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Problème de la prostitution : quelle analyse et quel programme communistes révolutionnaires ?
Le 24 mars a eu lieu la quatrième édition des Assises de la prostitution (au Sénat) et la « Marche de Fierté pour les Droits des Travailleu(r)ses du Sexe » (ou « Pute Pride ») (1). Un comité de travail a été mis en place à l’Assemblée nationale, envisageant la réouverture des maisons closes. La presse s’est saisie du sujet. Le débat a lieu également au NPA. Dans la revue n° 3 de Tout est à nous ! (sept. 2009), deux articles sont parus, présentant les deux positions qui s’opposent : réglementarisme (revendiquer un cadre juridique à l’exercice de la prostitution en donnant ainsi un statut de travailleur-euse-s à celles et ceux qui l’exercent et les droits qui en découlent) contre abolitionnisme (lutter contre la prostitution en s’en prenant aux proxénètes et éventuellement aux clients et en aidant les prostituées). Notre contribution participe à ce débat.
Un rapport social qui doit se comprendre dans l’analyse globale de l’oppression des femmes
Avant tout il est important de comprendre que ce que l’on appelle « prostitution » est un rapport social et qu’en ce sens il est historique. Contre l’idée véhiculée par l’expression de « plus vieux métier du monde », la prostitution n’est pas un phénomène immuable qui aurait traversé les siècles depuis les origines un peu floues de l’humanité. Il est possible de la comparer avec la « famille », concept à partir duquel on appréhende des relations sociales très différentes selon les époques. L’utilisation d’un terme unique comme « prostitution » ou « famille » permet de faire passer pour « naturels » des rapports sociaux et donc, en dernière instance, inévitables même si on peut le regretter pour la prostitution. Au contraire, derrière le terme « prostitution » se trouve des phénomènes qui correspondent à des réalités très différentes comme les hétaïres grecques, les courtisanes ou les femmes victimes de la traite tout comme derrière la « famille » on trouve tout aussi bien la gens romaine, le clan ou le modèle familial bourgeois.
La situation d’une hétaïre, cultivée et pouvant posséder une influence considérable sur des hommes puissants, correspond à une réalité très différente de celle d’une femme racolant sur le trottoir et subissant de nombreuses violences, à commencer par celles de la police. Bien sûr, ce qui est commun à toutes ces situations, c’est que les femmes y sont soumises au désir des hommes contre échange financier. Mais derrière cette généralité il faut comprendre que la situation d’oppression et d’exploitation subie par les femmes derrière le terme générique de « prostitution » est directement liée à l’oppression et à l’exploitation des femmes par delà la diversité des formes qu’elles ont prises au cours des siècles.
Mais la question est de savoir si la prostitution est oppressive en elle-même, si elle représente nécessairement une forme d’exploitation, ou si, dans des conditions d’émancipation réelle des femmes, elle pourrait être considérée comme un métier comme les autres, « le travail du sexe ». À partir de ce débat, il s’agit d’établir quelles doivent être les revendications des communistes révolutionnaires, aussi bien pour les luttes actuelles, notamment celles des femmes qui se revendiquent « travailleuses du sexe », que dans une perspective révolutionnaire transitoire. Comment la question de la prostitution doit-elle être rattachée à celle du combat pour le communisme ?
La mondialisation capitaliste de la prostitution
Pour comprendre les enjeux du débat actuel sur la prostitution, il est nécessaire de comprendre ce qu’est la prostitution à l’heure du capitalisme et notamment depuis le tournant « néolibéral » des années 80. Il faut saisir l’ampleur qu’elle a prise à l’échelle internationale et les intérêts économiques que cela représente. Richard Poulin, interrogé dans le cadre du Forum National pour les Droits des Femmes en 2002, affirme : « La mondialisation capitaliste implique aujourd’hui une "marchandisation" inégalée dans l’histoire des êtres humains. Depuis 30 ans, le changement le plus dramatique du commerce sexuel a été son industrialisation, sa banalisation et sa diffusion massive à l’échelle mondiale. » Il ajoute un peu plus loin : « Des multinationales du sexe sont devenues des forces économiques autonomes, cotée en bourses. Depuis trente ans nous assistons à une sexualisation de la société. Cette sexualisation est fondée sur l’inégalité sociale, ce qui a pour effet de rendre l’inégalité très profitable. La société est désormais saturée par le sexe ; et le marché du sexe en pleine croissance et mondialisé exploite avant tout les femmes et les enfants, notamment du Tiers monde et des anciens pays "socialistes". » (2) Cette explosion de la prostitution dans le cadre du trafic sexuel n’est pas en marge du capitalisme, mais elle est au cœur même du système.
Historiquement, elle prend directement racine dans la colonisation et l’impérialisme. Pendant la guerre d’Algérie ont fleuri les bordels à destination des soldats français, ainsi que dans les pays frontaliers du Vietnam au moment de la guerre des États-Unis contre ce pays, pour le « repos du guerrier », légitimés par l’affirmation que la prostitution serait « traditionnelle » en Asie. Par ailleurs, comme c’est souvent le cas dans les guerres et les occupations, les soldats étaient encouragés à violer les femmes de manière systématique, pratique visant à humilier et à rendre dociles les populations occupées. Après le départ des Américains, les structures, l’organisation et les réseaux de la prostitution ainsi développés sont restés et se sont convertis dans le tourisme sexuel. Cet exemple est représentatif de la manière dont se développe cette économie : « La carte de ce tourisme mondialisé épouse souvent celle des conflits d’hier. Pour les pays voués au "repos du combattant", c’est une manière de reconversion. Quand les GI ou les casques bleus lèvent le camp – comme en Thaïlande, aux Philippines, ou plus récemment l’ex-Yougoslavie –, alors peut débarquer l’innombrable armée (…) des frustrés du sexe. » (3)
Par ailleurs, Malka Marcovich, directrice pour l’Europe de la Coalition contre la Traite des femmes, montre le rôle que peuvent aussi jouer les multinationales : « C’est aux compagnies pétrolières que la Georgie doit le boom du commerce sexuel » (4). Les intérêts que représente le tourisme sexuel sont un enjeu énorme pour certains pays comme la Thaïlande.
Un autre aspect de la mondialisation de la prostitution est le développement d’importants trafics de femmes des pays défavorisés vers les pays occidentaux. De nombreuses femmes, fuyant la misère et la guerre, se retrouvent dans les réseaux internationaux de prostitution qui se chargent de livrer aux « clients » des pays riches une armée de femmes chargées d’assouvir leurs désirs. D’autres femmes sans papiers, qui n’ont pas émigré via ces réseaux, sont souvent aussi poussées dans cette voie pour tenter de sortir de leur situation d’extrême précarité. Selon R. Poulin, on assiste ainsi à une « féminisation de plus en plus importante des flux migratoires ».
La situation de ces femmes en fait une « main-d’œuvre » parti-culièrement docile puisqu’elles sont généralement à la merci d’un proxénète ou du réseau par lequel elles sont arrivées, dans un pays qu’elles connaissent mal. J.-M. Souvira, directeur de l’Office central pour la Répression de la Traite des Êtres humains (Ocrteh), cité dans Le Nouvel Observateur, donne les chiffres suivants : sur 40 000 prostituées en Allemagne et en Espagne, 85 000 au Royaume-Uni et en Italie, 20 000 aux Pays-Bas et 18 000 en France, environ 80% sont étrangères (roumaines, bulgares, africaines…) et générale-ment arrivées via la traite. Les 20% restantes sont des femmes « nationales » généralement issues des couches les plus défavorisées du prolétariat.
La question est de savoir s’il est possible de distinguer prostitution et traite prostitutionnelle. Cette distinction est en partie artificielle dans la mesure où le tourisme sexuel et la traite sont les formes caractéristiques que prend le système prostitutionnel dans le capitaliste. Il n’y a pas plus de prostitution « en soi » que de « famille en soi » : il y a prostitution et famille par les différentes formes qu’elles prennent. Dans le cadre actuel du capitalisme, la prostitution concentre les questions de classe, de genre et de « race ». C’est pourquoi « toute économie politique de la prostitution et du trafic des femmes et des enfants doit être fondée sur une analyse en termes classiques d’inégalités structurelles, de développement inégal, ainsi que de hiérarchisation entre pays impérialistes et dépendants » (5). Cependant nous verrons comment la distinction entre prostitution « libre » et « forcée » doit être prise en compte d’un point de vue revendicatif.
Réglementarisme versus abolitionnisme ?
Mais s’il est évident que nous, communistes révolutionnaires, devons combattre cette exploitation, nous combattons l’exploitation des travailleurs par le capitalisme dans tous les domaines. En quoi la prostitution est-elle une activité différente ? Nous allons voir que c’est la question que pose le réglementarisme.
Politiques des États et progression du réglementarisme
Les politiques des différents États découlent de leur positionnement abolitionniste ou réglementariste. Dans le premier cas, ils prétendent lutter contre la prostitution, notamment par la pénalisation du proxénétisme et parfois des « clients » comme en Suède. Dans le second, il s’agit de mettre en place un cadre légal dans lequel la prostitution est reconnue comme un métier comme les autres, accordant aux « travailleuses du sexe » des droits selon la législation du travail en vigueur et leur assurant une protection. Ces politiques ont aussi une histoire. Dans le cas de la France, du XIXe siècle jusqu’à la moitié du XXe, une politique de « réglementation » était à l’œuvre, avec entre autres l’obligation pour les prostituées d’être inscrites dans un registre de police et de se soumettre à des examens médicaux. La France a ensuite opéré un tournant abolitionniste avec la fermeture des maisons closes en 1946, puis en ratifiant en 1960 la convention abolitionniste de l’ONU de 1949. Mais en réalité, le principal effet de cet « abolitionnisme » a été le développement de la répression des prostituées et non des proxénètes et encore moins des clients.
La question est revenue sur le devant de la scène quand Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a fait adopter la Loi de Sécurité Intérieure (LSI), dont l’article 50 pénalise le racolage passif. Cet article a eu des conséquences très lourdes pour les prostituées qui, face à la répression, ont dû davantage se cacher, avoir recours au proxénétisme et par conséquent subir une violence encore plus importante. D’autres États, en revanche, ont récemment développé des politiques « réglementaristes », basées sur une différenciation, consacrée à la conférence de Bejing en 1995, entre « prostitution forcée » et « prostitution libre ». Les Pays-Bas sont à l’avant-garde de cette position : ils ont mis en place une législation autorisant et encadrant la prostitution, dont l’aspect le plus médiatisé a été la création du « quartier rouge » d’Amsterdam avec les prostituées derrière des vitrines. De façon générale, les législations réglementaristes sont en progrès : l’Allemagne a rouvert les maisons closes, en Belgique une proposition de loi ayant pour but de gérer la prostitution a de plus en plus de soutien notamment parmi la « gauche ». L’Union Européenne, quant à elle, a adopté un décret définissant la prostitution comme une « prestation de service ».
Le mouvement des « travailleuses du sexe » et le réglementarisme militant
Mais les positions régle-mentaristes sont aussi défendues par des militant-e-s et par des prostituées elles-mêmes qui se revendiquent « travailleuses du sexe ». Il s’agit de mettre en place un cadre qui fasse de la prostitution un travail comme les autres et permette aux travailleuses d’exercer dans de meilleures conditions, hors de toute forme de traite, sans pression, sans violence, de ne plus subir de discriminations dues à leur profession. On trouve la formulation de ces revendications dans la « Déclaration des Droits des travailleuSEs du sexe » (6). Cette position et les mouvements qui la défendent sont assez récents et interrogent les positions des organisations féministes et révolutionnaires, qui soutiennent traditionnellement des positions abolitionnistes. Ces mouvements, organisations de « travailleuses du sexe » affirment la possibilité d’une prostitution libre. Le collectif « Les putes » ou le STRASS (7), revendiquent les droits permettant une reconnaissance de ce métier. Leur argumentation repose sur l’idée que les prostituées ne vendent pas leur corps, mais offrent une prestation de service, en utilisant leur corps comme force de travail au même titre qu’une caissière de supermarché. Elles défendent la vente de ces services sur un modèle contractuel où le client et la travailleuse du sexe déterminent d’abord les prestations et leur tarif. Leur but est ainsi de combattre le discours moralisateur qui sacralise la sexualité et fait du sexe une partie du corps différente des autres. C’est sur ces bases qu’en 2006 a eu lieu la « pute pride ».
L’État bourgeois est incapable de protéger les prostituées
Mais il est nécessaire de distinguer les positions « réglemen-taristes » et « abolitionnistes » d’État ou militantes. Si parfois les arguments peuvent se confondre, les positions sont distinctes. De la même manière que la bourgeoisie peut déguiser ses intentions derrière un discours pseudo-féministe, ses différentes politiques concernant la prostitution n’ont pas en réalité pour but de protéger les prostituées. L’État est au service de la classe bourgeoise. Il y a un marché du sexe extrêmement lucratif et donc des intérêts financiers énormes qui profitent à une partie de celle-ci. En revanche, elle peut avoir intérêt à « diversifier son offre » en mettant en avant d’un côté un « travail du sexe » « respectable », rendu admissible par la protection du droit du travail, et en déculpabilisant les « clients » à grand renfort de discours sur la prétendue libération sexuelle — tout en maintenant d’un autre côté une prostitution clandestine basée en grande partie sur la traite. De façon générale, la bourgeoisie est tout à fait capable d’adopter un discours qui se revendique de la libération sexuelle et qui se veuille opposé au puritanisme. Même « à la très respectable université catholique de Louvain, actuellement, il y a un projet de recherche sur la reconnaissance sociale du travail de prostituée qui est financé » (8).
Quelles que soient les positions officielles des États, on ne peut pas attendre de la bourgeoisie qu’elle agisse réellement dans l’intérêt des prostituées. Que les États se revendiquent abolitionnistes ou réglementaristes ne change rien au fait que la bourgeoisie ne s’opposera jamais à un marché qui représente de tels enjeux économiques. Celle-ci est toujours très douée pour donner à ses mesures une image « moderne » si cela lui permet d’accroître son taux de profit. Elle fait ainsi passer la flexibilisation du travail, l’intérim et le temps partiel comme un moyen pour les travailleurs de diversifier leur travail ou d’avoir du temps pour leurs loisirs. On peut voir par exemple comment le prétexte de la liberté sexuelle permet de légitimer la soumission de la sexualité des femmes aux hommes. Cela se traduit pas l’image donnée dans la pornographie qui se veut celle de la femme libérée alors qu’elle fait l’apologie de la domination masculine. Par ailleurs, les effets réels de la réglementation aux Pays-Bas, fer de lance de cette politique, sont très limités : « Aux Pays-Bas, peu de femmes prostituées (4%) se sont déclarées, alors que cette procédure leur ouvre toute une série de droits. L’activité criminelle n’a pas diminué. Au contraire. La ville d’Amsterdam se voit aujourd’hui contrainte de racheter, pour les fermer, les vitrines de son célèbre Quartier rouge. » (9) De plus, comme on peut le lire dans l’article « abolitionniste » paru dans Tout Est à Nous n° 3, un rapport de 2003 montre que la législation hollandaise « n’avait pas supprimé la clandestinité, la stigmatisation sociale, ni les violences ». En effet, les « travailleuses du sexe » étant soumises à des examens médicaux obligatoires, elles n’ont plus le droit d’exercer dès lors qu’on leur diagnostique une MST et retombent ainsi dans la prostitution clandestine sans aucune protection. Par ailleurs, « ce rapport indiquait aussi que les trois quarts des prostituées voulaient suivre un programme pour quitter la prostitution ».
Intérêt et limites du mouvement réglementariste
Le discours des militant-e-s réglementaristes a le mérite de soulever des points pertinents comme la critique d’un certain moralisme emprunt d’idéologie bourgeoise et religieuse dans certains discours abolitionnistes au sujet de la sexualité. Il dénonce de façon pertinente les arguments contre la prostitution dans lesquels transparaît à divers degrés une sacralisation du corps, de la sexualité qui doit toujours plus ou moins découler de sentiments entre les individus. Il montre que le sexe (surtout féminin !), contrairement au reste du corps, est ainsi présenté comme une sorte de cénacle sacré.
Mais il a tendance à tordre le bâton dans l’autre sens, en banalisant le « travail sexuel » au nom de la liberté. Si le réglementarisme, tel qu’il est revendiqué par les « travailleuses du sexe » ou par certaines féministes, pouvait être mis en place grâce à la lutte, serait-il plus juste ? Réglementée, dans des conditions qui protégeraient les travailleuses du sexe, la prostitution reste dans le cadre d’un rapport marchand qui se base sur une domination de genre. La perspective seule du réglementarisme, même « militant », reste réformiste.
L’idée de « libre choix » dans un contexte capitaliste
La liberté invoquée par les militant-e-s réglementaristes est très problématique. Dans l’article présentant l’analyse de la sensibilité réglementariste du NPA, on peut lire : « Certes, une partie des prostituées sont victimes de trafics humains inacceptables ; en ce cas elles sont victimes d’esclavage. Mais ne considérer que cet aspect, c’est aussi négliger une réalité plus complexe de l’univers prostitutionnel et de la condition prostituées : celles (et ceux) pour qui c’est une stratégie de migration pour fuir un pays, une situation économique déplorable et/ou un carcan familial ; celles qui pratiquent cette activité de manière indépendante, plutôt que d’autres activités moins lucratives et plus contraignantes, ou encore celles qui ont choisi cette profession et qui l’assument pleinement… » Mais hormis ce dernier cas qui, s’il est établi, représente une infime minorité, dans quelle mesure s’agit-il de choix ? « Liberté » et « choix » font ici écho à l’idéologie néolibérale qui met sur un piédestal la liberté des individus en masquant la réalité des rapports de force. Marx avait déjà dénoncé cette prétendue liberté à partir de l’exemple du contrat de travail que capitaliste comme travailleur seraient libres de signer. Une analyse de classe montre qu’en réalité la classe capitaliste a le rapport de force pour dicter ses conditions et que les travailleurs, poussés par la nécessité et le crainte du chômage, sont obligés d’accepter. Dans les cas évoqués, la prostitution apparaît bien plus comme un recours ultime que comme un choix réel.
Par ailleurs, Richard Poulin explique comment, par le « rapt, le viol et la violence », on fabrique une « marchandise » en rendant les personnes « fonctionnelles pour cette industrie qui exige une disponibilité totale des corps. Entre 75 et 80% des prostituées ont été abusées sexuellement dans leur enfance. » (10) Laure Fornesse explique que le Collectif féministe contre le viol dont elle est membre a fait une étude montrant le lien entre viol et prostitution à partir des permanences téléphoniques de ce Collectif. Elle explique aussi que les prostituées qui appellent ont très souvent été violées dans leur enfance et que le viol est une technique de recrutement par les proxénètes, associée à des enlèvements ou des séquestrations. « À partir de ces appels nous nous sommes posé plusieurs questions notamment : est-ce que ces appels laissent voir la revendication ou la trace d’une prostitution librement choisie ? Nous n’avons trouvé à aucun moment des revendications d’un statut du travail du sexe ou du droit de disposer de son corps. On a surtout entendu le dégoût du corps, la dévalorisation de soi, et la haine des hommes bien souvent. » (11) Enfin, une fois plongées dans le système la prostitution, il est très difficile d’en sortir. La situation financière des prostituées et les dettes que beaucoup accumulent les découragent de tout autre travail qui ne leur permettrait pas de les rembourser. D’autre part, les réseaux par lesquels sont exploitées une grande majorité d’entre elles ne lâchent pas facilement leur « main-d’œuvre » et, entre autres, utilisent des techniques de destruction psychologique pour les faire renoncer à toute échappatoire.
Cependant il est en soi très positif que les prostituées ou travailleuses du sexe s’organisent, face à la situation dans laquelle elles se trouvent et notamment contre la répression qu’elles subissent. On ne peut être que d’accord avec une partie de leurs revendications que l’on retrouve dans la Déclaration des Droits des Travailleuses du Sexe comme la lutte contre les discriminations dont elles sont l’objet, que ce soit par la police, la justice, les services sociaux ou les services de santé. Nous devons donc soutenir leur lutte et leurs revendications tout en montrant leurs limites, en développant un discours révolutionnaire qui conteste et déconstruise l’idéologie bourgeoise du libre choix.
Quelles perspectives pour les communistes révolutionnaires ?
Il est très difficile de savoir si une forme travail du sexe libre serait possible dans une société communiste. La notion de marchandisation qui actuellement est au centre de la prostitution n’aurait plus cours : par conséquent, quel sens cela pourrait-il avoir ? Le communisme doit signifier la création de rapports sociaux nouveaux, fondamentalement différents et libérés de toute oppression, notamment des oppressions de genre. Peut-on envisager la reconnaissance d’un travail du sexe socialement utile et donc reconnu au même titre que d’autre ? La question peut se poser notamment pour les personnes souffrant d’un handicap tel qu’elles ne peuvent vivre leur sexualité. (Voir ci-dessous le débat sur la question d’un travail du sexe sous le communisme.)
Mais
il ne s’agit évidemment pas de se contenter de penser cette
question pour la société post-révolutionnaire, il faut aussi
trouver les moyens d’intervenir de façon juste ici et maintenant.
Comme dans tous les domaines nous devons réussir à articuler les
revendications immédiates des opprimés avec celles du communisme.
C’est pourquoi il faut évidemment s’opposer à toute politique
répressive vis-à-vis des femmes prostituées comme à la loi LSI
en France. Il faut revendiquer qu’elles aient accès à l’ensemble
des droits sociaux. Nous devons dénoncer l’hypocrisie d’un
système où la prostitution est légale, où celles qui la
pratiquent ont souvent à payer des impôts, mais où elles ne
bénéficient d’aucun des droits sociaux qui reviennent aux
travailleurs. Mais nous devons montrer que l’accès à ces droits
pour l’ensemble des prostituées est contradictoire avec le
système prostitutionnel développé dans le cadre du capitalisme
(traite, tourisme sexuel, pauvreté, mais aussi misère sexuelle et
domination masculine…).
Mais il faut aussi se battre pour un véritable droit à la reconversion des prostituées. En effet, du fait de la violence particulière qui existe dans ce travail, aussi bien physique que psychique, et de la manière dont il est considéré socialement, il est très important de tout mettre en œuvre pour que celles (et ceux) qui veulent changer d’activité le puissent réellement. Cette question pose aussi celle du chômage qui est une des causes de la prostitution. Pour permettre à celles (et ceux) qui le veulent de se reconvertir, il faut poser la question de la répartition du temps de travail.
Par ailleurs la revendication de la régularisation de tous les sans-papiers est ici absolument essentielle, puisque, comme nous l’avons dit, 80% des personnes prostituées sont d’origine étrangère et la plupart du temps sans papiers. Leur régularisation est la condition pour qu’elles puissent ne plus dépendre de la pression et de l’exploitation des réseaux ou de ceux par qui elles ont pu émigrer.
Enfin, il est aussi nécessaire de lutter contre la morale puritaine qui est encore très prégnante dans le domaine de la sexualité (et qui pèse toujours plus lourdement sur les femmes). Il faut mettre en avant l’importance d’une véritable éducation sexuelle qui ne repose par sur un schéma hétérosexiste assimilant sexualité et reproduction, mais qui tienne compte de la pluralité des sexualités. Il est aussi indispensable de se battre pour une meilleure médecine scolaire.
La lutte contre la prostitution doit être comprise dans la lutte globale contre l’oppression des femmes. Il est essentiel de montrer que seule une société libérée de tout rapport marchand, une société dirigée par et pour les travailleurs, pourra mettre un terme à l’exploitation sexuelle des êtres humains, principalement des femmes. Pour les communistes révolutionnaires, la mondialisation de cette exploitation montre encore la nécessité de l’internationalisme.
1) Cf. http://site.strass-syndicat.org
2) Cité dans De Nouveaux défis pour le féminisme, actes du Forum du Collectif national pour les Droits des femmes tenu les 9 et 10 mars 2002, paru aux éditions Le temps des cerises, Paris 2003, p. 228.
3) Le Nouvel Observateur, 12/11/09.
4) Ibid.
5) R. Poulin, op. cit., p. 229.
6) http://www.lesputes.org/declaration.htm
7) Syndicat du TRAvail Sexuel, fondé en 2009.
8) Nadine Plateau de l’Université des Femmes de Bruxelles, De nouveaux défis pour le féminisme, p. 217.
9) Le Nouvel Observateur, 12/11/09.
10) R. Poulin, op. cit., p. 229.
11) Citée dans De Nouveaux défis pour le féminisme, p. 200.