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Sur "La révolution à venir" de Murray Bookchin

Lien publiée le 29 août 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Sortir la gauche de l’impasse : on a lu "La révolution à venir" de Murray Bookchin (marianne.net)

Par Kévin Boucaud-Victoire

Dans « La révolution à venir » (Agone), l’intellectuel Murray Bookchin, décédé en 2006, trace les contours d’un projet écologique et social à même, selon lui, de sortir la social-démocratie, le marxisme et l’anarchisme de leur léthargie.

Pour la gauche, le XXe siècle était celui de toutes les promesses. Marxistes, anarchistes et sociaux-démocrates s’étaient jurés de renverser le capitalisme, plus ou moins brutalement, et de mettre en place de nouvelles sociétés dans lesquelles s’épanouirait le genre humain. Aujourd’hui, ce rêve semble plus éloigné que jamais. Dans La révolution à venir, recueil de textes rédigés entre la fin des années 1980 et le début des années 2000, publié par Agone, Murray Bookchin pose les bonnes questions : « Pourquoi l’émancipation de l’humanité ne s’est-elle pas réalisée ? Pourquoi, le prolétariat, en particulier, n’a-t-il pas accompli sa révolution, telle qu’elle était prédite ? » 

Bien que mal connu dans l’Hexagone, Bookchin est un des auteurs de gauche radicale les plus importants de l’après-guerre, outre-Atlantique. Théoricien du communalisme, qui inspire actuellement les Kurdes du Rojava, il a mis sur pied une pensée originale, afin de répondre aux enjeux sociaux, politiques et écologiques du moment.

MARXISME ET ANARCHISME EN CRISE

Le point de départ est un constat simple : « Les théories de gauche ont vu leur portée et leur contenu tellement réduits qu’elle se résume aujourd’hui à une esthétique de spectacle. » De plus en plus, déplore Bookchin, le social est remplacé par un thème que peut facilement récupérer la bourgeoisie : l’identité, « à laquelle les individus doivent faire face psychologiquement et culturellement ». La raison de cet effondrement est simple : le marxisme et l’anarchisme ne répondent plus aux enjeux contemporains. Malgré leurs mérites, l'Américain reproche à Karl Marx et Friedrich Engels un productivisme, rendu obsolète par l’urgence écologique, leur attachement à l’État, ainsi que d’essentialiser le Prolétariat. Or, la société se structure de moins en moins autour des classes, auxquelles les individus ne se sentent plus appartenir. De nouvelles problématiques sont apparues comme la hiérarchie au sein des classes, le racisme, le sexisme, l’écologie ou la défense des libertés civiles.

L’enjeu pour la gauche est de s’adresser « au "peuple" plutôt qu’à une classe ; une population dont l’inquiétude porte au moins autant sur les libertés, la qualité de la vie et le futur que sur les crises économiques et l’insécurité matérielle. » À l’inverse des marxistes, les anarchistes, eux, minimisent l’importance de l’organisation, qu’elle soit militante ou institutionnelle, et ont tendance à se replier sur des problématiques individuelles.

Mais pour l’intellectuel, « la gauche à venir doit montrer que les problèmes, en apparence hétérogène, de la société actuelle sont imbriqués et découle d’une pathologie sociale commune qui doit être éliminée dans sa totalité », ce que n’a, par exemple, pas réussi à faire l’altermondialisme, qui démarre en 1999 avec les manifestations de Seattle, en marge de la conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour y parvenir, elle doit trouver une théorie qui s’oppose autant à l’exploitation économique qu'aux dominations (racisme, sexisme, nationalisme, etc.) et qui permet également de faire face à la catastrophe écologique. C’est en cela que le communalisme, qui réunit le municipalisme libertaire et l’écologie sociale, lui semble indispensable.

LA SOLUTION COMMUNALISTE

Le communalisme, qui dont la racine est le mot « commune », repose avant tout sur la municipalité, seul échelon réellement démocratique pour l’auteur. La première étape est de « faire évoluer la cité de sorte qu’elle libère toutes ses potentialités et qu’elle renoue avec ses traditions historiques. » C’est pour cela que le « municipalisme libertaire » en est le premier pilier. « Le municipalisme libertaire, explique Bookchin, est un projet ambitieux, historiquement fondamental, qui vise à ramener l’éthique et dans la politique et à démocratiser son fonctionnement. […] Il cherche à reconquérir la sphère publique pour la rendre à l’exercice d’une citoyenneté authentique, tout en rompant avec le morne cycle du parlementarisme et son mécanisme de "parti", ce mode trompeur de représentation publique. »

Concrètement, il s’agit d’organiser la vie politique autour de la municipalité, qui permettrait à tout un chacun de prendre les décisions essentielles, et pas seulement les élus. Pour les métropoles « trop grandes », comme Paris, Londres ou New York, l’idée est de la découper en sections plus petites, comme ce fut le cas dans la capitale française lors de la Révolution. La gauche devrait alors déserter les élections nationales pour investir les élections locales.

S’il est question d’accroître le pouvoir des villes, c’est pour créer une confédération de villes libres. Il s’agirait d’« un réseau de conseils administratifs dont les membres, déléguées ou délégués sont élus par les assemblées de démocratie directe des villages, des villes et même des quartiers de grandes villes. » Ces délégués sont « révocables et responsables » devant ceux qui les ont élus. L’objectif du confédéralisme est de se doter d’un système institutionnel et de se passer de l’État. En effet, ce confédéralisme, à l’image de ce qui est en place dans le Rojava, doit fonctionner de manière très décentralisée, avec le principe de subsidiarité, c’est-à-dire l’idée selon laquelle une autorité centrale ne peut effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l'échelon inférieur. Pour Bookchin, cette organisation est par nature écologique.

RÉVOLUTION GRADUELLE

L’objectif du communalisme est l’écologie sociale, à savoir une écologie soucieuse des problèmes sociaux. D'après l'essayiste, l’exploitation et la domination de l’homme sur l’homme procèdent des mêmes mécanismes que la domination de l’homme sur la nature. Revenir à des échelles plus humaines, selon lui, permettrait une relation plus harmonieuse avec la nature. Contrairement à nombre d'écologistes, Murray Bookchin est plutôt favorable aux technologies « à visage humain », à condition qu’elles favorisent la décentralisation. Car, ce que vise l’États-unien, c’est non seulement l’émancipation humaine, mais aussi une société qui repose sur des principes rationnels et éthiques. La maîtrise de la technologie, et non son refus, permettrait, selon lui, d’atteindre ce but.

Avec le communalisme, Bookchin réconcilie ainsi anarchisme et marxisme, mais apporte également une réponse au dilemme : « révolution ou réforme ? ». Ni l’un, ni l’autre, ou plutôt les deux : pour l’intellectuel, il s’agit de mener une révolution graduelle, en construisant ici et maintenant une alternative, dans le but de changer radicalement la société. Si comme tous les penseurs, Bookchin n’a pu avoir raison sur tout, la gauche gagnerait néanmoins à méditer ses enseignements et investir ses champs d’analyse.