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Terre, production et capital. Débat avec les théories de la subsistance

Lien publiée le 29 septembre 2024

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Des « déserteurs » aux Soulèvements de la terre, l’intensification de la crise écologique ranime les débats autour des théories de la subsistance. Peut-on assurer notre reproduction matérielle hors du capital ? Et comment s’y prendre ?

Penser et agir depuis la subsistance : une perspective écofeministe |  Terrestres

Des « déserteurs » aux Soulèvements de la terre, l’intensification de la crise écologique ranime les débats autour de la subsistance. « Le chaos écologique, la pandémie récente, les dépendances énergétiques font ressurgir la matérialité de nos vies, alors que la société de croissance promettait de s’en affranchir, jusqu’à faire de cet affranchissement la condition de la liberté. Cette irruption de la matérialité nourrit désormais des inquiétudes : la subsistance dans les sociétés ayant sacrifié l’autonomie alimentaire et plus largement l’autonomie en matière de soins, d’habitat, ne va plus de soi. » [1]. C’est ainsi que l’économiste décroissante Geneviève Azam explique l’intérêt renouvelé pour le courant de pensée écoféministe des perspectives de la subsistance, qui met l’accent sur l’enjeu de reprendre le contrôle direct sur la manière de répondre à nos besoins, au sein d’économies paysannes locales.

Ces perspectives de la subsistance, mêlées à une réflexion originale sur le démantèlement et le désarmement (sabotage), sont au cœur de Premières secousses, le livre des Soulèvements de la terre publié aux éditions La fabrique. En répondant à l’invitation de ces derniers à ce que le livre « passe de main en main, suscite discussions, objections, propositions », nous revenons sur les apports de ces pensées mais aussi sur ce qui nous apparait comme leur limite, dans la perspective de construire un rapport de force contre le capitalisme écocidaire et l’impérialisme : leur contournement de la question de la production.

Subsistance, une critique du développement

On attribue aux sociologues allemandes Maria Mies et Veronika Bennholdt, autrices du livre La subsistance, une perspective écoféministe (1999), ainsi qu’à la militante écoféministe indienne et opposante à Monsanto, Vandana Shiva, la parentalité du concept de subsistance. Dans un effort, dès les années 1970, de comprendre la crise écologique à travers un prisme féministe [2] et économique, elles étudient la captation du travail domestique des femmes, mais également celui « de petits paysans et d’artisans du Sud, le travail de millions de petits producteurs qui produisent pour des besoins locaux » ainsi que la captation de « la nature elle-même, […] considérée comme un bien gratuit que l’on pouvait s’approprier et exploiter sans coût ou à faible coût au profit de l’accumulation ». [3] Pour Mies et Bennholdt, ce sont ces captations qui assurent la base de l’accumulation sans fin du capital, à l’origine de la crise écologique : « la croissance illimitée d’argent et de marchandises ne peut être que destructrice [4] ».

Cette analyse les conduit à mener une critique acerbe du « progrès », du « développement », et des technologies, qu’elles décrivent comme relevant du pillage et de l’expropriation. « Il ne peut y avoir de progrès d’un côté sans régression de l’autre [5] ». C’est à partir de ce même cadre qu’elles analysent l’expansion néolibérale du capital : « La stratégie néolibérale du libre-échange que promeuvent les grandes multinationales […] est aussi la cause d’une paupérisation massive des paysans dans tous les pays du Sud, de l’appropriation de vastes territoires agricoles et de pans entiers de la production de nourriture par les multinationales du Nord, ainsi que l’anéantissement des politiques d’autosuffisance alimentaire dans le Sud et dans le Nord. [6] »

Bien qu’elles assument une rupture avec le marxisme, qu’elles accusent de productivisme, Mies et Bennholdt s’inspirent librement des élaborations de Rosa Luxemburg sur l’accumulation du capital. En effet, la réflexion sur le rapport entre subsistance et exploitation est au cœur de l’analyse marxiste. Dès Le Capital, Karl Marx détaille, à travers l’analyse de l’accumulation primitive, le processus violent par lequel les capitalistes se dotent d’une classe exploitable en l’arrachant aux modes traditionnels de subsistance par l’expropriation des campagnes : « l’avancement de la classe capitaliste en voie de formation, […] dépouillant de grandes masses de leurs moyens de production et d’existence traditionnels, les lancent à l’improviste sur le marché du travail, prolétaires sans feux ni lieux. Mais la base de cette évolution, c’est l’expropriation des cultivateurs [7] ». Rosa Luxembourg prolonge cette analyse en considérant ce processus non pas comme une phase historique initiale et spécifique du capitalisme, mais comme un processus continuellement répété au cours de l’expansion capitaliste. Ainsi, « sans les formations précapitalistes, l’accumulation ne peut se poursuivre, mais en même temps elle consiste en leur désintégration et leur assimilation » et « si le capitalisme vit des formations et des structures non capitalistes, il vit plus précisément de la ruine de ces structures, et s’il a absolument besoin pour accumuler d’un milieu non capitaliste, c’est qu’il a besoin d’un sol nourricier aux dépens duquel l’accumulation se poursuit en l’absorbant [8] ».

Luxembourg insiste sur le fait qu’« à un certain degré de développement, cette contradiction ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme [9] », c’est-à-dire que les destructions engendrées par l’expansion du capitalisme ne peuvent être stoppées que par la prise de contrôle des moyens de productions et leur gestion démocratique et rationnelle par les travailleurs et les opprimés. A l’inverse, Bennholdt et Mies préconisent un retour à une forme d’économie locale de la subsistance. Pour elles, il faudrait organiser la société autour de « la satisfaction directe de tous les besoins humains plutôt que sur l’accumulation permanente de capitaux et d’excédents matériels » au sein d’une «  économie régionale et décentralisée » dans laquelle « les hommes effectueraient autant de travail non-rémunéré que les femmes [10] ».

Ainsi, les perspectives de la subsistance pourraient se définir par cette attention portée à la satisfaction directe des besoins au sein d’économies locales et un effort de revaloriser et partager le travail reproductif au sein des communautés : « La production de subsistance ou production de la vie inclut tout travail servant à la création, à la perpétuation et à l’entretien direct de la vie sur terre, et qui n’a pas d’autre objectif que lui-même [11]. »

En ce sens, les perspectives de la subsistance passent – sans s’y limiter – par une forme de retour à la terre : « L’agriculture (culture centrée sur la culture du sol) et l’économie paysanne sont des composantes essentielles de cette perspective tournée vers la subsistance [12] » ainsi qu’un développement de multiples initiatives au sein des villes afin de briser la frontières entre ces dernières et les campagnes : coopératives, monnaies locales, jardins urbains, achat au sein de circuits courts et paysans en tant qu’acte politique, etc. Si ces dernières initiatives ont fait long feu, et ont prouvé qu’elles pouvaient totalement être incorporées au sein d’un capitalisme « vert », le retour vers une écologie paysanne de subsistance reste, lui, un attracteur puissant dans l’écologie radicale.

« On ne mord pas la main de celui qui vous nourrit » ?

Cherchant à actualiser la perspective de la subsistance, le philosophe Aurélien Berlan, auteur de Terre et liberté (2021), défend que le « pouvoir nourricier » du marché et des États « nous influence en nous mettant en dépendance matérielle. Le besoin sert alors de relais intérieur au pouvoir : la menace de privation ou la promesse de satisfaction suffisent pour faire pression sur celui qui l’éprouve et modifier son comportement. Comme le rappelle le dicton : "On ne mord pas la main de celui qui vous nourrit" [13]. » Pour lui, s’émanciper de cette dépendance, qui passe par le salariat, exige, « à rebours du fantasme moderniste d’alléger, jusqu’à l’apesanteur, nos conditions de vie, d’accéder aux moyens de subsistance afin de les prendre en charge ».

Ici, la perspective de la subsistance reflète une volonté de se soustraire au salariat et à la séparation entre nos aspirations et la forme de vie dégradée que nous impose le capitalisme. Comme l’écrit Frédéric Lordon dans Vivre sans ?, ces inspirations à la soustraction et la défection sont autant de signaux encourageants, d’autant qu’elles proviennent de «  secteurs de la société où ils ont à priori le moins de chance de survenir : les cadres, les étudiants des grandes écoles, toutes ces personnes qui forment normalement le socle de l’ordre […] mais à qui l’ordre a fini par se rendre haïssable [14] ». Toutefois, cette politique ne suffit pas « à nous donner une forme politique complète, qui constituerait, selon le modèle de la destitution, en une gigantesque fuite [15] ».

Plus insidieuse encore, la division complexe du travail rend impensable une généralisation à toute la société de la perspective de la soustraction pour renouer avec les moyens de sa subsistance. Dans le cadre capitaliste actuel, un certain nombre de biens indispensables à la subsistance proviennent en effet de la division capitaliste du travail (énergie, outils, médicaments et soins médicaux, informations, pour n’en citer que quelques-uns). « Si la désertion de certains a pour condition de possibilité cachée que certains autres, en fait la plupart, en soient interdits et demeurent dans le capitalisme, je ne pense pas que ça fasse une solution satisfaisante [16] ».

Opposées à l’épreuve de force et au combat frontal avec le capitalisme, Mies et Bennholdt décrivent explicitement leur politique comme une soustraction : « Le vieux concept de révolution, entendu comme renversement violent, généralement soudain, du pouvoir d’État et des relations sociales, ne correspond pas à notre conception d’une perspective de subsistance […] ces changements peuvent être initiés par chaque femme et chaque homme, ici et maintenant [17]. » Leurs élaborations connaissent toutefois aujourd’hui une réappropriation plus combative. Ainsi, Les Soulèvements de la terre écrivent : «  Si nous voulons conséquemment nous doter des moyens d’assurer notre subsistance indépendamment du capital, nous ne pouvons pas nous contenter d’appeler à multiplier les désertions individuelles, ni même les expérimentations collectives. Il nous faut identifier les verrous qui nous bloquent l’accès à la terre et aux pratiques de subsistance, et les faire sauter. [18] » La quête de la subsistance est ici comprise comme un projet collectif et conflictuel avec le capital, même si l’objectif « d’assurer notre subsistance indépendamment du capital » ne rompt pas définitivement avec la tentation de la soustraction.

L’idée est que pour pouvoir affronter le capital, il faudrait faire baisser notre degré de dépendance vis-à-vis de celui-ci, constituer des stocks et des réseaux de résilience. Cette approche marque une volonté de penser et préparer concrètement l’épreuve de force, et comporte des aspects tactiques pertinents à l’image des réapprovisionnements de piquets de grève et de manifestations, ou de la création de liens entre les mondes ouvriers et paysans. Mais elle a le défaut de donner une importance démesurée à des facteurs techniques, au détriment de facteurs politiques [19]. Les dernières expériences de lutte des classes en France, de la réforme des retraites aux Gilets jaunes en passant par la révolte des quartiers populaires, ont prouvé la capacité de différents secteurs à se mobiliser massivement et avec détermination, malgré leur dépendance au capital, et à « morde la main de celui qui les nourrit ». Leur défaite ne s’explique pas par des facteurs techniques (épuisement des ressources, dépendance au capital, etc.), mais par des facteurs politiques, parmi lesquels la politique d’isolement et la stratégie de pression institutionnelle de l’intersyndicale pendant la bataille des retraites, une politique impuissante face à la radicalisation de l’État et du patronat.

Pillage impérialiste et tâches internationalistes

Historiquement, la perspective de la subsistance s’est construite comme une critique du pillage du Sud global. En réponse, Mies et Bennholdt préconisent d’« apprendre des femmes et des hommes du tiers-monde ce que pouvait être une vie bonne et qu’elle ne dépendait pas entièrement du commerce international ». Ces derniers ont selon les autrices « une conscience et une lucidité qui font encore défaut dans le Nord », alors que « les gens qui vivent au cœur du monde capitaliste doivent se poser la question de leur complicité » avec les massacres, pillages et famines causés par l’impérialisme.

Les autrices proposent de transposer au Nord la bataille pour la conservation de la subsistance des peuples dominés du Sud. Une logique qui, en plus d’assimiler les classes populaires du Nord aux politiques meurtrières de ceux qui les exploitent, ne tire pas les conséquences stratégiques de la division du monde entre centres impérialistes dominants et pays dominés. Dans cette division du monde, l’action à partir d’un centre impérialiste implique des tâches politiques spécifiques : affaiblir les capacités de notre propre impérialisme a des conséquences internationales sur la possibilité de libération et d’émancipation sur les populations qu’il domine.

La crise écologique rend les tâches spécifiques liées à l’intervention dans les pays impérialistes plus urgentes : d’après l’étude publiée dans Nature, « Quantifying the human cost of global warming », selon les tendances actuelles, le changement climatique devrait pousser 2 milliards de personnes d’ici 2030 et 3,7 milliards en 2090 hors des intervalles de température et de précipitations relativement stables dans lesquelles les sociétés humaines se sont développées depuis des millénaires. Cette perspective cauchemardesque remet en cause la capacité d’une partie importante de l’humanité, du Sud majoritairement, à subsister. Cette donnée renforce l’urgence de stopper les géants de la pollution, mais également la course au renforcement des frontières amorcée par les puissances impérialistes. Un retour à la subsistance dans les centres impérialistes s’avère impuissant face à cette terrible réalité, qu’il faut combattre frontalement, à travers un programme et une stratégie spécifiques.

Dans un pays impérialiste, comme la France ou l’Allemagne, la meilleure manière de défendre l’intégrité des populations du Sud et de se connecter avec elles dans l’affrontement contre la catastrophe capitaliste semble dès lors la construction d’un rapport de force contre son propre État impérialiste, ses frontières, son armée et ses expéditions coloniales, mais aussi contre ses grandes entreprises spoliatrices et criminelles à l’image de Total ou Lafarge. Ce combat internationaliste implique de se lier à la classe ouvrière, qui a démontré sa capacité à construire un rapport de force énorme contre ces dernières, par exemple avec la mise à l’arrêt de Total et Exxon à l’automne 2022 pendant plusieurs semaines par la grève des raffineurs.. Et exige de se départir de tout scepticisme vis-à-vis de la classe ouvrière, et de combattre au contraire inlassablement les idées de l’impérialisme et du chauvinisme dans ses rangs, et leurs relais, de l’extrême droite aux souverainistes de gauche.

Affronter la question de la production et de la division sociale du travail

L’objectif « d’accéder aux moyens de subsistance afin de les prendre en charge » pointe un enjeu réel : celui contrôler consciemment et démocratiquement la manière dont l’humanité répond à ses besoins tout en limitant ses impacts sur l’environnement. La perspective de la subsistance remet en cause, bien que de manière limitée, la propriété privée capitaliste, notamment la propriété privée des sols. Mies et Bennholdt insistent ainsi sur la nécessité de « se réapproprier les biens communs les plus essentiels, en reprendre le contrôle : la terre, l’eau, les forêts, la biodiversité, le savoir ». Cette réflexion gagnerait cependant se poser à l’échelle macroscopique, à travers une analyse des rapports de force et en visant la réappropriation commune de toutes les terres et leur partage démocratique. Dans un texte récent le philosophe marxiste et écologiste Paul Guillibert écrit ainsi : « Il paraît difficile de compter sur la naïveté de l’État et des capitalistes agroindustriels, qui se laisseraient berner par une dissémination locale d’expériences de gestion de terres en communs. Peut-on alors vraiment isoler la stratégie de la socialisation de la terre d’une analyse du rapport de force politique à construire pour élargir et maintenir cette socialisation ? »

Mais cette remise en cause de la propriété privée capitaliste ne peut se cantonner aux « communs » comme la terre et l’eau. A l’ère des polluants éternels, du changement climatique et du boom de l’extractivisme minier, refuser de penser prise du contrôle et reconversion des usines, mines, et autres lieux de travail, condamne les « communs » considérés par les perspectives de la subsistance à se faire dévaster par les ravages de la gestion capitaliste de la production. Pour le dire autrement, « quoique les défenseurs de l’environnement l’oublient souvent, c’est dans l’usine que commence la pollution […] elle peut et doit être combattue sur le terrain même de l’usine et pas seulement autour  [20] ». Un problème auquel les Soulèvements de la terre cherchent à s’attaquer, notamment dans leur chapitre « Renverser la vapeur : l’hypothèse du démantèlement ». Ce dernier pose l’enjeu de « défaire ces infrastructures écocidaires et de reprendre en main les techniques et les savoir-faire pour répondre à nos besoins sans elles [21] ». Leur approche, quoiqu’originale, ne parvient cependant pas à « articuler finement le nécessaire démantèlement des infrastructures écocidaires et l’émancipation sociale des travailleurs [22], ainsi que celle de l’organisation démocratique et écologique de la production des biens nécessaires à la reproduction de la vie en société.

En effet, une part non négligeable de nos besoins, si ce n’est l’écrasante majorité, ne peuvent être satisfaits directement et individuellement ou à l’échelle de petites communautés par le travail de la terre ou la transformation directe de ressources naturelles issues des « communs ». Une pioche ou un scanner médical nécessitent un assemblage de composantes et de matières transformées réalisables uniquement grâce à une division du travail à l’échelle de toute la société. En plus de ressources naturelles et de travail humain, ces objects sont produits par des usines, des mines, des machines-outils, de réseaux de distribution, c’est-à-dire par des moyens de production. « Aucune communauté restreinte, si autonome se veuille-t-elle, ne peut internaliser cette entièreté [23] », écrit encore Frédéric Lordon. « Que le développement de la forme sociale postcapitaliste voie la floraison de zones communalistes ou d’îlots d’autonomie (aux finalités les plus variées, depuis les jardins collectifs jusqu’aux garages ou aux dispensaires autogérés) est une chose ; que la formation sociale se réduise à leur formation-juxtaposition en est une autre. Il y aura quelque chose en plus. Quelque chose appelé par la division macrosociale du travail [24]. »

Cette division macrosociale du travail s’impose de façon d’autant plus nécessaire que le capitalisme nous a précipité dans un « nouveau régime » environnemental caractérisé par les catastrophes, les sécheresses, les virus, comme le relève Paul Guillibert [25]. Ce nouveau régime environnemental est, en partie, irréversible. Il appelle, pour réduire l’ampleur de la crise et faire face à ses conséquences directes, un certain nombre d’outils complexes nécessitant une division du travail avancée et une maîtrise consciente des moyens de production. Des vaccins aux transports pour les réfugiés, en passant par une utilisation raisonnée des capacités du numérique pour rationaliser la production et traiter les données nécessaires à la compréhension de la crise écologique. On peut également penser aux opérations hautement complexes et techniques de la reconversion, la mise à l’arrêt sélective et la dépollution des infrastructures industrielles du capitalisme.

Dans le capitalisme, la division du travail répond à la quête du profit et est responsable d’une multitude d’abominations parmi lesquelles la division raciale et genrée de la société, le pillage impérialiste, l’enfermement dans des tâches destructrices pour le corps, l’esprit et l’environnement. Mais dans une société où les moyens de production seraient arrachés à la propriété capitaliste et placés sous le contrôle démocratique de ceux qui produisent, cette division du travail, en plus d’offrir beaucoup plus de liberté et de possibilités individuelles, pourrait signifier tout autre chose. Elle permettrait d’extraire les tâches de la reproduction de la sphère privée et de les prendre en charge collectivement, de partager les tâches ingrates et peu qualifiée, de contrôler collectivement et démocratiquement notre rapport à l’environnement. Mais elle pourrait également être le point de départ d’une nouvelle forme de solidarité, de confiance et de coopération collective, celle de reconnaître notre dépendance aux autres pour notre existence et notre épanouissement, et, en retour, de travailler à l’existence et l’épanouissement de tous. Cette perspective nécessite, certes, de renouer avec les moyens de notre subsistance collective à l’image de la terre, mais surtout de viser la reprise collective de tous les moyens de production.

NOTES DE BAS DE PAGE


[1] Geneviève Azam, « Décroissance et perspective de la subsistance », dans Décroissances, coordonné par François Jarrige et Hélène Tordjman, Paris, Le passager clandestin, 2023, p. 219. Azam a également écrit pour la revue Terrestres une introduction aux perspectives de la subsistance : https://www.terrestres.org/2023/05/12/penser-et-agir-depuis-la-subsistance-une-perspective-ecofeministe
[2] Bien qu’elles s’en défendent, leur approche, qui repose sur un parallèle entre fertilité de la terre et maternité, est très essentialisante. Leur réponse aux accusations des féministes postmodernes est parlante : « La critique d’essentialisme que les féministes postmodernes dirigent contre d’autres féministes (par exemple, leur critique de l’écoféminisme) est issue du reniement de nos propres origines d’être nés d’une femme, du reniement des mères telles qu’elles existent, en chair et en os, mais aussi de l’ordre maternel symbolique et, finalement, du corps féminin ». M. Mies et V. Bennholdt,La Subsistance, une perspective écoféministe, La Lenteur, 2022 (1999), p. 367. Il est à noter qu’une partie des réappropriations actuelles de ces perspectives, à l’image de celle opérée par les Soulèvements de la terre dans leur livre, rompt avec cet essentialisme. Les Soulèvements de la terre, Premières secousses, « Quelle est la "nature" qui se défend ? », Paris, La fabrique, 2024, p. 157.
[3] M. Mies et V. Bennholdt, La Subsistance, une perspective écoféministe , La Lenteur, 2022 (1999), p. 77
[4Ibid, p.124
[5] ibid. p. 72
[6Ibid. p. 90
[7] Karl Marx, Le Capital, livre 1, Paris, Les éditions sociales, 2016.
[8] Rosa Luxembourg, L’accumulation du capital, contribution à l’explication économique de l’impérialisme
[9Idem..
[10] M. Mies et V. Bennholdt, La subsistance, une perspective écoféministe, op. cit., p. 133
[11Ibid, p. 57-58
[12Ibid., p. 162,
[13] A. Berlan, Terre et Liberté Paris, La Lenteur, 2021, p.18
[14] F. Lordon, Vivre Sans ?, La Fabrique, 2019, p. 170
[15Idem. ».
La « politique de la soustraction » (au sens : qui cherche à se soustraire à l’emprise du capital) se heurte en effet à la radicalisation autoritaire de l’État. « Même locales, les expérimentations ne seront plus tolérées. La solution des isolats alternatifs n’existe plus[[Ibid. p. 171
[16Idem
[17] M. Mies et V. Bennholdt, La Subsistance, une perspective écoféministe, op. cit, p. 60
[18] Les Soulèvements de la terre, Premières secousses, op. cit., « Perspectives de la subsistance », p. 154.
[19] Sur la nécessité de pondérer justement les facteurs techniques et politiques, Trotsky écrivait à propos de la situation en France en 1934 : « le résultat de la guerre civile [entendre révolution] dépend seulement pour un quart, pour ne pas dire un dixième, de la marche de la guerre civile elle-même, de ses moyens techniques, de la direction purement militaire, et pour les trois quarts, sinon pour les neuf dixièmes, de la préparation politique. En quoi consiste cette préparation politique ? Dans la cohésion révolutionnaire des masses, dans leur affranchissement des espoirs serviles en la clémence, la générosité, la loyauté des esclavagistes « démocratiques », dans l’éducation de cadres révolutionnaires sachant braver l’opinion publique officielle et capables de montrer à l’égard de la bourgeoisie ne fût-ce que le dixième de l’implacabilité que la bourgeoisie montre à l’égard des travailleurs. Sans cette trempe, la guerre civile, quand les conditions l’imposeront – et elles finissent toujours par l’imposer– se déroulera dans les conditions les plus défavorables pour le prolétariat, dépendra de beaucoup de hasards, puis, même en cas de victoire militaire, le pouvoir pourra échapper des mains du prolétariat. » L. Trotsky, Où va la France ?
[20] M. Beaud et A. Guérin-Henni, cités dans A. Marchand, Mourir de son travail aujourd’hui : enquête sur les cancers professionnels, Paris, éditions de l’Atelier, 2022, p.49
[21] Les Soulèvements de la terre, Premières secousses, op.cit. p. 114
[22Ibid. p. 122
[23] F. Lordon, Figures du communisme, Paris, La fabrique, 2021, p. 94
[24Ibid., p. 95
[25] P. Guillibert, Terre et capital, Paris, Amsterdam, 2021, p. 19