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Comment la galaxie Dieudonné squatte les manifs propalestiniennes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart)
Parmi les radicaux qui tentent de déborder le mouvement propalestinien, des sympathisants de Dieudonné et d'Alain Soral, regroupés en partie dans un nouveau collectif, « Gaza Firm ». Loin des milieux historiques de la cause palestinienne, ces jeunes, dépolitisés et nourris aux vidéos de la Dieudosphère, viennent en découdre avec les organisations juives d'extrême droite.
À chaque mouvement ses marginaux qui tentent de profiter des événements et caméras. Après les incidents dans lesquels la Ligue de défense juive (LDJ) a été impliquée, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) avait cru bon de rappeler qu’il s’agissait d’une « toute petite organisation, qui n’est pas membre des institutions juives ». De son côté, le mouvement propalestinien, très hétéroclite, subit des tentatives d'incruste, notamment de sympathisants de Dieudonné et de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral.
S'ils sont ultraminoritaires, la manifestation du samedi 26 juillet 2014, organisée en solidarité avec le peuple palestinien à Gaza, a été ponctuée de fortes tensions internes. Une partie du cortège a semblé débordée par des éléments radicaux (lire le reportage de Thomas Saint-Cricq). Certains sont regroupés dans un petit noyau baptisé « Gaza Firm ». Loin des milieux propalestiniens historiques, ils viennent surtout en découdre avec la LDJ. Qui tire les ficelles de cette nébuleuse ?
Ils sont apparus le 19 juillet à Barbès, chantant La Marseillaise lors de la manifestation propalestinienne interdite. Puis quatre jours plus tard, à Denfert-Rochereau, lors du rassemblement autorisé. Samedi 26 juillet, ce nouveau collectif était plus visible, représenté par une quarantaine de personnes et une banderole blanche déployée au centre de la place de la République :
Sur les réseaux sociaux, leur hashtag « Gazafirm » s'est diffusé, assorti de vidéos et de photos où ses membres sont floutés :
Après les incidents de la rue de la Roquette, le 13 juillet, et la large couverture médiatique des rassemblements, le collectif a flairé la bonne opération de communication. Si le nom « Gaza Firm » est apparu tout récemment, le groupe a fait sa première apparition en janvier, lors du « Jour de colère », qui a vu les groupuscules de l’extrême droite la plus radicale manifester à Paris – y compris les « Dieudonnistes » –, dans un défile émaillé de slogans antisémites et homophobes.
Officiellement, le mouvement se présente, dans un communiqué diffusé le 25 juillet, comme « un groupe d’amis de divers horizons », « cultures » et « religions », « blacks blancs beurs », « réunis autour de la cause Palestinienne ». L’objectif affiché ? « Assurer la sécurité des manifestants et citoyens », et surtout « faire front » aux organisations juives radicales, la LDJ et le Betar.
Égalité et réconciliation (E&R) , le mouvement d'Alain Soral, s'était empressé de saluer sur son site la naissance de Gaza Firm : « Enfin une Ligue de défense goy ? » Les membres de ce nouveau collectif, eux, jurent n’avoir « aucun lien » avec « l’extrême droite », « Dieudonné ou même Alain Soral ».
Pourtant, derrière Gaza Firm, on trouve un proche de la galaxie soralienne : Mathias Cardet. Ce porte-voix de Gaza Firm a donné plusieurs conférences avec Alain Soral et est un invité régulier de son site. Il a d'ailleurs expliqué dans cette vidéo d'Égalité et réconciliation être « lié par amitié » avec le mouvement. Il a également relayé les appels, abondamment diffusés par Égalité et réconciliation, à une « journée de retrait de l'école pour l'interdiction de la théorie du genre », cet hiver. Il était aussi présent, le 21 juin, au bal des quenelles, organisé par Dieudonné, où l’on pouvait croiser le négationniste Robert Faurisson.
Cardet, qui se présente comme un ancien hooligan, est aujourd’hui à la tête d’une plateforme web baptisée « Bras d’honneur », dont E&R a assuré la promotion. L'année dernière, il a fait le tour des médias pour la promo de L’effroyable imposture du rap, un pamphlet qui lui a permis de diffuser ses thèses en prétendant révéler la face sombre du rap.
S'il a affirmé, dans une « mise au point » sur sa page Facebook, ne pas être « le taulier de Gaza Firm », il a dit « assumer les actes de l'équipe » et était d'ailleurs présent en marge de la manifestation du 26 juillet (voir les photos publiées par Quartiers libres).
Qui sont les militants de Gaza Firm ? Essentiellement des jeunes issus des supporters ultras du PSG : des anciens de « K-soce Team » du virage Auteuil et de Karsud ayant des liens avec la frange radicale de la tribune Boulogne (voir la cartographie de Sofoot). La référence est d’ailleurs transparente, explique à Mediapart ce fin connaisseur de cette nébuleuse : « Le mot “Firm” trahit leur origine, c’est un code de supporter ultra, qui rappelle l’Inter City Firm (la première bande de supporters de foot hooligans anglaise – Ndlr) ».
Selon lui, il s’agit d’« un milieu dépolitisé, plutôt composé de jeunes de banlieues dont certains sont sensibles au discours anti-système de Dieudonné et Soral, formés par leurs vidéos qui relayent des thèses complotistes, dénonçant les Américains, les juifs, les francs-maçons, les médias et défendant l’idée que la vérité se trouve sur Internet. C’est davantage une mouvance qu’un groupe organisé. Dieudonné et Soral ne les contrôlent pas, mais ces types se reconnaissent dans ce qu’ils font ».
Les tentatives d'instrumentalisation de Dieudonné et Soral
Que des adeptes de Soral, ces ultras ? Les choses sont plus complexes. Certains sont « des types du milieu hip-hop constitué autour de Mathias Cardet et des jeunes paumés, qui suivent un ou deux amis, viennent faire des quenelles et des bras d’honneurs dans les manifs et se cogner avec la LDJ. C’est avant tout un phénomène de bande », souligne-t-il, en évoquant aussi des recompositions « liées à des questions de stade ».
Après notre article sur la Ligue de défense juive, Quartiers libres, un collectif de militants de la gauche radicale de banlieues, nous a écrit, étonné de lire que les manifestations propalestiniennes étaient « débordées par des partisans de Dieudonné et Soral ». L’association minimise la présence des Soraliens dans les rassemblements et estime que Gaza Firm ne représente qu’« une trentaine » de personnes qui ont tenté « une récupération médiatique en communiquant sur leur passage à Barbès » après avoir manqué « la charge contre la LDJ ». Lire ici son dernier billet de blog : Les idiots utiles du sionisme, les vrais.
Sans forcément toujours apparaître, Alain Soral et Dieudonné tentent en tout cas de surfer sur ces manifestations et le conflit israélo-palestinien. Samedi après-midi, une« conférence sur la Palestine » s'est tenue au Théâtre de la Main d'or, où se produit Dieudonné. À l’extérieur, une file d’attente s’étale sur deux cents mètres pour acheter une entrée à 5 euros. Un public hétéroclite, assez jeune. Pierre Panet, un très proche de Dieudonné qui fréquente les milieux négationnistes et fut candidat sur une liste FN aux municipales, fait patienter la foule en s'agitant devant les caméras de leur web télé, Meta-TV.
À l’intérieur de la salle, remplie bien au-delà de sa capacité de 250 personnes, interdit de prendre des photos ou de filmer. « Ils veulent pouvoir diffuser uniquement leurs propres images, avec leur télé », nous explique un spectateur habitué.
Sur l’estrade, l’ancien député belge d'extrême droite Laurent Louis, qui a soutenu les thèses négationnistes de Faurisson, anime les échanges, entouré de l'écrivain juif et militant propalestinien Jacob Cohen, de Marion Sigaut, qui se présente comme une « historienne » issue de Debout la République et aujourd’hui membre d’Égalité et Réconciliation. L'affiche de la conférence annonçait des « témoignages de Palestiniens », mais les organisateurs se cantonneront à la lecture d'une lettre d'un médecin de Shifa qui a déjà abondamment circulé sur les réseaux sociaux.
Les spectateurs ne sont venus que pour écouter Dieudonné, qui arrive, vêtu d'une combinaison orange de prisonnier de Guantanamo barrée du mot « quenelle ». Acclamé – y compris par des « Dieudonné président ! » –, il se plaint qu'« on nous ressort(e) toujours la souffrance de la Shoah » et explique que « la montée de l'antisémitisme a été inventée par le système car le système est sioniste ».
Pendant deux heures, il est question du « marketing sioniste » qui serait relayé à longueur de journée par les médias. Les organisateurs se vantent d'ailleurs d'avoir fermé la porte aux caméras de France 2. « Ce n'est pas une politique nazie que poursuit l'Etat d'Israël, c'est pire ! Même Hitler, il ne bombardait pas des hôpitaux », lâche Laurent Louis, avant d'exprimer ses « doutes » sur la version de la tuerie au musée juif de Bruxelles. Il poursuit : « Les gens me disent : “Mais pourquoi tu parles de la Palestine, nous on veut parler du chômage!”, mais tout est lié ! Si on a la crise, c'est à cause des banques, des banques sionistes ! »
Au public, on explique que « l'homme providentiel, c'est vous ! ». La séance des questions de la salle part dans toutes les directions, provoquant même des altercations physiques entre certains groupes de spectateurs. Chacun se bat pour obtenir le micro et apporter son témoignage. Ginette Hess-Skandrani, exclue des Verts pour sa proximité avec les milieux négationnistes et colistière de Dieudonné en 2009, raconte l'éjection de son groupe par le NPA lors de la dernière manifestation.
Les questions fusent. Une femme veut savoir « comment parrainer un enfant palestinien sans être récupérée politiquement ». Une autre s'interroge sur « la position de la Russie et de la Chine ». Un jeune demande des précisions sur l'histoire des terres palestiniennes. Certains s'interrogent sur la nécessité de recourir à la violence. D'autres livrent des thèses incompréhensibles ou en profitent pour donner un coup de projecteur sur des causes parfois bien éloignées de Gaza. Mais l'essentiel de la discussion tourne autour du qualificatif d'antisémite, réfuté par le public et Dieudonné, qui raille un « chantage à l'antisémitisme ».
Les deux polémistes ont en réalité rarement mis les pieds dans des manifestations de soutien à la Palestine. Lorsque, en janvier 2009, Alain Soral tente de rallier l'un de ces rassemblements, ses amis du parti antisioniste (avec lequel il s'est présenté aux européennes de 2009) sont repoussés par les antifascistes, empêchant sa venue dans le cortège, comme l'avait raconté le site d'information antifasciste Reflexes.
À l'époque, Soral avait tout de même diffusé une vidéo et un communiqué pour médiatiser sa participation malgré les « sionistes de la CNT et de la LCR » et raconter que« l'immense majorité des manifestants voit d’un bon œil la présence de patriotes anti-sionistes à leurs côtés ». Cinq ans plus tard, son site engrange les visites et ses émissions en ligne sont devenues payantes.