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Chronique de la campagne des législatives – épisode 2
Voici une nouvelle chronique de la campagne des élections législatives. Vous pouvez retrouver la première chronique de l’élection législatives sur notre site : https://tendanceclaire.org/article.php?id=1807
Au sommaire :
- Une campagne invisibilisée pour tenter de donner une majorité à Macron
- Le programme économique de la NUPES attaqué par Terra Nova
- Brèves
Une campagne invisibilisée pour tenter de donner une majorité à Macron
La stratégie de Macron est limpide : invisibiliser au maximum la campagne des élections législatives. C’est tout à fait rationnel de sa part : il sait que son électorat (âgé et aisé) se mobilisera bien davantage que l’électorat jeune et populaire en cas d’abstention massive. Il sait aussi qu’il sera mis en difficulté en cas de campagne intense : baisse importante du pouvoir d’achat, scandales, violentes attaques programmées contre les travailleurs/ses, etc. Il a tout intérêt à ce que la population se désintéresse au maximum de ces élections…
En cela, il est bien aidé par les grands médias des milliardaires, y compris les chaînes d’information continue, qui n’organisent aucun grand débat, aucune grande émission politique, alors qu’une élection nationale majeure va avoir lieu dans quelques jours. C’est un scandale démocratique. En revanche, le système médiatique n’oublie pas de diaboliser au maximum Mélenchon (qui pourtant fait tout pour rassurer…) pour déclencher un réflexe de peur auprès d’une partie de la population. C’est tellement caricatural qu’il n’est pas sur que cette propagande grossière fournisse les effets attendus.
Le programme économique de la NUPES attaqué par Terra Nova
Un débat à distance s’est installé ces derniers jours entre le think tank social-libéral Terra Nova et les économistes de l’Union populaire, avec un premier rapport de Terra Nova, suivi d’une réponse de Mélenchon, d’une réponse de Terra Nova, et d’une réponse des économistes de l’UP.
Ce débat soulève des discussions intéressantes et les réponses de l’UP nous semblent esquiver ou édulcorer les difficultés, et donc n’apportent pas les réponses nécessaires. Il s’agit avant tout de « rassurer » et d’expliquer que la politique de « rupture » pourra être mise en place sans trop de difficultés. Pourtant, il y a le précédent de 1981, où la politique de relance avait tourné court. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ? Les contraintes sont-elles moins fortes ? Si les leçons de l’échec de la relance de 1981 ne sont pas tirées, pourquoi un gouvernement NUPES réussirait-il cette fois-ci ?
En mettant de côté les controverses techniques ou le désaccord fondamental que nous avons avec la NUPES (le refus de remettre en cause la propriété privée des grands moyens de production et la croyance qu’une politique de relance keyénsienne peut réussir dans un capitalisme en crise), nous allons nous concentrer sur les problèmes de la dette et la contrainte extérieure.
Terra Nova explique que les marchés financiers mèneront le combat contre le gouvernement Mélenchon, donc les taux d’intérêt sur la dette française grimperont, et donc le coût deviendra insoutenable pour le gouvernement Mélenchon qui sera obligé d’abdiquer. A cela, les économistes de la NUPES expliquent que la France n’est pas la Grèce, et que la BCE sera obligé d’intervenir sur les marchés pour maintenir les taux d’intérêt à un bas niveau pour ne pas mettre en péril l’euro. La NUPES compte également mettre en place un nouveau « circuit du Trésor » avec l’aide de la BCE, qui alimenterait en liquidités un pôle public bancaire, qui ensuite achèterait la dette publique français à des taux d’intérêt très bas. Autrement dit, la NUPES refuse d’anticiper l’hostilité de la BCE pour ne pas avoir à envisager la rupture avec la BCE et donc la rupture avec l’UE et l’euro. Pourtant, la BCE ne se privera évidemment pas de laisser monter les taux d’intérêts sur la dette française pour faire pression sur le gouvernement Mélenchon. A cela, deux réponses sont possibles : soit le gouvernement l’accepte, et dans ce cas il devra renoncer très rapidement à l’essentiel de son programme ; soit le gouvernement ne l’accepte pas, et cela implique de recouvrir la souveraineté sur la monnaie en réquisitionnant la Banque de France pour financer directement le déficit public sans émettre des bons du Trésor sur les marchés financiers. Bien évidemment, la BCE ne l’acceptera pas, et cela entraînera donc une rupture de France avec l’euro.
Le gouvernement Mélenchon devra également maîtriser son déficit extérieur : la hausse des salaires et des minimas sociaux dégradera la compétitivité des entreprises françaises (réduisant les exportations) et cette demande excédentaire stimulera les importations. Le déficit commercial risque d’augmenter fortement, comme en 1981. D’autant plus que les capitalistes risquent de pratiquer une « grève de l’investissement » et de sortir leurs capitaux pour produire ailleurs. D’où la nécessité de mesures fortes pour éviter la mise en échec rapide de la relance : contrôle strict des mouvements de capitaux aux frontières de la France, contrôle strict des échanges extérieurs, autant de mesures que la NUPES refuse d’envisager très concrètement dès l’arrivée au pouvoir.
Bien entendu, ces mesures fortes de « rupture » permettraient simplement de faire face aux tentatives de destabilisations. Elles n’apporteraient pas à elles seules une solution pour « bifurquer » réellement par rapport au modèle capitaliste et productiviste. Pour cela, il faudrait que les principaux groupes capitalistes soient expropriés, socialisés, sous contrôle des travailleurs et travailleuses. C’est la condition pour mettre réellement l’appareil productif au service des besoins sociaux et pour respecter les contraintes écologiques. Il faudra compter sur les anticapitalistes et les mobilisations populaires pour imposer une telle rupture avec le système en place, sous peine de désillusions et de retour très rapide aux politiques austéritaires.
Brèves
Macron laisse entendre qu’il pourrait ne pas nommer Mélenchon premier ministre si la NUPES était majoritaire à l’Assemblée. Cela en dit long de la nature « bonapartiste » du régime de la 5ème République. Les médias aux ordres trouvent aussi incongrus que Mélenchon ose prétendre s’imposer comme premier ministre au monarque Macron en cas de majorité de la NUPES. A chaque interview, les journalistes martèlent que Macron ne serait pas obligé de nommter Mélenchon premier ministre. En réalité, même si la constitution de la 5ème République est de nature bonapartiste, il y serait obligé, si bien entendu tous les partis partie prenante de l’accord de la NUPES respectaient l’accord. En effet, un premier ministre doit avoir la confiance du parlement pour pouvoir se maintenir. Si la NUPES est majoritaire, elle pourrait donc refuser la confiance à toute autre premier ministre que Mélenchon, et donc Macron serait obligé de nommer Mélenchon… ou de dégager.
Plusieurs ministres pourraient essuyer une défaite aux législatives :
- A Paris, un sondage Ifop (https://www.lejdd.fr/Politique/sondage-legislatives-a-paris-le-ministre-clement-beaune-en-difficulte-face-a-linsoumise-caroline-mecary-4115546) donne le ministre délégué à l’Europe, Clément Beaune, battu par la candidate NUPES (LFI) Caroline Mecary. Dans cette circonscription, Mélenchon avait obtenu 31 % et Macron 36 %.
- A Paris encore, le nouveau ministre de la fonction publique et très proche de Macron, Stanislas Guérini (qui avait défendu un candidat LREM condamné pour violences conjugales : https://www.liberation.fr/politique/legislatives-stanislas-guerini-defend-jerome-peyrat-condamne-pour-violences-conjugales-et-suscite-un-mouvement-de-colere-20220518_AQNJKSB7JJDCXNMXKGVSXAJM34/) est en difficulté face à la candidate NUPES (EELV) alors qu’il avait obtenu 45 % des voix au premier tour en 2017, et 65 % au second.
- Dans l’Essonne, Amélie de Montchalin aura également une élection difficile face au candidat NUPES (PS), Jérôme Guedj, ancien président du conseil général de l’Essonne, et ancien proche de Mélenchon.
Fabien Roussel boude la NUPES. Il fait moins que le service minimum, boycottant toutes les initiatives nationales au prétexte de se concentrer sur sa campagne locale. C’est Ian Brossat (son ex directeur de campagne) qui le remplace à chaque occasion. Mais il n’oublie pas de montrer à chaque occasion sa distance, voire son hostilité, à l’égard de Mélenchon, martelant que « il n’est pas marié avec Mélenchon ». Il crache dans la soupe mais il est bien content de ne pas avoir de concurrent insoumis (même s’il y a une candidature d’un ex communiste soutenu par des insoumis locaux), d’autant plus que sa situation est délicate : il n’a fait que 12 % dans sa propre circonscription à la présidentielle (devancé par Mélenchon), et il aura fort à faire pour battre le RN qui a obtenu 37 % à la présidentielle.
Le premier tour des élections législatives a eu lieu ce week-end en Polynésie et pour les Français de l’étranger. Les résultats sont mauvais pour LREM et LR et bons pour la NUPES. LREM, LR et les divers droite sont en recul de 15 points environ et la gauche progresse d’une dizaine de points (par rapport à 2017), doublant presque son score. Les candidats de Zemmour, eux, captent 6 % alors que RN est encore plus inexistant qu’en 2017 à 2 %. Les résultats ont été marqués par la défaite, dès le premier tour, de Manuel Valls (investi officiellement par Macron) dans la 5ème circonscription des Français de l’étranger (Espagne, Portugal...), où il ne récolte que 15 %, devancé par la NUPES et un dissident de LREM. De rage, il a supprimé son compte twitter qui comptait plus d’un million d’abonnés. Espérons qu’il disparaisse vraiment et définitivement de notre paysage politique ! Une autre personnalité de la macronie, l’ex ministre Elisabeth Moreno, est largement devancée (28%) par la NUPES (40%) dans la 9ème circonscription (Maghreb, Afrique de l’Ouest).
En Polynésie, la NUPES – représenté par le parti Tavini de Oscar Temaru - dépasse le total de la gauche de la présidentielle, et progresse par rapport à 2017. La droite (toutes tendances confondues) reste néanmoins majoritaire sur ce territoire.
Sur BFM il y a quelques jours (https://www.youtube.com/watch?v=7WeiTA6ccR8), Mélenchon a affirmé : « nous avons une tradition d’indépendance des grands corps de l’État qui servent le pouvoir politique quel qu’il soit » pour s’opposer à tout grand ménage à la tête des administrations publiques. Ce propos est d’une naïveté incroyable : bien entendu, les très hauts fonctionnaires sont opposés au programme de Mélenchon, et ils utiliseront leur pouvoir au sein de l’appareil d’État pour le mettre en échec. Ces gens là ne sont pas des « grands serviteurs », ce sont avant tout des membres de la classe dominante qui servent les intérêts de la classe dominante. Et d’ailleurs Mélenchon devrait se souvenir qu’en 1981, le gouverneur de la Banque de France de l’époque (Renaud de la Genière) avait utilisé son pouvoir pour saboter la politique de relance en allant jusqu’à refuser des avances au Trésor. A l’époque, certains socialistes préconisaient de « faire tomber des têtes » dans la haute fonction publique (https://www.youtube.com/watch?v=1BNwMh8BruI), mais cela en est resté à des effets de tribune dans un congrès du PS. Pourtant, c’est une question décisive. Le fait que Mélenchon annonce d’emblée qu’il fait confiance aux hauts fonctionnaires macronards pour servir sa politique est un très mauvais signal.