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Le Comptoir: Les meilleurs livres 2023

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Lien publiée le 23 décembre 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://comptoir.org/2023/12/19/les-meilleurs-livres-2023-de-la-redac/

Comme lors des années précédentes, au Comptoir, nous avons voulu joindre l’utile à l’agréable et vous proposer une sélection de livres sortis dans le courant de l’année 2023 : Jérôme Leroy, Barbara Stiegler, Guillaume Faburel, Christine Guinard, Timothée de Rauglaudre, Jean Cocteau, Matthias Lehmann, Samah Karaki. Ces ouvrages sont ceux que la rédaction a trouvé, pour diverses raisons, les plus intéressants et passionnants à lire. Ils sont à l’image des affinités esthétiques, politiques et intellectuelles de l’équipe.

« Le léopard meurt avec ses taches » [1]

Nathalie Séchard, présidente d’un « pays riche peuplé de pauvres », sorte de Macron au féminin, décide de ne pas se représenter à l’élection présidentielle. Plutôt que gérer un pays en plein chaos elle préfère passer le reste de son temps à faire l’amour avec son jeune mari dans sa maison en Bretagne et à regarder des films de Jim Jarmusch (on la comprend). Une lutte impitoyable pour sa succession se déclenche alors et avec elle une longue série de cadavres.

Avec Les derniers jours des fauves, Leroy poursuit avec brio son exploration des zones d’ombres de notre démocratie, celles qui abritent les discours extrémistes, les machinations politiques et les violences fanatiques. S’appuyant sur les remous des dernières années, l’auteur décrit un pays en proie à la révolte des Gilets jaunes, les manifestations contre les réformes libérales, la catastrophe climatique, les ravages de la pandémie du Covid-19, la violence fasciste et le complotisme rampant. Dans la lignée du Bloc et de L’Ange gardien, cette nouvelle fiction politique grossit légèrement la réalité pour mieux nous alerter sur les dangers des tentations autoritaires. On retrouve d’ailleurs quelques protagonistes du Bloc Patriotique, le parti d’extrême-droite dirigé par Agnès Dorgelles, son intello de mari Antoine Maynard et le chef du service d’ordre, Stanko le nazillon.

Ici, l’antagoniste principal se nomme Beauséant, vieux gaulliste tendance Pasqua et nouveau ministre de l’Intérieur de Séchard. Son goût du pouvoir le poussera à manipuler les fachos du Bloc Patriotique dans un complot visant à accéder à la fonction suprême. Pour lui faire face, Guillaume Manerville, ministre d’État à l’Ecologie sociale et solidaire, seul recours de la gauche pour contrer les ambitions de Beauséant et son désir d’ordre ultra-sécuritaire. Manerville a une fille, Clio, aspirante normalienne qui s’encanaille gentiment avec les Bonobos Effondrés (clin d’œil aux Chimpanzés du futur de Pièces et Main d’œuvre) des jeunes post-situs qui refont le monde dans un bar du Xe arrondissement, L’Hacienda bleue. Problème : Clio devient une cible et devra compter sur la protection du Capitaine, ancien barbouze et lié par un pacte secret avec son père, pour éviter de finir éparpillée façon puzzle comme la voiture d’une ministre de Séchard.

Si la poésie et la littérature constituaient le remède à l’effondrement du monde dans Vivonne (2021), elles infusent autant les pages de ce roman noir, comme un contre-poison à la brutalité des rapports humains, accompagnant le périple de Clio et du Capitaine dans une France en proie au chaos. Ces deux-là deviendront inséparables à la fin du roman, lui veillant sur elle comme l’ange gardien qu’il a toujours été, un Glock 19 toujours à portée de main, L’Anabase de Xénophon dans l’autre. Au-delà de la maîtrise de la dramaturgie, Leroy arrive en quelques tirades bien senties à brosser le portrait d’un personnage dans toute sa complexité, à donner corps à ses rêves et ses désirs, à le projeter dans une histoire qui le dépasse. Ou l’art de réunir Balzac et Manchette sous l’égide de l’humour noir le plus féroce.

Sylvain Métafiot

L’origine du néo-libéralisme [2]

Barbara Stiegler est philosophe et professeure à l’Université de Bordeaux. Spécialiste de philosophie politique, elle est aussi reconnue pour ses apports à la compréhension de la pensée nietzschéenne. Auteur de Nietzsche et la critique de la chair et de Santé publique année zéro, l’essayiste est régulièrement sollicitée en raison de sa connaissance approfondie de la philosophie des sciences. Dans Il faut s’adapter, cette dernière s’évertue à mettre en lumière le lien ténu qui existe entre néo-libéralisme et une certaine pensée biologisante.

D’emblée, il s’agit pour l’auteure de s’interroger : n’avons-nous pas tous l’impression de subir les injonctions d’un système économique qui quadrille nos vies ? Plus précisément, ne faut-il pas toujours plus « s’adapter » aux contraintes du capitalisme actuel ? Cette récurrence du champ lexical biologique, loin d’être innocent, révèle la prégnance d’un darwinisme frelaté dans l’esprit du temps. Or, celui-ci provient d’un penseur américain du XXe siècle, Walter Lippmann, dont le nom va être donné au célèbre « colloque Lippmann » donné à Paris en août 1938. Ce dernier, consistant en une réunion d’intellectuels éminents, esquisse les premiers contours de ce que l’on nommera plus tard « néo-libéralisme ».

Or, nous pourrions amalgamer libéralisme et néo-libéralisme : afin de dissiper cette confusion, Stiegler attribue au libéralisme classique un naturalisme optimiste, selon lequel il faudrait faire confiance, « laisser faire » le marché qui se régulera tout seul. À la suite de la Grande Dépression, époque où émergent les autoritarismes, l’économie libérale perd son caractère spontané : seul un gouvernement d’experts appuyé par une coercition étatique peut maintenir le bon fonctionnement de l’économie de marché.

Contre cette tendance politique dont nous ressentons encore les effets, la philosophe réhabilite « les publics » théorisés par John Dewey : si Lippmann considère les peuples comme des « masses » inaptes à l’esprit critique, le pragmatiste parie au contraire sur l’intelligence collective qui irait à l’encontre un certain paternalisme d’une élite se voulant bienveillante et pédagogue.

Dense et fouillé, l’ouvrage de Barbara Stiegler nous fait faire un pas de côté face aux exigences délétères du néo-libéralisme. Loin du gouvernement des happy few, la philosophe souligne les limites d’une langue politique biologisante tout en promouvant la démocratie réelle.

François Luxembourg

Nous sommes le monde [3]

Dans son recueil Vous étiez un monde, publié cet octobre chez Gallimard, Christine Guinard nous offre une véritable immersion au sein de l’intime personnel et collectif grâce à la thématique du retour aux origines. L’auteure s’interroge sur la condition humaine, notre place et surtout notre part de responsabilité face à ce monde en perpétuelle destruction : « Je ne raconte pas d’histoire ou bien elle s’infiltre, elle suit le mot et tisse. »

La plume de l’auteure est d’une grande subtilité, rendant à la poésie contemporaine toute sa douceur tranchante. Une plume de fer dans un écrin de soie. Christine Guinard fait de la poésie la messagère d’un passé vaporeux dont on saisit quelques silhouettes inconnues, quelques fantômes sans visage qui viennent nous hanter, ou simplement nous visiter, comme ces femmes, probablement ses ancêtres, dont elle témoigne de la force et de la combativité. La poésie laisse ainsi place à une certaine sensibilité éprouvée par tous de par nos mémoires transgénérationnelles, mais aussi une empreinte indélébile d’un passé qui s’encre dans nos entrailles, créant des images troubles d’un monde qu’on ne connaît pas, tout en le reconnaissant.

Au fil de ces apparitions, Christine Guinard grave les souvenirs d’images tendres, d’une nostalgie proche du souvenir heureux, mais aussi de mots plus douloureux, écorchés, à la manière de cette poésie fragmentaire, menaçant sans cesse de se briser à la moindre virgule égarée. La poétesse crée un véritable espace de contemplation de son être par effet-miroir du nôtre, ne tombant jamais dans la tentation de l’épanchement poétique. Bien au contraire, Christine Guinard cherche à réunir ce qui semble décousu, arraché, perdu – une recherche perpétuelle de connexion.

C’est d’ailleurs cette matière morcelée qui donne toute sa force au style, illustrant parfaitement les liens qui nous unissent malgré tout ce qui nous sépare – le fil conducteur étant cet intime collectif, ces émotions qui nous rendent humains, trop humains. Ces émotions qui font écho à tous, du chaos à la paix intérieure.

Manon Lopez

D’amour, d’art et de guerre [4]

En éditant la correspondance entre Jean Cocteau et Jean Desbordes, Marie-Jo Bonnet a non seulement fait une véritable « découverte » (pour la citer) pour l’histoire de la littérature, mais aussi pour l’Histoire tout court. Réunir ces lettres en revient à un long travail d’archiviste qui vise à honorer cette belle histoire d’amour, riche en poésie et en échanges témoins d’un Paris littéraire et animé, tout en réhabilitant la mémoire de Jean Desbordes, résistant mort sous la torture allemande, et malheureusement oublié.

Au fil des lettres, nous suivons une rencontre à la fois artistique et amoureuse, d’un Cocteau déjà établi dans la littérature et d’un Desbordes jeune et admiratif. Dans une époque où les téléphones portables ont remplacé le papier cette correspondance ne se fane pas puisque l’attente de recevoir une lettre crée un effet similaire à nos attentes de textos : la peur de ne pas avoir de réponse, du silence, de la perte de l’être aimé. Ces codes, nous les connaissons encore aujourd’hui, et c’est bien ce qui nous frappe, au-delà de la beauté de cette correspondance, et surtout de sa pureté.

Les correspondances restent aussi, et surtout, un héritage important pour la famille Desbordes, et le devoir de mémoire. Jean Desbordes est décédé sous la torture allemande, après s’être engagé dans la Résistance. Réhabiliter Jean, le grand oublié de la guerre, qui, comme l’explique Marie-Jo Bonnet, a dû probablement l’être car homosexuel notoire, et nombreux sont les résistants homosexuels qui furent délibérément oubliés par l’État français pour cette raison précise.

À la fin de la lecture du livre, nous nous souvenons d’ailleurs davantage du Desbordes héroïque que du jeune Desbordes naïf, enfant décrit par Cocteau. Au-delà de ces apparences, il se mue en véritable héros, portant la voix de la Résistance dans le silence des démarches effectuées pour le reconnaître.

M. L.

Prémisses de Fratelli Tutti [5]

Quels sont les liens entre le texte biblique et la justice sociale ? Peut-on répondre à la question sociale à travers l’espérance chrétienne ? Comment aujourd’hui faire entendre le « cri des moissonneurs » dont nous parle l’épître de Jacques ? Autant de questions qui ont incité le journaliste Timothée de Rauglaudre à revenir sur son voyage initiatique qui, de Medellín à San Cristóbal en passant par Olinda, l’a mené sur les pas de la théologie de la libération.

Face à la méfiance qu’elle peut encore susciter chez un certain nombre de catholiques, l’auteur signe un essai qui cherche à démystifier ce courant de pensée, né en Amérique latine dans la seconde moitié du XXe siècle, qui s’était donné pour but de lutter contre les dictatures militaires, la misère et l’impérialisme à partir du message du Christ.

Avec un style journalistique, l’auteur nous dresse une galerie de portraits hauts en couleur. Qu’il s’agisse des dominicains Frei Betto et Gustavo Gutiérrez, du théologien Leonardo Boff ou encore d’Ernesto Cardenal, prêtre et ancien ministre nicaraguayen, autant de personnalités singulières qui donnent à voir une autre image de l’Église. L’auteur revient sur les querelles théologiques, le rôle fondateur des communautés ecclésiales de base ou encore le choix de l’option préférentielle pour les pauvres. Ceci, afin d’éclairer les sources enfouies d’un catholicisme social, soucieux du sort des plus humbles, qui connaît un regain sous le pontificat de François.

Rédigé non sans intérêt personnel, l’ouvrage regorge de témoignages qui permettent de découvrir les racines et les héritages d’une pensée et d’expériences ancrées dans une histoire et dans une culture, à l’autre bout du monde. Lire Les Moissonneurs, c’est donc l’occasion de (re)découvrir une pensée, si proche et si lointaine à la fois, qui continue d’inspirer tout un ensemble de mouvements qui cherche à concilier leur foi et leur engagement à construire un monde meilleur.

Aurèle Salomon

Brésil 1930-2000 : Tristes tropiques [6]

Avec Chumbo, Matthias Lehmann livre une fresque magistrale. On y suit l’histoire du Brésil des années 1930 aux années 1990, à travers le destin d’une famille, principalement de deux frères que tout oppose.

Lehmann met en scène les affres de la vie politique du pays. On assiste à l’essor du mouvement « intégraliste », d’inspiration fasciste, aux coups d’État, à la dictature et à la torture et à l’établissement fragile et ambigu de la démocratie parlementaire. Vargas, Kubitschek, Goulart… Pas un ne manque à l’appel.

Mais l’auteur ne se cantonne pas à mettre en scène un jeu politique déconnecté de la réalité sociale. Il offre un panorama évolutif très riche de la société brésilienne. D’une planche à une autre, on passe d’un cocktail mondain rassemblant élites politiques et économiques aux cases d’ouvriers agricoles miséreux, du bureau d’une multinationale à la base d’un groupe de guérilleros, du cœur d’une métropole à un campement indien.

Si Chumbo est particulièrement intéressant sur le fond, l’ouvrage n’est en rien réduit à un intérêt didactique. L’œuvre présente une qualité artistique remarquable. Les planches sont très intelligemment composées. Le style alterne volontairement cartoons et gravures sur bois ou dessin publicitaire et industriel (adressons une mention spéciale aux multiples représentations architecturales qui scandent le récit). Il y a un traitement très fin des onomatopées ou de la perspective, parfois volontairement déformée. Certaines séquences témoignent d’une grande créativité, qu’il s’agisse d’enchaînement de cases ou d’enchaînement à l’intérieur d’une case, qui teste les limites du langage de la bande dessinée.

Avec Chumbo, Matthias Lehmann apparaît comme un auteur en pleine maîtrise de son art et qui démontre tout le savoir-faire qu’il a acquis à travers de multiples expériences (dessin de presse, notamment, ou travail dans des fanzines comme Psikopat).

Le récit présenté par Lehmann est loin d’être du passé. L’auteur en a bien conscience, qui voit dans Chumbo une « autofiction qui brosse [s]es névroses familiales ». Mais rappelons également que ce n’est qu’en 2011 qu’une Commission Nationale de la Vérité est établie au Brésil et que Bolsonaro a multiplié les déclarations visant à redorer les militaires durant la dictature. Chumbo est donc un ouvrage sur le passé autant qu’un ouvrage pour le présent.

Cédric Darras

S’opposer à la métropolisation [7]

L’écologie doit-elle se donner pour priorité d’en finir avec les grandes villes ? C’est ce que démontrent les travaux de Guillaume Faburel, lauréat du Prix du livre d’écologie politique en 2018, depuis des années. Ce nouvel ouvrage va un peu plus loin dans l’analyse.

Les grandes aires urbaines posent des problèmes écologiques pour plusieurs raisons. Déjà parce qu’elles concentrent les richesses et imposent un imaginaire productiviste et consumériste. La ville est cet endroit où tout paraît possible, où les limites semblent disparues. Mais aussi parce qu’elles consomment énormément de ressources. Les cent premières villes de France ont trois jours d’autonomie alimentaire, rappelle l’auteur. Elles sont aussi des fournaises, qui risquent de devenir invivables avec le réchauffement climatique.

Pourtant, les décideurs politiques continuent d’accélérer le métropolisation du monde, tandis que la gauche n’a rien à redire ce phénomène, quand elle ne le défend pas franchement. Afin d’enrayer cette dynamique, Guillaume Faburel propose une vraie révolution : déconcentrer la population, afin de développer un nouveau mode de vie rural dont la recherche d’autonomie serait la finalité. Pour ce faire, il défend le développement de la paysannerie, ainsi que de l’artisanat, ainsi que de nouvelles solidarités.

Kevin Boucaud-Victoire

« Pouvoir c’est vouloir » [8]

Dans nos sociétés libérales qui prônent la compétition comme mode d’organisation, il n’est pas un jour qui passe sans que l’on célèbre le talent et la réussite d’un tel ou d’une telle. Professionnel, sportif, ou artistique, cela serait inné, génétique, ou dû à la force du travail et donc du mérite. « Vouloir c’est pouvoir », selon la formule. Ce sont ces thèses que Samah Karaki, docteure en neurosciences, questionne, à la lumière des recherches dans ce domaine, et en les rapprochant de la sociologie et de la psychologie.

Ce qu’elle y trouve n’est pas franchement conforme à ces attendus, qui ressembleraient plutôt à des clichés, pour ne pas dire à de l’idéologie qui avance masquée, sous le sceau de ce qui se voudrait du bon sens. Tout semble plutôt dire que tout fonctionne de manière à perpétuer des positions sociales acquises – parfois en utilisant de la fausse génétique pour en exclure d’emblée les pauvres, les femmes et les étrangers – et que le fameux « transfuge de classe » est surtout l’exception qui confirme la règle.

Si les Révolutionnaires de 1789, avaient l’idéal que toutes et tous puissent s’extraire de leur condition, la réalité dépend bien plus des conditions (capital économique et socio-culturel, attention à la santé, facilitation par l’entourage) et des circonstances de vie, que de la seule volonté propre.

Cet idéal reste donc à réaliser. Plutôt que de les célébrer, notre société devrait peut-être se poser la question des « talents » dont elle a réellement besoin, et en regard des connaissances actuelles, de réellement mettre en place les outils pour donner à tous les moyens de réussir, ou à tout le moins, de s’épanouir.

Boris Lasne