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Les normes contre les paysans. Entretien avec Yannik Ogor

agriculture

Lien publiée le 6 juin 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.contretemps.eu/paysans-normes-agriculture-capitalisme-yannik-ogor/

A l’occasion de la ré-édition de son livre Le paysan impossible (2023), Yannick Ogor nous parle du modèle agro-industriel qui prive les agriculteurs de la capacité à faire des choix sur leur exploitation, réduits au rôle d’opérateur de machines industrielles. Il retrace les évolutions qui ont mené à cette aliénation du travail agricole et met en garde contre les faux-semblants : l’État n’est pas subitement devenu le moteur d’une agriculture soutenable, et le pilotage par voie des normes ne constitue pas un progrès pour les agriculteurs, bien au contraire. Cet entretien nous aide à comprendre l’actualité du mouvement agricole de début 2024 et à aiguiser notre regard sur un secteur mal compris.

Yannick Ogor a rencontré l’agriculture par le syndicalisme avant de devenir maraîcher et éleveur de brebis. Il fait ses armes avec René Riesel et José Bové dans le cadre de la lutte contre les OGM dans les années 1990. Ce syndicalisme de lutte l’a porté vers la Confédération Paysanne dont il est devenu un des salariés. Déçu par ce qu’il estime être une forme de complaisance du syndicat avec le pouvoir étatique, il finit par se retirer de son poste en 2000 pour se lancer lui-même dans l’agriculture. Nous nous sommes entretenus avec lui pour Contretemps.

Dans ton livre tu élucides le passage après la Seconde Guerre mondiale d’une agriculture paysanne à une agriculture modernisée adaptée à l’économie libérale, rendu possible par l’entremise d’agriculteurs-entrepreneurs favorables à la modernisation. Tu parles à ce titre de « cogestion », tu peux nous en dire plus ?

Yannick Ogor – Le contexte est celui qui suit la Seconde Guerre mondiale avec le projet d’utiliser l’État dans le processus de modernisation et d’industrialisation. C’est une période qui témoigne d’un volontarisme d’État très fort, qui vise à diriger l’industrialisation de l’agriculture[1]. Elle aboutit vraiment en 1960 avec une importante loi d’orientation agricole, complétée par une seconde en 1962. Ce programme peut se réaliser car l’État se retrouve face à une partie de la population agricole favorable à cette idée de modernisation.

Dans ces lois d’orientations va être instituée la cogestion, c’est-à-dire la participation au sein des commissions administratives de la profession elle-même, représentée uniquement par deux syndicats qui n’en sont en fait qu’un, le CNJA (Centre National des Jeunes Agriculteurs, rebaptisés Jeunes Agriculteurs depuis 2002) et la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles). Ils sont en permanence invités à la table des négociations pour fixer le cap des politiques agricoles. Il y a une ambivalence puisqu’il n’est pas tu dans ces négociations la volonté d’éliminer la moitié des agriculteurs, alors même que la FNSEA se bâtit sur une idée d’un syndicat unitaire représentant les intérêts de tous.

Les règles du jeu n’ont pas du tout changé depuis, il y a toujours ces commissions administratives à l’échelon départemental, régional, national et européen. La seule chose qui change c’est que depuis 1981 il y a reconnaissance du pluralisme du syndicalisme agricole. Mais cela n’a même pas affecté la composition du Conseil de l’agriculture française (CAF), toujours cogéré par l’État et la FNSEA-JA (ainsi que par des représentants des chambres d’agriculture et une organisation professionnelle représentant les coopératives agricoles dont Groupama et le Crédit Agricole).

Cette cogestion entretient une unité de façade, faisant croire à une sorte d’universalité des problèmes qui touchent les agriculteurs. Pourtant tu parles dans ton livre d’évolutions distinctes selon les secteurs…

Yannick Ogor – J’essaye d’opérer dans mon livre une distinction entre les producteurs céréaliers et légumiers d’une part, et les éleveurs d’autre part. Dans la PAC (Politique Agricole Commune) de 1962, les aides sont certes attribuées à toutes les filières, mais le système d’élevage des années 1960 est un modèle d’intégration à des grands groupes privés. Bien qu’ils soient exploitants, ils sont pieds et poings liés avec les grandes firmes auxquels ils vendent leur production, et desquels ils achètent leurs fournitures. Or, les subventions de la première PAC (c’est-à-dire sur la période 1962-1992) sont destinées à ceux qui vendent les produits sur le marché.

De l’autre côté, les producteurs de végétaux (céréaliers et légumiers) sont restés maîtres de leur production. Résultat : en élevage, ce sont les grands groupes comme Bigard, Cooperl et Doux qui encaissent ces subventions, alors qu’en céréales et en légumes, ce sont les associations de producteurs, organisées pour vendre collectivement sur le marché qui vont toucher les subventions. Malgré cette énorme différence, la FNSEA va maintenir une unité de façade entre éleveurs et producteurs de végétaux, alors qu’ils n’ont pas les mêmes intérêts.

Lors des crises de surproduction des années 2010, il y a des éleveurs qui expriment leur colère sur les routes bretonnes, notamment parce que le prix des céréales pour nourrir leur bétail est trop haut, mais ce sont les céréaliers qui leur vendent cette nourriture animale et qui jouent le rôle au sein de la FNSEA de porter leurs voix ! A ce moment-là, le président de la FNSEA n’était autre que Xavier Beulin, également président du groupe Avril. Son successeur au groupe Avril, Arnaud Rousseau, est aujourd’hui également son successeur à la FNSEA.

Pourtant, un récent article publié dans Le Monde souligne que l’élevage porcin gagnerait 6 à 7 fois plus que l’élevage bovin[2]. Qu’est ce qui s’est passé de spécifique au sein de l’élevage porcin pour en arriver à un tel décalage ?

Yannick Ogor – Pour moi c’est très conjoncturel car le principe de l’économie porcine c’est un cycle de prix en montagnes russes, et on est depuis environ 2 ou 3 ans dans une phase élevée, qui fait que les élevages ont des revenus plus importants, ce qui leur donne d’ailleurs des grandes capacités d’investissement. On voit se multiplier les méthaniseurs, les panneaux solaires, et les rachats de fermes des élevages porcins. Ce fonctionnement en cycle inégaux est extrêmement profitable aux plus gros car ce sont les seuls qui ont les reins assez solides pour supporter une période creuse, et accumuler du capital en période faste, alors que les petits finissent, épuisés, par jeter l’éponge.

Aussi, depuis 3 ans, l’apparition de la peste porcine n’a pas touché les élevages français alors qu’elle a barré l’accès des producteurs chinois et allemands au marché mondial, contraints de diminuer leur production. Les prix sur le marché ont augmenté au profit des producteurs français se retrouvant ainsi en situation hégémonique. Mais cela changerait beaucoup si la peste porcine faisait son apparition dans les élevages industriels français. En tout cas, c’est un excellent exemple qui montre comment les industriels s’adaptent à une économie sur courant alternatif, ainsi qu’à un système de gestion par les normes (ici sanitaires), et comment cela conduit in fine à l’élimination des plus petites fermes.

Loin d’attribuer une thèse parfois partagée à gauche selon laquelle les normes sont des acquis pour la protection sociale et environnementale, tu expliques que la finalité de la mise en place de ces normes est un énième processus d’élimination des agriculteurs.

Yannick Ogor – Avec la nouvelle PAC (1992), les règles du jeu ont changé. Les destinataires des subventions sont désormais les producteurs, à la condition du respect de normes sanitaires, environnementales et de bien-être animal. Cela participe d’une tendance globale puisqu’au même moment s’organisait la fin d’un système d’intervention publique qui donnait la possibilité aux États de protéger leur marché intérieur par les douanes et en subventionnant leur système agro-industriel. Il y a à ce moment une véritable mise en scène de la libéralisation des marchés à l’échelle internationale : la suppression des barrières douanières tarifaires aurait pour conséquence un retrait de l’intervention des États dans l’économie. Or, les normes sont les nouvelles douanes, qu’on peut qualifier de « non-tarifaires ». Ce sont les normes dites environnementales, sanitaires et de bien-être animal qui vont servir à réguler l’import-export à l’échelle internationale. La suppression des taxes douanières fait pression à la baisse sur les prix et met en concurrence tous les modèles de productions, mais cela ne signe pas l’arrêt de l’interventionnisme étatique. Malgré ce qu’on peut entendre, les pays européens sont tout à fait en mesure d’interdire l’arrivée sur leur marché de produits agricoles qui ne respectent pas certaines normes, c’est déjà le cas pour des productions faisant l’usage de certains pesticides ou sur des antibiotiques en élevage[3]. Dans les mobilisations actuelles on a entendu parler d’un besoin de « clauses miroirs », c’est-à-dire que ce qui s’impose aux agriculteurs français doit s’imposer aux produits d’importation, mais ça existe déjà !

Petit à petit, toutes les aides européennes ont été conditionnées à ces normes. Cela n’a pas poussé le système industriel dans le mur mais a plutôt conduit à une modernisation encore plus avancée, sous couvert de valeurs écologiques et de bien-être animal. C’est un habillage lié à une demande émanant de la société : les normes prétendent répondre à ces préoccupations. Mais dans les faits, ce sont les industriels eux-mêmes qui les ont mis en place.

Le premier à s’être félicité de la disparition progressive (par voie des normes) des élevages de volailles en cage c’est Arnaud Rousseau le président du groupe Avril, 1er groupe producteur d’œufs en France. Il sait très bien que la vie des canards et des poules ne change pas beaucoup car on reste sur des systèmes hors-sol, par contre les plus petits producteurs seront incapable de s’adapter dans les temps et finiront par rendre disponibles au groupe Avril des exploitations à racheter. Les normes n’ont jamais été un grain de sable dans les rouages de l’agriculture industrielle ! Les petits éleveurs comme nous se retrouvent obligés de pucer nos ruminants alors que ceci n’a d’intérêt que dans des élevages au fonctionnement industriel, informatisé et à la chaîne.

La transformation à la ferme de produits laitiers et carnés est devenue extrêmement compliquée, les normes d’hygiène nous empêchent de conserver une forme d’autonomie dans les savoir-faire paysans. Quand je vois la gauche se féliciter de l’introduction de nouvelles normes, j’aimerais qu’elle soit capable d’en citer une seule qui aurait eu un effet positif sur les petits élevages. Même les normes au fondement de l’agriculture biologique, étatisé et normalisé dans les années 1990 n’ont pas empêché la mainmise des industriels sur la bio, et cela a pour effet une surproduction, donc une baisse des prix qui pressurise les petits producteurs. Même ces normes issues de batailles pour imposer un mode de production non-industriel ont fini par s’industrialiser. Depuis quelques années, il est autorisé en bio de produire des légumes sous serres chauffées[4] !

Comment peut-on mobiliser cette critique des normes, alors même qu’elle semble être captée par un discours droitier-libéral ou même fascisant à certains égards ?

Yannick Ogor – Il y a un piège autour de cette notion de normes ! On circonscrit la question agricole à une question écologique. On aurait d’un côté les écologistes et de l’autre les « anti », et ces normes seraient le centre de cette querelle. Or pour moi ce qui compte c’est plutôt de montrer comment ces normes, depuis qu’elles existent, ne servent que les intérêts de l’agro-industrie. La gauche doit se passer du seul angle écologique sur la question agricole car elle est quasiment inaudible dans la contestation actuelle. Elle a abandonné la question sociale et le terrain des conditions de vie des producteurs.

Si on regarde l’agriculture avec une lecture de classe et non plus seulement avec l’angle écologique, on aura un regard plus précis sur qui bénéficie de ce mode de production, qui a intérêt à quoi. Il n’y a pas les petits qui sont écolos et les gros qui sont pollueurs et toujours victorieux, c’est plus complexe. Parmi les grosses exploitations, certaines sont en galère, alors que certains “petits” sont dans des niches et s’en sortent très bien. Mais si notre œil est attentif à cet antagonisme de classe, on se rendrait compte que l’écologie est un des éléments parmi d’autres de la question agricole. La manière dont on discute de l’écologie ne bénéficie pas à une agriculture qu’on pourrait dire paysanne.

On n’a jamais eu un inventaire précis venant de la gauche des normes qui auraient permis des avancées majeures. J’ai vécu à la fin des années 1990 la mise au carreau de centaine d’éleveurs adhérant à la confédération paysanne en Bretagne à la suite de mises aux normes. Aujourd’hui les normes sanitaires rendent l’abattage à la ferme impossible, elles dissuadent massivement les petits éleveurs de poursuivre. Les batailles sur ce terrain n’ont pas été à la hauteur. La gauche paysanne reste persuadée de la centralité de l’écologie sur la question agricole. C’est l’État qui a organisé la modernisation de l’agriculture et l’effacement de la population paysanne, pourquoi agirait-il aujourd’hui dans un sens opposé ?

Tu nous montres qu’il ne faut pas opposer les agriculteurs qui auraient les “bonnes pratiques” à ceux qui auraient les “mauvaises”, mais plutôt d’observer les contraintes structurelles des agriculteurs pour comprendre ce qui produit la dépossession de leurs choix.

Yannick Ogor – Déjà, l’adhésion à tel ou tel syndicat ne permet pas de comprendre de quel « côté du manche » sont les agriculteurs, car tous les syndicats produisent des images fantasmées qui ne correspondent pas au réel. L’exemple des éleveurs est éclairant. La gauche paysanne a tendance à produire une analyse à partir de la question du bien-être animal. Or, beaucoup d’agriculteurs ont hérité de fermes calibrées sur le modèle industriel. Une bonne partie d’entre eux sont prolétarisés et dégagent peu ou pas de bénéfices, car les sommes colossales qui transitent sur leurs fermes sont captées par des entreprises en amont (fournisseurs) et en aval (coopératives, centrale d’achat).

C’est sur le refus de la modernisation infrastructurelle sans frein, et non pas sur les pratiques qu’il faut créer des solidarités. C’est l’idée d’affirmer un projet politique plus structurel. Les “bonnes pratiques”, elles, doivent être discutées dans un cadre débarrassé des dispositifs aliénants.

Penses-tu que le combat écologique pourrait s’imbriquer à une critique sociale plus générale qui prendrait en compte la voix des agriculteurs ? Pendant la lutte contre les méga-bassines, les agriculteurs se sont alliés à des groupes militants radicaux. La Confédération Paysanne a été très active dans ce mouvement, elle a accompagné les Soulèvements de la Terre. Le syndicalisme agricole de gauche pourrait-il trouver par là une brèche pour reconstituer le lien entre écologie, social et politique ?

Yannick Ogor – Pour moi c’est plutôt l’inverse. Cette alliance ressemble à celle des années 1990-2000 de l’altermondialisme entre les verts et la Confédération Paysanne qui fût un grand moment de compromission syndicale, qui a dilué le combat de la gauche paysanne dans des considérations uniquement “écologistes”. Cela a par exemple fait émerger la voix des mouvements végans, anti-corrida, anti-chasse ou anti-élevage qui ne sont pas conciliables avec des revendications d’agriculteurs.

Forcément, quand ce genre de groupe entre dans le débat sur des sujets d’agriculture comme celui des méga-bassines, il peut y avoir des réactions épidermiques. Les ruraux se voient encore sermonnés par des citadins. C’est ce sur quoi capitalise la Coordination Rurale. Je pense que les manifestations agricoles de 2024 sont entre autres le symbole d’un ras-le-bol du mépris culturel que les agriculteurs subissent. C’est ce qui peut en partie expliquer pourquoi ces manifestations agricoles surgissent à un moment où le prix des denrées agricoles n’est pas particulièrement bas. Le revenu est structurellement bas mais il n’y a pas eu de choc particulier à la fin de l’année 2023, c’est même plutôt l’inverse.

Cette gauche aurait tout intérêt à définir clairement pour qui elle se bat si elle veut mener le combat pour l’agriculture. Est-ce avec les agriculteurs ou avec des mouvements anti-élevage ? Cela dit, le discours anti-bassine est encourageant quand il dénonce l’accaparement de l’eau par 6% des exploitations[5], quand il s’attaque à l’Etat qui subventionne ces constructions coûteuses, et quand il met en avant que cet argent sert le système industriel et l’optimisation de la production céréalière[6]… 

Au début des mobilisations, certains ont porté la revendication pour des prix minimum d’entrée des produits sur les marchés français et des prix planchers. C’est intéressant à défendre ?

Yannick Ogor – Cela me semble être une fausse bonne idée. Il faut rappeler que ce système a déjà existé. Entre la première PAC de 1962 et celle de 1992, ce sont les taxes douanières et ce qu’on appelle les « prix d’intervention » (qui se matérialisent par des subventions à l’export, subventions au stockage et subventions à la destruction) qui régulent le marché agricole en maîtrisant les prix. Quand les prix descendaient en dessous d’une valeur plancher, l’Europe déclenchait ces outils d’intervention. On appelait cela les « prix garantis ». Ce système n’a pas du tout empêché l’industrialisation et la modernisation de l’agriculture puisqu’il en était la condition. Quand s’est préparé en 1962 ce système de maîtrise des prix, c’est le CNJA lui-même qui émettait cette critique selon laquelle des prix élevés, en raison des effets d’échelles, favorisent proportionnellement beaucoup plus les grandes exploitations qui ont du capital investi.

Il faut rappeler que ce système de « prix garantis » est aujourd’hui assumé comme tel par les États-Unis et le Canada. Le système marche très bien pour assurer des revenus dans ces agricultures là car la population agricole a été éradiquée et il ne reste vraiment que ce modèle de structures agricoles hyper-modernisées et peu nombreuses. Or, en France, les industriels savent bien que pour atteindre le niveau de productivité de la Chine, des États-Unis, du Canada, il faudrait encore diviser par deux la population agricole française. Ce qui pourrait se faire avec ou sans politique des prix, s’ils ont les manettes, ils sauront diriger en leur sens. À cet égard, quoi de plus parlant que l’effet d’optimisation sur l’agro-industrie qu’ont joué les normes sanitaires, environnementales et de protection animale, au détriment des plus petits élevages ? Ce sera pareil pour une politique de prix sans garde-fous.

Ça n’ira à l’encontre des intérêts des grandes structures de l’agro-alimentaire et de la concentration du capital que si l’on démontait les grosses structures qui organisent ce processus. Mettre une barrière formelle sur la taille maximum des exploitations par exemple. De toute façon c’est évident que si l’on a quatre groupes qui contrôlent la production laitière, trois celle porcine et une la production de viande bovine, on n’aura aucune clef pour un changement matériel. Ça semble illusoire de penser qu’un gouvernement puisse faire cela, et en dehors de ce prérequis radical qui est de désarmer les acteurs de l’agriculture industrielle, tout changement législatif sera toujours réorienté dans le giron de l’industrie.

Et la sécurité sociale de l’alimentation ?

Yannick Ogor – Pour moi, cette proposition est naïve. Alors que les agriculteurs se mobilisent contre les interventions étatiques, la sécurité sociale de l’alimentation serait un système de gestion encore plus “soviétisé”. Rien ne prémunit d’un devenir semblable à la sécurité sociale de la santé : peu de contrôle et des médecins mus par le profit, garants de la vitalité de l’industrie pharmaceutique. C’est encore une fois compter sur l’État qui par un coup de baguette magique proposera un modèle idéal alors qu’il est le premier soutien de l’agriculture industrielle.

Pour moi, il faut prendre le temps de reconstruire des solidarités à partir de valeurs simples : sommes-nous en train de nous rendre plus autonome de l’État et de l’industrie ? Ou acceptons-nous les règles du jeu en s’engouffrant dans le train en marche de la modernisation sans limite ?

*

Propos recueillis par Saam Yazdani

Notes

[1]Des annonces très claires : supprimer en 10 ans 1 million d’agriculteurs c’est-à-dire réduire de moitié le nombre d’exploitations.

[2]lemonde.fr/economie/article/2024/01/24/la-question-du-revenu-des-eleveurs-bovins-au-c-ur-des-mobilisations-agricoles_6212779_3234.html

[3]https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/agriculture-quest-ce-que-les-clauses-miroirs-que-demandent-les-agriculteurs

[4]https://www.bioconsomacteurs.org/agir/se-mobiliser/le-retour-des-serres-chauffees-en-bio

[5]https://bassinesnonmerci.fr/index.php/2023/12/22/le-guide-anti-bassines-de-noel/

[6]https://reporterre.net/Profits-export-et-grandes-cultures-les-vraies-raisons-des-megabassines et https://reporterre.net/Megabassines-comment-l-Etat-a-pris-le-parti-des-gros-cerealiers