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Hong Kong - Tout ce qu’il faut savoir sur les manifestations
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Entretiens de Kevin Lin avec Alexa, Au Loong Yu, Chris Chan, Lam Chi leung, Chun Wing Lee et Student Labour Action Coalition*
Propos recueillis le 18 juin 2019
Le gouvernement de Hong Kong a tenté de faire adopter à la hâte un projet de loi limitant les libertés civiles. Au lieu de cela, il a déclenché un raz-de-marée de protestations, parmi les plus importantes de l’histoire moderne
Le 9 juin, Hong Kong (7,5 millions d’habitants) a été secoué par une manifestation d’un million de personnes contre un projet d’amendement d’une loi en vigueur. Le but de ce texte était de rendre possible l’extradition de suspect·es, depuis l’ancienne colonie britannique vers la Chine continentale, ainsi que vers d’autres pays.
Le gouvernement – présidé par la cheffe de l’exécutif approuvé par Pékin, Carrie Lam – avait insisté sur le fait que les dissident·es politiques et les militant·es ne seraient pas affectés par le vote de cet amendement. Néanmoins, ce projet de texte a déclenché une tempête, enflammant la colère de la population, alors même que le gouvernement s’était empressé de vouloir le faire adopter avant juillet par le Conseil législatif.
Vendredi 14 juin, après des jours de protestations et d’affrontements avec la police, et au milieu de la multiplication d’appels à la grève politique, Carrie Lam a finalement annoncé la suspension de l’amendement.
Samedi 15 juin, quelques heures avant le début d’une autre manifestation massive, le gouvernement de Hong Kong a même présenté ses excuses. Néanmoins, le 16 juin, plus de deux millions de personnes sur une population de sept millions d’habitant·es ont défilé dans les rues. Les manifestant·es exigeaient le retrait pur et simple de l’amendement et la démission de Carrie Lam.
Pourquoi cet amendement a-t-il suscité une telle indignation ? Comment l’héritage du Mouvement des parapluies de 2014 – la dernière grande vague de manifestations à Hong Kong – a-t-il façonné les manifestations actuelles ? Quelles sont les orientations politiques des manifestant·es ? Quelles sont les perspectives d’avenir des mouvements démocratiques à Hong Kong et en Chine continentale ? Pour faire la lumière sur toutes ces questions et bien d’autres encore, Kevin Lin, collaborateur de Jacobin, s’est entretenu avec quelques militant·es et universitaires.
Les mobilisations
Kevin Lin : Quelle est l’importance de l’amendement d’extradition ? Pourquoi a-t-il suscité tant d’opposition à Hong Kong ?
Au Loong Yu : Hong Kong a conclu des accords d’extradition avec vingt pays, dont le Royaume-Uni et les États-Unis, mais pas avec la Chine continentale. Le camp pro-Pékin, ici à Hong Kong et à l’étranger, explique que puisque Hong Kong a des accords d’extradition avec l’Occident, pourquoi ne pourrait-il pas en avoir avec la Chine continentale ?
Dans le cadre de l’accord « un pays, deux systèmes », l’article 8 de la Loi fondamentale stipule que « les lois précédemment en vigueur à Hong Kong (…) doivent être maintenues », ce qui signifie que Hong Kong est protégé du système juridique chinois. Hong Kong, en tant que région spéciale de la Chine, n’aurait pas le pouvoir et la force nécessaires pour résister à la persécution juridique du gouvernement central chinois si le système juridique de Hong Kong n’était pas sanctuarisé. La Chine méprise non seulement l’application régulière de la loi, mais aussi l’indépendance de la justice. Un accord d’extradition entre la Chine et Hong Kong saperait nécessairement les fondements du principe « un pays, deux systèmes ».
Lam Chi Leung L’amendement à la loi sur l’extradition a percuté la plupart des citoyen·es de Hong Kong. Sous le régime du Parti communiste chinois (PCC), les citoyen·es n’ont souvent pas droit à une procédure régulière, ce qui entraîne régulièrement des condamnations injustifiées.
Si cet amendement était adopté, celles et ceux ayant critiqué le PCC, organisé la veillée de Tiananmen chaque année à Hong Kong, aidé des dissident·es chinois, et même les militant·es de Hong Kong ayant soutenu des organisations ouvrières ou de défense des droits en Chine continentale pourraient être considérés comme « mettant en danger la sécurité nationale » et extradés en Chine continentale. Les citoyen·es ordinaires craignent que Hong Kong ne se retrouve dans la même situation que n’importe quelle ville de Chine continentale, où la liberté des citoyen·es peut être remise en cause.
Au Loong Yu Les habitant·es de Hong Kong se souviennent amèrement des attaques contre une librairie qui proposait des livres interdits en Chine. Entre octobre et décembre 2015, cinq propriétaires ou employés de la librairie Causeway Bay Books ont disparu. Entre octobre et décembre 2015, cinq propriétaires ou employés de la librairie Causeway Bay Books ont disparu. Ils ont été arrêtés pour avoir publié des livres sur la vie privée du président chinois Xi Jinping.
Ce qui est alarmant, c’est non seulement que cela viole le principe « un pays, deux systèmes », mais aussi que deux des arrestations étaient extrajudiciaires : deux des libraires, Gui Minhai et Lee Bo, ont été enlevés par des agents chinois, respectivement en Thaïlande et à Hong Kong. Si le système juridique chinois s’améliorait considérablement, il serait alors possible de discuter d’un accord d’extradition avec la Chine. Mais dans les faits, la situation ne fait qu’empirer.
Chun-Wing Lee Un taux de participation si élevé aux manifestations s’explique par le fait que même les personnes pouvant être considérées comme des alliées du gouvernement de Hong Kong n’appuient pas le projet de loi d’amendement. Depuis que Hong Kong a été rétrocédé à la Chine en 1997, le gouvernement chinois exerce de fait le pouvoir à Hong Kong sur la base d’une alliance avec les grands capitalistes et la classe moyenne de Hong Kong. Cette stratégie s’explique par le fait que les principaux bénéficiaires du développement capitaliste de Hong Kong sont enclins à soutenir le statu quo.
Mais tout au long de ces vingt-deux années, la jeune classe moyenne, surtout parmi les professions libérales, est devenue très mécontente : si la crainte que le mode de vie relativement libéral de Hong Kong soit menacé en est une raison majeure, il est indéniable que la hausse du coût de la vie, en particulier du logement, en est une seconde.
Depuis 2003, le gouvernement chinois a tenté de stabiliser cette alliance en augmentant la valeur des actifs à Hong Kong. L’afflux de capitaux provenant de Chine continentale est l’une des causes de la croissance du marché immobilier et du secteur boursier. Cette stratégie du gouvernement s’est clairement retournée contre ses initiateurs, car il est devenu de plus en plus difficile pour les jeunes d’acheter leur propre logement. La jeune classe moyenne et les étudiants sont devenus la pierre angulaire des forces d’opposition à Hong Kong.
Kevin Lin : Alexa, tu étais présente aux manifestations. Peux-tu décrire ce que tu as vu ? Qui sont les manifestant·es, et comment les manifestations sont-elles organisées ?
Alexa Les manifestant·es sont des personnes de tous les horizons, très motivées et pleines d’espoir. Désormais, les participant·es ne sont plus uniquement de jeunes étudiant·es.
Bien qu’il n’y ait pas de leaders formels, les manifestant·es se sont auto-organisés, principalement par le biais de groupes de discussion sur Facebook, Telegram et le forum en ligne lihkg. Ces groupes sont super créatifs, faisant circuler des vidéos dans lesquelles des mimes imitant la propagande pro-Pékin appellent la génération plus âgée de Hong Kong à soutenir leur action. Ils ont créé des événements baptisés « méditation » et « pique-nique » sur Facebook pour inviter les gens à se rassembler à Tamar Park. Certaines personnes ont également créé une page pour appeler les gens à se rendre dans le métro pour y organiser des actions.
Sur les lieux des manifestations de masse, les gens sont organisés et savent de quelles ressources ils ont besoin. Je pense que tout cela a été appris lors du Mouvement des parapluies de 2014. Le niveau élevé de participation civique, ainsi que la préoccupation du développement de Hong Kong, des droits humains et de la primauté du droit sont à leur plus haut niveau depuis 1997.
C’est aussi la première fois de ma vie que je vois des personnes, pour la plupart habituellement silencieuses, exprimer leur colère contre le pouvoir. Elles sont dégoûtées par la façon dont la police a traité des manifestant.es pacifiques. De toute évidence, la police a violé les conventions des Nations unies en faisant un usage excessif de la force.
Kevin Lin : Alors que le Front des droits civiques et humains [Civil Human Rights Front, une coalition d’organisations de la société civile] a officiellement appelé à la manifestation du 9 juin, le mouvement actuel, comme l’a noté Alexa, se présente comme horizontal et sans leader. Que pensez-vous de cet aspect des manifestations ?
Au Loong Yu Bien que le Mouvement des parapluies de 2014 ait été largement spontané, le syndicat étudiant HKFS y avait néanmoins joué un rôle déterminant. Les organisations étudiantes sont maintenant beaucoup plus petites et très fragmentées. Les partis politiques, volontairement ou non, ont également été marginalisés lors de la mobilisation.
Le Civil Human Rights Front a joué un rôle déterminant dans la mise en place des mobilisations des 9 et 12 juin, en premier lieu pour l’obtention des autorisations nécessaires pour manifester et se rassembler. Mais il n’a tout simplement pas la capacité organisationnelle de mener une désobéissance civile massive.
Dans ce mouvement de 2019, nous assistons à la poursuite d’une tendance déjà très visible en 2014, à savoir la forte popularité des actions décentralisées et sans leader. La révolution de la communication rend la coordination beaucoup plus facile maintenant, et l’organisation rigide moins nécessaire.
Il existe une sorte de fétichisme de la spontanéité parmi les jeunes activistes. Beaucoup considèrent tout simplement l’organisation comme superflue ou forcément autoritaire. Même le relativement nouveau parti Demosistō, fondé et dirigé par Joshua Wong, un militant de vingt-deux ans qui a joué un rôle important pendant le Mouvement des parapluies, ne semble pas assez attrayant pour les jeunes actuels.
Aujourd’hui, n’importe qui peut être temporairement un·e leader et appeler à des actions radicales sans avoir auparavant pesé le pour et le contre. Par exemple, le 11 juin, certains petits groupes localistes indépendantistes ont appelé à une « violence proportionnelle contre le gouvernement ». Ils se sont introduits par effraction le lendemain dans l’Assemblée législative et le siège du gouvernement pour empêcher le dépôt du projet de loi d’amendement. Finalement, des centaines de jeunes ont tenté d’entrer par effraction dans l’Assemblée législative le 12 juin, alors que la salle de l’Assemblée législative était vide, car il n’y avait pas de réunion du tout. C’est aussi à ce moment que la police a commencé à tirer des balles en caoutchouc, causant des blessures.
Les luttes sans leader, aussi grandes soient-elles, sont également moins capables d’avoir des discussions approfondies avant d’agir de manière radicale, et encore moins de lutter contre les provocateurs et les agents des gouvernements de Hong Kong et de Pékin. Ceci dit, il faut aussi reconnaître que, pour la première fois depuis des décennies, de nombreuses personnes à Hong Kong ont accueilli favorablement la tentative controversée d’entrer de force dans l’Assemblée.
Kevin Lin : Malgré l’affaiblissement des associations d’étudiants universitaires, de nouveaux groupes sont apparus. L’un des groupes de gauche les plus radicaux, Student Labour Action Coalition, cherche à créer des liens entre les mouvements étudiants et ouvriers, et organise des actions sur le terrain. Pourriez-vous nous parler de votre coalition et de votre participation au mouvement de protestation ?
Student Labour Action Coalition Nous sommes une coalition, fondée en 2017, d’organisations tournées vers le monde du travail, les mouvements sociaux et les syndicats. Nous pensons que les mouvements des salarié·es et des étudiant·es ne peuvent être séparés. Nous nous concentrons sur l’amélioration des conditions de travail dans les universités en établissant des liens entre étudiants et salariés.
Nous avons soutenu le mouvement de protestation en agissant sur le terrain. Le samedi 8 juin, nous nous sommes joints à la marche du syndicat des étudiant·es en travail social de Hong Kong visant à rallier les citoyen·es de Hong Kong à la manifestation du lendemain. Le 9 juin, nous avons participé à la manifestation aux côtés des étudiant·es.
Après celle-ci, nous nous sommes joints aux piquets de grève, et nous avons mobilisé des soutiens pour les actions de grève prévues le 12 juin. Nous avons également encerclé le Conseil législatif pour arrêter ses réunions, parce que celui-ci n’est pas démocratique, et que la plupart de ses membres sont des marionnettes du gouvernement de Pékin.
Kevin Lin : On accuse souvent les puissances étrangères de pousser les mouvements sociaux de Hong Kong à agir, qu’il s’agisse du Mouvement des parapluies ou des manifestations actuelles. Quelle est votre réponse à de telles accusations ?
Au Loong Yu : Les gouvernements de Pékin et de Hong Kong ont déclaré que les manifestations étaient financées par la fondation étatsunienne NED (National Endowment for Democracy).
Il est vrai que la plupart des partis pan-démocrates [pro-démocratie] ont reçu un financement de la NED. Mais il est également indéniable que les grandes manifestations et les affrontements des 9 et 12 juin n’ont pas été appelés par ces partis. Le Civil Human Rights Front est une coalition de plus de cinquante organisations, dont la plupart sont des associations et des syndicats. Les principaux partis pan-démocrates en font partie, mais n’en constituent qu’une minorité.
Le Front a été fondé en 2002, à un moment où les principaux partis pan-démocrates avaient peur de prendre la tête de la mobilisation populaire. C’est précisément à cause de cette histoire que les principaux partis pan-démocrates n’ont pas été dominants au sein du Front. Sans parler du fait que le Front n’a aucune autorité sur les personnes participant à ses rassemblements. Souvent, les jeunes font ce qu’ils veulent lorsqu’ils rejoignent les manifestations.
Hong Kong depuis le Mouvement des parapluies
Kevin Lin : Beaucoup comparent les manifestations actuelles au Mouvement des parapluies de 2014. Lors de celui-ci, des dizaines de milliers de personnes ont occupé les rues principales pendant 79 jours pour protester contre le refus du gouvernement chinois d’autoriser le suffrage universel lors de l’élection du président de l’exécutif hongkongais. Cinq ans plus tard, quelle est votre évaluation du Mouvement des parapluies ?
Chun-Wing Lee Le Mouvement des parapluies a une histoire très complexe. Avant 2014, les dirigeants électoraux des forces d’opposition (appelés pan-démocrates) étaient des libéraux. Les dirigeant·es des mouvements sociaux étaient perçus par la population comme étant politiquement de centre-gauche.
Pour simplifier une histoire extrêmement complexe, l’émergence d’un grand nombre de « nouvelles » personnes participant au mouvement social a dépassé la capacité organisationnelle des partis politiques établis ainsi que des organisations ou réseaux de mouvements sociaux. Pour beaucoup de nouveaux et nouvelles militants, ainsi que de jeunes participant aux mobilisations, les figures et organisations établies manquaient de légitimité. Nombre d’entre eux ont donc adopté ce que nous appelons le « localisme », ou s’opposent à l’idée que l’action collective devrait être dirigée ou coordonnée par des organisations.
La montée du localisme et la méfiance à l’égard des organisations sont, de mon point de vue, les principales conséquences négatives du Mouvement des parapluies. Mais l’expérience d’affronter la police dans les rues en 2014 a clairement renforcé les capacités de nombreux militant·es, et davantage de personnes sont devenues réceptives aux actions radicales de rue. Sans un tel changement, qui est en partie un héritage du Mouvement des parapluies, les manifestant·es n’auraient probablement pas été en mesure d’occuper les zones entourant le Conseil législatif, ce qui a conduit à l’annulation de la séance qui y était programmée.
Au Loong Yu Peu après la fin du Mouvement des parapluies, une vague de démoralisation a déferlé parmi les jeunes qui avaient rendu possible l’occupation du centre de Hong Kong. La plupart des organisations non structurées créées par des jeunes au cours des années précédentes se sont effondrées. Le syndicat étudiant HKFS a subi d’importantes attaques. Il a ensuite été pris en main par des courants localistes xénophobes et s’est finalement disloqué. Le gouvernement de Hong Kong a alors commencé à se venger et à emprisonner beaucoup de militant·es, ce qui a exacerbé la démoralisation.
Grâce à l’action de ce gouvernement, un nouveau cycle de résistance a été relancé par une génération encore plus jeune. Pendant une semaine, même des collégien·es se sont mobilisés par centaines pour s’opposer au projet de loi sur l’extradition.
La génération du Mouvement des parapluies représente une rupture avec la génération plus âgée en termes d’identité culturelle : ses membres sont maintenant davantage susceptibles de s’identifier comme Hongkongais plutôt que comme Chinois. Et derrière cela se cache le lien émotionnel avec Hong Kong qui fait défaut à la génération plus ancienne. Ce qui rend la génération « parapluies » spéciale, c’est qu’elle a commencé à s’engager et à se politiser lorsque le gouvernement a refusé sa demande du suffrage universel. Cette année, le projet de loi sur l’extradition en Chine a politisé une génération encore plus jeune.
Je me souviens que le dernier jour du Mouvement des parapluies, une énorme banderole avait été accrochée qui disait : « Nous reviendrons. » Et cette prophétie s’est réalisée.
Kevin Lin : Comme le note Au Loong Yu, depuis le Mouvement des parapluies, Hong Kong a vu émerger une nouvelle génération de jeunes militants et leaders. Quelle est la composition de cette nouvelle génération de jeunes leaders, et quelles sont leurs revendications et stratégies politiques ?
Au Loong Yu Les partis pan-démocrates ont été discrédités pour leur attitude timide pendant le Mouvement des parapluies. Le vide politique a été rapidement comblé par deux nouvelles forces, à savoir celles qui sont pour l’autodétermination et celles qui sont pour l’indépendance. Il s’agit de forces principalement composées de jeunes.
Les élections législatives de 2016 ont vu la victoire électorale de cinq nouvelles têtes en politique, issues des deux courants susmentionnés. Et cela aux dépens du camp pan-démocrate, dont Lee Cheuk Yan, simultanément dirigeant du Parti travailliste et de la centrale syndicale HKCTU. Le succès de ces deux nouveaux courants montre ques nombre d’électeurs et d’électrices, en particulier de la nouvelle génération, n’acceptent plus la politique trop modérée des pan-démocrates dans leurs rapports avec Pékin.
Yau Wai-ching de Youngspiration et Cheng Chung-tai de Civil Passion sont des localistes soit de droite, soit d’extrême droite. Eddie Chu Hoi Dick, Lau Siu Lai et Nathan Law Kwun-chung (représentant Demosistō) sont légèrement à gauche. La première aile utilise beaucoup d’expressions racistes et xénophobes, non seulement contre le PCC, mais contre toute la population chinoise. Le programme de Youngspiration exige explicitement que celles et ceux qui ne parlent ni le cantonais ni l’anglais, soient exclus de la citoyenneté. (Cela est d’autant plus ridicule que de nombreux résident·es âgés de Hong Kong ne parlent ni l’une ni l’autre des deux langues, mais plutôt les dialectes hakka ou chaochou). Cette première aile vise également à empêcher les immigrant·es chinois du continent de bénéficier des avantages sociaux de base existant à Hong Kong. Civic Passion est bien connu pour inciter à la violence contre les Chinois. Ce n’est pas un hasard s’ils ont peu d’intérêt pour la promotion des droits du travail, ainsi que de la sécurité sociale pour les groupes marginalisés et les minorités. Si ces gens sont radicaux, ils sont radicalement conservateurs.
L’appel de la seconde aile à l’autodétermination n’est lié à aucun sentiment anti-chinois. Eddie Chu a déclaré qu’il est pour une auto-détermination démocratique n’excluant pas, mais au contraire incluant les personnes originaires du continent ainsi que les groupes marginalisés. Leur vision politique est liée à une plateforme sociale incluant les droits des salarié·es, des femmes et des minorités. La politique de ces défenseurs de l’autodétermination n’est cependant pas toujours aussi tranchée. Elle peut parfois faire des concessions aux localistes lorsque ces derniers exercent de fortes pressions sur eux/elles. Il faut aussi ajouter la Ligue des sociaux-démocrates (LSD) à ce camp des partisans de centre-gauche de l’autodétermination. L’ensemble de ce camp a obtenu 15,2 % des voix en 2016.
Lam Chi Leung Depuis le Mouvement des parapluies, le capitalisme hongkongais du laisser-faire a encore accru la pauvreté et les inégalités économiques. Un·e citoyen·e de Hong Kong sur cinq, soit 1,38 million de personnes, vit sous le seuil de pauvreté. Le coefficient de Gini de Hong Kong est de 0,539 – supérieur à celui des États-Unis et de Singapour.
Hong Kong a désespérément besoin d’une force socialiste s’opposant à la fois à l’autoritarisme et au capitalisme. Mais les individus et les réseaux hongkongais se réclamant du socialisme, tels que Left21 et quelques réseaux socialistes révolutionnaires, sont très faibles et ont été encore plus marginalisés face à la vague d’opinions localistes.
Kevin Lin : Les militant·es du mouvement social à Hong Kong ont joué un rôle crucial dans le soutien apporté aux militant·es de Chine continentale au cours des dernières décennies. Ils et elles étaient motivés au moins en partie par l’idée que l’avenir démocratique de Hong Kong dépendra du développement de la démocratie en Chine continentale. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les militants de Hong Kong ont soutenu les militants du continent, et nous dire si l’évolution politique de Hong Kong va porter atteinte à ce soutien ?
Lam Chi Leung Depuis les années 1990, les militant·es de Hong Kong ont toujours apporté leur soutien aux militant·es du continent se battant pour les salarié·es, les droits humains, ainsi que ceux des femmes, des LGBT et de l’environnement. Ils et elles ont contribué au développement des mouvements sociaux et de la société civile.
Les libertés civiles existant à Hong Kong permettent de faire circuler des informations et des analyses concernant les mouvements sociaux en Chine, de promouvoir les échanges intellectuels entre les militant·es de Chine continentale et de Hong Kong, ainsi que d’organiser la solidarité avec la résistance sociale en Chine continentale. De nombreux livres qui ne pouvaient être publiés qu’à Hong Kong ont été apportés en Chine continentale, y compris des écrits d’auteur·es chinois. Des discussions sur les mouvements sociaux ont également eu lieu à Hong Kong.
Avec le contrôle politique croissant du gouvernement chinois sur Hong Kong, ce rôle risque d’être plus réduit. Alors que les contradictions sociales s’intensifient en Chine, le gouvernement chinois sera encore plus vigilant en ce qui concerne l’influence provenant de Hong Kong sur les mouvements sociaux chinois.
Chun-Wing Lee L’un des problèmes posés par la montée du localisme est que parmi les jeunes militant·es de Hong Kong, soutenir le militantisme en Chine continentale peut ne plus être considéré comme nécessaire. La faction extrême du camp localiste soutient même qu’offrir un soutien au mouvement démocratique en Chine continentale est une perte de temps puisque les Hongkongais devraient d’abord se soucier des problèmes à Hong Kong.
Un autre fait nouveau inquiétant est que, en Chine continentale, les médias officiels brossent un tableau suivant lequel la plupart, sinon tous les militants·es de Hong Kong sont favorables à l’indépendance de Hong Kong ou méprisent la Chine continentale. Bien qu’il soit impossible de savoir ce que la population Chine continentale pense réellement, ce que nous voyons aujourd’hui sur les médias sociaux est que les luttes à Hong Kong n’ont gagné que peu de sympathie parmi les « Net-citoyens » de Chine continentale. Depuis que la répression en Chine continentale s’est aggravée, les échanges et discussions entre les mouvements basés à Hong Kong et ceux basés sur le continent sont de plus en plus difficiles.
L’avenir
Kevin Lin : Que pensez-vous du fait que la présidente de l’exécutif de Hong Kong ait mis le projet de loi d’extradition en suspens ? Dans quelle mesure sagit-il d’une victoire ?
Au Loong Yu Carrie Lam n’a fait que suspendre le projet de loi. Elle ne l’a pas retiré, comme l’exigeaient les manifestant·es. Ce n’est donc pas une victoire complète, mais c’est tout de même une victoire partielle. La suspension temporaire du projet de loi est déjà une grande défaite pour Carrie Lam, et cela donne aussi à l’opposition plus de temps pour construire le mouvement. Et comme elle a ajouté qu’il n’existait pas de calendrier concernant une reprise du débat sur ce texte, la suspension de ce projet de loi pourrait durer un certain temps.
Qui plus est, cette année et l’année prochaine sont toutes deux des années d’élections. Il est pour cette raison improbable qu’elle laisse les partis pro-Pékin prendre le risque de perdre les élections en présentant de nouveau le projet de loi au cours de ces deux années. Et l’année suivante n’est pas idéale non plus, parce que c’est la dernière année de son mandat. Si la décision est prise de présenter à nouveau le projet de loi, cette tâche incombera probablement au chef suivant de l’exécutif.
Kevin Lin : Quel est l’avenir de Hong Kong, ainsi que celui des mouvements pour la démocratie et la justice économique ?
Chris Chan Du Mouvement des parapluies aux protestations contre l’extradition, les Hongkongais·es acceptent de plus en plus les actions militantes parce qu’ils/elles constatent que les manifestations et les occupations ne perturbent pas la production capitaliste. Un phénomène important pour la gauche est que, suite aux deux grandes manifestations, la population prend conscience de l’importance des grèves et du rôle des syndicats dans les luttes politiques.
Lors du Mouvement des parapluies, seuls quelques dirigeant·es étudiants ont demandé aux syndicats d’appeler à la grève. Mais pendant le mouvement anti-extradition, des milliers de salarié·es ont demandé à leurs syndicats d’organiser des grèves. Les combats politiques vont continuer à Hong Kong. Si la jeune génération pouvait s’engager dans des actions sur le lieu de travail, ce serait très important pour la gauche.
Au Loong Yu La montée en puissance des deux nouveaux courants de jeunes précédemment mentionnés, ainsi que de la Ligue des sociaux-démocrates (LSD) qui n’est pas si jeune que cela, a reçu un coup d’arrêt sérieux lorsque le gouvernement a démis leurs députés en 2017. Heureusement, une autre nouvelle génération est en train de se former, et elle est en train de prendre les choses en main. Les mobilisations de rue contre le projet de loi sur l’extradition de la Chine sont principalement le fruit de son travail. Cependant, si elle ne parvient pas à développer sa politique dans une direction démocratique de gauche et à surmonter sa fragmentation, elle risque de ne pas être en mesure de se consolider en une force progressiste puissante.
Deuxièmement, l’accent mis sur les actions médiatiques, héritage des pan-démocrates, est encore largement dominant parmi les jeunes militant·es, à tel point que non seulement le travail d’organisation à long terme est souvent négligé, et qu’ils et elles sont indifférents à la situation désastreuse des salarié·es. Il est maintenant beaucoup demandé aux travailleurs de faire la grève, mais cela n’a pas été un succès. Ceux/celles-ci sont simplement traités comme une sorte de « bol de nouilles instantanées » dont il suffirait de passer commande pour que le serveur vous l’apporte immédiatement.
La trajectoire historique de Hong Kong en fait une ville hostile aux valeurs de gauche de solidarité, de fraternité et d’égalité. Une culture de darwinisme social, résultant d’une situation de port franc depuis plus de 150 ans, a pénétré la population à tel point qu’il est difficile pour les forces de gauche de s’y développer. Pour y parvenir, les jeunes militant·es devront commencer à s’attaquer aux problèmes ayant trait aux classes sociales.
Lam Chi Leung En ce qui concerne l’avenir, l’environnement politique à Hong Kong va être plus difficile. La période relativement libérale entre 1997 et 2008 est arrivée à son terme. Le gouvernement de Hong Kong traitera plus sévèrement les mouvements démocratiques et sociaux, en particulier ceux qui reposent sur des actions sur le terrain, en dehors du cadre parlementaire.
Le gouvernement de Hong Kong est rangé du côté de la classe capitaliste et des forces conservatrices. Celles-ci continuent à être hostiles aux droits des salarié·es, aux droits des femmes, aux droits des LGBT et à la répartition équitable des richesses. La population de Hong Kong est soumise à la double oppression du capital bureaucratique chinois et du capital monopolistique hongkongais. Toute réforme économique et sociale se heurte à la réalité du capitalisme autoritaire.
Cependant, depuis la manifestation anti-OMC (Organisation mondiale du commerce) de 2005, la grève des travailleurs de la construction de 2007 et la grève des dockers de 2013, davantage de militant·es se sont éloignés des modèles fragmentés de lutte populaires des années 1990. Ils/elles ont reconnu la nécessité d’une politique de classe pour défier le néolibéralisme. Pour développer cette politique de gauche, nous devons approfondir la discussion autour de questions comme « qu’est-ce qu’une politique de gauche ? » et « que faut-il faire ? », ainsi que clarifier les différences existant entre gauche socialiste, localisme d’extrême droite et nationalisme.
Nous avons également besoin d’une perspective chinoise globale, ainsi que d’accroître les échanges avec les mouvements sociaux et les militant·es de gauche en Chine continentale. Ce n’est qu’en collaborant davantage avec la société civile et les mouvements sociaux chinois s’opposant au capitalisme autoritaire chinois, que la population de Hong Kong aura la garantie d’une véritable démocratie et l’égalité sociale.
Propos recueillis le 18 juin 2019
* Kevin Lin est un chercheur basé aux États-Unis, spécialiste du monde du travail et de la société civile en Chine. Il collabore à la revue étatsunienne Jacobin. Alexa est une militante hongkongaise des droits humains et du monde du travail. Au Loong Yu réside et milite à Hong Kong. Il a notamment participé en 1999 à la fondation de Globalization Monitor, et en novembre 2016 du Borderless Movement. Chris Chan est un ancien militant étudiant hongkongais. Il a participé à la fondation de plusieurs organisations. Il enseigne aujourd’hui la sociologie à Hong Kong et dirige des recherches sur le mouvement ouvrier en Chine. Lam Chi Leung est issu de l’organisation Left21 se réclamant du socialisme. Lee Chun-Wing est également issu de Left21, il anime aujourd’hui le site militant The Owl. Student Labour Action Coalition (SLAC) est une coalition d’organisations étudiantes hongkongaises. Fondée en 2017, elle est tournée vers le monde du travail, les mouvements sociaux et les syndicats. Ces entretiens avec divers militant·es et universitaires, menés par Kevin Lin, ont été condensés, légèrement révisés par l’auteur pour plus de clarté et publiés sur le site étatsunien de la revue Jacobin (). La traduction française de Dominique Lerouge est parue d’abord sur le site web d’Europe solidaire sans frontières (ESSF) :