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    L’occupation française dans le Rif

    histoire

    Lien publiée le 12 juin 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://lanticapitaliste.org/arguments/loccupation-francaise-dans-le-rif

    En 1925, la France colonialiste s’enlise dans une guerre brutale dans le Rif marocain. Derrière les discours civilisateurs, c’est une répression féroce contre un peuple en lutte pour son autodétermination. Face à un État rifain naissant, la République française renforce sa véritable nature impérialiste. Retour sur une guerre trop souvent oubliée, mais centrale pour comprendre les logiques coloniales et les résistances qu’elles ont suscitées. Par Amel.

    Crédit Photo
    Manifestation à Al Hoceima en 2017. La police intervient-DR

    La guerre du Rif, un front colonial à feu et à sang

    La guerre du Rif (1921-1926) oppose les puissances coloniales espagnole et française aux tribus berbères rifaines, unies sous la bannière de Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi. 

    Ce conflit, trop souvent relégué dans les marges de l’histoire officielle, fut pourtant un moment de rupture profonde, révélateur de la brutalité du système colonial. Au-delà d’un soulèvement régional, il incarne un acte politique d’émancipation contre l’impérialisme.

    La France s’allie à l’Espagne

    En 1925, l’armée française intervient massivement pour écraser le mouvement rifain. L’Espagne, déjà humiliée par ses revers face aux combattants d’Abdelkrim, sollicite l’aide militaire de Paris. L’armée française se déploie sous le commandement de Pétain : 160 000 soldats, y compris des troupes coloniales venues d’Algérie, du Sénégal ou du Vietnam. L’aviation bombarde les zones civiles, les villages sont détruits, les champs brûlés. L’Espagne, pour sa part, utilise massivement les armes chimiques (gaz moutarde), testant dans le Rif ce que les puissances impérialistes expérimenteront ailleurs.

    Mais Abdelkrim n’est pas un simple chef tribal opposé à la domination étrangère. Il organise un État structuré, la République du Rif, qui proclame sa souveraineté en 1923. 

    L’impôt y est levé, la conscription établie, une armée nationale est mise en place. L’objectif n’est pas seulement de repousser l’envahisseur mais de construire une alternative politique, un projet de société émancipé de la tutelle coloniale, articulé autour d’une justice populaire et de principes modernisateurs.

    Le droit des peuples face aux forces coloniales

    Cette centralisation inédite du pouvoir permet à Abdelkrim de défendre sa cause sur la scène internationale. Il s’adresse à la toute récente Société des Nations, plaide le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mobilise les réseaux anticolonialistes dans les capitales européennes. Il devient une figure emblématique, célébrée dans la presse anglophone, notamment en une du Time Magazine en août 1925. À travers lui, le Rif devient le symbole de la lutte contre l’ordre impérial établi.

    Le Rif, toutefois, n’est pas un bloc homogène. Certaines tribus, fidèles au sultan Moulay Youssef (placé sous tutelle française), s’opposent à Abdelkrim. D’autres chefs locaux, comme le chérif Raïssouni dans le nord-ouest du pays, rejettent l’autorité de la République rifaine. De plus, les forces coloniales enrôlent massivement des Marocains dans leurs rangs : spahis, goumiers, régulierEs indigènes. Nombreux sont ceux contraints de combattre contre leurs compatriotes.

    Une guerre civile coloniale

    Ce conflit n’est donc pas simplement une guerre de libération contre une puissance étrangère : c’est une guerre civile coloniale, où l’impérialisme fracture les solidarités internes et s’appuie sur des élites locales pour renforcer sa domination. Le Rif est le théâtre d’une lutte complexe, mêlant autonomie populaire, trahisons politiques, pressions tribales et volonté révolutionnaire. Il y a 10 000 morts dans le camp des Rifains, 2 500 morts côté français (dont 261 officiers) et plusieurs milliers chez les Espagnols.

    La guerre du Rif n’est pas un accident de parcours dans l’histoire coloniale, c’est un laboratoire. Elle préfigure les méthodes de contre-insurrection modernes, où l’on ne cherche pas seulement à vaincre militairement un ennemi, mais à briser une société. Les stratégies psychologiques, la guerre totale, les campagnes de terreur contre les civilEs, toutes ces pratiques seront reprises plus tard par l’armée française au Vietnam et en Algérie.

    La République du Rif, éphémère mais puissante dans sa portée, bouscule l’ordre impérial. Elle démontre qu’un peuple colonisé peut non seulement résister, mais construire une alternative politique. Et cela, l’impérialisme ne peut le tolérer.

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    Une défaite militaire, une victoire politique

    En mai 1926, acculé, encerclé, trahi par certaines tribus, Mohammed Ben Abdelkrim el-­Khattabi se rend aux autorités françaises. Il est exilé à la Réunion. Militairement, la République du Rif est écrasée. Mais cette défaite n’efface pas la puissance symbolique ni les conséquences politiques profondes du conflit.

    Le Rif, un exemple de répression coloniale

    D’abord, elle dévoile au grand jour la nature barbare de l’impérialisme. Les justifications humanistes de la mission civilisatrice se brisent face aux bombardements chimiques, aux villages rayés de la carte, aux exécutions sommaires. Les méthodes utilisées dans le Rif annoncent les guerres de reconquête à venir. L’État français n’agit pas comme une puissance moderne pacificatrice, mais comme une machine coloniale impitoyable, déterminée à anéantir toute velléité de ­souveraineté populaire.

    Ensuite, la guerre du Rif devient une référence majeure dans les luttes anticoloniales du 20e siècle. Le soulèvement rifain, en alliant combat militaire, propagande populaire, structure étatique et internationalisation du conflit, offre un modèle de résistance. Abdelkrim inspire Ho Chi Minh, les militantEs du FLN, les révolutionnaires africainEs et latino-américainEs. Ce n’est pas seulement un mythe : c’est une expérience ­stratégique étudiée, ­transmise, revendiquée.

    Au Maroc, le Rif paie un prix terrible. La région est marginalisée, surveillée, économiquement sacrifiée. La mémoire du soulèvement devient un tabou pour le pouvoir chérifien, d’autant plus que la monarchie actuelle s’inscrit dans la continuité de la collaboration des élites marocaines à l’ordre colonial. Le traumatisme est profond : des générations entières héritent d’une histoire de répression, de misère et de résistance silenciée.

    Le mouvement du Hirak en 2016

    Pourtant, cette mémoire refait surface. En 2016, la région se soulève à nouveau, autour du mouvement du Hirak. Les revendications populaires, justice sociale, fin de la répression, accès aux services publics, s’inscrivent dans le droit fil de l’esprit rifain de 1925. C’est une même dynamique d’émancipation, face à une même structure de domination, aujourd’hui recomposée sous forme de néocolonialisme économique et d’autoritarisme local.

    Enfin, la guerre du Rif interroge le présent. Elle nous enseigne que les luttes des peuples ne sont jamais « archaïques » ou « tribales ». Elles peuvent porter des projets politiques radicaux, égalitaires, capables de faire trembler les empires. Elle rappelle que la domination coloniale n’est pas une page tournée, mais une ­structure toujours vivante dans les ­inégalités d’aujourd’hui.

    À ce titre, la République du Rif est bien plus qu’un épisode oublié. C’est une promesse. Celle d’un monde affranchi des impérialismes, où les peuples organisés peuvent prendre leur destin en main. Et cette promesse, aujourd’hui, reste plus que jamais d’actualité.

    Amel