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Manuel Bompard: Pourquoi il ne faut pas croire les sondages ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Pourquoi il ne faut pas croire les sondages ? (manuelbompard.fr)
Dimanche auront lieu les élections européennes. C’est donc la dernière semaine de campagne qui s’ouvre ce lundi. C’est la plus importante : c’est le moment où des pans entiers de la population commencent à s’intéresser à l’élection européenne et se décident sur leur vote. C’est pourquoi il est décisif de répéter à nouveau les raisons principales d’aller voter pour la liste de Manon Aubry et de combattre tous les outils des tenants de l’ordre dominant pour empêcher la mobilisation populaire.
Parmi ceux-ci, le rôle des sondages est particulièrement nocif. En début de campagne, ils installent un tableau des listes en présence qui détermine ensuite l’ensemble du traitement médiatique de la campagne. En milieu de campagne, ils sont pris en compte dans le calcul du temps de parole et conduisent donc à privilégier les listes réputées en dynamique dans les sondages. En fin de campagne, ils peuvent conduire des électeurs à ne pas se mobiliser en pensant que le résultat de l’élection est écrit à l’avance. Qui sait quel aurait été le résultat du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 si les sondages n’avaient pas annoncé un écart de 7 à 8 points entre Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen à deux jours du vote ?
Par conséquent, dans toute démocratie digne de ce nom, la loi devrait protéger les électeurs de l’influence de ces instituts dont le vernis pseudo-scientifique ne résiste pas à une analyse concrète. Nous pouvons le déplorer car tout le monde souhaiterait disposer d’outils de mesure sérieux. Mais ce n’est clairement pas le cas aujourd’hui : en voici quelques illustrations.
1 – Les sondages se sont largement trompés ces dernières années
A chaque élection, les sondages se plantent lamentablement, ce qui n’empêche pas les commentateurs médiatiques de continuer à en faire l’alpha et l’oméga du traitement des campagnes électorales. Pourtant, un simple regard en arrière suffit à voir l’ampleur de la supercherie. Prenons quelques exemples :
- En 2019, lors de la dernière élection européenne, à 7 jours du scrutin, l’institut IFOP annonçait un résultat de 6,5% pour le candidat Yannick Jadot et de 13,5% pour le candidat François-Xavier Bellamy. Le premier finira finalement à 13,48% (+7 points) quand le second terminera à 8,48% (-5 points).
- Aux élections régionales de 2021, à 7 jours du scrutin, l’institut IFOP annonçait la liste du Rassemblement National en Occitanie à 31% quand l’institut OpinionWay prévoyait un résultat de 43% pour la liste du Rassemblement National en PACA. Le jour du vote, ce parti réalisera 22,6% en Occitanie (-8,5 points) et 36,38% (-6,5 points) en PACA.
- A l’élection présidentielle de 2022, le résultat de Jean-Luc Mélenchon était estimé à une semaine du vote à 15,5% selon l’institut IPSOS, à 15% pour l’institut IFOP, à 15% pour l’institut ELABE et à 15% pour l’institut OpinionWay. Une semaine plus tard, Jean-Luc Mélenchon réalisera 22% des voix à l’élection présidentielle. L’erreur est donc ici de 7 points à une semaine d’intervalle.
2- Les sondages sont incapables de mesurer avec précision l’abstention des électeurs
Dans une élection européenne, comme dans toutes les élections à plus faible participation, l’essentiel se joue dans la mobilisation relative des différents électorats. Dit autrement, c’est la formation politique qui parviendra le mieux à faire voter les électeurs proches de ses idées qui fera le meilleur résultat. Or, les sondeurs ont d’énormes difficultés à mesurer réellement l’intention d’aller voter d’un électeur. Ils le reconnaissent eux-mêmes : il y a une semaine, le sondeur Jérôme Fourquet le disait lui-même sur BFMTV : « Le fait que les électeurs participent ou s’abstiennent, c’est la variable que nous sondeurs avons le plus de mal à estimer. Tout ça peut faire jouer les chiffres dans un sens ou dans un autre d’ici le scrutin« .
Aujourd’hui, presque tous les instituts de sondages utilisent une même méthode. Pour chaque personne interrogée, ils lui demandent à combien elle estime sa probabilité d’aller voter sur une échelle de 1 à 10. Ils retirent ensuite de leur échantillon TOUTES les personnes qui n’ont pas répondu 10 à cette question et calculent donc les intentions de vote uniquement sur l’ensemble des personnes qui ont répondu 10 à cette question.
Cela pose de grandes difficultés :
- D’abord, la taille de l’échantillon qui est annoncée dans les médias est FAUSSE car ce n’est pas sur cet échantillon que sont calculées en réalité les intentions de vote, mais bien sur un échantillon amputé de toutes les personnes non « certaines d’aller voter ».
- Ensuite, cela introduit un biais évident dans le calcul des intentions de vote car toutes les catégories sociales ne se positionnent pas de la même manière par rapport à leur intention d’aller voter.
- Enfin, rien ne permet de certifier qu’une personne ayant répondu 10/10 va finalement aller voter, comme rien ne permet de certifier qu’une personne ayant répondu 6 ou 7/10 n’ira finalement pas voter.
3- L’échantillon des sondages ne représente pas fidèlement la société.
Le principe d’un sondage, c’est de construire un échantillon « représentatif » de la population. C’est-à-dire une « mini-population » dont les avis doivent refléter les avis de la population en général. Pour que cet échantillon soit vraiment représentatif, des caractéristiques de la population doivent se refléter dans l’échantillon. Ainsi, il faut qu’il y ait le même pourcentage de plus de 60 ans, de chômeurs, d’ouvriers, d’habitants des grandes villes, etc., dans l’échantillon que dans la population tout entière. Comme ce n’est souvent pas le cas (notamment car pour certaines catégories, les instituts n’arrivent pas à avoir suffisamment de personnes qui acceptent de répondre à leurs questions), on effectue en réalité un « redressement sociologique » : c’est-à-dire que si pas suffisamment d’ouvriers ont répondu, on va donner plus de poids à leurs avis pour compenser leur faible nombre dans l’échantillon. C’est-à-dire que l’avis des « ouvriers qui répondent » va être considéré comme représentatif de l’avis de tous les ouvriers.
Or, tout cela s’appuie sur l’idée que les catégories sociologiques traditionnelles (ouvriers, employés, cadres) constituent une bonne description des comportements électoraux. Or cette idée a été battue en brèche par plusieurs chercheurs ces dernières années, notamment sous l’impact de la diversification des statuts et de la mutation du capitalisme industriel. L’analyse du résultat des dernières élections présidentielles en donne une illustration simple : le score de Jean-Luc Mélenchon n’était pas forcément au plus haut dans la catégorie « ouvriers », alors qu’il était largement en tête dans les populations des communes les plus pauvres.
Ensuite, pour vérifier que l’échantillon est vraiment représentatif, on va demander aux personnes interrogées pour qui elles ont voté lors des dernières élections. L’objectif est de vérifier que le sondeur parvient à reproduire fidèlement le résultat sur l’échantillon du sondage. Bien souvent, ce n’est pas le cas. Ainsi, à titre d’exemple, si l’on prend le sondage de l’institut IFOP publié le 10 mai, seules 14,4% des personnes de l’échantillon ont voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2022 alors qu’il a réalisé 22% des voix sur la population globale. Par conséquent, l’échantillon utilisé pour le sondage N’EST PAS REPRESENTATIF de la population et les résultats affichés ne peuvent pas être considérés comme une bonne prédiction.
Tout donner pour tout changer !
Bien sûr, ces quelques arguments ne sont pas exhaustifs. On pourrait aussi noter le lien qui existe entre les principaux instituts de sondages et les grandes puissances économiques de ce pays. On pourrait se demander pourquoi, alors que l’on publie chaque semaine en France de nombreux sondages, aucun institut n’a cherché à savoir ce que pense la population française de l’exigence d’un cessez-le-feu à Gaza. On pourrait rappeler que non seulement les instituts se sont trompés en 2022 dans les sondages préélectoraux, mais aussi qu’ils ont été incapables de produire une estimation stable du résultat à 20h car la base de « bureaux tests » qui avait été établie ne prenait pas en compte le surplus de mobilisation dans les quartiers populaires.
Bref, il y a de nombreuses raisons de mettre à distance les sondages et de s’en tenir aux signaux qui nous remontent du pays tout entier. A une semaine du scrutin, ils nous laissent penser que les insoumis sont bien partis pour être la surprise de ce scrutin. Il faut désormais tout donner dans la dernière ligne droite pour convertir en résultat électoral la profonde dynamique que nous sommes nombreux à constater.