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    Retraites, quel choix social ? Note sur le rapport du COR de juin 2024

    retraite

    Lien publiée le 18 juin 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.contretemps.eu/mobilisation-georgie-democratie-ong/

    H. Sterdyniak, du collectif des Economistes atterrés, analyse le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de juin 2024.

    • Selon le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de juin 2024, les dépenses de retraites rapportées au PIB seraient stabilisées.
    • Le faible déficit annoncé provient uniquement de la baisse des contributions publiques, induite par la gestion restrictive de la fonction publique.
    • Toutefois, la stabilisation de la part des retraites dans le PIB provient d’une forte baisse du niveau des retraites par rapport à celui des salaires. Le choix social pourrait être différent : maintenir le niveau relatif des retraites en augmentant les taux de cotisations.

    Le rapport annuel du Conseil d'Orientation des Retraites (COR), publié ce 13 juin, ne présente guère d’innovations avec les rapports précédents, tant dans sa méthode que dans ses résultats. Les résultats sont très proches de ceux du rapport de juin 2023, qui incorporait déjà les effets de la réforme de 2023.  Toutefois, le rapport 2024 met en évidence une seule hypothèse d’évolution de la productivité du travail (une croissance de 1% l’an) et n’insiste pas sur la cause du déficit annoncé : la politique restrictive de l’emploi et des traitements dans la fonction publique. De même, le choix social entre âge de départ, niveau des cotisations et niveau des pensions n’est pas clairement posé. Le COR ne présente pas d’autre scénario :  maintien du niveau relatif des pensions, financement par hausse des cotisations. 

    Le système de retraite français qui était en léger excédent en 2023, du fait du retard d’indexation des retraites, présenterait un léger déficit dans les années à venir. A plus long terme, le déficit annoncé ne proviendrait que de la baisse des recettes induite par la politique de restriction de la masse salariale du secteur public ; le ratio entre les dépenses de retraites et le PIB resterait stable, voire légèrement décroissant. Cependant, cette stabilité ne proviendrait que de l’hypothèse de baisse continuelle du rapport retraite moyenne/salaire moyen, baisse d’autant plus prononcée que la croissance de la productivité du travail serait forte (dit autrement : plus  le pouvoir d’achat des actifs s’améliorera, plus celui des retraités décrochera).

    La publication à intervalles rapprochés des rapports du COR peut donner l’impression que l’équilibre du système des retraites est toujours problématique, ce qui fragilise sa crédibilité. D’autant que le projecteur des médias et des responsables politiques se braque sur un déficit dont la prévision est très fragile et qui est, en tout état de cause, très faible.

    Deux points de méthode. Le gouvernement se serait honoré en nommant à la tête du COR, comme naguère, un haut-fonctionnaire dont la neutralité eut été incontestable. Il a choisi de récompenser un de ses partisans, Gilbert Cette, engagé de longue date contre le droit du travail et contre le SMIC.

    Le rapport a été fourni le lundi à la presse, alors qu’il n’a été adopté par le COR que le jeudi après-midi. Il émane donc du secrétariat du COR, sans que les membres du conseil n’aient vraiment voix au chapitre.

    Les hypothèses de la projection

    Compte tenu de l’évolution démographique (le départ à la retraite des baby-boomers, l’allongement de la durée de vie), le ratio démographique 65+/20-64 passerait de 0,385 en 2022 à 0,525 en 2050, soit une hausse de 36 %.

    La population active disponible augmenterait de 2,8 % jusqu’en 2036 (+ 0,15 % par an), soit une quasi-stagnation, puis baisserait de 4 % de 2040 à 2070 (-0,13 % par an). Le COR reprend les projections de l’INSEE. Celles-ci supposent que le taux d’activité des femmes de 25 à 54 ans n’augmenterait plus, de sorte que l’écart avec celui des hommes perdurerait. Le COR ne modifie pas l’évolution de la population active disponible selon le taux de chômage. Or, l’estimation du taux de chômage actuel, 7,5 %, passe à 14 % si on tient compte des chômeurs découragés et (pour moitié) des actifs en temps partiel subi, de sorte qu’une situation de quasi-plein emploi augmenterait la population active disponible (en particulier pour les femmes).

    Comme les rapports précédents, celui-ci n’incorpore aucune réflexion sur l’évolution de l’emploi, aucune prise en compte des nécessaires ruptures liées aux contraintes écologiques. Il est question que le rapport 2025 aille jusqu’en 2090, ce qui n’a guère d’intérêt compte-tenu de ces lacunes.

    La projection du COR retient quatre hypothèses pour la croissance annuelle de la productivité du travail : 0,4 %, 0,7%, 1,0 %, 1,3% ; (au lieu de 0,7 % ; 1,0 % ; 1,3 % ; 1,6 % en juin 2023).  Comme l’année dernière, la projection à 1 % est mise en avant (mais Gilbert Cette a déjà indiqué que l’année prochaine, ce sera la croissance à 0,7%). Le ripage vers le bas des hypothèses de croissance de la productivité se justifie par la faiblesse des gains ces dernières années (0,2 % l’an depuis 2012) : contrairement aux anticipations fantasmatiques de d’Aghion et de Cette lui-même, il n’y a pas eu d’effet favorable sur la productivité du travail des réformes mises en œuvre par les gouvernements Macron ; au contraire, celle-ci a ralenti avec le développement de l’apprentissage et surtout des emplois précaires. En sens inverse, une croissance de productivité de 1 % l’an, jusqu’en 2070, suppose un niveau de production plus élevé de 64 % en 2070, ce qui peut être discuté au regard des enjeux écologiques.

    L’hypothèse de croissance de la productivité du travail n’a d’importance pour l’équilibre du système de retraite que parce que les retraites déjà liquidées et les salaires pris en compte dans le Régime général ne sont indexés que sur les prix et non sur les salaires, de sorte que les hausses de salaires (supposées être égales aux gains de productivité du travail) permettent la baisse du ratio retraite moyenne/salaire moyen. Pour le débat social, il serait préférable de partir d’un niveau souhaitable de ce ratio et d’en déduire les taux de cotisation nécessaires plutôt que d’escompter la baisse de ce ratio induite par l’éventuelle croissance des salaires réels. 

    Le COR présente trois hypothèses pour le taux de chômage de long terme : 5 % ; 7 % ; 10 %. La projection à 5 % du taux de chômage atteint en 2027 est privilégiée, puisque le COR n’a pas le courage de s’écarter des prévisions gouvernementales ; elle apparaît bien optimiste compte tenu des évolutions récentes.  

    Le COR suppose que l’emploi est égal à la population active disponible corrigé du taux de chômage d’équilibre postulé. Cette méthode implique que le recul de l’âge de la retraite, et donc le maintien des 60-64 ans dans la population active disponible, se traduit automatiquement par une hausse de leur emploi (corrigé du taux de chômage moyen) ; elle ne prend pas en compte les difficultés spécifiques de cette classe d’âge à se maintenir en emploi ; elle ne prend pas en compte le dynamisme de la demande qui serait nécessaire. Le taux d’emploi des 15-64 ans passerait ainsi de 68 % en 2023 à 74 % en 2040. La croissance du PIB serait ainsi de 1,4 % de 2023 à 2033, en raison d’un effet de rattrapage, puis diminuerait vers les 0,8 %.

    Pour le secteur privé, le COR fait l’hypothèse que le salaire réel progresse comme la productivité du travail. Par contre, pour le secteur public, le COR reprend les hypothèses fournies par la Direction du budget. Le nombre de fonctionnaires serait stable jusqu’en 2040, sauf les 15 000 emplois dans les hôpitaux promis au Grenelle de la Santé. La nécessité d’embauches importantes dans l’éducation et la santé est oubliée.  

    De 2025 à 2032, l’indice des traitements de la fonction publique perdrait 8 % en pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat des salaires dans le privé augmenterait de 7 %. De 2032 à 2037, la croissance de l’indice dans la fonction publique rejoindrait progressivement celle des salaires du privé. Au total, l’indice de la fonction publique perdrait environ 18 % par rapport à l’évolution des salaires du privé, ce qui permettrait de diminuer le niveau relatif des pensions du public. Aucune leçon n’est tirée de la dégradation de l’attractivité des emplois publics. La part des primes dans les salaires des fonctionnaires passerait de 21 % ainsi en 2022 à 35 % en 2037 ; ainsi, la grille des traitements n’aurait plus guère d’importance, l’évolution de la rémunération des fonctionnaires dépendrait de façon opaque des primes distribuées. Compte-tenu de ces hypothèses, la part du traitement des fonctionnaires dans la masse totale des rémunérations passerait de 10,5 % à 7,7 %.

    Prolonger une gestion restrictive

    Conformément à sa méthode habituelle, le COR prolonge jusqu’en 2070 la gestion actuelle des systèmes de retraite. Ainsi, dans le Régime général, les salaires portés aux comptes et les pensions évoluent en projection comme l’indice des prix hors tabac. De ce fait, le ratio pension/salaires diminue au cours du temps d’autant plus que la hausse des salaires est forte.

    Dans le débat sur la réforme des retraites de 2023, le gouvernement s’était engagé à ce que l’évolution du minimum contributif soit telle que la retraite de départ d’un salarié ayant effectué toute sa carrière au SMIC soit maintenue à 85 % du SMIC. Selon la figure 3-17, page 156 du rapport, la projection du COR ne tient pas compte de cet engagement, de sorte que la retraite d’un tel salarié ne serait que de 70,5 % du SMIC pour la génération 1980.

    A l’AGIRC-ARRCO, selon l’accord de 2023, la valeur de service du point baisserait de 0,4 % par an en pouvoir d’achat de 2025 à 2027, puis de 1,16 % par an par rapport à la valeur d’achat, indexée sur le salaire moyen par tête (SMPT), jusqu’à 2027. Cela induirait une nouvelle baisse de 22 % du rendement du système et donc la baisse du niveau relatif des retraites complémentaires, quelle que soit la croissance de la productivité.

    Dans la fonction publique, le niveau relatif des retraites baisse en raison de la baisse du traitement indiciaire par rapport au SMPT.

    Les départs à la retraite

    Compte tenu des mesures déjà prises, l’âge moyen de liquidation de la retraite passerait de 62,4 en 2021 à 64 Ans 2028, à 64,5 ans à partir de 2035 et se stabiliserait à ce niveau. Le ratio retraités/cotisants passerait de 0,565 en 2021 à 0,683 en 2050, soit une hausse de 21 % ; mais sa hausse ralentirait à partir de 2037.

    La durée de la retraite représentait 30 % de la durée de vie pour la génération 1950 (partie à la retraite vers 2012) ; 28,2 % pour les générations 1955-60 (parties à la retraite vers 2015-2022). Elle baisserait jusqu’à 27 % pour les générations 1965-1970 (qui partiront à la retraite en 2025-2030) avant de remonter sous l’effet de la hausse de l’espérance de vie. Les 28,2 % ne seront retrouvés qu’à la génération 1988 (vers 2050). Le recul de l’âge de départ à la retraite est plus rapide que la hausse de l’espérance de vie, contrairement à ce que prévoyait la réforme Touraine.

    Une projection du solde fragile et contestable

    Les dépenses de retraites représentaient 13,4% du PIB en 2023 (dont 0,9 point est repris par les prélèvements pesant sur les retraites). Elles seraient de 13,7 % du PIB en 2030, de 13,4 % du PIB en 2050 puis de 13,2 % en 2070. La précision de ces chiffres est illusoire compte-tenu de l’ensemble des incertitudes. Ils n’en montrent pas moins que les dépenses sont parfaitement contenues (et même beaucoup trop contenues compte tenu de l’évolution démographique).

    En fait, dans la projection à 1 % de croissance de la productivité, la pension moyenne nette passerait de 63,9 % du salaire moyen net en 2022 à 54,0 % en 2050 (-15,6 %), puis à 53,3 % (-16,4 %) en 2070. C’est ainsi que la part des retraites dans le PIB n’augmenterait pas. Cette baisse résulte de la stagnation passée des salaires réels mais aussi de choix politiques, la non-indexation des salaires pris en compte et des retraites sur les salaires, le refus du Medef d’augmenter les taux de cotisations dans les régimes complémentaires, la baisse du pouvoir d’achat de l’indice des traitements de la fonction publique.

    Ainsi, le taux de remplacement net du salarié non-cadre du privé baisserait de 77 % (génération 1940) à 67 % (génération 2000), soit de 13 % ; celui d’un fonctionnaire de catégorie B de 64 % (génération 1945) à 53 % (génération 2000), soit de 17 %.

    En 2021, le niveau de vie des retraités était égal à celui de l’ensemble de la population[1]. Il ne serait plus que de 86 % en 2050 ; de 83 % en 2070. Le système de retraite français perdrait sa première caractéristique : fournir aux retraités un niveau de vie égal à celui des actifs. Les retraités seraient de nouveau la partie pauvre de la population.

    Les ressources du système des retraites sont passées de 12 % du PIB en 2005 à 13,6 % en 2023.  Le système est légèrement excédentaire, de 0,2 points de PIB en 2023, bénéficiant du retard de l’indexation des retraites[2]. Les ressources baisseraient à 12,7 % du PIB en 2050, à 12,4 % en 2070. C’est cette baisse qui explique le creusement du déficit du système des retraites. Cette baisse de 1,2 point s’explique pour 0,9 point par la baisse des contributions de l’État aux régimes de retraites publiques et aux régimes spéciaux, pour 0,2 point par la baisse relative des salaires des collectivités locales et des hôpitaux, donc de leurs cotisations, pour 0,1 point par la baisse des versements de l’Unédic et de la CAF (moins de chômeurs et moins d’enfants). Cette baisse des ressources du système des retraites profiterait donc à d’autres administrations à qui elle permettrait d’avoir un solde plus positif.

    C’est la double peine pour les fonctionnaires : la stagnation de leur traitement indiciaire devient un argument pour baisser les retraites.

    Le solde du système des retraites passerait donc d’un excédent de 4 milliards en 2023 à un léger déficit de 6 milliards en 2024, dont la totalité serait un déficit conjoncturel si on retient l’estimation du Programme de stabilité d’un écart de production de - 1,5%. Compte-tenu des hypothèses sur les recettes, le déficit se creuserait à 0,4 % du PIB en 2030, 0,8 % du PIB en 2070.  En moyenne, sur 25 ans, de 2024 à 2049, le déficit serait de 0,5 point de PIB.

    Ce déficit de 0,5 point ne représente que 3,5 % du montant des retraites. On reste dans l’épaisseur du trait : en 2020, le COR prévoyait pour 2022 un solde de -10,4 milliards ; il a été finalement de +4,4 milliards.

    Il n’y aurait aucun déficit si la part des ressources dans le PIB restait constante. Dans la projection centrale du rapport, les contributions de l’État au système des retraites baissent de 2 points du PIB actuellement à 1,2 en 2050, 1 point en 2070. C’est cette baisse qui creuse le déficit affiché.

    Même, avec la baisse des transferts de l’État, une hausse d’un point de cotisations d’ici 2030 suffirait à équilibrer le système.

    Par ailleurs, un niveau de chômage se situant durablement à 5 % induirait, hors de toute réforme des prestations, un excédent de l’Unédic de l’ordre de 0,65 point du PIB, qui pourrait être utilisé pour financer les retraites via un ripage de cotisations.

    Ainsi, utiliser le rapport du COR de 2024 pour prétendre que le système de retraites est foncièrement déséquilibré, qu’« une nouvelle réforme semble inéluctable » (Le Figaro du 12 juin) relève de la désinformation.

    Un choix social à faire

    Les générations futures souffriront à la fois d’une baisse de la durée de leur retraite et d’une baisse de leur niveau relatif de pension. En 2023, les dépenses et les recettes du systèmes des retraites représentent 13,6 % du PIB. Le COR prévoit qu’en 2050 les dépenses de retraites représenteront 13 % du PIB ; il faudrait qu’elles en représentent 14,6 % pour maintenir le niveau de vie relatif des retraités ; 15,6 % pour maintenir en plus les conditions de départ à la retraite de 2022, avant la réforme de 2023. Les 2 points de PIB à trouver par rapport à la situation actuelle pourraient être obtenus pour 0,65 point en utilisant les cotisations libérées par l’excédent de l’Unedic ; pour 1,35 point par une hausse progressive de 3,5 points des cotisations retraite, patronales ou salariales.

    Pour 2070, le COR prévoit que les dépenses seront de 13,2 % du PIB ; elles devraient en représenter 15,1 % pour maintenir le niveau de vie relatif des retraités ; 16,2 % pour maintenir les conditions de départ de 2022. Ce ne sont pas des niveaux excessifs compte-tenu du vieillissement de la population.

    Ainsi, la question n’est pas celle du léger déficit du système de retraite (0,5 % du PIB dans les 25 années à venir), dont l’estimation est fragile, et qui pourrait être comblé par un transfert des cotisations chômage. C’est celle de l’acceptation du report de l’âge de la retraite. A moyen terme, c’est celle de l’acceptation de la paupérisation progressive des retraités.

    [1] En fait, il n’est que de 94 % du niveau de vie de la population d’âge actif car les enfants de 0 à 18 ans ont un niveau de vie plus bas de 10 % que l’ensemble de la population.

    [2] En raison des délais d’indexation, le pouvoir d’achat de la retraite du Régime général a baissé de 2,1 % en 2022 et de nouveau 2,1 % en 2023. Il augmenterait de 2,7 % en 2024, laissant une perte de 1,5 % sur la période.