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    Une défense "du" parti. Réflexions autour du livre de Jean Quétier

    Lien publiée le 1 février 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.contretemps.eu/defense-parti-reflexions-jean-quetier/

    Dans la littérature politique récente, la question du « parti » ne fait guère l’objet d’études de fond, et moins encore d’études tendant à en défendre le principe et la pertinence. Ce serait là une raison suffisante pour se pencher sur l’ouvrage que lui consacre Jean Quétier, De l’utilité du parti politique (PUF, 2024), que discute ici Laurent Lévy.

    Jean Quétier, De l’utilité du parti politique. Organisation, démocratie, émancipation, PUF, 2024

    Philosophe, spécialiste de Marx ayant plus particulièrement travaillé sur la conception marxienne du parti, l’auteur mobilise ses réflexions antérieures au service d’un essai dont la vocation est politique avant d’être théorique, sans assaut d’érudition, et avec le souci de contribuer aux réflexions collectives sur cette question dont il entend montrer l’importance pratique.

    « Le parti est généralement perçu aujourd’hui comme une forme d’organisation ancienne, appartenant à un passé considéré comme révolu. » 

    Tel est le constat que fait l’auteur à l’ouverture de son livre, et tel est le point de vue qu’il s’attache à contester. Et conscient de l’ampleur des griefs souvent formulés à l’encontre des partis, il insiste :

    « il n’est pas particulièrement surprenant que l’idée selon laquelle il conviendrait désormais de faire sans les partis, en inventant de nouvelles formes d’organisation politique, se soit imposée à une partie de la gauche comme une nécessité quasiment incontournable. »

    Cette recension n’a pas la prétention d’expliciter de manière approfondie la démarche de l’ouvrage : Jean Quétier lui-même l’a fait, par exemple dans l’intéressant entretien qu’il a donné dans Médiapart à Fabien Escalona, dont la lecture suffit pour inciter à se plonger dans le livre lui-même.

    On peut toutefois résumer ainsi sa thèse : Jean Quétier entend soutenir et montrer que « par-delà les critiques légitimes qui ont pu lui être adressées au cours du XXe siècle », le parti « demeure aujourd’hui l’outil politique le plus adéquat pour affronter les enjeux de démocratie et d’émancipation. » Les critiques qui lui sont habituellement faites, qui ne sont pas neuves mais reprennent au contraire le plus souvent, consciemment ou non, certaines de celles avancées depuis plus d’un siècle, en particulier dans l’étude du sociologue germano-italien Robert Michels[1], sont contestables entre autres en ce qu’elles reposent sur une anthropologie pessimiste, et peuvent être surmontées par une approche reposant sur le perfectionnement démocratique et le choix volontariste de la souveraineté des militant·es, appuyé sur la prise en considération de leurs aptitudes intellectuelles et rationnelles, dont la réalisation passe par un effort culturel de formation et le respect de règles formelles dans la structuration de l’organisation. Autrement dit, les critiques de la forme parti visent selon Jean Quétier une certaine pathologie des partis, et non leur nature, laquelle demeure fondamentalement émancipatrice si l’on fait ce qu’il faut pour cela. L’auteur lui-même, résume ainsi sa thèse sur ce point :

    « le parti ne saurait devenir un outil démocratique au service de l’émancipation qu’à condition de faire le pari de l’intelligence collective, donc à condition que ses membres soient considérés avant tout comme des êtres de raison. »

    Parce qu’il s’agit d’un sujet important abordé de façon originale par un auteur sérieux, mon but sera ici, plus que d’exposer ou de critiquer le détail de son argumentation, de susciter le débat à travers un regard critique sur certains aspects de son travail, en particulier méthodologiques ou théoriques, et à l’occasion historiques ou politiques, ainsi que sur la permanence de points aveugles et d’angles morts dans son argumentation.

    La définition introuvable du « parti »

    La remarque n’est pas sans conséquences : Jean Quétier semble tenir pour acquise la définition – le concept, dit-il – de « parti ». Il l’approche à travers plusieurs formulations apparemment données pour synonymes. Le « parti » est ainsi affirmé comme une forme d’organisation politique, une structure organisée, une organisation partisane. La distinction entre le « parti » comme « forme d’organisation politique » et le « mouvement » est posée comme une évidence dès l’entrée du livre, et n’est ainsi jamais explicitée.

    Dans tout le livre, l’utilité du parti est désignée comme l’utilité de la forme parti, sans que cette « forme » soit elle-même particulièrement définie, si ce n’est de façon très élémentaire par une structure et un fonctionnement démocratiques ; parti et forme-parti sont des termes à peu près interchangeables dans le livre, sans que la seconde expression soit plus conceptualisée que la première ; ainsi, ce qui caractériserait parti ou forme-parti serait : l’existence de statuts, régissant la vie de l’organisation ; la tenue régulière de congrès souverains ; des directions élues.

    Quétier ne sous-estime pas le caractère formel de ces caractéristiques, non plus que leur caractère contournable pouvant mettre en cause la « souveraineté des adhérents », suivant une formule devenue habituelle dans le vocabulaire du PCF depuis la réforme de ses statuts dans les années 1990, mais il ne s’agit pas là pour lui d’un défaut rédhibitoire, et au contraire de difficultés à surmonter : d’un « horizon normatif susceptible de mettre en lumière ce que pourrait être une forme d’organisation souhaitable » si bien qu’il convient « de penser conjointement les risques de dérives auxquels les organisations ouvrières sont confrontées et les moyens de les conjurer ». L’auteur va jusqu’à qualifier le concept de parti comme un concept normatif.

    Une formule omniprésente dans le livre, employée de manière quasi équivalente à celle de « parti », est donc celle de « forme parti » ; elle n’est pas plus définie que la première et son allure plus théorique ne conduit pas l’auteur à des élaborations lui donnant une acception particulière. On y reviendra plus loin. Le mot « forme » est au mieux considéré dans son sens le plus trivial, le parti étant considéré comme une organisation dotée des structures caractéristiques que l’on vient de mentionner, et dont on montre d’autant moins en quoi elles seraient caractéristiques d’un type particulier d’organisation qu’il a été insisté sur leur caractère normatif dont la réalisation n’est pas toujours une réalité.

    Or, la particularité du parti a été affirmée d’emblée par le rappel des contestations de principe dont il a fait l’objet, à travers l’idée de son obsolescence au profit d’autres « formes », en particulier celle de mouvement. Bien des organisations se définissant comme « mouvements » peuvent pourtant répondre à la plupart des caractéristiques attribuées aux « partis » lorsqu’il évoque leur utilité plus que leur fonctionnement. Quétier ne la fait en effet le plus souvent pas résulter des caractéristiques structurelles qu’il a mises en avant, dont il affirme par ailleurs qu’elles ne sont pas toujours présentes, réalisées et assumées.

    L’emploi du mot « forme » pour désigner une réalité sociale a pourtant dans la tradition marxiste des lettres de noblesse qui permettraient de décentrer l’analyse. Ainsi, on sait que le concept de « forme marchandise » désigne autre chose que « la forme des marchandises » : ce qui intéresse la critique de l’économie politique, c’est ce qui, dans les conditions de la production, fait des produits du travail des marchandises, c’est à dire des choses susceptibles d’être échangées parce que leur production leur confère une valeur qui, à un facteur quantitatif près, les rend équivalentes entre elles indépendamment de leur forme matérielle.

    La « forme parti » pourrait ainsi tenir à la structure sociale dans laquelle des organisations particulières se réservent l’action politique : une forme sociale, donc, indépendante de la forme concrète de ces organisations, expliquant à la fois leur existence comme « partis », leur rôle, et le cas échéant leurs limites et leurs contradictions[2]. Mais cette critique de la politique n’entre pas dans l’objet de l’ouvrage, soit qu’elle soit considérée comme acquise, soit qu’elle soit tenue pour dépourvue de pertinence.

    Le discrédit des partis politiques que l’auteur regrette et qu’il entend dépasser est en réalité exprimé dans le débat public dans une certaine confusion conceptuelle, et est plutôt lié, sous la forme d’une opposition de principe affirmée aux partis en général, à l’image et au bilan historiques des partis réellement existants. On pourrait ainsi considérer que la prétention contemporaine de remplacer les « partis » par des « mouvements » s’apparente en fait au projet même de l’auteur, pour lequel il ne s’agit pas « de réhabiliter le parti, mais de contribuer à une réflexion visant à le réformer ».

    Jean Quétier reconnaît qu’il y a bien des raisons objectives à ce discrédit, qu’il identifie dans les formes qu’il qualifie de pathologiques qu’ont pu prendre les partis dans l’histoire – singulièrement les partis nazis, fascistes ou staliniens, ces derniers étant ostensiblement ceux qui sont principalement visés, dans la mesure où ce qui intéresse l’auteur sont les partis dont entendent se doter les militant·es de l’émancipation.

    « L’hypothèse qui est la nôtre […] est que ces organisations constituent des variantes pathologiques de la réalité partisane qu’il convient évidemment de combattre avec la plus grande fermeté – il est à peine besoin de le préciser lorsqu’on parle d’instruments au service de projets criminels –, mais qu’elles ne doivent pas conduire à jeter l’opprobre sur les partis politiques en général parce qu’elles n’en constituent pas des cas paradigmatiques. »

    Mais il est remarquable que son insistance récurrente à reconnaître ce passif historique ne s’accompagne d’aucune analyse de détail de ces « pathologies » et moins encore de leurs causes historiques : le fait étant acquis, il ne lui semble pas nécessaire de s’y attarder ; il se bornera à dire en substance que puisqu’il s’agit précisément de pathologies, de déviations à l’égard de ce que devrait être un parti, à ce que le parti aurait dû être et ne jamais cesser d’être, il suffirait d’en revenir à une saine conception pour que tout rentre dans l’ordre.

    On peut d’ailleurs noter ici ce qui pourrait sembler une contradiction : s’appuyant sur l’autorité de Marx lui-même à la conception du parti duquel il a consacré de savants travaux, Quétier utilise cette même thématique de la pathologie pour évoquer les sectes combattues par l’auteur du Manifeste ; or, ces sectes sont antérieures aux partis proprement dits, si bien que les voir comme étant leur forme pathologique soulève un insoluble problème de chronologie, la pathologie préexistant en somme à la norme – sauf à considérer qu’avant même d’avoir connu des réalisations concrètes, le « parti » possédait une essence et une définition déjà fixée, permettant de dire que dans tel ou tel cas, on s’en écarte de façon pathologique.

    Le paradigme du parti

    Tout en ayant l’air de traiter du « parti » en général, et même sous la dénomination abstraite de « forme parti », Jean Quétier traite en réalité plus spécialement, parfois implicitement mais souvent explicitement d’un parti particulier, celui-là même qu’il n’était jadis pas rare et qu’il arrive encore parfois de désigner simplement comme « le Parti », le parti communiste, et spécifiquement le PCF. À cet égard, l’emploi de l’article défini, au singulier dans le titre, doit être pris au sérieux. Je préciserai ici qu’expliciter ce point n’est pas du tout une manière de déconsidérer l’intérêt de son travail.

    Au demeurant, comme il le souligne lui-même, les critiques exprimées en général contre la « forme parti » visent en réalité historiquement les partis communistes (ou ceux dont ils sont issus, ainsi le livre de Robert Michels relatif au SPD allemand d’avant la première guerre mondiale). Dans le débat français, c’est à titre principal le PCF qui est en cause dans l’affirmation d’une obsolescence « des partis ». En argumentant contre ces critiques de la « forme parti », quelle qu’en soit l’apparente généralité, il était naturel que Quétier s’appuie sur l’expérience et les réflexions du PCF. Le « paradigme du parti », en somme, c’est lui, quitte à faire diverses réserves sur ce qui seraient les moments pathologiques de son histoire.

    Pour autant, l’auteur sollicite un peu son objet d’étude pour trouver dans le parti communiste l’illustration probante de l’utilité de la « forme parti ». Je prendrai deux exemples de ce travers.

    Parmi les considérations destinées à prouver la nécessité, ou en tous cas l’indiscutable utilité historique des partis structurés suivant les critères qu’il a proposés, Quétier évoque l’exemple significatif de l’effort de formation réalisé au sein des partis ouvriers – et c’est clairement du parti communiste qu’il parle ici. Un effort de formation dont l’effet est multiple mais dont les deux principaux et les plus importants sont d’une part de permettre à des militant·es issu·es des catégories populaires, de la classe ouvrière, n’ayant pas bénéficié d’un enseignement scolaire poussé, d’acquérir les éléments de culture légitime suffisants – et en premier lieu de culture marxiste – pour pouvoir imposer leur présence dans la société en tant que responsables politiques, et de maîtriser les instruments intellectuels nécessaires à leur activité et à leur réflexion politique et sociale ; et d’autre part de permettre au sein du parti lui-même à chacune et chacun de valoriser ses propres aptitudes intellectuelle, à favoriser le principe suivant lequel les militant·es des partis politiques sont eux-mêmes et elles-mêmes des intellectuel·les d’une part, et des dirigeant·es en puissance d’autre part.

    Or, lorsqu’il évoque cet effort de formation, ce qu’il fait en termes de « composante éducative de la forme parti », le sens de la formule (« forme parti ») peut en réalité difficilement signifier autre chose que « le parti » en tant qu’organisation : rien dans ce système de formation n’est en effet lié de façon nécessaire aux caractéristiques jusque-là attribuées au parti en tant que « forme » particulière d’organisation (statuts, congrès, élection des dirigeants…). L’auteur soutient pourtant expressément l’idée que cette politique culturelle émancipatrice serait « directement tributaire de la structure complexe d’un parti de masse. » Il insiste même :

    « La forme parti ne joue pas ici un rôle secondaire, elle n’est pas une forme parmi d’autres qu’il aurait été possible d’appliquer à un même contenu. Elle est au contraire la condition de possibilité de ces réalisations. »

    Mais l’argumentation manque à l’appui de cette affirmation. En lieu et place, Quétier relève que pour « pouvoir déployer une politique culturelle à une certaine échelle », « le parti comme forme d’organisation » est nécessaire. Mais outre que le point est incertain (bien des organisations syndicales, des organisations de jeunesse ou autres structures extra-partidaires ont une politique active de formation de leurs membres : que l’on pense par exemple au travail de la Fondation La Boétie dans la formation des militant·es de La France Insoumise dont Quétier considère – mais le point pourrait être contesté – qu’elle n’est pas un « parti »…), ce n’est manifestement pas de la « forme » du parti qu’il est en réalité question ici, mais de son caractère de masse, de l’échelle à laquelle il agit… Tout se passe ainsi comme si l’emploi insistant de cette formule visait simplement à contester l’affirmation dont la dénonciation est au cœur de l’ouvrage, suivant laquelle la « forme parti » serait dépassée.

    Second exemple, pour montrer l’importance et l’utilité d’un parti (d’une organisation partisane, de la « forme parti »), l’auteur pense pouvoir s’appuyer sur l’exemple différencié du PCF et du Parti communiste italien (PCI), notant que si « en dépit du déclin réel qui a été le sien, le PCF n’a jamais disparu et a contribué à sa manière à la subsistance d’une gauche de transformation sociale disposant d’un écho significatif au sein de la population française », « l’autodissolution du Parti communiste italien […] a au contraire débouché […] sur la disparition presque complète de la gauche italienne dans un contexte marqué par l’arrivée au pouvoir de forces néofascistes ». Or, cette « autodissolution » n’a pas consisté à supprimer le parti en cause, mais à lui faire changer de nom – et de perspective stratégique. Ce n’est pas la « forme parti » qui était en discussion – étant observé qu’au moment de sa plus forte puissance, quand il atteignait le million de membres et près du tiers de l’électorat, le mode de fonctionnement du PCI était assez éloigné de celui du PCF – mais la perspective communiste elle-même. Ce qui était en cause était donc, non l’existence d’un parti comme « organisation partisane », mais celle d’un parti se disant communiste[3]. Écrit à un moment où le thème d’un « effacement » du PCF est central dans les débats présidant aux choix de sa propre orientation, l’ouvrage semble mieux s’intégrer dans ceux-ci que dans les débats généraux sur l’idée de « parti », opposée à celle de « mouvement ».

    D’autres développements du livre s’apparentent d’ailleurs également à des éléments de discussion internes au PCF ; ils ne sont ni les moins intéressants, ni les moins discutables – c’est à dire susceptibles d’appeler à la discussion – mais ils donnent un éclairage sur le titre de l’ouvrage et sur son objet réel, au-delà de la question du « parti » en général.

    Ainsi consacre-t-il certains développements, dans son effort d’ouvrir des pistes tendant à « relégitimer » la forme partidaire d’organisation, à la question de l’implantation du parti dans les entreprises. Recherchant les conditions dans lesquelles le PCF avait pu jadis acquérir son assise et pourrait la retrouver, Quétier les identifie dans son choix de s’organiser en priorité dans les entreprises. Il n’est pas accessoire de noter ici que c’est là encore l’une des idées au cœur de certains courants de la direction actuelle du PCF, et à propos de laquelle une réflexion et un débat existent au sein de ce parti.

    C’était certes là une option léniniste classique et le parti communiste à ses débuts, avec sa « bolchevisation », s’y était tenu avec une certaine rigueur – au point que bien souvent, les adhérent·es, fussent-ils ou elles des intellectuel·les ou des personnes éloignées de la réalité de la production, étaient affecté·es à des cellules d’entreprise, comme si la lutte des classes était circonscrite aux rapports économiques. Mais attribuer à un siècle de distance l’influence et les succès du PCF à ce choix constitue un raccourci assez spectaculaire de l’histoire de l’implantation communiste : d’une part, très vite, le PCF avait eu comme pôle de développement les municipalités qu’il contrôlait et les « organisations de masse » (revendicatives, mais aussi culturelles, sportives, de solidarité, etc.) qui y trouvaient un terrain de développement ; d’autre part, c’est passer par pertes et profits la « 2e naissance » du PCF pendant la période du Front Populaire : à la fin de ce dernier 90 % de ses membres y avaient adhéré depuis le choix de cette stratégie en 1934, et les cellules locales n’étaient pas moins importantes que les cellules d’entreprises. Les combats de la Résistance et l’explosion numérique du parti à la Libération devait également prendre la forme d’une multiplication des cellules et sections locales, même si l’accent était de façon récurrente mis sur les structures d’entreprises, là où elles étaient possibles. Autrement dit, le précédent des années 1920 – période de fondation mais aussi de rapide étiolement du PCF qui perd en quelques années la majorité qu’il détenait à Tours sur le courant socialiste – n’est à lui seul guère convainquant. À l’époque où le PCF a atteint le sommet historique de ses forces organisées, en 1978, il revendiquait 10.000 cellules d’entreprises sur 27.000, et encore ces chiffres sont-ils à prendre avec précaution[4], les cellules d’entreprises étant particulièrement valorisées et mises en avant par la direction. Au demeurant, Quétier reconnaît, en citant le cas de Renault Billancourt que cette implantation en cellules et sections d’entreprises a principalement concerné les grandes concentrations ouvrières, qui étaient loin au XXe siècle, de constituer l’essentiel du tissu industriel, et en sont plus loin encore aujourd’hui.

    Le chapitre final du livre écarte plus encore son propos que les précédents de toute perspective généraliste, et apparaît clairement comme un élément des discussions internes du PCF d’aujourd’hui. Le souligner n’est pas mettre une pierre dans le jardin de l’auteur, au contraire : cela illustre utilement le fait que ces discussions, peu connues du grand public, s’appuient éventuellement sur des travaux savants, mobilisant comme le livre de Quétier la lecture des auteurs classiques de la culture marxiste, que ce soit Marx, Lénine ou Gramsci.

    De l’utilité des partis

    L’importance d’un fonctionnement démocratique « du » parti est à plusieurs reprises évoquée à partir du risque, à défaut, de dépossession des masses ; mais le point n’est pas toujours clair, selon qu’il s’agit des masses militantes, membres du parti, et qui pourraient se voir dépossédées de leur rôle politique par les directions de ces partis, qui les réduiraient aux fonctions de petites mains, simplement chargées d’exécuter des décisions dont l’élaboration leur échapperait, ou des masses populaires que le parti entend représenter, et qui elles aussi seraient réduites à suivre une politique élaborée hors d’elles. Le problème qui se pose aujourd’hui renvoie selon Jean Quétier à l’aptitude des partis « à gagner la confiance des milieux populaires afin que ces derniers puissent tout simplement se reconnaître en eux et les considérer comme leurs porte-parole légitimes. » Il avait évoqué plus tôt les partis comme les émanations des catégories populaires, ou comme leur incarnation ; les voici nantis d’une fonction peut-être plus modeste : être considérés par les milieux populaires comme leurs « porte-paroles légitimes ».

    Le tire de l’ouvrage, on l’a vu, indique l’une de ses limites, sur laquelle il est opportun de s’arrêter à nouveau sous un autre angle : de l’utilité DU parti, et non DES partis. Bien sûr, cela pourrait se comprendre comme l’utilité du parti en général, mais l’ensemble du texte ne milite pas en ce sens : l’impasse est faite sur la réalité de l’existence de plusieurs partis, même à se limiter à ceux relevant du mouvement ouvrier, de la volonté de représenter le monde du travail, les dominé-e-s, les catégories populaires. De façon significative, est contestée à La France Insoumise la qualité même de « parti ». Or, si cette organisation ne revendique pas ce statut, et si son discours insiste parfois plutôt sur sa nature de « mouvement », on a vu qu’il n’y a pas – et que le livre ne met pas en évidence, même s’il y prétend ici ou là par des formules lapidaires – de différence conceptuelle entre les deux appellations. Au demeurant, de petites organisations comme GDS, GRS, Génération.s sont également des partis, sans parler du Parti Socialiste ou des Écologistes, d’une part, des deux NPA, de Révolution Permanente, d’Ensemble !, ou du POI d’autre part. En fait, comme on l’a vu, c’est essentiellement du parti communiste que parle Jean Quétier, et le fil conducteur de son livre aurait pu, aurait peut-être dû l’amener à l’intituler De l’utilité du parti communiste. Cela n’est d’ailleurs pas dépourvu de pertinence, le PCF ayant longtemps été en France le paradigme du parti, et la plupart des critiques évoquées de la « forme parti » le visent directement et explicitement, à une période ou l’autre de son histoire. Et si le PCF admet depuis longtemps l’idée d’un pluralisme politique, y compris dans la gauche, il s’est longtemps défini comme LE parti de la classe ouvrière.

    Si bien sûr ce livre n’exprime ni implicitement ni explicitement une telle prétention, le singulier de son titre n’est pas pour autant dépourvu de signification. Une conséquence en est le silence qu’il garde sur les rapports que des partis différents peuvent entretenir entre eux, et n’évoque jamais la question décisive des alliances pouvant se nouer entre partis, la construction de fronts ou de rassemblements, qui sont pourtant d’une manière ou d’une autre, et fût-ce négativement, au cœur des pratiques politiques dans un système politique comme celui de la France d’aujourd’hui. Or, ces questions ne sont pas accessoires ni hors sujet. Si le parti politique doit faire preuve d’une utilité, c’est entre autres dans son aptitude à agir dans le cadre de ce pluralisme réellement existant, qu’il soit vu comme un atout ou comme un obstacle.

    Notes

    [1]Robert Michels, Sociologie du parti dans la démocratie moderne. Enquête sur les tendances oligarchiques de la vie des groupes, Gallimard, 2015 (ouvrage initialement paru en 1911 en allemand, traduit en français dans une version abrégée en 1914 et réédité en 2009)

    [2]Je reprends ici certaines réflexions, qui mériteraient développements et corrections, esquissées dans mon livre Politique hors-champ, contribution à une critique communiste de la politique, Kimé, 2012.

    [3]Voir l’étude de Guido Liguori, citée par Jean Quétier, La Morte del PCI, Manifestolibri, 2009, traduction française Qui a tué le PCI ?, Delga, 2011.

    [4]Paul Laurent, Le PCF comme il est, Éditions Sociales, 1978.