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Les accusations d’antisémitisme contre Jeremy Corbyn n’ont aucun fondement

Corbyn

Lien publiée le 10 juin 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Les accusations d’antisémitisme contre Jeremy Corbyn n’ont aucun fondement – CONTRETEMPS

Danielle Simonnet et Danièle Obono sont depuis plusieurs jours la cible d’attaques politiques et médiatiques aussi convenues qu’ignobles, de la part de dirigeants socialistes (B. Cazeneuve, D. Assouline), de la candidate PS dans le 20e arrondissement de Paris Lamia El Aaraje, de Patrick Haddad, mais aussi de la LICRA ou encore de journaux comme le Canard enchaîné et le Figaro. La raison ? D. Simonnet et D. Obono ont reçu l’ancien dirigeant du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, venu en personne à Paris les soutenir dans le cadre de la campagne législative en cours.

C’est à réfuter une nouvelle fois les mensonges proférés et répétés sur tous les tons et sur tous les plateaux concernant le prétendu « antisémitisme » de Corbyn (ou sa complaisance à l’antisémitisme) que s’attelle Thierry Labica dans cet article. T. Labica est notamment l’auteur d’un livre sur le corbynisme, intitulé L’hypothèse Corbyn, une histoire politique et sociale de la Grande-Bretagne depuis Tony Blair (éd. Demopolis, 2019). 

***

« Je ne crois pas, pour ce qui me concerne, que Jeremy Corbyn soit un antisémite. C’est mon avis, en toute franchise. Je le connais depuis vingt deux ans que je suis au parlement. Même lorsque j’étais à droite, on s’entendait vraiment très bien. Il m’a toujours beaucoup soutenu et je n’ai jamais détecté le moindre relent d’antisémitisme » (John Bercow, ex-président de la Chambre des communes, 2009-2019)

Faut-il être à ce point aux abois, avoir si peu à proposer, tant à faire oublier, et vivre dans une si grande certitude de la déroute, pour s’emparer aussi désespérément des armes de la calomnie ? Les attaques lamentables dirigées par le PS (et la Licra) contre les candidates des 15e et 17e circonscriptions parisiennes, Danielle Simonnet et Danièle Obono, pour le soutien qu’elles ont reçu de la grande figure de la gauche britannique Jeremy Corbyn, incitent à voir les choses ainsi. Mais on reconnaît là aussi le registre de la panique morale qui invariablement accompagne la gauche dès lors qu’elle s’approche du pouvoir. Ce qui est vrai de la NUPES ces dernières semaines en particulier, l’a été de Corbyn, ou de Sanders qui, en particulier avec l’élue au Congrès Ilhan Omar, fut la cible d’attaques du même genre.

Documenter les décennies d’engagement antiraciste de Corbyn, et de sa lutte parlementaire et extra-parlementaire contre l’antisémitisme, c’est un peu comme devoir démontrer qu’il fait jour en plein midi à qui a réussi à se convaincre du contraire. Sa réputation, en la matière, est reconnue de toute part, de très longue date et concernant les accusations d’antisémitisme, on observera qu’elles ont été parfaitement inexistantes tout au long de sa longue carrière politique, jusqu’au jour de septembre 2015 où ce défenseur de la cause palestinienne  a été, à une très large majorité, élu dirigeant du parti travailliste.

Par quel mystère ses opposants les plus virulents auront-ils réussi à ne pas voir, pendant plus de trente ans, la marque de l’infamie soudain pointée comme une évidence incontestable en 2015 ? L’éventualité de voir devenir premier ministre de la cinquième puissance mondiale une figure se revendiquant du socialisme, militant anti-guerre et défenseur du droit international, galvanisant toute une jeunesse n’ayant connu que les diverses nuances de dévastation néolibérale, devait, encore une fois, y être pour quelque chose.

Les accusations d’antisémitisme sont toujours graves et ne devraient en aucun cas être lancées à la légère. On est donc en droit d’exiger que la candidate PS, Me El Aaraje, indique la provenance de son chiffre  de « 1000 plaintes enregistrées par ce parti », chiffre qui en vérité n’existe nulle part et relève de la pure improvisation. Veut-on des chiffres sur la propagation de l’antisémitisme dans le Labour Party [Parti travailliste, centre-gauche] dirigé par Corbyn ? Devenue secrétaire nationale du Labour en 2018, Jennie Formby publia l’année suivante les données concernant les procédures disciplinaires au sein du parti. Entre 2018 et 2019, sur une période d’un peu moins d’un an, avaient été reçues 1106 allégations d’antisémitisme dont 433 ne concernaient aucun membre du parti (qui comptait alors 540 000 adhérent.es). Sur les 673 signalements restants, 220 furent entièrement rejetés pour absence de preuve, soit 1/12e de 1 % . 96 cas aboutirent à des suspensions, soit, 0.01 %, ou 1/100e de 1 % des adhérent.es du parti. Il y eut douze exclusions, soit 0,002 %, ou 1/500e de 1 % des membres du parti.

Ces chiffres ne faisaient que prolonger et confirmer les résultats d’autres enquêtes : celles de 2015 et 2017 conduites par l’institut YouGov et Campaign Against Antisemitism, qui montraient une incidence particulièrement faible des préjugés antijuifs dans le Labour et son électorat, bien moindre que chez les conservateurs, et en recul de surcroît ; celle du Home Affairs Committee de la Chambre des Communes, parue en octobre 2016, qui notait qu’il « n’existe pas de preuve fiable, empirique permettant de soutenir l’idée selon laquelle il y aurait une plus grande prévalence d’attitudes antisémites au sein du parti travailliste que dans n’importe quel autre parti politique »[1] ; ou encore, l’étude de 2017, sur l’antisémitisme au Royaume-Uni, faite par l’Institute for Jewish Policy Research (JPR) et le Community Security Trust (CST)[2], étude selon laquelle « l’antisémitisme n’est pas plus prévalent à gauche que dans le reste de la population » (JPR, sept.2017).

Si l’antisémitisme existe bel et bien dans la société britannique, non seulement rien n’a pu justifier la thèse d’un Labour en proie par un antisémitisme effréné, mais en outre, les données montrent une incidence des préjugés antisémites nettement inférieure, au sein du Labour, à ce qui prévaut dans e reste du pays en général (où ces préjugés sont entretenus par entre deux et cinq pour cent de la population). Sans surprise : c’est dans les classes d’âge les plus jeunes que Corbyn- et la gauche travailliste ont eu le plus d’écho et de soutien, soit, dans cette part de la population dans laquelle ces préjugés sont les plus rares.[3]

La même exigence s’applique aux déclarations de Ms. Cazeneuve, Haddad, Assouline ou pour la Licra, par simple souci de la crédibilité de la parole publique de « responsables ». En l’état, les uns et les autres assènent de grossières contre-vérités sur un rapport qu’ils n’ont pas lu, des décisions qu’ils n’ont pas suivies, des chiffres dont ils ne savent rien (quand tout ceci est aisément vérifiable et vérifié pour un peu que l’on juge encore opportun de se documenter) : comme l’a immédiatement signalé Me Simonnet, Corbyn a bel et bien été réintégré au Labour (par décision formelle du Comité exécutif national) et M Assouline ne sait manifestement pas de quoi il parle. Il fait en outre référence à un document (le rapport « accablant » de l’EHRC) dont il n’a manifestement pas lu la première page.[4]

Un tweet de M. Cazeneuve renvoie à un article de journal dont le titre lui aussi est propre à induire en erreur (journal qui lui-même s’est très activement investi dans la campagne « ABC » (« tout sauf Corbyn », par exemple, en prétendant révéler les « armées antisémites de Jeremy Corbyn »[5]). Le tweet de la LICRA ne vaut pas mieux : où et quand, par quels propos ou quelle(s) déclaration(s) Jeremy Corbyn aurait-il dit « assumer » l’antisémitisme « bien connu » dans le Labour ? Corbyn n’a jamais cessé de lutter en paroles et en actes contre l’antisémitisme, en prenant l’initiative de- ou en se joignant à des dizaines de procédures parlementaires (early day motions) sur la question de l’antisémitisme[6], notamment. Parle-t-on bien du même dirigeant qui dans son discours au congrès travailliste de 2018 déclarait :

À toutes et tous au sein de la communauté juive : ce parti, ce mouvement, mènera toujours une lutte implacable contre l’antisémitisme et le racisme dans toutes ces formes. Nous sommes votre allié. Et le prochain gouvernement travailliste garantira les soutiens nécessaires, quels qu’ils soient, pour assurer la sécurité des centres et des lieux de prières de la communauté juive, comme nous le ferons pour toute communauté confrontées à des attitudes haineuses et à des agressions physiques. Nous travaillerons avec les communautés juives pour éradiquer l’antisémitisme, tant dans notre parti que dans la société en général. Et avec votre aide, je me battrai pour cela sans relâche.

Mais qu’importe : les accusations les plus infondées peuvent être répandues comme des poignées de confettis sans le moindre souci des faits comme de l’insulte profonde faite aux millions de victimes du judéocide nazi que, dans la plus totale indignité, l’on se permet de convoquer pour les simples besoins de l’heure.

On connaît le principal effet de ce genre de coup, cependant : comment ne pas tenter de répondre, rectifier, rappeler les faits pour ne pas laisser persister la déformation mensongère ?[7] Mais c’est précisément ainsi que, perdant son énergie et son intelligence à dépolluer l’eau du puits, on en délaisse l’irrigation du verger, ou autrement dit, la défense du contenu programmatique dont il serait pourtant si urgent de débattre. La gauche britannique a fait l’expérience douloureuse de cette neutralisation (et deux ans de « réponses » aux accusations d’« islamo-gauchisme » ou de « wokisme » donnent aussi une idée de la nature du problème).

Deux choses, pour finir. Toutes sortes de militant.es et de personnalités juives de la gauche britannique et internationale, d’organisation et d’associations juives de toute nature (militant.es travaillistes[8], survivants du judéocide, rabbins, citoyens israéliens[9],..), ont exprimé leur solidarité avec Corbyn lorsqu’il était à la tête du parti. La presse britannique, et française à sa suite, n’a jamais jugé utile d’en rendre compte, préférant le registre de la mise à mort symbolique, plus utilement « informatif », aura-t-on compris.

En se conformant à ce déni, comme le font nos justicier.es à la toute petite semaine (de campagne électorale), on ne se contente pas d’entretenir une ignorance propre à appauvrir toujours un peu plus le « débat » public : on accepte de se livrer au travail abject de tri entre « bons » et « mauvais » juifs (de gauche), ces derniers s’étant vus dénier toute présence audible dans l’arène politique alors qu’ils et elles se trouvent avoir été les premières cibles des assauts contre la gauche socialiste du parti, jusqu’au réseau Jewish Voice for Labour, continuellement pris à parti à coups de suspensions et d’exclusions. En participant de ce mécanisme nocif, entre ignorance, opportunisme et déni, Cazeneuve et al. ne prennent manifestement pas la mesure de la logique d’occultation et de rejet – de ces juifs qui ne seraient pas les « bons » – qu’ils et elles contribuent à reconduire. Mais au PS, il est vrai, on en est manifestement plus à un naufrage près.

Adressons-leur toutefois un remerciement bien compris dès lors que les uns et les autres nous donnent une bonne occasion d’exprimer notre solidarité internationaliste avec Jeremy Corbyn qui a incarné un immense espoir de progrès social et environnemental, tout un ensemble de perspectives programmatiques et organisationnelles nouvelles quand la possibilité même semblait en avoir disparu, et ce, face à un déluge d’hostilité médiatique et politique ininterrompu.

Comptons que Cazeneuve, Aaraje et al., n’auront pas la décence de produire les excuses publiques qui conviendraient. Reste à leur souhaiter bon vent, sur les mots de Sue Lukes, élue travailliste locale, grand-mère, fière de sa judéité, et inspirée par un « brilliant young candidate by the name of Jeremy Corbyn ».

Notes

[1]House of Commons Home Affairs Committee, « Antisemitism in the UK », Tenth Report of Session 2016-2017, oct. 2016, p.46.

[2]Le JPR est un think tank de la communauté juive, très respecté ; le CST est une organisation caritative dédié à la lutte contre l’antisémitisme.

[3]https://skwawkbox.org/2018/03/29/exclusive-caa-yougov-data-show-labour-significantly-less-antisemitic-under-corbyn/?shared=email&msg=fail

[4]Pour plus de détail, cf: https://www.contretemps.eu/suspension-corbyn-labour-angleterre-antisemitisme-liberalisme/

[5]Sunday Times du 7 avril 2019.

[6]On en trouvera la liste ici : https://skwawkbox.org/2019/07/09/fifty-times-jeremy-corbyn-stood-with-jewish-people/

[7]cf., par exemple https://www.contretemps.eu/gauche-labour-corbyn-grande-bretagne/

[8]Par exemple : https://www.islingtontribune.co.uk/article/corbyn-values-jewish-community%22

[9]Par exemple :https://www.jewishvoiceforlabour.org.uk/article/citizens-of-israel-send-letter-of-support-to-corbyn/