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Se libérer du capitalisme : on a lu "Réappropriation" de Bertrand Louart
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Se libérer du capitalisme : on a lu "Réappropriation" de Bertrand Louart (marianne.net)
Comment critiquer un système total, complexe et dont dépend désormais près de l’ensemble de l’humanité ? Comment vivre authentiquement et humainement dans le monde d’aujourd’hui ? Bertrand Louart, menuisier-ébéniste, rédacteur et animateur de radio atypique, nous livre quelques (solides) éléments de réponse, dans son essai « Réappropriation » (La Lenteur).
« Je me demande si finalement on ne s’est pas fait avoir, si cette grève n’était pas un leurre. […] Il aurait fallu un idéal de société, on ne l’a pas. » C’est sur ces mots d’un cheminot participant aux grandes grèves de 1995 que s’ouvre l’ouvrage de Bertrand Louart, Réappropriation : jalons pour sortir de l’impasse industrielle (La Lenteur). Menuisier-ébéniste au sein de la coopérative internationale Longo Maï, fondée en 1973, Bertrand Rouart est également rédacteur de la revue Notes & Morceaux choisis, une publication proposant un regard critique sur les sciences, la technologie et la société industrielle, et animateur sur les ondes de Radio Zinzine.
Autant dire que cette description est un peu faiblarde et bien trop superficielle pour un homme en mesure de concevoir un meuble et d’écrire un ouvrage aussi pointu qu’accessible. Réappropriation ambitionne de narrer l’histoire du capitalisme industriel, des mouvements des enclosures en Angleterre du XVIe siècle à UberEats (sans le nommer), tout en proposant une voie émancipatrice : la (re)découverte des moyens pratiques et concrets qui permettent de sortir de l’impasse économique et de la dépendance matérielle. Apprendre à cultiver un lopin de terre, peupler des campagnes saines et se passer progressivement des moyens de locomotion polluants, mais aussi se former à un métier, plus qu’à un job : voici quelques pistes pour redevenir des adultes autonomes.
UNE GAUCHE VRAIMENT POPULAIRE ET SOCIALE
Nuit debout, puis, les gilets jaunes ont démontré à quel point les mouvements sociaux actuels semblaient condamnés, malgré leur durée et leur importance, à l’inefficacité, puis à la disparition – voire l’oubli. Pour Bertrand Louart, la cause réside dans le fait que nous sommes devenus impuissants à critiquer la société industrielle, en raison de notre dépendance quasi-totale à ce système. Réclamer des augmentations de salaire ou de nouvelles mesures est inutile si le système industriel reste la condition sine qua non de la survie des sociétés. Par ailleurs celui-ci, pour maintenir son expansion et sa pérennité, doit continuellement coloniser de nouveaux aspects de l’existence : alimentation, habitat, éducation, et, récemment : orientation dans l’espace, vie amoureuse, vie sexuelle, reproduction. Se réapproprier les techniques, les savoirs et la sensibilité nécessaires pour subvenir soi-même à ses besoins serait donc ni plus ni moins qu’une question de survie dans un environnement de plus en plus maîtrisé, domestiqué et confisqué, dans lequel les êtres humains sont aussi dépendants et inaptes que des enfants craintifs.
Toujours selon Louart, la désormais obsédante quête de l’emploi (le travail pour le travail) est un signe manifeste de dépossession des individus de leur propre existence. Plutôt que de travailler directement pour eux, leur famille et leur communauté, les voici contraints de louer leur force de travail pour pouvoir disposer d’un argent (dont la valeur est toujours relative et « accidentelle ») qui leur sert à payer fort cher ce qui leur revient de droit : un toit sur la tête, quelques vêtements sur la peau, des aliments dans l’estomac. Il n’y aurait désormais plus de lien entre le travail du corps, le travail manuel et la pensée – à l’inverse de la paysannerie ou de l’artisanat. Redécouvrir le sens des mots, remettre en question la définition actuelle du « progrès » forcément assimilé au développement technologique, penser par soi, vivre directement de son travail et non de son salaire est un des crédos de Louart et de sa famille politique. Celle d’une gauche vraiment populaire et vraiment sociale.
* Bertrand Louart, Réappropriation : jalons pour sortir de l’impasse industrielle La Lenteur, 172 p., 15 €