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Colombie: Gustavo Petro et Francia Márquez renforcent le bloc politique du pouvoir progressiste
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Horacio Duque*
Ce dimanche 19 juin, un événement extraordinaire et historique a eu lieu en Colombie. Avec l'élection de Gustavo Petro et Francia Marquez, un puissant bloc politique progressiste et démocratique s’est imposé malgré un vote important pour les secteurs d’ultra-droite et de droite représentés par la candidature de Rodolfo Hernández, un multimillionnaire, homme d’affaires dans l’immobilier du département de Santander, qui se présentait comme une alternative renouvelée du régime oligarchique dominant dans l’État et de la structure de pouvoir hégémonique.
Le sénateur Gustavo Petro Urrego a remporté le soutien de 11.281.013 Colombiens qui ont compris son message de changement et de transformation de l’ancienne structure sociale, économique et politique colombienne. En termes de pourcentage, nous parlons de 50,44 % des suffrages exprimés. La clé de ce puissant mouvement a été le militantisme des femmes, l’action des jeunes (en particulier celles et ceux de la Première Ligne, en butte aux abus policiers et judiciaires par le gouvernement actuel, qui a récemment ordonné leur emprisonnement), les revendications de millions de citoyens vivant dans la pauvreté, la défense de la paix totale, la lutte contre la corruption, la stabilisation agraire, le rejet de l’infâme et mafieux gouvernement uribiste (1) d’Iván Duque et la normalisation des relations avec la République bolivarienne du Venezuela.
Ce triomphe de Gustavo Petro est le résultat d’une lutte prolongée (durant des décennies) contre le régime oligarchique fasciste, fondé sur une violence systématique contre les partis de gauche, contre les syndicats, contre les dirigeants sociaux, contre les paysans persécutés par la puissante caste des propriétaires terriens et des éleveurs de bétail qui monopolisent près de 40 millions d’hectares de terres semi-productives (2).
La victoire de Gustavo Petro et du Pacte historique (3) et la chute du régime néonazi de l’uribisme peuvent être comparées à la défaite de l’hégémonie conservatrice en 1930 (initiée par la Constitution de 1886) qui avait tenté de s’accrocher au pouvoir par des massacres, comme celui des bananeraies (4), l’assassinat d’étudiants et la fraude électorale promue par la hiérarchie catholique et le Parti conservateur.
Rodolfo Hernández a certes obtenu un score important, 10.580.412 voix, soit 47,31 % de l’électorat qui s’est rendu aux urnes ce dimanche. C’était le pari de l’ultra-droite, regroupée autour d’une stratégie aux visées antipopulaires et régressives. Hernández a tenté de canaliser l’indignation citoyenne contre la corruption des clans pro-gouvernementaux qui ont mené ces dernières années un détournement massif des finances de l’État – une question non négligeable compte tenu du contexte du référendum anti-corruption qui, au second semestre 2018, a mobilisé 13 millions de citoyens. Cependant, cette candidature a dérivé vers un vedettariat grotesque, qui a heurté les luttes de genre, le sentiment religieux et les millions de travailleurs pauvres. En réalité, au fur et à mesure que la campagne et le débat électoral avançaient (depuis le 29 mai) et que les scénarios les plus complexes de la nation apparaissaient, l’opinion publique a vu un personnage engagé dans la corruption en tant que conseiller municipal de sa ville natale Piedecuesta et en tant que maire de Bucaramanga, ce qui a conduit le bureau du procureur général à l’accuser de corruption et d’autres délits dans un contrat de gestion des déchets dans la capitale du département Santander. Hernández a bien été perçu comme étant ancré dans le patriarcat et la violence machiste, dans l’accaparement et l’appropriation des terres ainsi que dans un système aberrant d’exploitation de milliers d’acheteurs de logements à vocation sociale (ces travailleurs qualifiés de « petits hommes », hombrecitos), qui sont aujourd’hui saisis et expropriés par ce grotesque richissime.
Dans ces conditions, la solide victoire du sénateur Gustavo Petro est le reflet de la puissante mobilisation du peuple colombien déployée depuis 2019 avec un pic exceptionnel dans l’explosion populaire du 28 avril 2021, gravement ensanglantée par l’assaut policier et militaire démentiel qui a coûté la vie à des leaders sociaux, paysans, féminins, jeunes et étudiants.
C’est aussi le reflet de la profonde indignation de millions de Colombiens vivant dans des conditions de pauvreté terribles, conséquence de la crise sanitaire du Covid-19 et de la récession économique, qui ont réussi à comprendre qu’il était nécessaire de construire une puissante force politique de changement – celle du Pacte historique – qui a également obtenu un important groupe parlementaire ouvert à l’action politique radicale.
Ce qui vient de se passer en Colombie et sa portée pour la lutte des peuples d’Amérique latine n’est pas une mince affaire. Nous, les Colombiens, nous sommes débarrassés de la pire des cliques oligarchiques de la région.
Ce qui nous attend, c’est une lutte acharnée pour trouver des solutions immédiates afin de répondre aux demandes les plus urgentes de la population. Il s’agit entre autres :
• du revenu de base pour 5 millions de ménages (20 millions de Colombiens) ;
• du droit à une retraite indexée sur le salaire minimum pour 3 millions de personnes âgées qui n’ont pas de pension actuellement ;
• de la réforme du système de santé pour le soustraire aux pieuvres financières qui empochent des milliards de pesos avec les cotisations des affiliés à l’EPS (5) ;
• de la garantie de la gratuité de l’enseignement supérieur ;
• de la réalisation d’une réforme agraire démocratique qui donne 3 millions d’hectares aux paysans sans terre et récupère 8 millions d’hectares supplémentaires ;
• de la reprise du chemin de la paix pour qu’il soit complet dans le dialogue avec l’ELN et les autres insurrections révolutionnaires ;
• de l’approfondissement de la démocratie participative et le renforcement du contrôle social et des audits de la gestion et des dépenses publiques ;
• du châtiment exemplaire des bandes criminelles corrompues des partis libéraux, conservateurs et pro-Uribe ;
• de l’épuration des appareils militaires et policiers pour les sortir de ce qui était la doctrine de la Sécurité nationale ;
• de la promotion de l’industrie et des forces productives nationales pour construire une nouvelle économie ;
• de la consécration des droits des femmes ;
• de la transformation des systèmes culturels et de communication.
En résumé, le solde net de la journée politique est l’effondrement de l’hégémonie politique du fascisme et l’émergence d’une nouvelle contre-hégémonie qui doit travailler à la construction de nouveaux consensus ; à la projection d’un corps idéologique qui nourrit l’idée de démocratie populaire et de socialisme à partir de la famille, de l’école, de la vie religieuse et des médias. Et qui encourage la confrontation afin de permettre la construction de nouvelles subjectivités engagées dans la construction d’une société solidaire, anti-patriarcale et anti-oligarchique.
En Colombie, l’espoir a triomphé et les majorités ont vaincu une mafia sinistre et violente qui a accumulé toutes sortes de pratiques arbitraires et d’outrages contre les majorités pendant des décennies.
De nouveaux défis nous attendent, qui doivent être relevés en fonction des conditions concrètes.
Bogota, 19 juin 2022
* Horacio Duque Giraldo, est politologue et historien.
Cet article a été publié le 19 juin par le réseau socialiste de Colombie, La Rosa Roja : https://larosaroja.org/gustavo-petro-y-francia-marquez-consolidan-bloque-politico-de-poder-progresista-en-colombia/
(Traduit de l’espagnol par JM).
Notes
1. L’uribisme est un spectre politique populiste, d’ultra-droite et néolibéral dirigé par l’ancien président Álvaro Uribe Vélez, dont le président sortant Yván Duque fut l’héritier direct. Ennemi juré de la guérilla dans son pays et dénoncé pour ses liens avec les groupes paramilitaires, Uribe a été le fer de lance de la campagne de rejet de l’accord de paix avec les FARC.
2. Dans le programme électoral de Gustavo Petro on pouvait lire : « En tant qu’outil stratégique de la réforme agraire, nous réaliserons un cadastre polyvalent sur la base duquel nous découragerons par la fiscalité les grands domaines improductifs sur les terres fertiles et guiderons la distribution équitable des terres. Nous stimulerons la transition d’une sous-utilisation ou d’une utilisation inadéquate des terres pour l’élevage extensif vers une utilisation conforme à la vocation productive, notamment la production agroalimentaire et la mise en œuvre de systèmes agro-sylvo-pastoraux. Cela répondra aux principes de pertinence dans chaque sous-région, en suivant les critères environnementaux et d’utilisation appropriée des terres établis par l’Unité de planification agricole rurale (UPRA), dans le cadre des politiques d’aménagement du territoire autour de l’eau.
« Dans les sous-régions stratégiques pour faire de la Colombie une puissance agricole, nous proposerons aux propriétaires de grands domaines improductifs d’activer la production de leurs terres, de payer les impôts correspondants ou, en dernier recours, de les vendre à l’État pour qu’il les cède à son tour aux communautés rurales. Les terres les plus fertiles du pays généreront des emplois pour des millions de familles déplacées de leurs terres, des coopératives de producteurs agricoles et d’autres acteurs ruraux. Nous serons une puissance agricole, afin qu’il n’y ait plus jamais de faim sur notre sol. » ()
3. Le « Pacte historique – La Colombie peut » est une coalition électorale de partis de gauche, de centre-gauche et des mouvements sociaux, lancée officiellement me 11 février 2022. Aux élections législatives du 13 mars dernier, le Pacte a réalisé 17,35 % des suffrages exprimés, obtenant 20 sièges au Sénat (sur 108) et 28 sièges à la Chambre des représentants (sur 188).
4. Le massacre des bananeraies a eu lieu dans la ville de Ciénaga au nord de la Colombie, le 6 décembre 1928, lorsqu’un régiment de l’armée colombienne ouvrit le feu sur des travailleurs grévistes de l’United Fruit Company. Les représentants des grévistes ont parlé de plus de 1 000 morts, le général responsable du massacre de… neuf.
5. Les EPS (Entidades Promotoras de Salud ou Entité de promotion de la santé) sont les structures publiques, privées ou mixtes qui, par délégation de l’État, sont chargées de l’affiliation et de la collecte des cotisations sociales. Il faut être affilié administrativement à une EPS pour pouvoir recevoir des soins de santé d’une « Institution prestataire des services » (IPS) de santé. La réforme de santé du gouvernement d’Iván Duque, qui a déséquilibré le système de santé en faveur de la gestion privée, qui pesait déjà à travers les dits EPS, était une des raisons de la grève nationale de 2022. Gustavo Petro a un objectif clair : passer du modèle public-privé actuel à un modèle public et une couverture de santé universelle.