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Faire reculer Amazon ! En Pologne les travailleur·euse·s s’organisent

Pologne

Lien publiée le 15 septembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Faire reculer Amazon ! En Pologne les travailleur·euse·s s’organisent – CONTRETEMPS

Depuis l’arrivée d’Amazon en Pologne en 2014, le pays est un laboratoire pour la stratégie de l’entreprise qui consiste à monter les travailleur·euse·s de différentes nations les un·es contre les autres. Nous nous sommes entretenues avec des militantes ouvrières polonaises qui organisent les travailleur·euse·s d’Amazon pour une riposte mondiale. 

Bien qu’Amazon soit basée aux États-Unis, sa main-d’œuvre est désormais présente dans le monde entier. L’entreprise s’en est servie pour baisser les salaires et augmenter la productivité grâce à une concurrence exacerbée. Certain·etravailleur·euse·s en Europe luttent pour contrer cette stratégie, en se connectant et en s’organisant collectivement. La bataille reste difficile car Amazon crée des contrats individualisés pour ses sites, faisant de son mieux pour monter les travailleur·euse·s les un·e·s contre les autres, non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi d’un entrepôt à l’autre. Les efforts se poursuivent cependant et laissent entrevoir des possibilités pour l’avenir d’une organisation internationale.

Dans un récent épisode du nouveau podcast Primer de la revue Jacobin, Alex N. Press s’est entretenue avec deux travailleuses polonaises qui militent au sein de l’Amazon Workers International (AWI) : Magda Malinovska et Agnieszka Mroz. À la différence des syndicats ou des fédérations syndicales établies de longue date, l’AWI est une organisation d’atelier, qui est moins formalisée. Malinovska travaille au centre Amazon de Poznań, en Pologne, depuis cinq ans, d’abord comme préparatrice de commandes, puis aux côtés d’Agnieszka comme emballeuse ; Agnieszka a commencé à Poznań, qui était le premier entrepôt d’Amazon en Pologne, lors de son ouverture en 2014. Les activités d’Amazon dans le pays n’ont fait que se développer au cours des années qui ont suivi.

***

Agnieszka Mroz : Dans notre entrepôt, il y a plus ou moins dix mille travailleur·euse·s. Amazon, bien sûr, ne l’admettra pas ; ils diront qu’il y a trois mille travailleur·euse·s avec le badge bleu [c’est-à-dire des travailleur·euse·s permanent·e·s]. Mais il y a aussi deux fois plus de travailleur·euse·s intérimaires, des agent·e·s de nettoyage, qui n’ont pas de contrat permanent et également les travailleur·euse·s de la sécurité. Cela fait donc dix mille travailleurs et travailleuses : il s’agit donc d’un grand entrepôt.

Alex N. Press : Comment la Pologne est-elle devenue un lieu si important pour Amazon ?

Agnieszka Mroz : La réponse est simple : une main-d’œuvre bon marché. Les travailleur·euse·s polonais·e·s gagnent trois fois moins que dans les autres pays d’Europe occidentale. Mais ce n’est pas seulement une question de coût. Amazon a connu une croissance importante : ils n’ont pas simplement déplacé des entrepôts d’Allemagne en Pologne ; l’ouverture des sites en Pologne a joué un rôle politique, qui consistait à faire du chantage aux travailleur·euse·s qui organisaient des grèves en Allemagne, car les travailleur·euse·s en Pologne livrent sur le marché allemand. Nous servons Amazon.de.

2014 a été l’un des moments chauds avec les grèves en Allemagne. Amazon nous a utilisés comme une carte supplémentaire contre les travailleur·euse·s qui se mobilisent. Bien sûr, cela a créé une pression pour nous, car les travailleur·euse·s en Pologne ne veulent pas briser les grèves. Mais en raison des différentes réglementations, des lois nationales, etc., il existe des différences entre la mobilisation en Pologne et en Allemagne. Tout cela fait donc partie des raisons objectives de sa croissance ici : les faibles coûts de main-d’œuvre et la précarité de l’emploi en Pologne. Ici, Amazon a plus de moyens de pression sur les travailleur·euse·s lorsqu’il s’agit de faire respecter les quotas de productivité.

 

Alex N. Press : De nombreux/ses travailleur·euse·s, tant en Allemagne qu’en Pologne, sont bien conscient·e·s qu’Amazon les monte les un·e·s contre les autres pour maintenir les coûts au plus bas. Mais ils et elles savent aussi qu’il ne faut pas se contenter de suivre le mouvement. Ce sont des travailleur·euse·s qui avaient été formé·e·s à l’étranger et qui ont vu le type de conditions et d’avantages dont bénéficiaient les travailleurs et les travailleuses d’Amazon dans des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne, qui ont créé le syndicat à Poznań. Il n’a pas fallu longtemps pour que des canaux de communication s’ouvrent entre l’entrepôt de Poznań et les travailleur·euse·s en Allemagne.

Magda Malinovska : En 2016, nous avons reçu des informations selon lesquelles les travailleurs/ses allemand·e·s étaient en grève. Les travailleur·euse·s ne voulaient pas briser la grève. Nous avons donc organisé des actions de ralentissement. Nous l’avons payé cher : quelques travailleur·eus·es ont été licencié·e·s et certain·e·s travailleur·euse·s s’en souviennent encore : il règne une certaine peur d’organiser de telles actions. Mais nous continuons à mobiliser et à collaborer avec les travailleur·euse·s allemand·e·s. Par exemple, nous avons récemment rédigé un tract commun, affirmant que nous demandons plus ou moins les mêmes salaires.

La question des salaires est très importante pour nous, car les Polonais font des heures supplémentaires en raison de leurs bas salaires. Les heures supplémentaires sont populaires parmi les travailleur·euse·s polonais·es et, selon les statistiques, nous sommes l’une des nations d’Europe qui travaille le plus grand nombre d’heures. C’est principalement à cause de nos salaires, qui sont très bas, que les gens sont obligés de faire des heures supplémentaires. Nous demandons donc des salaires plus élevés et nos collègues allemand·e·s nous soutiennent parce qu’ils savent que lorsqu’ils sont en grève, les Polonais·e·s, en raison de la situation économique, sont contraint·e·s de faire des heures supplémentaires et que, de ce fait, leurs grèves ont moins de poids.

Alex N. Press : L’AWI a également été en contact avec des travailleur·euse·s de France, d’Italie, d’Espagne, de République tchèque et de Slovaquie qui ont évoqué la tactique employée par Amazon, qui consiste notamment à imposer à certains pays un travail plus dégradant.

Magda Malinovska : L’entreprise ne peut pas utiliser les produits que les clients retournent, alors elle les envoie en Pologne depuis les autres pays. Les travailleur·euse·s n’aiment vraiment pas ça, parce qu’en fait, il s’agit de trier les ordures. Ils/elles se disent que nous sommes devenus un endroit pour le traitement des ordures de toute l’Europe.

Nous échangeons donc ces informations, nous essayons de créer des revendications communes ; nous essayons également d’organiser des actions communes et de nous soutenir mutuellement pendant les grèves. Nous avons des lois différentes ce qui nous oblige donc à utiliser des moyens de lutte différents. Nous essayons néanmoins de faire des choses ensemble : dans certains pays, les travailleur·euse·s ont organisé des blocages et nous avons reçu un certain soutien de la campagne « Make Amazon Pay » l’année dernière. Ils et elles ont donc organisé des blocages devant notre entrepôt. Dans d’autres pays, les travailleur·euse·s sont autorisé·e·s à se mettre en grève, alors ils et elles se mettent en grève. De cette façon, nous essayons de faire pression sur Amazon.

C’était très efficace, surtout pendant la pandémie, lorsque nous avions des revendications communes. Amazon ne pouvait pas nous ignorer. Lorsque nous avons demandé une prime de risque pour travailler dans des conditions très précaires, ils ne pouvaient pas dire non. De même, lorsque nous avons mis en en avant des revendications concernant les mesures de sécurité, ils ne pouvaient pas les ignorer. À cette époque, nous avons réalisé à quel point nous sommes puissant·e·s lorsque nous agissons ensemble. C’est pourquoi nous essayons de poursuivre cette action, sans bureaucratie, au niveau de l’atelier, en discutant de notre situation en tant que travailleur·euse·s. Nous devons développer cela, sinon Amazon sera toujours beaucoup, beaucoup plus fort que nous.

Alex N. Press : Qu’est-ce que l’Internationale des travailleurs d’Amazon ? Les travailleur·euse·s concerné·e·s font tous partie de syndicats locaux individuels, mais le groupe lui-même est plus fluide. C’est un moyen de communication et de soutien, mais le muscle, ainsi que la stratégie, sont basés dans les ateliers des différents entrepôts.

Agnieszka Mroz : L’Amazon Workers International n’est pas une organisation formelle et nous essayons de la conserver ainsi. Nous avons commencé comme un réseau d’échange, de soutien et de solidarité et nous savons qu’Amazon est très flexible, qu’elle fonctionne en flux tendu et qu’elle a la capacité de contourner les goulots d’étranglement ; il faut donc vraiment être au niveau de l’atelier pour savoir quand c’est le bon moment pour faire quelque chose. Mais aussi, en tant que personne extérieure, vous ne pouvez pas vraiment saisir le moment où les travailleur·euse·s s’e mobilisent, car on assiste souvent à une résistance spontanée.

Par exemple, en novembre dernier, pendant l’équipe du matin dans l’un des grands entrepôts du sud de la Pologne, où nos membres travaillaient, un entrepôt pour les gros articles, l’information s’est répandue que les travailleur·euse·s intérimaires, qui sont très précaires, avaient reçu avant l’heure de pointe, une prime supplémentaire, que les travailleurs permanents ou les travailleurs sous contrat plus court mais employés par Amazon, n’avaient pas reçue.

Il faut savoir quand on peut se réunir avec les autres, quand il y a des moments dans la circulation des marchandises où l’organisation des travailleur·euse·s peut nuire économiquement à l’entreprise, car c’est à ce moment-là qu’ils nous écouteront.

C’était donc une question de quelques heures seulement, à partir du moment où cette information avait commencé à circuler et où les gens commençaient à échanger des informations à ce sujet. Ils ont dit : pourquoi les intérimaires devraient-ils avoir un bonus ? Nous devrions tous avoir des primes. Nous devrions tous et toutes être traité·e·s de la même manière. Les conducteurs de chariots élévateurs se sont mobilisés et des dizaines d’entre eux ont refusé de travailler dans l’équipe du matin pendant quelques minutes ; ils se sont rassemblés sur les docks en utilisant des signaux et en criant des slogans.

Dans l’équipe de nuit, leur travail s’est interrompu pendant une heure. Amazon est devenu très nerveuse. Le directeur général est venu au milieu de la nuit, ce qui n’arrive jamais :  ils ne sont jamais là. Ils ont commencé à parler à nos délégué·e·s parce qu’ils savaient que nous nous trouvions avant la [saison] de pointe et que dans un grand entrepôt pour de gros articles, lorsqu’un millier de caristes se réunissent et s’organisent, ils peuvent paralyser l’entrepôt.

Cela s’est produit en un temps très court. Cela nous a montré qu’il faut vraiment être dans l’atelier ; il faut savoir quand on peut se réunir avec les autres, quand il y a des moments dans la circulation des marchandises où l’organisation des travailleur·euse·s peut nuire économiquement à l’entreprise, car c’est à ce moment-là qu’ils nous écouteront. Cela ne se produit pas par le biais de grandes campagnes ou par la prise de parole de politiciens au Parlement européen (nous l’avons vu récemment, avec des politiciens se plaignant de la façon dont fonctionne Amazon, mais cela n’a pas amélioré notre situation en tant que travailleur·euse·s.)

L’Amazon Workers International (L’Internationale des travailleurs d’Amazon) est donc née de l’idée que les travailleur·euse·s de l’atelier doivent échanger des informations au niveau international. Nous ne pouvons pas laisser l’entreprise nous diviser entre Allemand·e·s, Polonais·e·s, Français·e·s et nous mettre en concurrence entre nous. Nous refusons cela.

L’entreprise joue bien sûr sur cette division ; elle joue sur les nombreuses divisions entre les travailleur·euse·s intérimaires, les travailleur·euse·s permanent·e·s, les Polonais·e·s, les Allemand·e·s, les travailleur·euse·s venant de la campagne, de la ville, des grandes villes. Grâce à notre récente mobilisation nous avons également publié notre tract en russe ; il est important d’ajouter qu’il y a de plus en plus de travailleur·euse·s venant d’Ukraine et d’autres pays d’Europe de l’Est, tandis qu’en Europe occidentale, il y a des migrant·e·s polonais·e·s qui travaillent pour Amazon. En Pologne, Amazon s’appuie sur une main-d’œuvre encore moins chère provenant des petits villages. Ils fournissent des bus d’entreprise gratuits pour que les travailleur·euse·s puissent se rendre aux entrepôts, mais ils emploient également de plus en plus de travailleur·euse·s venant d’Ukraine.

Alex N. Press : Les revendications que vous avez mises en avant seraient très compréhensibles pour les syndicalistes aux États-Unis.

Agnieszka Mroz : Premièrement, des salaires plus élevés. Deuxièmement, une plus grande stabilité du travail : nous demandons, tout d’abord, qu’ils se débarrassent des agences d’intérim, car il n’y a aucun argument commercial qui justifie que l’entreprise ait recours à la main-d’œuvre intérimaire. Dans le passé, dans la loi polonaise, cette solution a été introduite pour aider les entreprises en difficulté, afin qu’elles puissent avoir plus de travailleurs intérimaires. Mais Amazon est en pleine croissance ; elle n’est pas en difficulté. Surtout, après l’année 2020 que nous avons connue, nous voulons nous débarrasser des agences d’intérim et que tout le monde soit employé avec un contrat permanent. Le troisième point concerne la rapidité du travail. Il s’agit des quotas de productivité.

Ces trois problèmes ont des expressions différentes selon les pays : en Allemagne, les travailleur·euse·s parlent de contrats permanents parce qu’ils ont des contrats de deux ans avec Amazon (ils ne travaillent pas par l’intermédiaire d’agences) alors que nous parlons surtout de travail temporaire. Ce sont des formes juridiques différentes, mais le cœur de la revendication est vraiment le même.

Amazon a les moyens d’employer des travailleur·euse·s sous contrat à durée indéterminée, de les payer davantage et aussi de ne pas mettre autant de pression sur la rapidité du travail. Mais nous sommes conscient·e·s, grâce aussi à l’AWI, que ces trois problèmes sont les problèmes globaux de la classe ouvrière et du travail chez Amazon.

Magda Malinovska : Amazon est vraiment spéciale dans son ignorance en ce qui concerne la santé et la sécurité mais également en termes de salaires ; le pire concerne son rapport à la santé et la sécurité des travailleur·euse·s. Nous savons, plus ou moins, ce qui devrait être changé pour améliorer les conditions de travail dans l’entrepôt mais ils prétendent être aveugles et sourds.

Ils ne veulent pas nous écouter. Nous devons vraiment les pousser constamment. Il n’y a pas de dialogue : nous devons les pousser et faire pression sur eux pour qu’ils apportent des changements. Nos équipes travaillent dix heures par jour dans l’entrepôt. Nous y passons donc une grande partie de notre temps et, de ce fait, nous devrions avoir notre mot à dire sur l’organisation de notre travail et de nos horaires. Amazon ne nous permet pas d’avoir ça. Nous allons donc poursuivre ce conflit et continuer à faire pression sur eux, non seulement au niveau local, mais aussi au niveau global.

Alex N. Press : L’Europe a la réputation d’être nettement plus favorable aux travailleur·euse·s que les États-Unis. Mais si l’on fait un petit zoom, on s’aperçoit que bon nombre des problèmes qui ont freiné le mouvement ouvrier américain sont également présents en Europe. L’un de ces problèmes est ce que Magda appelle la « bureaucratie ».

Il s’agit des relations politiques de dépendance au sein des principaux syndicats polonais. Dans un article sur l’organisation dans les entrepôts Amazon de Pologne publié dans Jacobin en 2016, l’auteur écrivait que de nombreux/ses travailleur·euse·s là-bas considèrent que Solidarnosc, le plus grand syndicat de Pologne, est « largement passif et plus intéressé par les questions religieuses nationalistes et conservatrices que par les luttes des travailleur·euse·s » et qu’ils « s’opposaient à ce qu’on sollicite son aide. » Comme l’écrivait l’auteur, « les jeunes membres de la main-d’œuvre d’Amazon, dont certain·e·s ont fait des études supérieures et ont acquis une expérience professionnelle en Europe occidentale, considèrent que Solidarnosc est déconnecté de la réalité, qu’il s’agit d’une bande de « vieux syndicalistes à moustaches ». »

Agnieszka Mroz : Oui, j’aimerais faire une observation sur le soi-disant « dialogue social » en Europe par Amazon car j’entends souvent des travailleur·euse·s états-unien·e·s dire que les syndicats sont forts en Europe et que c’est pour cela que les conditions sont meilleures. Traditionnellement, dans le passé, le modèle du soi-disant « dialogue social » était basé sur cette idée que le grand patron, les entreprises, choisiraient le syndicat des grandes entreprises, ils dialogueraient avec eux ; ce syndicat travaillerait comme un gestionnaire, contrôlant l’agitation des travailleur·euse·s et représentant souvent leurs propres intérêts en tant que bureaucrates syndicaux.

Les entreprises allemandes plus traditionnelles qui opèrent en Pologne utilisent ce type de modèle. Amazon ne joue pas ce jeu ; elle ne choisit pas un grand syndicat et n’engage pas avec lui un soi-disant « dialogue social », en marginalisant tous ceux et toutes celles qui ont une stratégie différente, des opinions différentes ou qui sont plus critiques envers l’entreprise. Ils ignorent tout simplement les syndicats ; ils ne font que ce qu’ils doivent faire, ce qui est imposé par la loi locale. Mais ils en font le moins possible.

Je peux vous donner un exemple. En Pologne, la loi stipule que le syndicat est autorisé à négocier les salaires, parce qu’un salaire n’est pas un droit individuel, surtout si des travailleur·euse·s de différents niveaux ont le même salaire, il doit donc faire l’objet de négociations. Ce qu’Amazon fait en Pologne, c’est qu’il signe une annexe individuelle au contrat et c’est ainsi qu’il évite les négociations : en disant qu’il n’est pas couvert par ce processus de négociation collective.

La loi les autorise à le faire. Donc, pour en revenir aux syndicats : nous venons d’une tradition plus populaire, qui, tout d’abord, concerne l’auto-organisation des travailleurs au niveau de l’atelier, mais nous voyons aussi que les syndicats plus conservateurs sont poussés dans cette position. Ils doivent vraiment être actifs à ce niveau, car il n’y a pas de grandes négociations, ce qui signifie que le grand dirigeant syndical ne peut pas parler aux patrons de l’entreprise et conclure des accords dans le dos des autres travailleur·euse·s.

Notre syndicat, qui est un syndicat de base, est le plus grand syndicat de Pologne. Il y a un deuxième syndicat, Solidarność, peut-être que certaines personnes le connaissent depuis les années 80, qui jouait traditionnellement le rôle de  » dialogue social.  » Mais chez Amazon, nous travaillons vraiment ensemble parce qu’Amazon les a aussi poussés à une position défensive.

Nous sommes tous deux obligés de nous organiser dans l’atelier et d’exprimer la colère de nos collègues ; d’organiser des campagnes et d’être critiques sans passer d’accords pourris avec l’entreprise. Nous devrions nous en réjouir, car nous pensons que l’entreprise va changer grâce aux travailleur·euse·s qui se mobilisent au niveau de l’atelier et non grâce à des négociations derrière la porte.

Alex N. Press : Que pensez-vous des efforts d’organisation des travailleur·euse·s d’Amazon aux USA?

Magda Malinovska : L’année dernière, nous étions en contact avec des travailleur·euse·s des États-Unis. Lors de leurs débrayages, à New York et à Chicago, par exemple, les travailleur·euse·s ont réussi à faire beaucoup et n’avaient pas vraiment besoin d’un syndicat pour le faire. Même ici, en Pologne, nous avons obtenu certaines choses grâce aux travailleur·euse·s des États-Unis qui ont organisé des débrayages en exigeant des contrôles de température et certaines mesures de sécurité.

Après ces débrayages, ils ont introduit ces mesures, comme les contrôles de température, dans les entrepôts en Allemagne, en Pologne, etc. Ici, nous avions des syndicats qui demandaient un contrôle de la température, mais nous n’avions pas réussi à l’obtenir. Mais ensuite, ces travailleur·euse·s états-unien·e·s ont organisé des manifestations, qui ont été plus importantes pour Amazon car elles ont exercé une réelle pression sur eux, et nous l’avons obtenu. Donc, nous devons aussi apprendre où sont nos points forts et comment les utiliser. Les travailleur·euse·s l’ont très bien fait à Chicago, sans avoir besoin d’une structure formelle pour faire pression sur Amazon.

Alex N. Press : Les mauvaises conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon font l’objet de beaucoup de couverture médiatique et d’attention ces jours-ci., Les gens évoquent par exemple constamment des histoires de travailleur·euse·s qui pissent dans des bouteilles parce qu’ils et elles n’ont pas le temps d’aller aux toilettes. On a également rapporté que la société employait des espions Pinkerton dans des entrepôts en Pologne. Que pensez-vous de ces récits sur ce qui se passe dans les locaux d’Amazon ?

Agnieszka Mroz : Nous n’aimons pas cette approche consistant à victimiser les travailleur·euse·s, à les présenter comme les victimes d’espionnage ou de mauvaises pratiques de gestion. Je veux dire que c’est bien la réalité que nous voyons dans nos entrepôts mais si nous sommes des victimes, nous n’avons pas le pouvoir de la changer. Ainsi, toutes ces informations sur les travailleur·euse·s qui pissent dans des bouteilles sont un bon sujet d’article pour les grands médias, mais ce n’est pas une information qui rendrait nos collègues déterminé·e·s à débrayer ou à se syndiquer.

Mais d’autres choses le feraient, comme le fait que la direction menace les travailleur·euse·s lorsqu’ils ou elles prennent une pause plus longue, de sorte qu’ils ou elles sont puni·e·s par une mise à pied. Cette expérience quotidienne de l’exploitation mettrait les travailleur·euse·s en colère, mais seulement dans la mesure où ils et elles ne considèrent pas comme des victimes. Les travailleur·euse·s ne veulent pas être considéré·e·s comme des esclaves, car les esclaves ne peuvent pas facilement résister ; les esclaves ne peuvent pas être le sujet du mouvement, de la mobilisation. Je dirais donc que cette information sur les travailleur·euse·s en tant que victimes n’est pas très utile.

Cela ne signifie pas non plus que nous, en tant que travailleur·euse·s, ne sommes pas capables de nous exprimer ! Nous sommes capables de nous exprimer. Nous sommes capables d’écrire nos tracts, nos journaux et nous sommes capables d’élaborer des théories et de réfléchir à la manière dont Amazon devrait changer. Le message est donc le suivant : si vous voulez soutenir les travailleur·euse·s, il ne faut peut-être pas vous concentrer uniquement sur les grands médias, qui nous dépeignent comme de pauvres victimes de l’algorithme du capitalisme numérique face auquel vous ne pouvez rien faire. Ce n’est pas vrai.

La plupart du travail chez Amazon est un travail physique ; il s’agit de tourner son corps, d’utiliser ses muscles et de marcher beaucoup. Nous ne sommes pas sous la tyrannie de l’algorithme où l’on ne peut rien faire. Ce n’est pas notre expérience. Il est bien sûr vrai qu’Amazon dispose d’une armée d’avocats et de sociologues qui observent ce que nous faisons au quotidien dans l’entrepôt. Mais nous pensons que nous sommes toujours beaucoup plus qu’eux dans l’entrepôt, où il y a des milliers de travailleur·euse·s qui, si nous nous rassemblons, peuvent changer ce rapport de force.

Alex N. Press : Que dites-vous aux personnes qui se sentent en conflit avec leur utilisation d’Amazon en tant que consommateurs ?

Agnieszka Mroz : Cette question m’a été posée récemment, à l’occasion du Prime Day, par des personnes qui veulent toujours acheter sur Amazon. Elles disent que, pour une raison ou une autre, c’est pratique pour elles, que c’est rapide ou qu’elles ne peuvent pas acheter d’autres produits. Que dois-je en penser en tant que travailleuse ?

Je ne crois pas au boycott par les consommateurs et des consommatrices. Si vous voulez acheter sur Amazon, faites un don à un fonds de grève ; sachez qu’il y a là des travailleur·euse·s qui peuvent parler et qui sont capables de formuler leurs propres revendications :  soutenez-les, parce que rien ne changera sans ces travailleur·euse·s. Il existe différents syndicats, différents groupes, différentes initiatives dans différents pays. Donc si vous achetez sur Amazon et que vous n’êtes pas d’accord avec l’exploitation, trouvez un moyen de soutenir les travailleur·euse·s qui s’auto-organisent dans l’entrepôt où vous achetez.

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Magda Malinovska est une travailleuse chez Amazon à Poznań, en Pologne, et milite au sein de l’Amazon Workers International (AWI).

Agnieszka Mroz travaille chez Amazon à Poznań, en Pologne et est membre de l’organisation Amazon Workers International (AWI).

Entretien réalisé par Alex N. Press,  collaborateur de la revue Jacobin.

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Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

Illustration : LaborNotes.