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AURILLAC 2011 : L’art est une arme de construction massive

Par Lászlo Merville (30 août 2011)
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Le festival international de théâtre de rue d'Aurillac est l'une des plus importantes manifestation d'arts de rue au niveau européen avec plus de 100 000 spectateurs sur 5 jours. Depuis sa création en 1986 par Michel Crespin et grâce et avec les artistes de ce secteur du spectacle vivant, le nombre de compagnies inscrites dans le "in" et le "off" n'a cessé de croître. Cette année, en 2011 il s'élevait à plus de 520 compagnies de France et d'ailleurs.

L"art de rue, qu'il soit théâtre, musique, danse, peinture, etc. est un art qui aujourd'hui doit attirer l'attention des révolutionnaires. En effet c'est l'un des rares domaines artistiques encore relativement indépendant du marché capitaliste. Pas de censure, très peu de médiatisation, pas de production démesurée, pas de salaires mirobolants (la grande majorité des artistes qui y participent sont intermittents du spectacles, c'est à dire précaires). De fait, par sa relative indépendance, l'art de rue est souvent engagé, révolté ; il hurle, il radicalise, et poing levé il gueule et crache sur la société de consommation, la mondialisation et le capitalisme.

En 1938, dans leur essai Pour un art révolutionnaire indépendant, Léon Trotsky et André Breton écrivaient déjà : « L"opposition artistique est aujourd'hui une des forces qui peuvent utilement contribuer au discrédit et à la ruine des régimes sous lesquels s"abîme, en même temps que le droit pour la classe exploitée d"aspirer à un monde meilleur, tout sentiment de la grandeur et même de la dignité humaine » (1)

Les arts de rue nous montrent la voie de cette aspiration à un monde meilleur, et il est donc de notre devoir de nous y intéresser.

Rentré tout juste d'Aurillac, voici deux spectacles engagés qui ont retenu mon attention.

Marx le retour, pièce de théâtre écrite par Howard Zinn

Le premier spectacle est une pièce de théâtre, intitulée Marx le retour écrite par Howard Zinn en 2002 et rééditée l'année dernière juste après la mort de l"auteur : « J’ai écrit cette pièce à une période où l’effondrement de l’Union soviétique générait une liesse presque universelle : non seulement l’« ennemi » était mort mais les idées du marxisme étaient discréditées. […] Je voulais montrer Marx furieux que ses conceptions eussent été déformées jusqu’à s’identifier aux cruautés staliniennes. Je pensais nécessaire de sauver Marx non seulement de ces pseudo-communistes qui avaient installé l’empire de la répression mais aussi de ces écrivains et politiciens de l’Ouest qui s’extasiaient désormais sur le triomphe du capitalisme. Je souhaite que cette pièce n’éclaire pas seulement Marx et son temps mais également notre époque et la place que nous y tenons. » (2)

La pièce, interprétée à Aurillac avec brio en un peu plus d'une heure par Philippe Costes, tente donc de laver le nom de Marx au 21ème siècle en montrant notamment que les rapports de production et les rapports entre les classes n'ont pas vraiment changé depuis le 19ème siècle On retrouve ainsi dans cette pièce théâtrale la théorie expliquée simplement mais clairement selon laquelle dans le système capitaliste il y a inévitablement accumulation de richesses à un pôle de plus en plus restreint et pauvreté de plus en étendue à l"autre pôle. L"auteur s’arrête également de façon très lucide sur l'amalgame que fait volontairement la bourgeoisie entre communisme et stalinisme. Extrait : « Ils prétendent que, du fait de l’effondrement de l’Union soviétique, le communisme est mort. (Il secoue la tête). Ces imbéciles savent-ils seulement ce qu’est le communisme ? Pensent-ils qu’un système mené par une brute qui assassine ses compagnons de révolution est communiste ? Scheissköpfe ! (…) Et ce sont des journalistes et des politiciens qui racontent ce genre de salades ! Qu’est-ce qu’ils ont bien pu faire comme études ? Ont-ils jamais lu le Manifeste qu’Engels et moi avons écrit quand il avait vingt-huit ans et moi trente ? (Il prend un livre sur la table et lit) En lieu et place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, nous devons avoir une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous (…) Vous entendez ça ? Une association ! Comprennent-ils le but du communisme ? La liberté individuelle ! Que chacun puisse devenir un être humain plein de compassion. Pensez-vous que quelqu’un qui se prétend communiste ou socialiste mais se comporte comme un gangster comprenne quoi que ce soit au communisme ? » (3)

La pièce évoque également sur la correspondance Bakounine/Marx, sur la question juive, sur l"impérialisme, la théorie de la plus-value, la Commune de Paris : « La Commune fut écrasée par des chacals, mais elle fut la réalisation la plus importante de notre époque » (4)

L"auteur rappelle entre autres le rôle de la dictature du prolétariat : « Savez-vous ce qu’Engels et moi avons écrit sur les prisons ? Plutôt que de punir les individus pour leurs crimes, on devrait éliminer les conditions sociales qui engendrent le crime, et fournir à chaque individu tout ce dont il a besoin pour développer sa propre vie (…) D’accord, nous avons parlé de « dictature du prolétariat ». Mais ni de dictature du parti, ni de dictature du comité central, encore moins de dictature d’un seul homme. Non, nous avons parlé d’une dictature provisoire de la classe ouvrière. Le peuple prendrait la tête de l’État et gouvernerait dans l’intérêt de tous – jusqu’à ce que l’État lui-même devienne inutile et disparaisse progressivement. » (5)

Le tout est enrobé d'un peu d'humour et d"anecdotes sur la vie de Marx, notamment sur ses rapports avec sa femme et ses filles. Le décor est simple (une table avec quelques livres et journaux posés dessus, une chaise) et la musique (ou plutôt le bruitage) n'intervient que très rarement pour souligner un peu grossièrement des mots, des phrases ou des moments d'intimité ou de révolte.

Cette pièce a été joué 3 fois à Aurillac et a reçu un très bon accueil. Le public était nombreux, composé de jeunes plus ou moins révoltés contre la société et de personnes âgées qui avaient l'air de savoir de quoi on parlait et qui, parfois, pleuraient à la fin de la pièce.

Des extraits de la pièce ici: http://www.myspace.com/calabasse

Spectacle de la compagnie Metalovoice

Le deuxième spectacle ayant retenu notre attention est la création mondiale cette année de la compagnie Metalovoice, compagnie « tête d'affiche » du festival d'Aurillac 2011 et qui a l'habitude de créer des spectacles gigantesques avec un énorme matériel sonore, visuel et instrumental. La compagnie se définit elle-même comme « poésie industrielle ».

« Le monde industriel a depuis deux siècles, créé sa propre dimension, offrant à notre regard une nouvelle échelle d'appréciation. Il est à l'origine de nombreux conflits. C'est de cet univers là que surgissent des problèmes d'exploitation des hommes et des territoires, des exclusions massives, des négligences écologiques (…) Ce monde étant le nôtre, il devient notre source d"inspiration et notre terrain d'action artistique » (Pascal DORES, Conducteur artistique de Metalovoice)

Il y avait environ 6000 spectateurs pour assister à ce spectacle dont le titre est « Viré(e)s vers l'est ». Il rend hommage aux ouvrier(e)s d'usines victimes des délocalisations, licenciements et autre monstruosités capitalistes. Les 7 musiciens et acteurs de Métalovoice habillés en bleus de travail tapent ainsi sur des instruments d"usine (tuyaux en tout genre, carcasses , métaux etc...) pour faire ressortir une rythmique lancinante rappelant les bruits d'usine. Par dessus, un texte est déclamé ou slamé, et est accompagné par un orchestre. Le tout est habillé par une scénographie et une construction énorme alimentée par des vidéos projetées sur écrans géants.

L"ambiance est plutôt noire et lourde mais magnifique et rappelle certains projets artistiques des bolcheviques dans les premières années de l'URSS où l'usine et l"industrie étaient au centre des créations. Le texte d'Eugène Duriff, déclamé par les musiciens, est très profond et rend hommage à la classe ouvrière tout en rappelant qu'elle est en perpétuelle lutte contre la bourgeoisie. Extrait :

« [...] Je suis du pays de l'usine...Je le dis sans fierté, mais je le dis aussi sans effort, car une fois sorti de ce pays, il n'est pas indifférent d'en avoir été l'habitant, il y a comme un savoir qui vous vient dans cette vie là, un savoir que personne ne vous apprend, un savoir, un filtre, un point de vue. Pas besoin de passer par de longues interrogations pour comprendre ce qu'est un rapport de classe, on le sait, intuitivement, on l'a dans le sang. Un exemple ? Quand on rentre à l'école et que pour la première fois, on se retrouve en présence d'enfants de la bourgeoisie, on comprend, immédiatement, tout de suite, sans délai, sans détour, ce qu'est un rapport de classe. On voit des doigts qui se lèvent pour répondre à la question :

- Qui est Molière ? Qui peut donner le titre d'une de ses œuvres ?

Et vous, vous, vos mains sont de plombs, parce que ce mot là, jamais, jamais vous ne l'avez entendu prononcé, jamais.

Molière ?, Quoi Molière ? Qu'est-ce que c'est Molière ?

- Ha ha, celui -là c'qu'il est bête, il ne connaît même pas Molière.

Non, je ne connaissais pas Molière. Et voyez comme la vie est ironique, c'est au milieu de cette ignorance, qu'elle vous enseigne quelques vérités bien sonnées, car enfin, des situations comme cela, c'est un sacré signal, ça vous alerte, ça vous jette de la clarté au visage, on appréhende la géométrie sociale, on appréhende en tout cas la position qu'on occupe dans les rapports de classe, mal classé, très mal classé, heureusement on ne sait pas encore qu'on le sait sinon quel découragement, mais on le sait, on le ressent, on le vit, pas même besoin de souffrir d'une quelconque humiliation, être là suffit, être là, se tenir dans le mutisme, dans l'inculture du pas grand chose, dans leur silence, dans leur vocabulaire basique, et s’apercevoir que l'on parle de sujet, dont on ne dit jamais un mot à la maison et que pour certain le monde n'a pas la même configuration que pour nous ; oui, on le sent, ça brûle, ça s"inscrit dans la chair avant de passer dans le cerveau. Et quand on voit une manifestation dans la rue, on sait, on sait exactement de quel côté on est, même, même si on ne comprend rien aux banderoles et aux cris, même si on est en peine de savoir le pourquoi, même, même si le père, tenaillé entre sa hiérarchie et son appartenance viscérale au monde ouvrier est évasif sur les explications, on le sait ce savoir là, ce sont des racines...Je suis du pays de l'usine, je suis du pays de l'usine... [...] »

Un extrait ici:

Et plus d'informations sur http://www.metalovoice.com/

Outre ces deux spectacles il y avait bien sûr de très nombreuses autres pièces et/ou concerts sans doute très intéressants politiquement mais je ne pouvais évidemment pas tout voir (plus de 500 spectacles par jour pendant 5 jours). Mais ces deux exemples nous montrent déjà que les arts de la rue ne délaissent pas la révolte, bien au contraire, ils ont toujours été à l'avant-garde dans la contestation artistique. Il y a donc de nombreux artistes (souvent de tendances anarchistes mais aussi quelques marxistes) qui sont réellement enragés contre le capitalisme et qui le crient dans leurs spectacles. De plus on le sait, les artistes (et a fortiori les artistes de rue) ont un statut très précaire du fait de leur rattachement pour la plupart à pôle emploi et à la précarité. Ils doivent notamment, depuis les dernières réformes de 2003, travaillés plus en moins de temps pour obtenir leur indemnisation. Du fait de la crise ils doivent également faire face à des restrictions budgétaires de tous cotés, que ce soit pour les aides à la création ou pour l"achat de spectacle par les collectivités. D'autre part, les techniciens et artistes de l'ombre (costumiers, décorateurs, régisseurs etc...) sans qui les spectacles n'existeraient pas, sont de plus en plus touchés par les réformes brutales contre l"intermittence du spectacle et de fait, sont de moins en moins nombreux. Pour toutes ces raisons il faut savoir qu'au festival d"Aurillac par exemple, 95% des artistes présents ont joué gratuitement, sans aucune aide, seulement pour se vendre et se montrer auprès des programmateurs présents. Et le chapeau qui tourne à la fin des représentations est évidemment loin de rembourser ne serait-ce que les frais de déplacements et de logements des compagnies...

En temps de crise, la culture est l'un des premiers domaine que l'on sacrifie au profit des banques et des actionnaires. Les artistes, qui font, pour la plupart, incontestablement partie de la classe exploitée par le capital, seront donc amenés à combattre aux côtés de l'ensemble du prolétariat lors de la révolution. Mais l'un des problèmes principal reste que le militantisme politique est assez rare chez eux car il y a une grande méfiance (compréhensible) envers les partis réformistes, envers la bureaucratie et envers les politiciens médiatisés, tous aussi corrompus les uns que les autres.

C"est donc à nous, communistes et fervents défenseur de l'art indépendant et contestataire d'essayer de gagner les artistes ayant des aspirations révolutionnaires à notre programme pour le renversement du capitalisme. Pour ce faire il nous faut nous intéresser à ce type de spectacles, à ces festivals, à ces créations qui émergent ici et ailleurs, et il nous faut nouer aussi souvent que possible des liens avec les artistes et organiser interviews, échanges, débats avec eux. L"appel crée par Léon Trotsky et André Breton pour rassembler artistes et révolutionnaire est donc plus que jamais d'actualité et mérite d'être relayé dans le monde artistique :

« Ce que nous voulons : l'indépendance de l'art pour la Révolution ;
et la Révolution pour la libération définitive de l'art. »


1) Léon Trotsky et André Breton : Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, 1938

2) Howard Zinn, Préface de l'auteur à la pièce de théâtre : Karl Marx le retour

3) Howard Zinn, Karl Marx le retour, pièce historique en un acte, ed Agone, Paris, 2010

4) Idem

5) Idem

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