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Les Verts et la guerre
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis l’allocution de Macron, EELV est sur le pont pour défendre la surenchère militaire. La conversion des Verts au militarisme débridé pourrait surprendre, mais elle apparaît plutôt comme la conclusion logique d’un long itinéraire de soutien aux « interventions extérieures » et d’intégration au régime guerrier de la Ve République.
Entre défense de l’arme atomique, plan vélo, « écologie de guerre », « économie de guerre et écologie de paix » ou défense européenne, leur discours n’est pas toujours lisible, mais la volonté de réarmer l’Europe explicite. Le zèle des Verts pourrait surprendre, tant la force politique aime à revendiquer son « pacifisme ». Pourtant, à y regarder de plus près, cette conversion au militarisme le plus débridé apparaît comme la conclusion logique d’un long itinéraire de soutien aux « interventions extérieures » et d’intégration au régime guerrier de la Ve République. De la liquidation de l’héritage antimilitariste des années 1970 au soutien des guerres de François Hollande, retour sur quelques-uns des jalons qui ont mené les Verts à cette surenchère guerrière.
Un héritage pesant
En 2011, Eva Joly, alors candidate EELV pour les présidentielles, défend la suppression du défilé du 14 juillet, symbole de « cette France guerrière ». « Ça fait partie de notre culture », expliquait alors Denis Baupin. Les Verts affirment volontiers leur attachement au « pacifisme », ou à la « non-violence », comme un héritage lointain des grandes mobilisations écologistes des années 1970 et 1980.
A l’époque, le mouvement écologistes et le mouvement contre la guerre sont étroitement liés. C’est l’ère de la lutte contre l’extension du camp militaire du Larzac, rythmée par les slogans « le blé fait vivre, les armes font mourir », ou « contre l’armée, le nucléaire et les promoteurs ! ». La mention du nucléaire est loin d’être anecdotique. En effet, les combats contre l’arme atomique et le nucléaire civil battent également leur plein avec les mobilisations de Flamanville, de Plogoff ou les expéditions du navire Rainbow Warrior de Greenpeace pour perturber les essais nucléaires dans l’atoll de Mururoa. Le mouvement est puissant : les 100 000 personnes réunies en 1980 sur la Baie des Trépassés en Bretagne forcent Mitterrand à abandonner le projet de Plogoff ainsi que celui du Larzac. Ces mobilisation font cependant face à une répression brutale, dont les images résonnent aujourd’hui sinistrement avec la nouvelle vague de répression du mouvement écolo. En 1977, Vital Michalon est tué par une grenade lors de la répression d’une mobilisation contre la centrale Superphénix (à Malville en Isère). En 1985, les services secrets français mènent, avec l’aval de Mitterrand, une délirante opération de terrorisme d’État : deux charges explosives sont placées sur la coque du Rainbow Warrior, envoyant le bateau par le fond et tuant par la même le photographe Fernando Pereira, membre de l’équipe de Greenpeace. La lutte contre la guerre du Vietnam – et avant elle celle contre la guerre d’Indochine – marque également profondément le paysage politique, même si c’est surtout aux Etats-Unis qu’elle revêt un visage écologiste.
C’est donc un héritage particulièrement subversif et puissant que doivent assumer les Verts. Un héritage toutefois encombrant : « en assumant la responsabilité d’être une instance de pouvoir, les partis écologistes hésitent à assumer les héritages de la pensée pacifiste », relève le chercheur en sciences politiques Bruno Villalba. « Lorsque l’écologie politique amorce son processus d’institutionnalisation, qu’elle devient un acteur politique – notamment autour des Verts, dès 1984 –, elle ébauche aussi une réflexion sur la question pacifiste. Cependant, la pensée s’oriente davantage sur la méthodologie des actions pacifistes (modalités d’opposition aux essais nucléaires, stratégies de la non-violence…) que d’une réévaluation théorique d’ensemble sur les finalités du pacifisme ». Pour s’intégrer au régime de la Ve République, taillé pour la guerre, il fallait arrondir les angles.
Le pacifisme d’opportunité
Rapidement, « le discours lié à la promotion des droits de l’Homme et au respect du droit international prend le dessus », comme le relève l’historien Jonathan Piron. Dans le même temps, « les écologistes vont mobiliser le principe d’une distinction entre la position partisane et la situation personnelle. Autrement dit, le pacifisme devient l’apanage d’une posture individuelle », relève Bruno Villalba, qui nomme cette posture un « pacifisme d’opportunité ».
Dès les années 1990, les Verts offrent la démonstration de la flexibilité de ce « pacifisme d’opportunité ». S’ils refusent par exemple la guerre du Golfe en 1991, lors de leur participation au gouvernement Jospin ils défendent les bombardements du Kosovo en 1998 et l’intervention terrestre en Afghanistan en 2001. Comme l’explique Jonathan Piron, « les verts français commence[nt] à soutenir le recours aux interventions militaires. L’exemple du Kosovo est emblématique. […] Les écologistes français ont appelé à la poursuite des bombardements et à “la mise en place d’une force de police internationale chargée d’intervenir au sol pour rétablir la paix et l’intégrité territoriale du Kosovo” », autrement dit une intervention terrestre. Alors que l’OTAN invente à l’occasion de son intervention les termes de « frappe chirurgicale » et de « guerre humanitaire », les Verts ne sont pas en reste : Dominique Voynet et Daniel Cohn Bendit revendiquent les bombardements comme « nécessaire au nom de la souveraineté éthique ». Résultat : pendant plus de 70 jours, 600 avions bombardent massivement le Kosovo, la Serbie et le Monténégro, faisant plus de 10 000 morts, dont la moitié sont attribués directement aux bombardements de l’OTAN, et des milliers de blessés parmi les civils. Des villes entières sont détruites, tandis que l’utilisation de bombes à l’uranium est à l’origine d’une catastrophe environnementale.
Dorénavant, « pacifisme d’opportunité » oblige, les opérations militaires françaises sont l’occasion pour les Verts d’exhiber leur mine la plus accablée, de rappeler leur attachement au « pacifisme » tout en signant des deux mains leur soutien aux massacres. Ainsi Denis Baupin justifiait le soutien des Verts à la boucherie du Kosovo en citant Ghandi : « Si nous n’avons le choix qu’entre la violence et la lâcheté, nous préférons encore la violence. »
Les Verts et le tournant néoconservateur
Ce mouvement de conversion au militarisme est accéléré par le 11 septembre 2001 et la l’appel de Bush à une « Guerre globale contre le terrorisme ». Le « néoconservatisme », doctrine américaine fondée sur « la légitimité de l’usage de la force militaire, le dédain pour les organisations multilatérales, la défiance à l’égard de la diplomatie, la défense prioritaire et inconditionnelle d’Israël, le droit pour l’Occident d’agir de manière unilatérale et une perception du monde en termes binaires (bons contre mauvais) », comme l’explique René Backmann dans Mediapart, percole dans la classe politique à la recherche de remèdes à la crise de l’impérialisme français. Ce « néoconservatisme français, qui ne s’appuie pas sur les mêmes moyens et sur un messianisme aussi fervent que sa version américaine, présente la caractéristique de transcender les divisions politiques […]. Importé par Sarkozy, il est aujourd’hui adopté par une partie des conseillers de Hollande ». Là encore, les Verts ne sont pas les derniers. EELV soutient ainsi explicitement la guerre en Libye de Sarkozy : « c’est le droit international qui en sort renforcé », peut-on entendre à l’époque sur les bancs écologistes à l’Assemblée.
Les Verts se rallient ensuite au gouvernement Hollande par des participations directes à des ministères à l’image de celle de Pascal Canfin, ministre délégué au développement, voire de passages avec armes et bagages dans les rangs socialistes : « le bal des transfuges d’EELV vers le pouvoir socialiste n’a jamais désempli », souligne ainsi Clément Sénéchal dans Pourquoi l’écologie perd toujours ?. Le quinquennat de Hollande est marqué par un retour aux méthodes répressives des années 1970 contre le mouvement écolo : opération César contre la ZAD de Notre Dame des Landes, répression de Sivens qui causera la mort de Rémi Fraisse, mais également utilisation de « lois d’urgences pour assigner à résidence d’autres militants écologistes au moment de la COP21 », comme le relève Clément Sénéchal. Cette période est aussi marquée par un activisme militaire particulièrement prononcé, inédit depuis la deuxième guerre du Golfe en 1990-1991.
Les Verts n’y voient rien à redire : ils soutiennent la guerre en Irak, et les guerres africaines de Hollande, se permettant même d’ironiser sur leur conversion à l’activisme militaire : « cette fois, on n’est pas dans le manichéisme d’une attaque impérialiste de la Françafrique ! », se vantait le secrétaire national d’EELV Pascal Durand à propos de l’accord donné au groupe à l’intervention au Mali. « C’est toujours difficile d’être des va-t-en-guerre mais en l’occurrence l’intervention était justifiée, il n’y avait pas d’autre solution pour stabiliser », justifiait le député Christophe Cavard.
A l’instar des Verts allemands, fers de lance du militarisme outre-Rhin, abreuvés au néoconservatisme, EELV poursuit la radicalisation de sa position à la faveur de la guerre en Ukraine. Dès l’invasion de Poutine, les Verts se sont positionnés dans le camp de la surenchère militariste en revendiquant non seulement l’envoi d’armes à l’Ukraine, mais également la nécessité de réarmer l’Europe. « Le pacifiste que je suis répugne à l’écrire, mais il convient de se préparer à d’autres offensives et donc à pouvoir nous en défendre. L’ère dans laquelle nous entrons est pleine de périls et nous ne pouvons pas espérer nous y préparer à la manière de l’autruche », écrivait en février 2022 l’ex-secrétaire national d’EELV, David Cormand.
« Green defense » : comment le militarisme a contaminé l’écologie
Cette conversion au militarisme le plus débridé ne s’est pas faite sans tensions internes, certains Verts étant partisans d’une ligne un peu plus subtile pour soutenir les intérêts de l’impérialisme français. Elle ne s’est pas non plus faite sans des contorsions théoriques vis à vis de l’écologie politique. Les Verts ont ainsi cherché à construire une théorie de la « green defense », située quelque part entre les meilleures fulgurances du marketing vert et les livrets de doctrine militaire.
C’est le Livre Vert de la Défense, publié en 2013, qui concentre ces pénétrantes élaborations. EELV y fait son mea-culpa : « il est juste de dire aussi, que nous, écologistes, n’avons pas su faire le pas vers l’institution militaire », avant de proposer à l’armée un cheminement commun sur la voie du développement durable : « comment pouvons-nous imaginer une transition énergétique et écologique sans l’institution militaire ? ». On y apprend les implications du changement climatique et de la course aux ressources stratégiques pour les armées, le rôle que devrait prendre l’armée dans la protection de la biodiversité, surtout dans les colonies françaises. Mais on y lit aussi que « la défense [est] force motrice d’une transition écologique sociétale par la recherche et développement », ou que « la miniaturisation de l’armée française, n’est pas compatible avec les besoins exprimés par les risques climatiques ». Les Verts estiment également que les armées doivent opérer la transition énergétique hors du pétrole : « La réussite de cette transition sera porteuse d’avantages stratégiques, opérationnels et financiers pour les armées européennes ».
Le livret a été présenté par son autrice, la sénatrice EELV Leila Aichi, au cours d’un colloque « où les uniformes "terre de France" étaient nombreux », pour reprendre les mots du Général François Chauvancy. Ce dernier a salué « des éléments de réflexion sur une vision verte, pas toujours éloignée de la vision kaki, concernant le questionnement sur le rôle de la défense nationale et de la défense européenne dans le dérèglement climatique ». Tout en posant certaines limites à l’acceptable : « Il ne s’agit pas de faire une guerre plus propre (sans mauvais jeu de mot, bien que…) ».
Les Verts poursuivent leurs efforts avec une commission ad-hoc inaugurée en 2024, qui a « la responsabilité de démontrer que les forces armées françaises peuvent être employées en accord avec les principes de l’écologie politique », et « la responsabilité de faire de la défense française un modèle de Transition vers les énergies renouvelable, d’adoption de pratiques durables et de protection des écosystèmes sensibles, tant dans son action que dans sa réflexion post-conflit ».
L’interrogation « comment pouvons-nous imaginer une transition énergétique et écologique sans l’institution militaire ? » est significative du retournement de sens opéré par les écologistes. Les armées polluent autant que le secteur de l’aérien et du fret maritime cumulés et sèment dévastation environnementales et souffrances partout où elles passent : « l’extermination des ennemis et la destruction de l’environnement physique sont des objectifs étroitement liés dans la conduite des guerres [1] », comme le relève l’économiste Claude Serfati. Quant à l’utopie de la « décarbonation » des armées, « il n’est pas question pour les états-majors que les demandes faites aux armées de réduire leur empreinte environnementale réduise leurs capacités stratégiques [2] ». A titre indicatif, « 80% du pétrole consommé par l’Etat américain l’est par les forces armées [3] », comme le relève le sociologue Razmig Keucheyan. Comment imaginer une sortie de la crise écologique sans mettre à bas l’armée est la seule manière rationnelle de poser la question.
Dans La contamination du monde, histoire des pollutions à l’âge industriel [4], les historiens François Jarrige et Thomas Le Roux développent le lien historique entre guerres et crise écologique. « Les guerres du XXe siècle ne doivent pas être analysées comme des phases aberrantes ; elles radicalisent plutôt des pratiques polluantes qui existent en temps de paix et qui trouvent, dans les urgences du conflit, de nouveaux horizons pour se déployer. » Il en va de même pour les forces politiques : le militarisme des Verts ne doit pas être analysé comme une phase aberrante (même si la tentation existe), mais comme une radicalisation de ses pratiques en temps de paix. Autrement dit, les discours délirants prononcés actuellement par les Écologistes pour défendre conjointement le réarmement de l’Europe, l’arme atomique, le plan vélo et la décarbonation de l’économie, sont le débouché logique d’une écologie qui s’est fondue dans le capitalisme et affiche comme seul objectif de le verdir en se pliant à ses règles. Au passage, elle s’est pleinement intégrée à une Ve République taillée pour la guerre, au sein de laquelle cette écologie a prouvé, par son soutien à d’innombrables boucheries, qu’elle était prête à assurer les intérêts de l’impérialisme français.
Construire une riposte écologiste contre la marche à la guerre nécessite de rompre frontalement avec cette écologie de la défaite. Et de renouer avec l’héritage subversif qu’elle cherche sans cesse à enterrer en le disant de sa substance, celui de l’antimilitarisme écolo des années 1970.
NOTES DE BAS DE PAGE
[1] Claude Serfati, Un monde en guerres, Paris Textuel, 2024, p. 98.
[2] Ibid., p. 101
[3] Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille, La découverte, 2018 (2014)
[4] François Jarrige Thomas Le Roux, La contamination du monde, histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Seuil, 2017, p. 374