulent s’emparer. La police charge sabre au clair et blesse, notamment, plusieurs figures de proue du mouvement ouvrier et socialiste des années 1880 dont Edouard Vaillant, Charles Longuet et Jules Joffrin (tous trois anciens communards, Joffrin étant même arrêté, en dépit de son écharpe de député) ainsi que Clovis Hugues, vétéran de l’éphémère expérience insurrectionnelle et communarde qui secoue Marseille en novembre 1870.
[43] Paul GAUGUIN, Avant et après, avec les vingt-sept dessins du manuscrit original, Paris, G. Crès, 1923, p.177.
[44] Vincent VAN GOGH, Lettres de Vincent van Gogh à Emile Bernard, Paris, A. Vollard, 1911, p. 75
[45] Cité dans L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.445.
[46] Ibid., p.179.
[47] Ibid., p.236 et 235.
[48] P.O. LISSAGARAY, Histoire de la Commune (…), op.cit, p.372.
[49] SUTTER-LAUMANN, Histoire d’un trente sous (1870-1871), Paris, A. Savine, 1891, p.305.
[50] H. LEFEBVRE, La proclamation (…), op. cit., p.33.
[51] Une partie des toiles de Vincent sont entreposées chez le Père Tanguy, en 1889, lorsque le peintre est en Provence. A la mort de Tanguy, en 1894, une vente est organisée au profit de sa veuve par l’essayiste et poète Octave Mirbeau, collaborateur de nombreuses feuilles anarchistes dans les années 1890. C’est un échec relatif qui indique bien la façon dont certains, parmi les plus grands peintres qu’a côtoyés Tanguy, sont hors-jeu en termes de marché de l’art. Le prix le plus élevés des Cézanne, alors vendus, ne dépasse pas les 45 francs, alors qu’un Van Gogh est offert à 30.
[52] « Lettre à Théo », Arles, 31 juillet 1888. « L’homme, rajoute-t-il dans une lettre à sa sœur Willemien, du même jour, est un fervent républicain et socialiste, raisonne très bien et connaît de nombreuses choses. (…) Pour dire les choses comme elles sont, je préfère peindre [les sentiments qui sont les siens] que des fleurs ».
[53] Voir Richard THOMPSON, « The cultural geography of the Petit Boulevard », in Vincent van Gogh and the painters of the Petit Boulevard, New York-Saint Louis, Rizzoli-St. Louis Art Museum, 2001, p.65-108.
[54] L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.179.
[55] K. ROSS, L’imaginaire (…), op. cit., p.40-41.
[56] H. LEFEBVRE, La proclamation (…), op. cit., p.32.
[57] Ibid., p.28-29.
[58] L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.179.
[59] Jean Baptiste CLEMENT, 1871. La revanche des Communeux, Paris, Jean Robert, 1886, p.5-7.
[60] « Lettre à Théo », Anvers, 14 février 1886.
[61] L. CHEVALIER, Montmartre (…), op. cit., p.176.