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Oasis et la société anglaise

culture Musique

Lien publiée le 11 septembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Oasis et la société anglaise

Dans l'Angleterre des années 1990, le groupe Oasis renouvelle la musique rock. Les frères Gallagher assument leurs origines ouvrières et de la ville de Manchester. Leur trajectoire se confond avec l'évolution de la société anglaise. 

« Wonderworld », « Supersonic », « Whatever » sont devenus des classiques et même des hymnes qui raisonnent dans des cérémonies officielles. Oasis est devenu un groupe emblématique en Angleterre, et même à travers le monde. Liam Gallagher reste la figure médiatique et le chanteur d’Oasis. Noel Gallagher s’impose comme le guitariste et surtout l’unique compositeur du groupe.

Dans les années 1960, des figures culturelles comme les Beatles ou James Bond redonnent du prestige à la Grande-Bretagne, affaiblie politiquement et économiquement après la guerre. La culture pop rock, incarnée également par les Rolling Stones, incarne l’identité anglaise aux yeux du monde. Cette identité britannique reste également marquée par les classes sociales et les particularismes locaux.

Après la politique néolibérale de Margaret Thatcher, l’Angleterre veut donner une autre image que celle du capitalisme le plus brutal. Mais la scène musicale anglaise des années 1980 semble désertique. Au début des années 1990 surgissent de nouveaux groupes, comme Blur, Pulp ou Suede. Cette musique pop dépeint une Angleterre tiraillée entre ses traditions et une attirance pour une culture mondialisée.

Mais c’est Oasis qui devient la figure de proue de la Britpop. Ce phénomène musical et social, de 1994 à 1997, accompagne l’arrivée de la gauche au pouvoir. La Britpop permet de comprendre la société anglaise de cette période, avec son identité musicale, politique et médiatique. Oasis incarne une jeunesse qui veut s’évader de son milieu social, sortir des cases et des étiquettes. Benjamin Durant et Nico Prat reviennent sur ce phénomène dans le livre Oasis ou la revanche des ploucs.

                  Oasis : la revanche des ploucs

Origines ouvrières

 

Thomas Gallagher, ouvrier de chantier né en 1945, est décrit par ses fils comme un homme violent et alcoolique. Ce père devient la figure repoussoir de l’ouvrier docile qui accepte l’exploitation et défoule ses frustrations sur sa famille. « Thomas Gallagher a constitué dès lors une figure face à laquelle il fallait se dresser et dont il fallait refuser ses principes, à commencer par celui de ne jamais remettre en cause sa condition ouvrière », observent Benjamin Durant et Nico Prat. Leur mère, Peggy Gallagher, quitte courageusement son mari. Elle jongle avec les petits boulots pour élever ses fils dans la banlieue de Manchester.

Alan McGee devient un père de substitution. Il grandit dans la classe ouvrière écossaise. Il délaisse la pop pour se tourner vers la culture punk mais aussi le post-punk. Il édite un fanzine et gère des soirées à Londres. Il fonde le label indépendant Creation. Il fabrique ses disques en interne et assure la distribution, sans l’aide desmajors et de l’industrie du disque. Mais il finit par collaborer avec Warner pour la distribution, afin de toucher un public plus large. Alan McGee découvre Oasis au cours d’un de leurs concerts. « McGee et les membres d’Oasis s’inscrivent dans la même démarche : tous sont des prolétaires sans aucune autre option de vie que le rock’n’roll », soulignent Benjamin Durant et Nico Prat. Au-delà de la musique, ils partagent un même passé prolétaire, avec des histoires de galères et le projet d’un avenir meilleur.

                           Definitely maybe

Musique populaire

Liam Gallagher s’inspire des Stone Roses qui assument leur accent et leurs origines ouvrières du nord de l’Angleterre. Même si le groupe ne parvient pas à percer. En revanche, le succès les Beatles montre que des jeunes issus d’un milieu ouvrier peuvent obtenir la réussite et la reconnaissance grâce à la musique. Tout en assumant ses émotions et en affirmant son identité. Paul Weller et Johnny Marr apparaissent également comme des modèles pour Oasis.

Noel est âgé de 6 ans de plus que Liam. Il a travaillé sur les chantiers après avoir arrêté sa scolarité. Pour lui, la musique reste le seul moyen de sortir d’un destin d’ouvrier. En revanche, Liam s’est rapidement lancé dans la chanson. Il devient la figure emblématique d’Oasis. Noel apparaît davantage comme un créateur de l’ombre, avec la composition de toutes les chansons du groupe.

Les chansons d’Oasis évoquent l’ennui et le chômage, la vie des quartiers populaires, ou les visites chez un disquaire. Oasis raconte la vie quotidienne des gens ordinaires, mais aussi leur désir d’évasion pour fuir sa condition, sa ville et son climat pluvieux. « Live Forever » évoque une personne qui préfère suivre ses rêves plutôt que de s’intégrer dans le conformisme de la vie d’adulte. « Oasis ne chante pas la popularité et la quête de richesse, mais célèbre le désir universel d’une existence à la mesure de ses envies », observent Benjamin Durant et Nico Prat. Cette chanson devient un hymne populaire repris dans les stades.

                    

Thatcher et le libéralisme autoritaire

Les frères Gallagher grandissent sous le règne de Margaret Thatcher. Elle mène une politique de désindustrialisation avec des licenciements. Surtout, elle veut briser la force collective des syndicats ouvriers. Une grève importante éclate pendant l’hiver 1978-1979. Mais Margaret Thatcher parvient à se faire élire en 1979. Durant sa campagne, elle s’oppose aux syndicats, elle veut baisser les impôts, elle veut favoriser l’entreprenariat et la propriété privée. Son gouvernement divise la nation en deux camps opposés sur fond de montée du chômage. Malgré une importante grève de mars 1984 à mars 1985, les mines sont fermées. Margaret Thatcher est parvenue à écraser la puissante classe ouvrière pour imposer un individualisme libéral. Cette politique débouche vers la précarisation de l’emploi et la montée des inégalités sociales.

Le mouvement punk surgit en 1975. Les Sex Pistols attaquent l’autorité de la monarchie. La vague post-punk semble plus pessimiste, malgré un discours toujours aussi radical. Mais les années 1980 imposent une musique formatée et consensuelle. C’est le règne de MTV et de l’industrie du disque. Dans les années 1990, Manchester devient une capitale du clubbing. Mais la périphérie ouvrière de la ville reste attachée au rock. « Au sommet de sa gloire, Oasis est le porte-étendard de cette jeunesse laissée à l’abandon, orpheline de sa culture ouvrière, et dont la fierté a été endommagée par le thatchérisme », soulignent Benjamin Durant et Nico Prat. Manchester devient un bastion de la musique alternative, contre la musique bourgeoise et branchée de Londres. Dans les chansons d’Oasis, le discours n’est pas frontalement politique mais il s’attache à décrire le quotidien des classes populaires.

      

Oasis et le blairisme

John Major succède à Thatcher. Mais le Premier ministre conservateur semble plus méprisé que véritablement haï par le prolétariat. Durant cette période, le Parti travailliste se reconstruit. Il abandonne le marxisme et le socialisme. Le « New Labour » tente de concilier le capitalisme et la société de consommation avec la justice sociale. « Désireux de représenter la classe ouvrière tout en valorisant, par ses ambitions commerciales, les acquis thatchériens, Oasis s’affirme comme un équivalent musical de la politique de Tony Blair », observent Benjamin Durant et Nico Prat. En 1997, Noel Gallagher et Allan McGee sont reçus au 10 Downing Street par Tony Blair juste après sa prise de pouvoir.

L’album Be Here Now marque le début d’un déclin. Noel Gallagher se moquait autrefois des bourgeois privilégiés déconnectés de la réalité. Il fait désormais partie de cette classe sociale, avec ses soirées privées et ses galas de charité. Oasis, comme Tony Blair, décline alors qu’ils sont arrivés à leur sommet. « L’un comme l’autre se sont fait connaître du grand public en racontant l’Angleterre contemporaine, en témoignant des difficultés rencontrés par les plus démunis, en glorifiant les actes de résistance, mais Oasis et Tony Blair auront été plus doués pour s’opposer au système en place que pour le renverser », analysent Benjamin Durant et Nico Prat. La politique de Blair favorise davantage la précarité et s’inscrit dans le sillage du néolibéralisme de Thatcher. Noel refuse de se rallier à Jeremy Corbyn qui défend une politique sociale en rupture avec le blairisme.

             Blur, left to right: Dave Rowntree, Graham Coxon, Damon Albarn and Alex James

Britpop

Oasis devient l’emblème de Manchester. Les frères Gallagher ne cherchent pas à gommer leur accent populaire et local. Ce qui les empêche d’être invités sur la chaîne américaine MTV. Mais cet accent les rend davantage populaires auprès de la classe ouvrière anglaise. Ensuite, ils soutiennent Manchester City. Ce club de football ne gagne pas, contrairement à son prestigieux rival de Manchester United. Mais City se démarque longtemps de l’image de foot business de l’autre club de la ville.

Une guerre de la Britpop entre Blur et Oasis est alimentée par les médias. Ce clivage semble musical, mais aussi social et politique. Blur incarne les goûts de la petite bourgeoisie intellectuelle qui vit à Londres. « Blur contre Oasis, ce sont les classes moyennes contre les ploucs, le Sud contre le Nord, Londres contre Manchester, de jeunes diplômés de l’université contre des gamins qui ont quitté l’école pour la musique », décrivent Benjamin Durant et Nico Prat. La presse entretient la rivalité et milite en faveur de Blur. Les journalistes se veulent pointus et raffinés. Ils tiennent à se démarquer des goûts populaires. Ils se tournent vers l’image plus sophistiquée de Blur et fustigent le manque de subtilité d’Oasis.

Des chansons de Blur dénoncent la société de consommation. Mais Noel Gallagher ironise sur la posture politique du groupe et des journalistes qui le soutiennent. Ces chansons engagées manquent de sincérité. Blur se contente d’une musique de « bon élève ». Les musiciens de Blur n’ont jamais vécu la vie de misère. « Moi, j’ai bossé sur les chantiers. Et pour toujours cela rendra mon âme plus pure que la leur. Moi je suis né comme ça. Je suis né pour une vie de merde de jobs de merde », lance Noel Gallagher. La musique n’est pas considérée comme un simple loisir, mais aussi comme un moyen d’évasion pour sortir de la misère.

Avec cette rivalité, la Britpop devient un véritable phénomène de société. Le rock fait à nouveau vendre des disques. A partir de 1997, la Britpop ne règne plus sur la scène musicale. Le rock moins festif et plus torturé de Radiohead se développe. La mode semble davantage à l’introspection. Mais Oasis continue les tournées à succès. En 2009, les frères Gallagher se séparent et le groupe implose.

      Oasis : onze ans après sa séparation, le groupe dévoile un titre inédit

Pop culture et politique

Benjamin Durant et Nico Prat retracent le parcours d’Oasis, groupe incontournable des années 1990. Mais cette trajectoire est bien restituée dans son contexte social et politique. Benjamin Durant et Nico Prat montrent bien que la musique accompagne les évolutions de la société. Elle reflète les aspirations des jeunes prolétaires, sans toujours porter un message ouvertement politique. Le punk exprime un refus du travail à l’usine et du modèle d’intégration fordiste. Les années 1980 semblent davantage conformistes et imposent le règne de l’industrie musicale. Les années 1990 semblent suivre ce mouvement, notamment avec le règne des clips pour MTV. Mais le hip hop ou même le grunge expriment un refus du conformisme de l’embourgeoisement. La musique vient de la rue et doit y rester. Mais elle peut aussi permettre de faire carrière, même en marge de l’industrie du disque.

Oasis n’est pas véritablement un groupe militant. Mais son succès populaire résonne avec les aspirations du prolétariat en Angleterre et à travers le monde. Oasis incarne une jeunesse qui préfère vivre de sa passion plutôt que de subir l’exploitation et la routine de la vie quotidienne. Néanmoins, Oasis se situe du côté du rêve et de l’évasion plutôt que du côté de la lutte des classes. Ses chansons n’expriment aucune conflictualité sociale, n’attaquent pas l’Etat ou le patronat. Mais Oasis reste attaché à une identité ouvrière, avec un accent et un refus de rentrer complètement dans le moule médiatique. Oasis incarne ce plaisir de la musique arraché à la grisaille de la société marchande. Même si cette passion peut aussi devenir un refuge pour mieux accepter l’ordre existant.

Source : Benjamin Durant et Nico Prat, Oasis ou la revanche des ploucs, Playlist Society, 2021

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Les 3C avec Nico Prat : Son livre ''Oasis ou la revanche des ploucs'', émission diffusée par Canard PC le 9 juin 2021

Vidéo : Nico Prat interview, diffusée sur Konbini le 2 juillet 2021

Vidéos : Vincent Arquillière, Oasis et les frères Gallagher : une histoire d’Angleterre en dix vidéos, publié sur le site Pop News le 20 mai 2021

Vidéo : Oasis - Tracks, diffusé sur Arte le 23 août 2014

Radio : Oasis, Lutte ouvrière !, émission Blockbusters diffusée sur France Inter le 3 juin 2021

Radio : Interview de Benjamin Durand pour la sortie "Oasis ou la revanche des ploucs", émission diffusée sur le site du magazine Rock & Folk

Radio : Place des Fêtes avec Nico Prat et Benjamin Durand & Mischa Blanos, émission diffusée par [Tsugi Radio] le 20 mai 2021

Radio : Benjamin Durand, Mick Strauss et Philippe Couderc, émission Côté Club diffusée sur France Inter le 23 juin 2021

Radio : Un livre célèbre le parcours des frères Gallagher, les "ploucs" devenus stars avec Oasis, chronique diffusée sur Europe 1 le 24 mai 2021

Eric Debarnot, Oasis ou la Revanche des Ploucs : expliquer l’inexplicable…, publié sur le site Benzine le 20 mai 2021

Antoine Barsacq, 5 choses qu’on a apprises sur Oasis en lisant le livre “Oasis ou la revanche des ploucs”, publié sur le site Tsugi le 20 mai 2021

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