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Contre la bête immonde : la résistance populaire aux États-Unis face à la politique fascisante de Trump

Depuis sa réélection en novembre 2024 et son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump a impulsé la fascisation de l’État américain, s’attaquant aux migrant.e.s et aux minorités, aux droits démocratiques fondamentaux et à toute forme d’opposition organisée. Mais face à cette offensive réactionnaire, la classe ouvrière, la jeunesse et les opprimé·es ne sont pas restés silencieux. Une résistance s’est levée, multiforme, courageuse, encore balbutiante dans ses formes d’auto-organisation mais prometteuse. Le mois d’avril 2025, en particulier, a vu deux grandes mobilisations nationales – les 5 et 19 avril – marquer une nouvelle étape dans cette lutte de classes qui couve sous la surface.
La fascisation en marche
Dès sa prise de fonction, Trump a promulgué une série de décrets exécutifs visant à criminaliser les migrant·es, museler la presse indépendante, limiter les droits syndicaux, et renforcer les pouvoirs de la police et des milices d’extrême droite. Ainsi, dès le 24 janvier 2025, quatre jours après son investiture, Trump a signé les décrets connus sous le nom de « Paquet pour la sécurité nationale et l’ordre public ». Le décret EO-2025-01 a rétabli et élargi le programme "Remain in Mexico", obligeant les demandeur·ses d’asile à rester de l’autre côté de la frontière dans des conditions inhumaines, tout en criminalisant toute organisation leur apportant une aide logistique ou juridique. Le décret EO-2025-03 a ordonné au FBI de surveiller les journalistes et médias « diffusant des contenus subversifs », une formulation floue qui vise en réalité les médias indépendants ou critiques du pouvoir. Plusieurs rédactions ont déjà fait l’objet de perquisitions. En parallèle, le décret EO-2025-05 a suspendu le droit de grève dans les secteurs des transports, de la logistique et de la santé, criminalisant les actions syndicales « susceptibles de nuire à la stabilité nationale ». Enfin, EO-2025-07 a mis en place un programme de « partenariat de sécurité civile » encourageant la formation de milices locales « patriotiques » dotées d’équipements semi-militaires, avec le soutien logistique de la Garde nationale.
L’armée a été utilisée pour disperser des rassemblements pacifiques, par exemple le 22 février 2025, à Phoenix (Arizona), où des milliers de manifestant·es rassemblés pacifiquement devant le Capitole de l’État pour protester contre la loi SB1124 ont été encerclés par des unités de la Garde nationale, déployées sur ordre du gouverneur avec l’aval de la Maison-Blanche – des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et même des drones de surveillance ont été utilisés pour disperser les manifestant·es, faisant plusieurs dizaines de blessés et entraînant plus de 300 arrestations, dont des soignant·es et des enseignants.
De nombreux journalistes ont été arrêtés ou réprimés dans l’exercice de leurs fonctions. Pour ne citer qu’un cas, le 3 mars 2025, lors d’une manifestation à Louisville (Kentucky) contre les coupes budgétaires dans l’éducation publique, trois journalistes indépendants couvrant l’événement en direct ont été interpellés par la police locale. Bien qu’ils aient présenté leur carte de presse et se soient tenus en dehors des affrontements, ils ont été placés en garde à vue pour « obstruction à l’ordre public ». L’un d’eux, Marcus Levinson, reporter pour un média en ligne communautaire, a vu son matériel confisqué et ses enregistrements supprimés. L’arrestation a été justifiée par un décret présidentiel de février 2025 qui autorise l’interpellation de « relais médiatiques complices de troubles civils ».
Plus largement, les médias font l’objet de mesures de censure sans précédent. Par exemple, le 12 février 2025, le décret EO-2025-09 a imposé de nouvelles obligations aux plateformes de médias sociaux pour « garantir la sécurité numérique nationale ». Sous ce prétexte, le gouvernement a exigé que les entreprises comme X (anciennement Twitter), TikTok et Meta suspendent tout compte « incitant à la désobéissance civile ou à la haine de l’État ». Dans les jours qui ont suivi, des milliers de comptes de syndicalistes, de journalistes indépendants, de collectifs antifascistes et de simples utilisateurs diffusant des appels à manifester ont été suspendus sans explication. Des modérateurs internes ont témoigné anonymement que les listes de comptes à censurer leur étaient directement transmises par une « cellule de coordination patriotique » installée au sein du ministère de la Justice. Plusieurs hashtags liés aux mobilisations du 5 avril ont également été bloqués ou invisibilisés par les algorithmes, comme #ResistApril5 ou #NoPasaranUSA.
Des lois locales ont été adoptées dans plusieurs États républicains pour interdire les manifestations « non autorisées » et criminaliser la solidarité avec les travailleur·ses immigré·es. Entre autres, en mars 2025, le Texas a adopté la loi HB 2873, surnommée par ses opposants « la loi bâillon ». Cette loi interdit toute manifestation publique non préalablement approuvée par les autorités locales, y compris les rassemblements spontanés ou les veillées silencieuses. Pire encore, elle prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour toute personne « facilitant une action de désordre civil », ce qui inclut offrir de la nourriture, un abri ou un soutien médical à des manifestant·es. En parallèle, la Floride a voté une loi similaire (SB 901), criminalisant les « réseaux de soutien logistique aux étrangers en situation irrégulière ». Concrètement, cela permet d’arrêter des bénévoles de centres d’accueil, des avocat·es ou même des enseignant·es accusés d’« encourager le non-respect de la loi migratoire ». Ces lois ont déjà conduit à plusieurs arrestations, notamment d’un pasteur à El Paso et d’une infirmière à Tampa, accusés d’avoir hébergé ou soigné des sans-papiers ayant participé à des mobilisations.
Ce que nous vivons aux États-Unis depuis janvier 2025 ne peut pas être qualifié simplement de « dérive autoritaire ». Ce terme, trop vague, laisse penser qu’il s’agirait d’un excès temporaire, d’un abus ponctuel du pouvoir. Or, ce qui est en train de se mettre en place est bien plus profond : c’est un tournant structurel vers une forme de pouvoir autoritaire dur, qui présente des caractéristiques ouvertement fascisantes. Cette fascisation s’appuie de plus sur une politique coloniale (en premier lieu par le soutien direct au génocide et à la colonisation de Gaza mais aussi sur la pression, entre autres, contre le Groenland et le Panama) et une offensive idéologique suprémaciste et masculiniste.
Ce tournant ne repose pas seulement sur la volonté d’un homme — Donald Trump — ni même sur l’action d’un gouvernement isolé. Il s’appuie sur tout un appareil d’État, sur des lois votées par des assemblées locales ou nationales, sur l’inertie ou la complicité des grandes institutions. Le Congrès, en majorité républicain depuis les élections de mi-mandat de 2024, vote les budgets, valide les nominations, et refuse d’ouvrir des enquêtes sur les violences policières ou les atteintes aux libertés. Quant à la Cour suprême, désormais ultra-majoritairement conservatrice, elle légitime ces mesures au nom de la « sécurité nationale », ou d’une lecture étroite et partiale de la Constitution.
Il ne s’agit donc pas simplement d’un effondrement de l’État de droit, mais de sa réorientation vers un projet politique réactionnaire, autoritaire, raciste et profondément antisocial. Un projet qui vise à détruire les contre-pouvoirs populaires — syndicats, presse indépendante, mouvements sociaux — pour garantir aux classes dominantes le contrôle d’un pays en crise.
Certains diront qu’il faut réserver le mot « fascisme » aux régimes du XXe siècle. Mais plusieurs membres de l’équipe de Trump, parmi les plus proches, n’hésitent pas à soutenir ouvertement les partis explicitement fascistes d’Europe, comme les Frères d’Italie de Méloni ou l’AFD allemande, et certains vont jusqu’à faire publiquement des saluts nazis. Et surtout, refuser de nommer ce qui est en train d’advenir, sous prétexte qu’il ne correspond pas exactement aux modèles passés, serait une erreur politique grave. Il ne s’agit pas d’un copier-coller des années 1930, mais d’une mutation contemporaine, adaptée aux réalités du capitalisme globalisé et numérique. Ce « néo-fascisme » avance en costume-cravate, avec des tweets et des décrets présidentiels, mais ses objectifs restent les mêmes : briser les solidarités, diviser les exploité·es, concentrer les pouvoirs entre les mains d’une élite minorité réactionnaire et éliminer toute opposition. De plus, il faut se rappeler que le régime fasciste de Mussolini s’est mis en place progressivement après sa prise du pouvoir, car il avait besoin de tester le niveau de résistance des organisations avant de les liquider. Même Hitler n’a pas imposé d’un coup l’ensemble de ses objectifs à la société et même à l’État allemand, comme le montre notamment le déploiement de sa politique antisémite entre les premières mesures de 1933 et la « solution finale » à partir de 1942. Toutes choses égales par ailleurs, la politique de Trump n’en est qu’à ses débuts, mais sa direction est claire et pourrait mener à un État fasciste complet, quoique encore une fois sous une forme nouvelle, caractéristique du XXIe siècle.
Reconnaître cela, ce n’est pas céder à la panique. C’est, au contraire, le premier pas vers une réponse à la hauteur du danger. Et cette réponse ne viendra pas des institutions traditionnelles, mais des mobilisations de la base : des travailleur·ses, des jeunes, des communautés en lutte, qui s’organisent déjà partout dans le pays.
Le 5 avril : première rupture
Le 5 avril 2025, un vent de résistance soufflait sur les États-Unis, alors que des millions de manifestant·es – entre 3 et 5 millions selon les organisateurs – se sont rassemblé·es dans plus de 1400 localités à travers tout le pays. La mobilisation a été un véritable coup de tonnerre, marquant une nouvelle étape dans la lutte contre l’autoritarisme grandissant sous l’administration Trump. Le mot d’ordre, simple mais puissant, résonnait dans toutes les rues : « No Pasarán ». Ce slogan, héritage de la lutte antifasciste contre les franquistes en Espagne, est devenu un symbole de résistance face à l’oppression et à la répression que tente d’imposer l’actuel gouvernement.
Cette manifestation, à l’initiative de collectifs antifascistes, de syndicats combatifs comme les Teamsters dissidents, de travailleurs de la santé et de la logistique, mais aussi de coalitions de jeunes précaires et de groupes féministes, a rapidement pris une ampleur inédite. À Chicago, plus de 80 000 personnes ont occupé le centre-ville, malgré une interdiction de manifester. À Oakland, les dockers ont débrayé pour la première fois depuis des années, bloquant le port pendant douze heures. À New York, une coordination d’enseignant·es et d’étudiant·es a organisé des blocages simultanés dans plusieurs campus, dénonçant l’épuration idéologique en cours dans les universités. Ce n’était pas seulement une protestation contre un gouvernement, mais une expression collective d’une colère sociale et politique, qui unissait des secteurs très divers, mais unis dans la conviction que la résistance est la seule réponse face au cours fascisant du pouvoir.
La mobilisation a été d’autant plus surprenante qu’elle a été portée par une alliance de groupes et de réseaux qui, bien que partageant une même analyse du danger fasciste, sont parfois très éloignés les uns des autres. D’un côté, les syndicats comme les Teamsters dissidents, qui ont longtemps joué un rôle central dans la défense des droits des travailleurs, ont vu cette journée comme une occasion de réaffirmer leur engagement contre un gouvernement qui cherche à démanteler les protections sociales et à écraser les mouvements ouvriers. De l’autre, des collectifs de travailleurs de la santé et de la logistique, souvent en première ligne dans les combats contre la précarité et les inégalités, ont apporté un soutien déterminant, soulignant les conséquences dramatiques des politiques de Trump sur la vie quotidienne des plus vulnérables.
Les jeunes, en particulier les étudiant·es et les jeunes précaires des quartiers populaires, ont joué un rôle clé dans cette mobilisation. Nombre d’entre eux ont compris que leur avenir se jouait ici et maintenant. Les réformes répressives de l’éducation, la montée des discours haineux et l’attaque systématique des droits civiques les ont poussé·es à se mobiliser massivement. À New York, un groupe d’étudiant·es a lancé une grève générale sur plusieurs campus, fermant les portes des universités pendant plusieurs heures en signe de solidarité avec les travailleurs en lutte et pour dénoncer l’intensification de la répression contre les mouvements sociaux.
La surprise réside aussi dans la diversité des formes de résistance qui ont émergé ce jour-là. Tandis que certains cortèges se sont déroulés dans le calme, d’autres ont pris des formes plus radicales. À Denver, des groupes de manifestant·es ont bloqué les rues, formant des barricades improvisées, tandis qu’à Portland, des actions de désobéissance civile ont été menées pour perturber le fonctionnement des institutions gouvernementales locales.
Dans ce contexte, cette journée n’a pas seulement été un succès en termes de nombre de manifestant·es. Elle a aussi constitué un moment de convergence pour des forces populaires jusqu’alors parfois isolées, mais qui ont trouvé, le temps d’un jour, un terrain d’entente. La mobilisation a démontré que l’opposition à Trump pouvait s’organiser en une véritable force, capable de défier les stratégies répressives de l’État.
Cette mobilisation du 5 avril a envoyé un signal fort : les États-Unis sont loin d’être un pays où les injustices peuvent être acceptées sans réaction. C’était un premier grand pas vers l’unité des luttes, une unité qui pourrait bien s’élargir dans les mois à venir. Ce qui a commencé comme une simple journée de protestation est en train de se transformer en une véritable résistance populaire, dont les racines se sont solidement ancrées dans les quartiers ouvriers, les campus, et au sein des syndicats.
Le 19 avril : convergence et radicalisation
Deux semaines après le 5 avril, la manifestation du 19 avril a franchi un nouveau seuil en termes d'ampleur et de coordination. Ce jour-là, la mobilisation a été d’une intensité remarquable, marquée par des cortèges unifiés dans les grandes villes et une convergence de secteurs sociaux de plus en plus diversifiés. Ce qui était au départ un appel antifasciste et syndical a pris une dimension intersectorielle, avec une participation importante de groupes communautaires, d’organisations de défense des droits civiques et de collectifs féministes et LGBTQ+. Loin de se limiter à une simple protestation contre la politique de Trump, cette journée a incarné une volonté collective de résistance contre un système d’oppression et d’exploitation de plus en plus autoritaire.
À Atlanta, la ville a été quasiment paralysée pendant plusieurs heures, un exemple frappant de ce que peut être la puissance de la mobilisation populaire quand elle réussit à synchroniser les actions de différents secteurs. Dès l’aube, les transports en commun ont été bloqués par des salarié·es, en particulier des conducteurs de bus et des travailleurs du métro, qui ont utilisé leur position stratégique pour stopper le flux de la ville. Ce blocage a été rapidement suivi par des actions dans des lieux clés de la ville : les bâtiments administratifs ont été encerclés par des manifestant·es, empêchant le personnel de pénétrer dans les bureaux et paralysant le fonctionnement de l’administration locale. La solidarité a circulé rapidement, et les manifestant·es ont commencé à organiser des chaînes de soutien : des cuisines populaires ont été installées pour nourrir les plus démunis, tandis que des équipes de medics se sont rendues disponibles pour soigner les blessé·es.
Mais ce qui a marqué cette journée, au-delà de la paralysie logistique, c’est la profonde unité qui s’est exprimée dans les rues. De larges groupes de manifestant·es ont défini clairement la portée de leur lutte : il ne s’agissait pas uniquement de s’opposer à un gouvernement fascisant, mais de défendre une vision alternative de la société, fondée sur la solidarité, l’égalité, et l’unité des opprimé·es. Dans cette optique, les slogans ont résonné fort et clair : « No Pasarán », mais aussi « Solidarité entre les communautés noires, hispaniques et queer », des mots qui ont fait écho à l’histoire des luttes civiles aux États-Unis, et qui ont marqué la journée par leur force symbolique.
Dans les quartiers noirs d’Atlanta, des groupes de jeunes et de militants antifascistes ont participé à des blocages des routes principales, tout en apportant des messages de solidarité à leurs camarades hispaniques et queer. Ces actions ont été accompagnées de chants et de slogans qui revendiquaient l’égalité des droits pour toutes les communautés, en particulier les communautés marginalisées. Les manifestations se sont mélangées à des expressions culturelles propres à chaque communauté, avec des graffitis, des performances artistiques, et des concerts de rap politique qui ont rythmé l’occupation de la ville.
En parallèle, dans d’autres villes comme Chicago, Los Angeles et Denver, des cortèges unifiés ont également fait le lien entre les différents secteurs de la société. Les syndicats de la santé, les collectifs féministes et les jeunes militants se sont joints aux cortèges dans un même élan de solidarité intersectorielle. À Los Angeles, les écoles publiques ont été fermées par la grève générale, et des actions de blocage des centres commerciaux ont eu lieu, coordonnant ainsi la résistance des travailleurs et des étudiant·es.
À Minneapolis, traditionnellement un terrain de luttes sociales intenses, les jours précédant le 19 avril ont été marqués par une organisation sans précédent : des assemblées de quartier se sont auto-organisées pour planifier la mobilisation, et plus encore, pour répondre de manière collective aux tentatives de répression croissante. Le soir du 19, après une répression brutale, les habitant·es du quartier ouvrier North Side ont résisté collectivement, construisant des barricades, défendant un centre social menacé de fermeture. La résistance de ce soir-là n’a pas été seulement un acte de survie, mais un véritable acte politique. Ces barricades, ces actions de défense collective, n’étaient pas seulement une réponse à la répression immédiate, mais une tentative de créer un espace alternatif, une zone de résistance où l’autorité étatique ne pouvait plus s’imposer comme elle l’entendait. Bien que ces actions ne puissent pas encore être comparées aux expériences historiques des soviets ou des conseils ouvriers, elles en portent cependant les germes : une organisation autonome et démocratique, enracinée dans les réalités locales, qui cherche à contester la domination de l’État par la force de la solidarité populaire.
Cette journée a été marquée par un grand sens de l'organisation, avec des groupes de militants qui se sont répartis les tâches, coordonnant les actions en amont grâce à des réseaux numériques sécurisés. La stratégie de coordination entre secteurs, qu’ils soient syndicaux, communautaires ou politiques, a permis de faire converger les luttes et de créer une dynamique de résistance capable de toucher différents aspects de la vie sociale. Les actions étaient à la fois symboliques et concrètes : arrêter les transports, fermer les administrations, perturber l’économie locale, mais aussi envoyer un message clair aux institutions, aux entreprises et à l’État : les travailleurs, les jeunes, et les communautés marginalisées refusent de se soumettre.
Ce 19 avril, la résistance n’était plus une simple opposition, mais une affirmation de ce que pourrait être une société juste et égalitaire, fondée sur la solidarité et l’unité des opprimé·es. C’est cette vision qui a porté la mobilisation, et c’est elle qui a poussé des milliers de personnes à se joindre à cette journée d’action, qui a marqué un tournant dans les luttes sociales et politiques du pays.
Une résistance diffuse mais tenace
La résistance à la politique fascisante de Trump ne se limite pas aux grandes manifestations ou aux actions spectaculaires comme celles du 5 et du 19 avril. Elle prend aussi la forme de luttes quotidiennes, souvent invisibles, mais tout aussi essentielles. C’est une résistance diffuse, qui se déploie dans les rues des quartiers populaires, dans les lieux de travail, dans les écoles et au sein des communautés marginalisées, mais qui n’en demeure pas moins tenace.
À travers tout le pays, des groupes de citoyens et citoyennes se sont organisés de manière informelle pour résister à l’offensive autoritaire. À Chicago, par exemple, des collectifs de sans-abris ont occupé plusieurs bâtiments vacants, afin d’y organiser des espaces d’hébergement et de solidarité, en réponse à la crise du logement exacerbée par les politiques anti-immigration du gouvernement. Dans d’autres villes, des groupes de travailleurs précaires, souvent invisibilisés, ont mené des grèves de la faim pour dénoncer les conditions de travail imposées par les grandes entreprises, qui profitent des politiques de Trump pour exploiter davantage les populations les plus vulnérables.
Les réseaux de solidarité entre communautés ont également joué un rôle clé dans cette résistance plus diffuse. Dans les quartiers noirs, hispaniques et queer, des actions de soutien mutuel se sont multipliées. À San Francisco, des collectifs féministes ont organisé des « soirées de solidarité » pour soutenir les travailleuses immigrées, souvent sans papiers, qui subissent la répression des ICE (Immigration and Customs Enforcement). Ces événements ont permis de collecter des fonds pour des avocats et des ressources juridiques afin de protéger les familles menacées d’expulsion. Simultanément, des comités de quartier se sont mis en place pour organiser des patrouilles de surveillance afin de protéger les communautés contre les descentes des forces de l’ordre.
Ce type de résistance, qui peut sembler petit ou localisé, est en réalité fondamental pour maintenir une pression constante contre le pouvoir en place. Les actions sont souvent menées en dehors des grands centres urbains et des spots médiatiques, mais elles sont cruciales pour conserver le lien social et la cohésion des luttes. Les solidarités entre groupes renforcent cette résistance par leur diversité, qui reflète la pluralité des oppressions subies.
En outre, la résistance diffuse ne se limite pas aux actions physiques. Elle s’étend aussi dans le cyberespace, avec des campagnes de sensibilisation et de dénonciation des abus du gouvernement. Des plateformes de médias sociaux ont été créées pour partager des informations sur les violences policières, les arrestations arbitraires et les détentions illégales. Ce travail de documentation, souvent mené par des activistes locaux, a permis de donner une visibilité aux injustices qui échappent à la couverture médiatique traditionnelle.
Cette résistance persistante, à la fois informelle et décentralisée, est une force du mouvement d’opposition à Trump aujourd’hui. Elle est construite sur des bases de solidarité et d’entraide, et elle parvient à s’adapter aux diverses formes de répression et de criminalisation qu’impose l’État. Les actions, bien que souvent modestes dans leur portée immédiate, ont un impact durable, en nourrissant un sentiment collectif d’opposition et en rendant possible la convergence des luttes à plus grande échelle.
Cette résistance diffuse, bien qu’elle échappe parfois aux projecteurs des médias, est la colonne vertébrale d’une opposition tenace et résolue à l’ordre autoritaire. Elle agit comme une forme de guérilla politique, opérant dans les interstices du système, mais créant, à travers des actions collectives et solidaires, une force de résistance qui, au fil du temps, peut déstabiliser les fondements mêmes du régime en place.
Tâches révolutionnaires : vers une stratégie de résistance pragmatique
Face à la montée en puissance de l'autoritarisme et du fascisme, qui ne concerne pas que les États-Unis, il est crucial de se doter d'une stratégie de résistance concrète et pragmatique, qui s'appuie sur les forces réelles existantes dans la société. Plutôt que d’attendre un renversement brutal du système, À un moment où le renversement révolutionnaire du système est loin d’être possible, il s'agit d'une mobilisation progressive et soutenue qui s’attaque à la fois aux structures de pouvoir immédiates et aux racines profondes du système capitaliste. Voici quelques pistes réalistes et concrètes pour faire face à cette situation :
- Renforcement de l'autonomie locale et de l'organisation communautaire : La résistance effective ne se fera pas uniquement par la rue, mais aussi à travers des formes d'autogestion locale. Il est essentiel d'encourager la création de comités de quartier, de coopératives de solidarité et de groupes de soutien mutuel qui offrent des alternatives concrètes face à la répression. Ces structures doivent être capables d’assurer une protection face aux politiques de déportation, d’organiser des distributions alimentaires pour les plus vulnérables, et de créer des espaces d’éducation populaire pour informer et mobiliser. C’est dans ces espaces que la solidarité réelle se forge et que l’opposition au système devient tangible.
- Lutte sur les lieux de travail : Les syndicats doivent non seulement être des instruments de défense des conditions de travail, mais aussi des lieux de résistance face à l’autoritarisme. Les grèves générales, les grèves de solidarité et les actions syndicales ciblées contre les entreprises complices du régime doivent être intensifiées. Dans les secteurs stratégiques, comme la santé, les transports et l’enseignement, les travailleurs doivent organiser des blocages économiques, là où les rapports de force sont les plus vulnérables pour les élites les dominants. Ce n'est pas seulement une question de salaires ou de conditions de travail, mais aussi de lutte contre l’exploitation systémique alimentée par les politiques fascisantes.
- Renforcement des solidarités intersectorielles : Pour vaincre l'isolation l’isolement et la fragmentation des luttes, il est crucial de renforcer les alliances entre les communautés opprimées : noires, hispaniques, queer, immigrées, et les autres groupes socialement marginalisés. Ces alliances doivent être construites sur des bases concrètes, comme les actions communes de soutien contre la répression, mais aussi par le biais de projets collectifs, tels que des espaces de logement partagé, des réseaux de distribution alimentaire, ou des formations professionnelles alternatives. L’objectif est de construire une force d’auto-défense collective, tout en étant vigilant sur le maintien des actions unitaires face à la diversité des luttes.
- Utilisation stratégique des nouvelles technologies : Face à la censure croissante des médias traditionnels, il est crucial de maîtriser les outils numériques pour l’organisation, la formation et la diffusion d’informations. Des plateformes de communication sécurisée doivent être développées pour coordonner les actions sans tomber sous le contrôle des autorités. En parallèle, des campagnes de sensibilisation et de dénonciation des abus policiers, des détentions arbitraires et des expulsions illégales doivent être menées, en utilisant les réseaux sociaux comme des instruments de résistance à la propagande gouvernementale.
- Actions légales et désobéissance civile : Il est nécessaire de renforcer la résistance juridique contre les lois et décrets répressifs en cours. Des avocats et des collectifs juridiques doivent être formés pour fournir une défense efficace contre les poursuites politiques. En parallèle, les actions de désobéissance civile doivent continuer à se multiplier, en ciblant les symboles du pouvoir : bloquer les accès aux administrations publiques, aux centres commerciaux liés à des entreprises soutenant le régime, et interrompre les événements officiels de l’État.
- Création d’une alternative culturelle et éducative : Pour contrer la domination idéologique du gouvernement, il est fondamental de promouvoir une contre-culture progressiste. Les initiatives artistiques et éducatives doivent se multiplier pour créer des espaces d’expression libre, à l’instar des écoles populaires, des bibliothèques communautaires et des festivals de solidarité. Ces espaces doivent offrir une alternative à la vision conservatrice et réactionnaire diffusée par les institutions et les médias traditionnels.
Ces mesures ne prétendent pas offrir une solution immédiate ou révolutionnaire, mais elles permettent de bâtir une résistance concrète et de préparer les bases d’un changement radical. Par l’accumulation de petites victoires quotidiennes, par la construction de liens de solidarité durable entre les communautés et les travailleurs, il devient possible d’entrer dans un processus de reconstruction de l’espace public et de redéfinition des rapports de force. Ce travail doit être mené avec détermination et dans le respect de la pluralité des luttes, en sachant que chaque action, même modeste, participe à l’émergence d’un pouvoir alternatif capable de contester l’autorité fasciste.
En même temps que ses actions immédiates, il est indispensable d’en appeler à la mobilisation unitaire, au niveau national, de toutes les organisations qui prétendent défendre les intérêts ouvriers et démocratiques, notamment les syndicats de l’AFL-CIO, qui refusent à ce stade d’entrer en lutte contre Trump et sa politique. Il faut qu’ils rompent avec le Parti démocrate, largement responsable, à travers les politiques de Biden et, avant lui, d’Obama, etc., de la situation qui a conduit à la victoire de Trump, notamment par la désindustrialisation et l’affaiblissement de la classe ouvrière. Il est nécessaire que les travailleur.se.s et les opprimé.e.s construisent leur propre parti politique, avec leur propre programme, pour préparer un changement politique radical, une rupture avec l’alternance sempiternelle des républicains et des démocrates.