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    Pérou. Quand la majorité populaire, indigène, est qualifiée de terroriste et réprimée

    Pérou

    Lien publiée le 21 janvier 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Pérou. Quand la majorité populaire, indigène, est qualifiée de terroriste et réprimée – A l'encontre (alencontre.org)

    Par Carlos Noriega (Lima)

    «Dina [Boluarte] meurtrière, le peuple te rejette», a scandé une foule bruyante qui a manifesté dans les rues de Lima jeudi 19 janvier: le slogan a été repris dans différentes villes du pays. Munis de drapeaux péruviens – dont plusieurs avec des bandes noires remplaçant les bandes rouges en signe de deuil pour les victimes de la répression – des milliers de personnes sont descendues dans les rues du centre de la capitale. La journée de protestation a commencé vers midi et s’est prolongée dans la nuit. La police, qui avait investi le centre-ville, a réprimé les manifestant·e·s. Des affrontements ont eu lieu entre la police et les manifestants, ils se poursuivaient au moment de la mise sous presse.

    Au milieu de ces affrontements, un énorme incendie s’est déclaré dans la soirée dans un vieux bâtiment du centre historique, près de la place San Martin, le cœur de la manifestation. Les flammes atteignaient plusieurs mètres de haut et la fumée commençait à recouvrir la zone. Le bâtiment était vide, mais les voisins ont dû évacuer les lieux avec ce qu’ils pouvaient emporter rapidement en raison du risque de propagation de l’incendie. Il y avait du désespoir. Lors de la mise sous presse, la cause de l’incendie n’avait pas été signalée.

    De nombreux manifestants aymara de la région de l’altiplano de Puno ont brandi le drapeau wiphala [drapeau en damier aux couleurs de l’arc-en-ciel] des peuples indigènes. Ils ont également brandi des pancartes et scandé des slogans exigeant la démission de la présidente Dina Boluarte, ainsi que la tenue des élections cette année [et non pas en 2024], la révocation du Congrès contrôlé par la droite, la revendication d’une Assemblée constituante et la condamnation des responsables des morts causées par la répression. D’autres manifestants ont également demandé la libération de Pedro Castillo.

    Un lent massacre populaire

    Dans la plupart des régions du pays, au milieu de manifestations antigouvernementales massives, deux nouveaux morts ont été ajoutés à la liste noire de la répression. Dans la province de Macusani, dans la région de Puno, la paysanne Sonia Aguilar est morte mercredi 18 janvier d’une balle dans la tête, tirée par la police. Plusieurs personnes ont été blessées, dont Salomón Valenzuela, qui a reçu une balle dans la poitrine et est décédé jeudi 19.

    Plus de 500 personnes ont été tuées par la répression, dont 44 ont été abattues par les forces de sécurité. Le gouvernement et la droite parlementaire et médiatique soutiennent les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur les manifestant·e·s et criminalisent ceux qui se mobilisent pour demander la démission de Dina Boluarte, les accusant d’être «violents» et «terroristes».

    Dans la nuit de jeudi à vendredi, alors que les affrontements entre la police et les manifestant·e·s se poursuivaient dans le centre de Lima et qu’une victime était déjà signalée à Arequipa, la présidente Dina Boluarte a diffusé un message dans lequel elle a qualifié le comportement de la police d’«irréprochable». Elle a parlé de «protestations violentes» et a accusé les manifestant·e·s de vouloir «générer le chaos et le désordre pour prendre le pouvoir» et de chercher à «briser l’Etat de droit». Faisant référence aux actions de protestation contre son gouvernement, elle a déclaré, sur un ton menaçant, que «les actes de violence perpétrés en décembre et janvier ne resteront pas impunis». Mais elle n’a pas dit un mot sur les personnes abattues par les forces de sécurité, qu’elle a à nouveau soutenues, et sur les revendications pour que ces crimes ne restent pas impunis. A propos de la violence officielle meurtrière qui a causé les décès qui ont indigné la population contestataire, elle n’a pas parlé de sanctions. Une confirmation que le gouvernement mise sur l’impunité des forces de sécurité qui ont tiré sur les manifestant·e·s.

    Les manifestations de jeudi dans la capitale, les principales villes et les provinces du pays ont eu lieu au cours d’une journée de grève nationale à l’appel de la Centrale générale des travailleurs du Pérou (CGTP) – la principale confédération syndicale du pays – et d’organisations sociales. De plus, les barrages routiers continuent.

    «Prendre le contrôle» à Lima

    Le point central de la journée était une grande marche à Lima, qui est placée sous l’état d’urgence, dès lors dès jeudi, les principales places et rues du centre-ville étaient cernées par des contingents de police. Le Palais du gouvernement et le Congrès sont encerclés par la police et les chars. Selon les informations officielles, le gouvernement a mobilisé 11’000 policiers dans la ville pour surveiller la marche de protestation. Ils ont lancé des grenades lacrymogènes sur des groupes de manifestant·e·s. Les affrontements entre la police et les manifestant·e·s se sont répétés tout au long de la journée et se sont intensifiés dans la soirée. La police a lancé des grenades lacrymogènes, des groupes de manifestant·e·s ont répondu en jetant des pierres, des bouteilles et des pavés qui ont été arrachés aux trottoirs.

    Des milliers de personnes sont arrivées dans la capitale depuis différentes régions – notamment des Andes – pour se réunir dans une mobilisation massive dans le centre politique et économique du pays lors d’une marche appelée «la prise de Lima». Ils se sont déplacés pendant des jours dans des caravanes de camions et de bus avec des encouragements massifs dans leurs lieux d’origine. Dans les villes qu’ils ont traversées, ils ont été accueillis par des applaudissements, des cris d’encouragement et des dons d’eau, de fruits et de nourriture.

    Les manifestant·e·s, arrivés dans la capitale depuis l’intérieur du pays, sont descendus dans la rue jeudi à partir de midi. Ils ont séjourné dans deux universités [le mouvement étudiant soutenait la mobilisation], dans les locaux d’organisations sociales et chez des proches. Ils ont marché vers le centre de la ville, se réunissant sur le chemin. Plus tard, des personnes vivant à Lima les ont rejoints. Il n’y a pas eu de direction unifiée et les différents groupes ont pris des chemins séparés, ce qui a éparpillé la foule dans différentes rues du centre de Lima.

    «Dina Boluarte meurtrière»

    Une banderole indiquait «Dina Boluarte meurtrière, démissionne. Elections de cette année». Sur un autre on pouvait lire: «Faites taire le Congrès corrompu». Une femme portait une banderole avec une photo de la présidente et l’inscription «DiNazi». Sur une autre était écrit «Dina Balearte» [balear renvoie au verbe tirer, abattre]. Alors qu’elle traversait le centre-ville, sous le regard menaçant d’un grand nombre de policiers, la foule scandait «Pérou, je t’aime, c’est pourquoi je te défends».

    «Il n’y aura pas de démocratie, il n’y aura pas de paix, si Dina Boluarte n’écoute pas les gens qui demandent sa démission», nous a déclaré le secrétaire général de la CGTP, Gerónimo López. Tous les manifestant·e·s consultés s’accordent à dire qu’outre Boluarte, le président du Congrès doit démissionner, car si la présidente démissionne il lui appartient formellement de la remplacer: il s’agit du général à la retraite, de tendance d’extrême droite, José Williams, accusé de violations des droits de l’homme contre les paysans dans les années 1980. Une personnalité qui est inacceptable pour les foules qui se mobilisent dans le pays. «La lutte continuera si Boluarte démissionne et si Williams veut rester. Il doit partir aussi», ont répété en chœur les manifestant·e·s.

    Un «dialogue» placé sous la menace des tirs

    Dina Boluarte a proposé un dialogue avec ceux qui sont venus à Lima pour demander sa démission, mais elle a en même temps déclaré que leurs revendications étaient «irréalisables». Elle les a accusés de «vouloir briser l’institutionnalité du pays». Leonela Labra, étudiante en histoire et présidente de la Fédération des étudiants de Cusco, a répondu: «Depuis le premier jour de votre gouvernement, vous nous avez criminalisés, vous avez assassiné nos camarades qui sont descendus dans la rue, en en ayant le droit, pour manifester contre ce gouvernement. Comment Dina Boluarte peut-elle dire qu’elle veut dialoguer alors que les forces de sécurité pointent une arme sur nos camarades? Comment pouvez-vous appeler au dialogue alors qu’ils tiennent une arme sur nos têtes? Dans ces conditions, il ne peut y avoir de dialogue avec ce gouvernement.»

    L’appel à une Assemblée constituante est une autre revendication qui se fait entendre avec force dans les rues. «Il doit y avoir un référendum pour que le peuple décide s’il veut ou non une Assemblée constituante. Parce que les membres du Congrès sont opposés à cette solution démocratique», dit Leonela. Un récent sondage montre que 69% des personnes interrogées sont favorables à une Assemblée constituante.

    De Cusco à Lima

    L’avocate Florencia Fernández est également venue de Cusco pour protester à Lima. «Nous venons d’une ville historique comme Cusco où nous pensons que le cri libérateur de Tupac Amaru [fin XVIe siècle, soulèvement inca contre les conquérants espagnols] n’est pas terminé. Ils appellent la présidente «Balearte» parce qu’elle utilise des balles plutôt que des mots. Elle dit qu’elle est la première femme présidente du Pérou, mais nous lui disons qu’elle n’est pas une source de fierté pour les femmes car elle a tué nos enfants.» Elle fait une pause et ajoute: «Que la presse internationale sache que mon pays est au bord de la guerre civile à cause de cette classe politique qui n’a fait que détruire la démocratie.»

    Eugenio Allcca est un agriculteur d’Apurímac, la région de Dina Boluarte. «C’est une meurtrière, ses mains sont souillées du sang de plus de cinquante Péruviens et Péruviennes, elle ne nous représente pas, elle est une honte pour le peuple d’Apurímac», dit-il avec une indignation qui devient plus perceptible lorsqu’il répond aux accusations de terrorisme lancées par le gouvernement contre les manifestants. «Ils nous appellent terroristes, trafiquants de drogue, ils nous appellent paysans ignorants, nous sommes le peuple qui se bat pour réclamer ses droits. Il n’y a pas de terroristes ici, le vrai terrorisme se loge au sein l’Etat. Nous devons continuer cette lutte avec force, nous ne devons pas avoir peur.»

    De l’avis de Svetia Fernández, de l’Assemblée régionale des peuples de Tacna, une région frontalière avec le Chili, ce qui se passe au Pérou «est un moment historique, une étape importante pour la lutte populaire dans notre pays, où les classes les plus opprimées, qui ont été reléguées pendant de nombreuses années, manifestent après tous les outrages qui ont été commis au cours de l’histoire».

    Olga Mamani, une enseignante de la région de Moquegua, dans le sud du pays, a déclaré que «la mort de nos compatriotes nous a causé une douleur intense qui nous a poussés à nous mobiliser. Nous voulons la paix avec la justice. C’est un moment historique qui doit être un moment de triomphe.»

    Ce sont ces voix qui protestent, ces voix que cachent les grands médias péruviens, dans lesquels les politiciens, les analystes et les ex-militaires criminalisent la protestation et appellent à davantage de répression. Un manifestant crie: «Le terruqueo (fausses accusations de terrorisme) ne va pas nous arrêter.» Un autre poursuit: «Nous, le peuple, sommes la majorité et la majorité gagnera.» (Article publié dans le quotidien argentin Página/12, le 20 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)