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    Crise du coût de la vie : Les grèves en Grande-Bretagne ne vont pas s’arrêter de sitôt

    Royaume-Uni

    Lien publiée le 5 octobre 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    » Crise du coût de la vie : Les grèves en Grande-Bretagne ne vont pas s’arrêter de sitôt (les-crises.fr)

    Les travailleurs ont fait grève tout au long de l’été pour exiger que soit mis fin à la crise du coût de la vie en Grande-Bretagne et que cela ne se fasse pas à leurs dépens. Attendez-vous à d’autres grèves de ce type dans un avenir très proche.

    Source : Jacobin Mag, Tom Blackburn
    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

    Des grévistes du secteur de ramassage des ordures et du recyclage organisés par le syndicat Unite manifestent devant l’hôtel de ville de Newham à Londres, le 1er septembre 2022. (Guy Smallman / Getty Images)

    Avec des dizaines de millions de personnes confrontées à de graves difficultés, voire à un dénuement total, cet hiver, la Grande-Bretagne ressemble aujourd’hui à une poudrière qui n’attend qu’une étincelle. Partout où vous regardez, le paysage est celui de la négligence et d’un délabrement qui ne cessent de s’aggraver : les salaires réels chutent à un rythme record, le service de santé est à genoux, les plages et les sites touristiques remarquables croulent sous la merde. Après plus de quatre décennies d’hégémonie thatchérienne, les deux principaux partis de Westminster étant sous son emprise, le résultat final est une société dont la cohésion ne tient (mais vraiment de justesse) que grâce à du ruban adhésif.

    L’Office of Gas and Electricity Markets, ou Ofgem — l’une de ces nombreuses agences gouvernementales inutiles contrôlées par les industries qu’elles sont censées réglementer – a encore aggravé la situation la semaine dernière avec sa dernière hausse du plafond des prix de l’énergie. À partir du 1er octobre, le plafond des prix (si on peut encore l’appeler ainsi) passera à 3 549 £ par an pour la facture moyenne d’un ménage en biénergie. Les prévisions pour l’année prochaine sont encore plus sombres : l’une d’entre elles, établie par la société de conseil Auxilione, prévoit que les factures atteindront 5 632 £ par an à partir de janvier, avant de grimper encore davantage pour atteindre 7 700 £ à partir d’avril.

    Le débat de ces dernières semaines quant aux avantages et aux inconvénients si on refuse de payer sa facture d’énergie semble presque désuet. Citizens Advice a estimé qu’à partir de janvier, 13 millions de personnes, soit près d’un ménage britannique sur quatre, ne seront pas en mesure de payer leur énergie. Les 4 millions de ménages les plus pauvres équipés de compteurs à prépaiement, qui servent très souvent à piéger les gens dans la pauvreté énergétique, devront faire face à des coûts énergétiques de 714 £ par mois d’ici janvier.

    Une récente étude de l’Université de York met brutalement en évidence la gravité des privations auxquelles sont actuellement confrontés les travailleurs. Elle prévient que d’ici le nouvel an, deux tiers des ménages britanniques—soit un nombre ahurissant de 45 millions de personnes – se trouveront en situation de précarité énergétique, dont plus de 80 % des familles nombreuses, des parents isolés et des couples de retraités. Une précarité énergétique d’une telle ampleur menace d’avoir des effets désastreux sur la santé, accablant un National Health Service qui plie déjà sous la pression ; les patrons des services de santé ont mis en garde contre une « crise humanitaire » imminente.

    II en est de même pour de nombreuses entreprises – qui ne bénéficient même pas de la protection dérisoire du plafond des prix de l’énergie fixé par l’Ofgem pour les ménages – et qui risquent également de se retrouver au pied du mur, ce qui menace de déclencher une vague de pertes d’emplois. Une enquête a révélé que 70 % des pubs ne devraient pas survivre à l’hiver, certains d’entre eux faisant état d’une multiplication par cinq de leur facture énergétique. La perspective de vivre dans une Grande-Bretagne privée de près des trois quarts de ses pubs est déjà mauvaise en soi, mais elle est encore pire si l’on considère qu’ils font partie des rares centres communautaires qui subsistent dans de nombreuses régions, sans parler de la perspective de voir leur personnel se retrouver au chômage.

    Alors que l’Europe est confrontée à une crise énergétique à l’échelle du continent, le président français Emmanuel Macron a déclaré la semaine dernière que « l’ère de l’abondance » était terminée, ce qui a suscité l’enthousiasme des experts britanniques qui, bien entendu, n’ont pas l’intention de sacrifier quoi que ce soit. Mais pour certains, l’ère de l’abondance ne fait que commencer. Les producteurs d’énergie britanniques, par exemple, devraient engranger des bénéfices outranciers d’un montant de 170 milliards de livres sterling rien qu’au cours des deux prochaines années, alors que les gens ordinaires sont plongés dans la misère.

    Dans ce contexte, on a beaucoup parlé de la léthargie du gouvernement. Bien sûr, on pourrait s’attendre à ce qu’une course pour le leadership des Tories [les conservateurs, NdT] donne lieu à un florilège de réactions – et elle n’a pas déçu sur ce plan – mais l’obsession pour la guerre culturelle a été telle que les dures réalités de la crise croissante se sont à peine immiscées dans les débats. Liz Truss, qui a de fortes chances de l’emporter haut la main, n’a rien eu à offrir, si ce n’est un jeu boiteux d’actrice thatcherienne et un baratin stupide sur les réductions d’impôts – qui, comme par hasard, profiteraient principalement aux 1% les plus riches.

    Truss et son entourage auraient cependant l’intention d’accélérer le forage de gaz en mer du Nord. Non seulement cela démontre une fois de plus à quel point le parti Tory reste encore attaché au négationnisme climatique – particulièrement odieux actuellement, avec 33 millions de personnes déplacées à cause des inondations au Pakistan – mais cela ne contribuerait guère à rendre l’énergie plus abordable pour les consommateurs, puisque les prix sont toujours fixés par le marché mondial. Elle permettrait toutefois aux entreprises énergétiques d’accroître leurs bénéfices astronomiques. (Pure coïncidence sans doute, les producteurs de pétrole et de gaz figurent parmi les plus généreux donateurs des Tories).

    Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un exemple supplémentaire du court-termisme qui a rendu la Grande-Bretagne particulièrement vulnérable à la crise actuelle. Pendant plus de quatre décennies, les infrastructures sociales du pays ont été négligées et les améliorations essentielles n’ont pas été apportées, en grande partie à cause du dogme néolibéral ; les politiciens se sont fourvoyés, ainsi que le public, en se persuadant que le marché allait tout assurer (et que tout ce qu’il ne pourvoirait pas n’en valait pas la peine). Toute considération qu’il pourrait y avoir un intérêt public prépondérant a fait l’objet de railleries et de moqueries.

    En raison de cette idéologie, qui rassemblait l’ensemble de l’échiquier politique à Westminster, les gouvernements successifs ont traîné des pieds pour convertir le pays aux énergies renouvelables jusqu’à ce qu’il soit presque trop tard, tandis que le parc immobilier britannique est le plus vétuste d’Europe (l’investissement public dans l’isolation des logements s’est littéralement écroulé sous le gouvernement de coalition Tory-Lib Dem [conservateurs + démocrates libéraux, NdT] et ne s’est pas redressé depuis). La crise actuelle ne fait que mettre en évidence cette incurie ; il semblerait bien que les volailles néolibérales soient à nouveau en train de rentrer au poulailler.

    Les conservateurs et les travaillistes de droite ont serré les rangs pour écraser toute alternative, la colère populaire croissante ne trouve aucune expression au sein des partis politiques. Le Labour de Keir Starmer a fui tout ce qui ressemble soit à du militantisme syndical, soit à du radicalisme politique, en éludant la question de la renationalisation de l’énergie – soutenue par près de la moitié de l’électorat Tory – pour rassurer l’oligarchie britannique et lui garantir qu’il ne fera rien pour la contrarier. Il n’est donc pas étonnant que l’initiative de mener la riposte incombe entièrement aux syndicats et aux mouvements non-parlementaires.

    En raison des revers essuyés au cours des décennies précédentes, les rangs du mouvement syndical restent très fortement amoindris par rapport à ce qu’ils étaient autrefois. Mais avec la multiplication des actions de grève, et sachant que d’autres sont à venir, la situation actuelle est révélatrice de l’indignation et du désespoir éprouvés par des millions de personnes. Fait extraordinaire, un sondage d’opinion a révélé que 29 % — soit près d’un tiers — des personnes, dont la moitié composée de jeunes de 18 à 24 ans, estiment que des émeutes seraient une réponse légitime. Avec le recul, on peut penser que les conservateurs en savaient peut-être plus qu’ils ne le laissaient entendre lorsqu’ils ont réprimé de manière préventive les manifestations.

    Il est certain qu’à un moment ou à un autre, le gouvernement sera contraint de faire face à la réalité et de prendre des mesures plus radicales pour protéger les consommateurs et les entreprises de la flambée des prix de l’énergie, au moins afin de juguler les profits des entreprises de combustibles fossiles. Mais les prix de l’énergie vont grimper en flèche dans les semaines à venir, et la pression est déjà insupportable pour beaucoup. Des millions de personnes pourraient ne pas être en mesure de chauffer leur maison au cours des prochains mois, et à moins qu’une aide supplémentaire ne soit apportée de toute urgence, il se pourrait bien que les dirigeants soient néanmoins amenés à passer un hiver particulièrement chaud.

    Contributeur

    Tom Blackburn est un des rédacteurs fondateurs de New Socialist. Il vit dans le Grand Manchester.

    Source : Jacobin Mag, Tom Blackburn, 04-09-2022

    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises