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L’Argentine de Milei : de l’anarcho‑capitalisme à l’austérité, par Michael Roberts
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.revolutionpermanente.fr/L-Argentine-de-Milei-de-l-anarcho-capitalisme-a-l-austerite
Dans cet article, l'économiste marxiste Michael Roberts analyse les effets désastreux des politiques d'austérité imposées par le gouvernement Milei en Argentine, main dans la main avec le FMI.
Cet article est initialement paru en anglais sur le blog de Michael Roberts, The Next Recession.
Lundi, le FMI a annoncé qu’il avait accepté de prêter 20 milliards de dollars supplémentaires au gouvernement de Milei en Argentine (en plus des dettes existantes) afin d’aider le pays à faire face à ses obligations en matière de dette et à reconstituer ses réserves de change en forte baisse. L’accord de prêt prévoit un décaissement initial de 12 milliards de dollars, suivi de 3 milliards de dollars supplémentaires plus tard dans l’année. Le gouvernement affirme qu’il prévoit de recevoir 28 milliards de dollars rien qu’en 2025, dont 15 milliards provenant du FMI, 6 milliards d’autres bailleurs de fonds multinationaux, 2 milliards de banques internationales et 5 milliards grâce à une extension de l’accord de swap de devises avec la Chine. Milei s’est vanté en déclarant : « Ce que vous allez avoir, c’est une montagne de dollars », avec l’objectif de doubler les réserves brutes de change pour atteindre 50 milliards de dollars.
Avec ces fonds, le gouvernement prévoit de lever les contrôles sur le peso argentin et de le laisser flotter librement au sein d’une bande de fluctuation glissante. L’objectif est d’élargir cette bande de 1 % par mois. Le gouvernement et le FMI affirment que cela permettra d’aboutir, à terme, à « un taux de change entièrement flexible dans le cadre d’un système bi-monétaire, où le peso et le dollar américain coexisteraient ». Autrement dit, il s’agit de faire croire aux spéculateurs financiers et aux investisseurs que le peso est suffisamment solide pour être entièrement convertible en dollar, sans avoir à être dévalué.
Cela n’avait pas été possible depuis des décennies, en raison de l’énorme dette en dollars contractée par l’État et du manque de réserves de change pour soutenir le peso. Milei espère pouvoir lever les contrôles sur les changes vers la fin de l’année — voire plus tôt si le FMI accélère le versement des fonds. « Les contrôles de change n’existeront plus au 1er janvier 2026. Peut-être même avant », a-t-il déclaré. À la suite de cette annonce, le taux de change officiel du peso, désormais « libéralisé », a chuté d’environ 9 % pour atteindre 1 170 pesos pour un dollar. En revanche, sur le marché noir, il s’est apprécié, réduisant presque complètement l’écart avec le taux officiel — un écart qui s’était fortement creusé ces dernières années. Malgré cela, le peso reste à un niveau équivalent à celui observé lors de l’arrivée de Milei au pouvoir début 2024.
Malgré les fanfaronnades de Milei, les réserves de change chutaient rapidement avant l’intervention du FMI. Les réserves nettes — après déduction des obligations et des flux sortants — affichaient un solde négatif de 7 milliards de dollars. Un chiffre à peine inférieur au déficit que Milei avait hérité du précédent gouvernement péroniste.
Milei est arrivé au pouvoir en 2024. Il apparaissait comme un libertarien adepte du « libre marché », comme un « anarcho-capitaliste ». Il promettait de fermer la Banque centrale, de « dollariser » l’économie, et de libérer le peso ainsi que l’industrie argentine des contraintes étatiques pour les soumettre aux seules forces du marché. Mais très vite, ce discours anarcho-capitaliste s’est évaporé. Milei a été contraint de suivre à la lettre le bon vieux manuel néolibéral réservé aux pays en situation de surendettement et d’hyperinflation : coupes budgétaires brutales dans les dépenses publiques et les services sociaux, incitations massives à destination des grandes entreprises et des investisseurs étrangers en cherchant, bien sûr, le soutien du FMI. Milei a manié la tronçonneuse aussi bien dans le secteur public que privé, et en seulement quelques mois, l’Argentine a perdu autant d’emplois que durant les quatre années de présidence de Mauricio Macri, issu de la droite libérale.
Le FMI, sous la direction de Kristalina Georgieva, n’a pas caché son enthousiasme : séances photo à répétition avec Milei et déclarations flatteuses à la clé, affirmant que « le pays n’a jamais été aussi proche de la stabilité macroéconomique depuis les années 2000 ». Ce que le FMI apprécie tout particulièrement, c’est l’engagement de Milei à mettre à l’équilibre, voire dans une situation excédentaire, le budget de l’Etat. Après avoir tronçonné les services publics, licencié des milliers de fonctionnaires et augmenté les cotisations sociales des salariés, le gouvernement vise désormais à accumuler un excédent budgétaire primaire (avant paiement des intérêts) et à atteindre un équilibre global d’ici 2025. Pour ce faire, il entend comprimer encore les dépenses publiques tout en augmentant les impôts, dans le but d’engranger des excédents les années suivantes. Ce programme de rigueur budgétaire rappelle fortement celui imposé à la Grèce par la « Troïka » européenne il y a dix ans pour qu’elle rembourse ses dettes (ce qu’elle fait toujours aujourd’hui), à ceci près qu’en Argentine, le gouvernement en place y adhère avec enthousiasme.
En 2018, le FMI a approuvé un prêt de 57 milliards de dollars au gouvernement argentin de droite de l’époque — le plus important jamais accordé à un seul pays. Près de 45 milliards ont effectivement été versés. La majeure partie de cette somme n’a servi qu’à financer la fuite des capitaux, à hauteur d’environ 24 milliards de dollars, qui a résulté du « carry trade » des spéculateurs [1]. Le reste a été utilisé pour amortir environ 21 milliards de dollars d’obligations souveraines devenues impayables, une dette qui a finalement dû être « restructurée » en 2020.
Et voilà que le FMI accorde à nouveau des prêts massifs, en violation de ses propres règles de prêt. La situation est pourtant différente de celle de 2018 : l’Argentine s’est dotée en 2021 d’une loi — adoptée à une écrasante majorité par les deux chambres du Congrès — qui impose l’approbation parlementaire pour tout programme de financement avec le FMI. L’objectif était d’empêcher les futurs gouvernements de contracter des emprunts massifs en devises étrangères sans contrôle législatif. Mais le gouvernement Milei a contourné cette loi en émettant un décret de nécessité et d’urgence (DNU) — l’équivalent argentin des décrets d’urgence de Trump — afin d’éviter toute approbation par le Sénat.
Et le FMI se montre tout à fait disposé à fermer les yeux. Il soutient cette manœuvre parce qu’il veut voir le gouvernement Milei tenir jusqu’aux élections législatives de mi-mandat, en espérant que sa politique puisse conduire à une baisse de l’inflation, à une reprise économique et à la stabilisation du péso. Dans son rapport, le FMI affirme que cela sera possible grâce à « la discipline budgétaire continue, les mesures d’efficacité et des réformes bien séquencées du système fiscal, du partage des recettes et des retraites ». Le programme, ajoute le FMI, s’appuie sur « les efforts impressionnants de déréglementation de l’économie en cours » et vise à approfondir les réformes structurelles pour stimuler la croissance de l’Argentine, en misant notamment sur son potentiel considérable dans l’énergie et les mines. Les priorités affichées sont :
*- la flexibilisation des marchés du travail et des produits, tout en ouvrant progressivement l’économie ;
*- l’amélioration de l’efficacité de l’État et l’amélioration de la prévisibilité de la réglementation ;
*- le renforcement de la gouvernance et la transparence, notamment en alignant davantage les cadres de lutte contre la corruption et contre le blanchiment d’argent / financement du terrorisme (AML/CFT) sur les normes internationales.
Il est vrai que l’inflation est retombée après avoir atteint des niveaux astronomiques. Cette baisse a été obtenue par une réduction drastique des dépenses publiques et en maintenant artificiellement le peso à un niveau supérieur à son taux réel par rapport au dollar, rendant ainsi les importations moins chères. En réalité, l’hyperinflation a été remplacée par une grave récession.
Le taux d’inflation est passé de 300 % par an à environ 50 % — un niveau encore très élevé. Cela a toutefois permis une hausse des salaires réels dans la seconde moitié de 2024, ramenant en moyenne le niveau des revenus réels à celui de la fin 2023. Mais sur l’ensemble de l’année 2024, les salaires réels moyens ont tout de même chuté de 12 %. Les agents du secteur public ont vu leur pouvoir d’achat reculer de 20 %, et les travailleurs informels — sans droits ni protections — ont subi une perte de 30 %. La légère amélioration observée depuis la mi-2024 est entièrement due à une hausse des revenus dans le secteur privé informel. Les salariés du public restent à -20 %, ceux du privé formel à -5 %, et, dans l’ensemble, tous les travailleurs argentins sont dans une situation plus défavorable qu’au début de l’année 2023.
Pendant la récession provoquée par Milei en 2024, le taux de pauvreté calculé par l’administration a atteint un record de 51 %. Ce taux est désormais redescendu à 38 %, grâce à une combinaison de facteurs : la baisse de l’inflation, la remontée relative des revenus dans le secteur informel et des aides supplémentaires versées via l’allocation universelle pour l’enfance et les programmes d’aide alimentaire, ciblant principalement les enfants issus de familles pauvres et les mères. Sans ces dispositifs, la Banque mondiale estime que le taux de pauvreté extrême aurait pu être supérieur de 20 points. Malgré cette baisse, le taux de pauvreté reste aussi élevé qu’au moment de l’arrivée au pouvoir de Milei.
Deux tiers des enfants argentins de moins de 14 ans vivent actuellement dans la pauvreté. La pauvreté multidimensionnelle — qui prend en compte aussi bien les revenus que l’accès à des services essentiels — est passée en un an de 39,8 % à 41,6 %. Dans le même temps, la pauvreté structurelle (définie par au moins trois privations essentielles) est montée de 22,4 % à 23,9 %. En somme, entre 25 % et 40 % des familles argentines vivent aujourd’hui dans une pauvreté profonde. Les inégalités, elles aussi, se sont accentuées. Le décile le plus riche de la population gagne désormais 23 fois plus que le décile le plus pauvre, contre 19 fois, un an plus tôt. En valeur réelle, les revenus du décile le plus pauvre ont chuté de 33,5 % sur un an, tandis que ceux des plus riches n’ont baissé que de 20,2 %. L’indice de Gini, qui mesure les inégalités de revenus, a atteint un niveau record de 0,47.
Malgré cette situation, Milei et le FMI débordent d’optimisme. D’après les prévisions du Fonds, la croissance du PIB réel devrait atteindre environ 5,5 % cette année, avant de se stabiliser autour de 3 % à moyen terme. Mais après la violente récession de 2024, une telle hausse du PIB en 2025 ramènerait seulement le PIB par habitant au niveau de 2021 — c’est-à-dire au moment où l’économie sortait tout juste de la pandémie. En réalité, l’indice du PIB par habitant resterait encore bien en dessous de son pic de 2011, soit un retard de près de quinze ans.
L’inflation devrait, selon les prévisions, retomber à environ 18–23 % d’ici la fin de 2025, et passer en dessous des 10 % à l’horizon 2027, à condition de maintenir « une stricte discipline budgétaire comme ancrage, accompagnée d’un régime monétaire et de change plus robuste, avec une plus grande flexibilité du taux de change pour absorber les chocs et renforcer la gestion de la demande globale ». Autrement dit, une austérité sans fin.
Martín Guzmán, ancien ministre de l’Économie issu du bloc péroniste, a averti que le principal risque d’un nouvel accord avec le FMI était que les fonds soient utilisés simplement pour éteindre l’incendie de la chute du peso — ce qui finirait par alourdir encore davantage le fardeau de la dette. « L’aspect positif d’un nouvel accord serait le refinancement de la dette envers le FMI, dont les premiers remboursements arrivent à échéance en septembre 2026. L’aspect négatif, c’est une augmentation de la dette ». Contrairement aux fanfaronnades de Milei, Guzmán estime qu’il est « hautement improbable » que les contrôles de change soient levés prochainement, car cela permettrait aux entreprises internationales de rapatrier quelque 9 milliards de dollars actuellement bloqués dans le pays — ce qui exercerait une forte pression à la baisse sur le taux de change, et ferait mécaniquement grimper l’inflation.
La clé de la réussite économique en Argentine — comme dans toutes les économies — réside dans une hausse de la productivité du travail, rendue possible par davantage d’investissements dans les secteurs réellement productifs de l’économie. Or, tous les précédents prêts du FMI ont fini par être détournés : les sommes ont soit été transférées à l’étranger, soit englouties dans la spéculation financière. Ni les gouvernements de droite, ni les gouvernements péronistes n’ont pris de mesures pour empêcher le pillage spéculatif des ressources et des richesses du peuple argentin.
Sous Milei, seuls deux grands secteurs économiques ont véritablement prospéré : la finance et les mines. Or, ces secteurs génèrent peu de recettes fiscales et n’emploient qu’une fraction réduite de la population active — à peine 4 % des travailleurs. À l’inverse, les trois principaux secteurs toujours en pleine récession sont la construction, l’industrie et le commerce. Ensemble, ils représentent près de la moitié du marché du travail, soit 44,5 % des emplois. Le principal secteur exportateur du pays, et sa première source de devises étrangères, reste l’agriculture. Mais ce secteur traverse actuellement une vague de défauts de paiement.
L’Argentine pourrait éventuellement sortir de son marasme si une flambée des prix des matières premières venait à se produire, comme au début des années 2000. Le pays est le premier exportateur mondial d’huile et de tourteaux de soja, le deuxième exportateur de maïs et le troisième de fèves de soja. Cependant, pour l’instant, les prix du soja et du maïs ne sont guère dynamiques. L’Argentine détient également la troisième plus grande réserve mondiale de lithium, ce qui en fait un acteur clé de la transition énergétique mondiale. Mais les prix du lithium ont récemment chuté de manière marquée. Le pays possède aussi d’importantes réserves de gaz de schiste. Le gisement de Vaca Muerta est l’un des plus vastes gisements d’hydrocarbures non conventionnels au monde, estimé à 16 milliards de barils de pétrole et 308 000 milliards de pieds cubes de gaz naturel et qui commence tout juste à être exploité. Mais là encore, les prix du pétrole sont en baisse. Et la récente hausse de 10 % des droits de douane décrétée par Trump sur toutes les importations américaines ne fera qu’aggraver les difficultés à l’exportation pour l’Argentine.
[1] Le carry trade est une pratique spéculative qui consiste à emprunter de l’argent dans une devise où les taux d’intérêts sont peu élevés pour l’investir dans une autre devise, dans des actifs plus rentables. Le gain réalisé provient ainsi de la différence entre la charge de l’emprunt et le rendement de l’investissement.