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    A propos du livre de Tom Thomas, "Anatomie du chaos, la destruction du capitalisme par lui-même"

    Lien publiée le 24 mars 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    A propos du livre de Tom Thomas, « Anatomie du chaos, la destruction du capitalisme par lui-même »

    Tom Thomas, auteur de nombreux ouvrages marxistes sur le capitalisme, son évolution et ses conséquences, vient de publier un nouveau livre[1] qui fournit une analyse du capitalisme aujourd’hui, « le capitalisme sénile », et des logiques de classe qui conduisent à sa faillite et fondent la perspective de son renversement révolutionnaire ainsi que les bases matérielles déjà existantes d’une société communiste.

    Militant révolutionnaire dans les années 70-80, il s’est mis en retrait « ayant bien dû constater et admettre, comme il l’écrit, que les conditions de la création et du développement d’un mouvement révolutionnaire n’étaient pas encore mûres » sans abdiquer de ses idées et convictions marxistes à la défense desquelles il a consacré ses ouvrages[2].

    Bien des militant·es qui ont poursuivi le travail de construction d’organisations révolutionnaires ne partageront pas ce constat d’échec, échec sans aucun doute revers d’illusions que portaient certains courants gauchistes au regard de cette relative immaturité des conditions objectives et subjectives. Au-delà des illusions ou déceptions, la continuité de ce travail de construction avait toute sa légitimité de la même façon qu’au-delà des parcours personnels, la lutte des classes n’a jamais cessé.

    Nous avons toujours considéré ce travail indispensable malgré le recul après la venue de la gauche au pouvoir et l’effondrement de l’URSS, continuité militante pratique, ce qui ne signifie ni un jugement moral si répandu ni encore moins de fermer les yeux sur les répercussions de ce recul sur les organisations et militant·es révolutionnaires, d’exclusions en scissions et divisions. En conséquence nous avons besoin d’un regard critique sur nous-mêmes et le mouvement façonné par cet « échec » relatif à la période, alors que le monde connaît un brutal basculement. Nous avons besoin de mesurer en particulier les effets du volontarisme militant associé au moralisme inhérent au petit groupe qui transforme notre héritage révolutionnaire en dogme, fossilise des analyses au lieu de considérer la continuité du marxisme comme un processus vivant et critique. Nous avons besoin d’avoir un regard critique sur le passé et, notre passé, l’évolution du mouvement gauchiste de l’après 68 pour aborder la nouvelle période du capitalisme sénile et le renouveau du mouvement ouvrier qu’il rend possible et nécessaire. Le travail de Tom Thomas contribue dans une période de profonde crise du marxisme à ce processus vivant et critique.

    « Dans ce repli, écrit-il, il s’agissait de réfléchir tant sur les causes de cet échec que, plus généralement, sur celles des processus révolutionnaires passés, afin de préparer de nouveaux plans pour une prochaine offensive dont nous étions sûrs que l’occurrence se présenterait tôt ou tard. Nous n’avions aucun doute sur la possibilité et la nécessité d’abolir le mode de production capitaliste, ni sur le fait que les peuples seraient tôt ou tard contraints de s’y employer. » Son dernier ouvrage est une utile contribution à la compréhension du nouveau stade de développement du capitalisme, le capitalisme sénile, que l’on peut désigner aussi comme le capitalisme financiarisé mondialisé[3], ses effets sur la lutte de classe et les perspectives révolutionnaires.

    De la crise d’accumulation à l’effondrement du capitalisme

    Évoquant les multiples effets dramatiques et menaces qu’engendre la marche du capitalisme dans le monde, Tom Thomas ironise sur l’usage du terme « polycrise » alors qu’il s’agit « des polyeffets d’une crise ayant une cause première dans ce qu’on peut appeler la sénilité du mode de production capitaliste ».

    « S’il y a sénilité, c’est que la production de plus-value tend à stagner, voire à régresser, car sa source, le travail ouvrier essentiellement, a fini par se tarir, paradoxalement sous l’effet même des efforts déployés par les dirigeants capitalistes pour augmenter cette production. » Cette sénilité est l’aboutissement du développement capitaliste mu par « le mouvement automate de la valorisation du capital, dans la nécessité de produire de la plus-value ». Dans cet acharnement à exploiter les hommes et la nature, les capitalistes ont fini par atteindre, pour reprendre la formule de François Chesnais, « les limites absolues » de leur système, « en lien avec la limite économique de la production de plus-value s’ajoutent des limites écologiques, mais aussi sanitaires, mais aussi politiques etc., qui en retour aggravent ces difficultés économiques ». Ces limites, aussi géographiques, déstabilisent le mode de domination de la bourgeoisie, aboutissent à une crise politique qui « manifeste l’incapacité des grandes bourgeoisies qui dirigent depuis ses origines le monde capitaliste à juguler ce gigantesque chaos généralisé. »

    Toutes les recettes ou expédients visant à surmonter cette faillite repoussent les échéances pour les rendre d’autant plus inéluctables. Les espoirs placés dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne sont qu’illusions, la science ne sauvera pas le capitalisme qui se retourne contre elle. « C’est pourquoi on constate depuis la fin du XXème siècle une tendance à la diminution de la croissance des investissements industriels générateurs de gains de productivité. »

    Ainsi, « Le mode de production capitaliste en est arrivé au stade de son existence où il est en train de se dissoudre lui-même, de s’abolir sous l’effet de ses propres contradictions » alors qu’on voit s’hypertrophier la sphère du capital financier fictif du fait de la financiarisation de l’économie où tout est marchandise, objet de spéculation. Ce capital fictif qui parasite la production, l’étouffe par ses exigences sans limites de plus-value fraîche que le système n’est pas en mesure de produire si ce n’est en tentant de repousser ses limites par la surexploitation du travail et de la nature, par la prédation et le pillage, la guerre. Et s’il parvient encore à accumuler entre quelques mains des masses exubérantes de profits, ces profits « mirobolants ne sont donc pas le signe d’une vitalité du capitalisme, bien au contraire, ils sont le signe de sa sclérose. » Ainsi que l’écrivait Marx, « Avec le développement du mode de production capitaliste, le taux de profit diminue alors que la masse augmente » mais jusqu’à une certaine limite, cette limite qu’il atteint aujourd’hui. Ce processus se déroule en live, sous nos yeux et ne laissera aucun pays en paix, c’est le processus de la lente agonie d’un système condamné par sa propre évolution.

    « La tendance à la baisse du taux de profit général est tout simplement une façon propre au mode de production capitaliste d’exprimer le progrès de la productivité sociale du travail. »[4] écrivait Marx. Cette contradiction a atteint un degré tel que le capitalisme est menacé par lui-même, sa faillite, son propre effondrement, conséquence de sa défaite devant « le progrès de la productivité sociale du travail » qui porte en lui une autre société dont « la destruction du capitalisme par lui-même » crée les conditions, l’intervention révolutionnaire du prolétariat.

    Nouvelle période et les prémices objectives du socialisme et du communisme

    C’est au cœur des contradictions qui minent le capitalisme de l’intérieur –contradiction entre la propriété privée capitaliste et la socialisation mondialisée de la production et des échanges, contradiction aussi entre l’impérieuse nécessité pour le capital d’accaparer toujours plus de plus-value qui se heurte aux limites du marché et à la baisse du taux de profit, la crise d’accumulation– que se forment les conditions objectives et subjectives d’un « ordre économique et social supérieur » ainsi que le disait Lénine.

    La possibilité du communisme « réside dans le fait que les bases matérielles existent pour une société vraiment communiste d’individus libres, et que la prétendue « polycrise » engendre des « polyluttes » qui, petit à petit, décuplent les forces qui critiquent activement et pratiquement tel ou tel effet du capital sénile ».

    « S’attaquer aux effets est toujours le commencement... » et c’est à travers ces poly ou multiples luttes à travers le monde que se forgeront les prises de conscience, l’organisation du prolétariat en rupture avec les institutions de la bourgeoisie en décomposition, les partis qui seront les acteurs des révolutions à venir, l’organisation démocratique des classes exploitées pour renverser le pouvoir bourgeois, conquérir le pouvoir de décider et de contrôler la marche de la société.

    Tom Thomas nous invitait à réfléchir sur les causes de l’échec « des processus révolutionnaires passés », il est dommage que cette dimension ne soit pas plus développée dans son livre car elle est aujourd’hui un élément indispensable pour écrire « de nouveaux plans », pour contribuer à libérer les cerveaux des échecs du passé et, pour cela, les expliquer et les inscrire dans une continuité historique dans laquelle l’avenir plonge ses racines et tire sa force.

    Ces explications se trouvent dans l’histoire elle-même, l’histoire du capitalisme et du développement des forces productives, des conditions mêmes, objectives et subjectives, des processus révolutionnaires qui conditionnent le niveau d’organisation du prolétariat, sa puissance sociale et politique, sa capacité à conquérir le pouvoir, à l’étendre par-delà les frontières, à la planète, condition de l’émergence du socialisme, du communisme.

    Les échecs du passé ne peuvent se résumer à la faillite de la social-démocratie ou à la contre- révolution stalinienne ni aux limites du mouvement révolutionnaire mais sont l’expression de l’immaturité des conditions objectives et du développement du mouvement ouvrier lui-même.

    1848 où pour la première fois le prolétariat s’affirme comme classe révolutionnaire, 1871 où pour la première fois il s’empare du pouvoir –« la forme de la dictature du prolétariat enfin trouvée » disait Engels–, Octobre 1917 où le prolétariat s’empare du pouvoir et construit son propre Etat, sont les jalons du développement du mouvement ouvrier avant que le fascisme, le stalinisme, la guerre n’aient raison de lui et que le capitalisme ne connaisse sous la domination des USA un nouvel essor alors que les révolutions coloniales restaient prisonnières des forces nationalistes petites bourgeoises.

    L’effondrement de l’URSS et le développement du capitalisme financiarisé mondialisé jusqu’à la phase de décomposition dans laquelle il est entré aujourd’hui ouvre une nouvelle période historique qui vérifie, ainsi que le décrit Tom Thomas, les conceptions du marxisme, du matérialisme historique, et débouche sur une nouvelle époque de crises, de guerres et de révolutions.

    Unité et convergence des luttes, perspectives révolutionnaires et parti, une nouvelle page de l’histoire du prolétariat

    « La sénilité du capital, écrit Tom Thomas, affecte tous les domaines de la vie sociale et individuelle : économique et écologique, idéologique, politique et social, éthique et culturel. La crise se répand dans tous les domaines et toutes ses crises particulières réagissent les unes sur les autres, s’aggravent réciproquement. » C’est de cette décomposition sociale, économique, politique et morale des classes dominantes que naîtront les transformations de conscience, le renouveau des organisations du monde du travail, du mouvement révolutionnaire.

    « Ces luttes ne pourront vaincre les bourgeoisies mondiales qu’en s’unissant [...] Cette unité passe nécessairement par la reconnaissance de cette cause commune à tous les effets délétères que chacune de ces luttes combat : la sénilité du capital, de laquelle découle la nécessité d’abolir les rapports sociaux de possession, de propriété, de production qui sont au fondement du mode de production capitaliste. » Cette idée concerne l’ensemble des formes d’organisation de la classe ouvrière, son unité démocratique dans les luttes, son organisation sur le terrain syndical, sur le terrain politique, son organisation en parti.

    Elle a besoin pour se construire de l’intervention consciente de la fraction organisée la plus avancée, la plus lucide dont l’intervention, l’influence la force et les capacités de direction sont directement liées à l’évolution globale de la lutte de classe, de l’évolution des consciences à travers elle.

    Ce processus qui conduit à « la reconnaissance de cette cause commune à tous les effets délétères que chacune de ces luttes combat : la sénilité du capital, de laquelle découle la nécessité d’abolir les rapports sociaux de possession, de propriété, de production qui sont au fondement du mode de production capitaliste » est en route.

    Malheureusement, dominée par les échecs du passé, la fraction la plus avancée, le mouvement révolutionnaire, n’en a que trop peu elle-même conscience et par un réflexe conservateur acquis à travers la longue période de « repli » se refuse à le penser, trop soucieuse de ne pas se faire d’illusions !

    La longue période de recul depuis l’après-guerre n’a pas été linéaire ni sans luttes et révolutions même si le prolétariat n’a pu y intervenir en tant que classe. Bien au contraire, elle a vu le plus puissant et vaste mouvement révolutionnaire de l’histoire avec les révolutions coloniales, la lutte pour les droits civiques aux USA qui ont porté la révolte de 1968. L’impulsion donnée alors au mouvement révolutionnaire n’a pas suffi pour surmonter les effets des défaites et du long recul mais elle en a permis un nouveau développement

    Le développement combiné et la révolution permanente à l’œuvre débouchent sur une nouvelle époque. Le mouvement ouvrier est entré dans un nouveau moment de son histoire. Les vieux partis issus de son passé devenus réformistes avant de se dissoudre dans l’ordre établi, d’intégrer l’ordre bourgeois, sont incapables de renaître. La guerre de classe menée par le capital conduit à des dictatures populistes, un nouveau fascisme « fondé, ainsi que l’écrit Tom Thomas, sur des idéologies propres au mode de production capitaliste : un nationalisme poussé jusqu’au racisme le plus extrême, et un étatisme poussé jusqu’au totalitarisme ». Elle ne laisse aucune place au développement de nouveaux partis réformistes. Le mouvement ouvrier ne pourra résister, reprendre l’offensive, renaître qu’en s’appropriant les idées du marxisme pour s’affirmer en tant que classe sans aucune possibilité de s’intégrer dans le nouvel ordre social capitaliste réactionnaire et sans avenir.

    Le combat pour cette renaissance est en cours. Il passe par l’unité du courant marxiste qui se construira autour d’une compréhension commune de cette nouvelle phase de développement du capitalisme qui a succédé au stade de l’impérialisme à travers la mondialisation financière, les guerres, « la sénilité du capital, de laquelle découle la nécessité d’abolir les rapports sociaux de possession, de propriété, de production qui sont au fondement du mode de production capitaliste », pour formuler une stratégie répondant aux besoins et aux possibilités de notre époque.[5]

    Le livre de Tom Thomas est un riche apport pour celles et ceux qui ne se résignent pas devant le gâchis que représente l’état actuel du mouvement révolutionnaire au regard des nouvelles possibilités objectives engendrées par la sénilité du capitalisme. Seule la prise en compte des données de la nouvelle époque, de ce nouveau stade historique, permettra au mouvement de s’unir pour changer de dimension et sortir du passé d’échecs dans lequel il s’enferme par incapacité à penser le présent et l’avenir pour devenir collectivement et pleinement acteur des transformations révolutionnaires en cours.

    Yvan Lemaitre

    [1] Anatomie du chaos : La destruction du capitalisme par lui-même Editions Critiques

    [2] http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/

    [3] https://npa-dr.org/images/autrespub/Brochure_imperialisme_DR_01-25.pdf

    [4] Marx, Le Capital, Livre III

    [5] https://npa-dr.org/images/autrespub/Brochure-DR-16-09-24.pdf