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Le RN ponctionne les pauvres pour redistribuer aux plus riches
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les économistes Elvire Guillaud et Raul Sampognaro ont calculé les conséquences du programme du RN sur le niveau de vie des Français. Le résultat ? Un enrichissement des 10 % les plus riches au détriment des 30 % les plus pauvres.
Par Elvire Guillaud et Raul Sampognaro
Le Rassemblement national (RN), en tête dans les sondages pour les prochaines élections législatives, est présenté depuis plusieurs années comme un parti normalisé, ayant « fait sa mue » selon certains, avec un programme économique « social » visant à soutenir le niveau de vie des classes populaires. L’analyse de la politique économique du RN montre qu’il n’en est rien.
Au contraire, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella a pour agenda un enrichissement des 10 % les plus riches au détriment des 30 % les plus pauvres, creusant ainsi les inégalités. Si ce programme était mis en œuvre, nos calculs sont formels : le décile du haut gagnerait en moyenne 1 160 euros par an, par unité de consommation, tandis que les trois premiers déciles perdraient en moyenne 230 euros par an.
A partir du programme de la présidentielle 2022, dont le Rassemblement national avait présenté un chiffrage macroéconomique que nous ne discutons pas ici, il est possible de calculer les conséquences des mesures de politique publique envisagées, sur la distribution des niveaux de vie dans la population1.
Certes, le parti a déjà annoncé des renoncements, comme la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité qui n’est plus au programme et l’abrogation de la récente réforme des retraites que nous n’incluons pas dans l’analyse. Mais loin d’une volte-face, les annonces du président du Rassemblement national pour les élections législatives 2024 reprennent largement l’agenda des 22 mesures défendues en 2022.
Le RN affirmait en 2022 que les propositions de son programme coûteraient 68,3 milliards d’euros par an (soit 2,5 points de PIB) et seraient financées par des économies structurelles (55 milliards) et des effets induits (13 milliards). Il ne s’agit pas d’évaluer si ces chiffrages sont cohérents mais plutôt de mettre en lumière les choix politiques portés par ces mesures, notamment en termes d’inégalités de niveau de vie.
Un effet anti-redistributif
Le niveau de vie des ménages est affecté par les transferts publics, positivement à travers les prestations qu’ils reçoivent et négativement par les prélèvements dont ils s’acquittent.
L’exercice présenté ici consiste donc, en injectant le programme économique du RN dans les comptes nationaux distribués publiés chaque année par l’Insee, à passer du niveau macroéconomique dans lequel des milliards d’euros sont manipulés, au niveau des ménages dont le niveau de vie sera concrètement affecté par ces politiques2.
Pour distribuer dans la population certaines mesures, nous avons dû avoir recours à des sources de données externes3. L’exercice est complexe, et nous avons choisi des hypothèses conservatrices lorsque certains choix ou interprétations devaient être faits (nous les précisons ci-dessous). Cela permet d’avoir, au premier ordre, une idée claire de la vision de la société portée par le RN.
Dans un premier temps, on isole l’effet des politiques socio-fiscales comme la suppression des droits sociaux des immigrés (-16 milliards), la lutte contre la fraude qui relève dans le discours du RN essentiellement de la fraude aux prestations sociales (-15 milliards), la baisse de TVA de 20 % à 5,5 % sur les produits énergétiques (+12 milliards), ou la suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE) (+10 milliards), de l’effet des politiques visant à transformer les services publics comme la santé, l’éducation, la police ou la défense.
Les politiques socio-fiscales prévues par le RN ont un effet anti-redistributif largement visible dans le graphique ci-dessous, qui mesure la variation attendue du revenu disponible net des ménages (après taxes et transferts monétaires).
Les déciles du bas sont négativement impactés par les économies envisagées sur les prestations sociales, que ce soit à travers l’abrogation des droits sociaux des immigrés ou la lutte contre la fraude sociale.
Le dernier décile est affecté positivement par la suppression de la taxe CFE, distribuée en fonction du montant d’actions possédées par les ménages4. La baisse de TVA sur les produits énergétiques, dont l’impact distributif dépend des consommations de biens énergétiques par décile, est aussi à l’avantage des derniers déciles5.
Une politique anti-sociale
Dans un second temps, on intègre l’ensemble des mesures prévues par le programme (hors réforme des retraites), notamment les économies prévues sur le fonctionnement des agences de l’Etat (-8 milliards), le « plan santé » (+2 milliards), la revalorisation des salaires des enseignants (+4 milliards), les dépenses liées à la police, à la justice ou à la défense (+4,3 milliards). Les variations de niveau de vie se mesurent alors en proportion du revenu national distribué (incluant l’ensemble des services publics).
Le résultat est sans appel : suite à l’application de l’ensemble des mesures annoncées dans le programme économique du RN, les 10 % les plus riches voient leur niveau de vie moyen augmenter de 1,5 % (5 milliards d’euros leur sont distribués par l’Etat, ce qui correspond à 1 160 euros annuels par unité de consommation) tandis que les 30 % les plus pauvres voient leur niveau de vie moyen baisser de 1 % (3 milliards d’euros sont ponctionnés sur ces ménages du bas de la distribution, ce qui correspond à 230 euros annuels par unité de consommation).
Les classes moyennes, elles, voient leur niveau de vie globalement inchangé, car les pertes subies via les mesures de redistribution monétaire sont compensées par les dépenses de santé et d’éducation dont ils bénéficient.
En se basant sur leur propre chiffrage, notre analyse montre donc que le programme du Rassemblement national consiste à ponctionner les pauvres et les immigrés pour redistribuer vers les riches. Ainsi, le discours xénophobe n’est pas là pour masquer une politique anti-sociale mais pour conforter sa mise en place6.
Elvire Guillaud est maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheuse au Centre d’économie de la Sorbonne.
Raul Sampognaro est économiste à Sciences Po Paris
Notes
1. Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC), celles-ci étant calculées selon une échelle d’équivalence pour prendre en compte les économies d’échelle (on attribue généralement 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans). Le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d’un même ménage
2. Deux concepts de revenu sont mobilisés ici : (1) le revenu disponible net est le revenu des facteurs (revenus salariaux, revenus mixtes et du patrimoine, revenu des entreprises) auquel sont retranchés les impôts (CSG, impôts sur le revenu et le patrimoine, impôt sur les sociétés) et cotisations sociales, et ajoutés les prestations et allocations monétaires (retraites, chômage, famille, etc.). Ces revenus sont distribués par décile de population ; (2) le revenu national distribué est le revenu disponible net auquel on ajoute les transferts sociaux en nature individualisables (éducation, santé, etc.) et les dépenses collectives (administration générale, défense, police, justice, etc.). Cela correspond à l’ensemble de la richesse nationale, distribuée par décile de population
3. Par exemple, les dépenses énergétiques par décile sont calibrées en fonction de l’enquête Budget des Familles 2017, tandis que les économies sur l’immigration suivent, dans la mesure du possible, les résultats de Chojnicki, Ragot et Sokhna (2018) « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France : (I) une approche comptable », CEPII Working Paper 2018-04, avril 2018
4. Nous supposons que la suppression d’un impôt sur les entreprises bénéficie aux détenteurs de capital. La propriété des entreprises peut être distribuée par décile de revenu selon deux variables, au choix : le montant des actions possédées, ou les dividendes perçus. Nous choisissons la première hypothèse, conservatrice car les actions sont plus également réparties que les dividendes (les 10 % les plus riches détiennent 48 % des actions mais 79 % des dividendes versés)
5. L’incidence sur le prix à la consommation d’une baisse aussi importante de TVA, qui passerait de 20 % à 5,5 % d’un seul coup, est difficile à apprécier. Deux principales hypothèses sont en concurrence : supposer une incidence 50/50 entre le producteur et le consommateur, comme cela s’est produit dans la restauration, ou bien supposer une incidence 33/66 comme cela est communément admis chez les économistes pour des variations de taux relativement faibles. Nous choisissons cette deuxième hypothèse, là encore conservatrice dans la mesure où les producteurs qui bénéficient de cette baisse de TVA sont concentrés dans le haut de la distribution
6. On pourrait ajouter en suivant Félicien Faury (2024) « Des électeurs ordinaires », que les économies sur la fraude, dans l’imaginaire collectif comme dans le programme du RN, visent les immigrés alors que les études récentes montrent que l’essentiel de la fraude est le fait des cotisations, de la TVA et de l’évitement fiscal des multinationales