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Justice de classe ignoble contre les manifestants de Barbès
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
C’est une jolie fille en débardeur rose moulant, petit chignon, le teint mat, de grands yeux brillants. Aux suspensions d’audience, elle plaisante avec les policiers qui l’entourent. F., 31 ans, a été arrêtée samedi à Barbès, au cœur de la manifestation pro-palestinienne interdite. Ce lundi, elle est jugée en comparution immédiate par la 23ème chambre du tribunal correctionnel de Paris pour violences sur les forces de l’ordre, en l’occurrence un jet de projectile. Elle conteste, nie l’intention agressive. Explique avoir simplement voulu se débarrasser d’une bombe lacrymogène qui aurait atterri à ses pieds.Le président du tribunal s’étonne: «C’est extraordinaire comme réaction!» Elle ne se démonte pas. «C’est un réflexe, je l’ai vue à terre qui fumait devant moi, vous ne le feriez pas, vous?». «Moi, un objet fumant à mes pieds, non, je ne le ramasse pas, je m’en écarte.»
Les policiers lui ont couru après, elle s’est débattue, puis laissée interpeller. Un témoin assure qu’il l’a vu viser intentionnellement les CRS avec son projectile. «Et sur la participation à une manifestation interdite, qu’avez-vous à dire?», interroge le président. «J’ai pris la responsabilité d’y être parce que je voulais y être. J’étais venue pour soutenir la Palestine, je ne pensais pas que ça allait dégénérer, que ce serait la guerre.»- «Et vous pensez que ces affrontements ça aide la Palestine?»- «Non. Mais le but des manifestants n’était pas que ça se passe comme ça. Après, il y avait des individus qui étaient là pour casser. Pas moi. Moi si j’y vais et que je commence à casser des trucs, je donne une mauvaise image de la cause. Ce n’est pas ce qu’on veut montrer.»
Le président soupire: «Je pense que ce que l’on retient de cette manifestation, ce n’est pas le soutien à quoi que ce soit. Je pense que les médias se focalisent plus sur les échauffourées que sur la cause.»Le procureur renchérit: «Le résultat de cette manifestation, c’est que l’on parle de beaucoup de choses, sauf de ce qui pouvait la motiver au départ. On ne parle que de casse et d’incidents. D’autres manifestations vont venir. Ce qui importe aujourd’hui, c’est d’adresser un signal fort de découragement. Pour défendre une noble cause, il faut se rendre compte que certaines manifestations vont à l’encontre de cette noble cause.» Il demande une condamnation «qui revêt un caractère d’exemplarité»: quatre mois de prison ferme, plus six mois de travaux d’intérêt général. L’avocat de la défense s’insurge: «Elle ne va pas payer pour tout ce qui s’est passé à Barbès!» A l’issue du délibéré, F., dont le casier judiciaire comporte déjà des faits de violences, d’outrage et de rébellion, est condamnée à six mois de prison avec sursis avec obligation de 105 heures de travaux d’intérêt général.
Juste après F. comparaît E., 26 ans, ingénieur, arrêté samedi à Bastille suite à une altercation avec des policiers et au port d’un keffieh. «Mais je suis kurde! Je n’étais pas en train de manifester, proteste-t-il. Mon keffieh est rouge! Cela n’a rien à voir avec le keffieh noir des Palestiniens.» E. explique qu’il a vu une femme voilée chuter à terre devant un cordon de CRS, qu’il a voulu courir la relever et que c’est là qu’on l’a interpellé. Au bout de quinze minutes d’interrogatoire, il craque: «Écoutez, je ne voulais pas dire ça, mais vous allez m’y pousser... Je suis désolé pour ceux qui sont pro-palestiniens dans la salle mais... la Palestine, j’en ai rien à foutre. Je suis kurde. Qu’est-ce qui attaque le peuple kurde en Syrie? C’est le Hezbollah. Et le Hezbollah, c’est le premier à défendre la Palestine.» Le procureur ne croit pas à son discours, ni à «l’étrange coïncidence» de sa présence devant un cordon de CRS. Il rappelle sa «rébellion» à l’interpellation et réclame quatre mois de prison avec sursis. Après délibéré, E. est relaxé.
Quasiment au même moment, de l’autre côté du hall qui relie les différentes chambres correctionnelles de Paris, comparaissaient, également en comparution immédiate, deux autres manifestants de samedi. Le premier, K., 33 ans, informaticien et père de trois enfants, est poursuivi pour avoir refusé de se soumettre à une interpellation, continuant à scander des slogans pro-palestiniens. Agrippé au bras par un officier de police, il l’a fait chuter au sol et l’a blessé en tentant de se dégager. Le policier a eu quatre points de suture sur le nez et trois jours d’ITT (incapacité temporaire de travail). K. explique que l’agent, en civil, l’a saisi de dos, et qu’il s’est débattu parce qu’il a eu peur et ne savait pas qui l’attrapait ainsi. Quant à sa participation à une manifestation interdite, il pensait que puisque des représentants du NPA (Nouveau parti anticapitaliste) étaient là, «ça irait». K. a deux jours d’ITT, blessé à la cuisse, car le policier l’a poussé contre un mur. «J’ai participé en pacifiste», dit-il. Le procureur demande quatre mois de prison ferme avec un mandat de dépôt, bien que K. n’ait pas de casier judiciaire. Après délibéré, il est condamné à quatre mois de prison avec sursis et à 1150 euros de dommages et intérêts à verser au policier.
Le dernier prévenu, N., 33 ans, avait été arrêté comme organisateur de la manifestation. Finalement, cette infraction n’a pas été retenue contre lui, et seuls lui sont reprochés la rébellion lors de son interpellation et la participation à un attroupement interdit. A l’audience, pourtant, on ne cesse de rappeler son rôle de leader «incitant les gens à se diriger vers le boulevard Magenta, haranguant la foule». «Je ne suis pas organisateur mais animateur, proteste-t-il. Je disais simplement des slogans au porte-voix: Nous sommes tous des Palestiniens, Résistance c’est la voie de l’existence, Médias français montrez nous la vérité...» La présidente le coupe. «C’est très différent des slogans que les policiers ont noté dans votre bouche: CRS assassins, Israël assassin, Bêtar bâtard...» N. est ingénieur depuis six ans chez EDF, il a une petite fille d’un an, et sa femme est enceinte de huit mois. «Avec cette histoire, j’ai compris l’importance de ma famille. Vous avez ma parole, je ne participerai plus jamais à une manifestation interdite», jure-t-il. Le procureur n’y croit pas. «Monsieur est un meneur d’hommes, quelqu’un qui a exhorté la foule, qui a demandé à deux cent personnes de rejoindre Barbès en scandant des propos inacceptables et déplacés. Les policiers ont dû faire face à une véritable guérilla urbaine dont vous êtes en partie responsable. Vous n’étiez pas là pour appeler au respect des droits de l’homme en Palestine, vous étiez là pour attiser la haine.» Il réclame six mois ferme avec mandat de dépôt. «Je crains que la semaine prochaine ça recommence, et que Monsieur soit là à nouveau.» L’avocat de N. rappelle son parcours de «père de famille exemplaire», n’ayant jamais eu à faire à la justice... «Il ne faut pas le condamner à de la prison ferme pour obéir aux médias ou aux politiques!», dit-il. Après délibéré, le tribunal le condamne à dix mois de prison avec sursis.
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http://Un manifestant propalestinien condamné à quatre mois ferme pour rébellion
Un moment, on a cru à une caricature, un mauvais film. La présidente du tribunal (blanche, la cinquantaine, fort accent bourgeois, coupe au carré) harangue le prévenu (jeune, arabe, des marques des coups infligés par la police encore sur le visage), lui coupant sans cesse la parole, lui reprochant chaque mot qu’il tente :«Vous dites que le contrôle d’identité était abusif, mais est-ce à vous d’en juger ? Vous n’êtes pas ici pour vous exprimer, mais pour répondre à mes questions.»
De l’entrée en matière, où elle se moque de son nom de famille, à la conclusion – une peine de quatre mois ferme avec mandat de dépôt (incarcération immédiate) pour avoir refusé un contrôle d’identité et s’être débattu – chaque minute de l’affligeante et courte scène qui s’est jouée mardi devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris faisait croire à une triste farce.
Un petit groupe de journalistes était venu, ce mardi après-midi, assister à l’audience des comparutions immédiates, pensant y retrouver peut-être quelques-uns des hommes placés en garde à vue suite aux affrontements devant la synagogue de la rue de la Roquette (1), pensant y glaner quelques clés pour comprendre ces violences.
LOI ANTIBURQA
Mais le seul homme dans le box à avoir un rapport avec la manifestation propalestinienne de dimanche a été arrêté bien loin de la synagogue du XIe arrondissement, à la station de métro Barbès, et il n’a la clé de rien, pas même de son propre malheur. Le tort de Mohamed S., 23 ans, manutentionnaire, est d’avoir marché en compagnie de son petit frère et d’un autre ami, Renaud, qui tous deux avaient enroulé un keffieh autour leurs visages. Leurs traits étaient masqués, et c’est donc au nom de la «loi antiburqa» que trois policiers ont dit avoir arrêté leur véhicule à leur hauteur, et avoir voulu interpeller le petit frère de Mohamed. L’aîné a protesté : «Ils ne sont pas descendus de leur voiture en mode contrôle, tente-t-il de décrire à l’audience. Ils sont descendus en mode sauvage, ils nous ont poussés direct, à base de coups de pied et de poing, c’était pas un contrôle normal.»
La présidente l’interrompt à nouveau. «Et vous alors, vous étiez en mode comment en allant à cette manifestation ?» Mohamed essaie d’expliquer qu’il a participé au cordon de sécurité visant à séparer manifestants et gendarmes, que son rôle «était justement d’éviter les violences», rien n’y fait, seule la version policière intéresse la présidente. Lorsqu’il ose demander que l’on évoque les auditions de son petit frère et de son ami «blanc» Renaud, qui lui n’a pas été contrôlé, elle le coupe d’un ton sec : «Je lis les témoignages que je veux. On n’est pas à la cour d’assises ici.» La présidente parle de la djellaba que portait Mohamed dimanche en disant«accoutrement».
CONTRÔLES AU FACIÈS
Absents à l’audience, les policiers ont déclaré sur procès-verbal que Mohamed était«agressif» et «vociférait». «Ce monsieur ne se laissait pas menotter, il se débattait sans cesse», ont-ils affirmé. L’un d’eux assure avoir reçu un coup de poing. Les constats faits par les médecins des urgences médicojudiciaires de Paris indiquent plutôt l’inverse : aucune trace de coups reçus et aucun jour d’ITT (incapacité totale de travail) pour le policier, un visage encore tuméfié et un jour d’ITT pour Mohamed. Il montre sa doudoune déchirée : «Ils m’ont plaqué au sol, ils m’ont étranglé. Ils m’ont dit: tu n’as rien à faire en France, si tu veux te battre pour la Palestine, va en Palestine.»
Dans les rares instants où il a pu aligner deux phrases, Mohamed a expliqué qu’il subissait environ un contrôle d’identité au faciès par semaine. Le procureur en profite pour rebondir et lui reprocher d’avoir osé protester. «S’il subit régulièrement des contrôles, il sait très bien comment ça peut se passer, et que ça peut déraper rapidement.» Il réclame cinq mois de prison ferme.
L’avocat de Mohamed, Nicolas Putman, retrace le parcours d’un jeune homme, ancien délinquant, condamné à un an de prison ferme pour avoir projeté un braquage, parfaitement réinséré et à la conduite exemplaire depuis sa libération il y a un an. A peine dehors, il a trouvé un emploi, et le patron le qualifie d'«employé modèle». «Les trois policiers ne s’en sont pris qu’aux personnes de type maghrébin, on a l’impression d’une bavure policière, au racisme latent, plaide l’avocat. Quand mon client vous dit qu’il est contrôlé toutes les semaines, ce qu’on peut surtout retenir, c’est que malgré ces humiliations répétées, c’est la première fois qu’il est arrêté pour rébellion.»
La présidente dit à Mohamed qu’il a la parole en dernier. Il se lève et ne dit rien. Il pleure.
(1) Quatre d’entre eux seront finalement jugés ultérieurement par le tribunal correctionnel pour violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique et rébellion, a-t-on appris mardi soir. Deux autres ont fait l’objet d’un rappel à la loi du délégué du procureur.