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Serbie : mobilisation victorieuse contre l’extractivisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Serbie : mobilisation victorieuse contre l’extractivisme – CONTRETEMPS
La récente séquence de mobilisations en Serbie trouve ses origines dans l’opposition au projet Jadar de la multinationale anglo-australienne Rio Tinto. Ce projet gigantesque prévoit la construction d’une mine de minerai de lithium et d’une usine pour son extraction dans la région de Loznica, à l’ouest du pays. Présente en Serbie depuis 2001, le géant minier Rio Tinto avait annoncé en 2004 avoir identifié des gisements de lithium dans la vallée de la rivière Jadar, située à environ 120 kilomètres de Belgrade. La quantité estimée représentait environ 10 % du total des réserves de lithium confirmées dans le monde. Présenté par les autorités comme une formidable opportunité pour le pays, le projet Jadar a immédiatement suscité des critiques, notamment de la part de la population locale. Si, à l’époque, les protestations sont demeurées limitées, principalement en raison de l’enlisement du projet, elles ont récemment repris, en réaction aux acquisitions terriennes de Rio Tinto. En août 2021, il a en effet été révélé que la société possédait déjà 40 % du total des 250 hectares de terres nécessaires au projet. Initiées par les propriétaires de la région qui refusent de se séparer de leurs terres, les manifestations se sont rapidement étendues aux villages de la vallée du Jadar puis, à l’automne 2021, à tout le pays.
C’est dans ce contexte qu’en septembre 2021, le gouvernement serbe a proposé des modifications de la loi sur l’expropriation, afin d’aider Rio Tinto dans ses projets d’acquisition de terrains. La principale modification consistait à élargir le type de projets pouvant être désigné comme d’intérêt public, statut en vertu duquel l’expropriation peut être utilisée comme moyen d’acquisition des terrains nécessaires à la réalisation d’un projet. Selon la loi actuelle, le gouvernement peut déclarer des installations comme étant d’intérêt public dans des domaines tels que l’éducation, les soins de santé ou la culture. La nouvelle loi habiliterait le gouvernement à déclarer d’intérêt public tout projet identifié comme « important pour la Serbie ». Si le dit-projet fait en outre l’objet d’un accord multinational, le projet de loi permet alors l’intervention d’une entreprise privée, responsable de l’expulsion des propriétaires concernés.
En réaction, dès le 11 septembre, des manifestations se sont tenues à travers le pays. A l’instar du mouvement d’opposition à Belgrade Waterfront, un projet de développement urbain passant par la privatisation des berges de la Save et qui a mené à un grand nombre d’expulsions dans le quartier populaire de Savamala à Belgrade entre 2015 et 2018, ces protestations allient le secteur associatif, principalement les associations environnementales et anti-corruption, et différentes composantes du mouvement social, notamment le mouvement anti-expulsions mais aussi divers collectifs féministes ou anticapitalistes.
Céline Cantat
Nous reproduisons ci-dessous l’article du site serbe de gauche Mašina sur le bilan des mobilisations contre la loi sur l’expropriation des terres et le projet de Rio Tinto.
***
Le 8 décembre dernier, lors d’une conférence de presse extraordinaire, le président serbe Aleksandar Vučić a déclaré qu’il avait décidé de renvoyer la loi sur l’expropriation à l’Assemblée nationale. Il a admis que la loi ne réglementait pas la question de manière adéquate, qu’elle proposait des délais trop courts pour les recours et qu’elle avait été élaborée sans débat public. Le gouvernement de Serbie avait auparavant retiré la loi sur l’expropriation de la procédure parlementaire et proposé des amendements à quatre articles de la loi sur le référendum.
« Toutes les demandes de protestation du peuple ont été satisfaites », a déclaré Vučić, annonçant qu’un large débat public sur le contenu de la nouvelle loi sur l’expropriation serait organisé, avec l’intention de parvenir à un large consensus public.
Les organisateurs de la manifestation célèbrent une victoire, mais ils annoncent également de nouveaux blocages. Le retrait de la loi sur l’expropriation et de la loi sur le référendum étaient en effet les deux principales revendications des blocages du 4 décembre, auxquels, selon les organisateurs, environ 135 000 personnes à travers la Serbie ont participé. De son côté, se référant aux protestations des jours précédents, Vučić a déclaré qu’environ 35 000 personnes y avaient pris part. Certains des organisateurs ont déclaré qu’ils étaient satisfaits des résultats de cette campagne, tandis que d’autres ont annoncé qu’ils allaient poursuivre les protestations.
Les représentants du collectif Kreni-promeni [Allez Changer] ont annoncé sur les réseaux sociaux que, si les promesses de Vučić se concrétisent, ils n’appelleront pas à de nouveaux blocages et célébreront la victoire sur les places des villes de Serbie. Le collectif Environmental Uprising [Soulèvement environnemental] a toutefois déclaré de son côté que les protestations et les blocages se poursuivraient jusqu’à la suspension du projet Jadar [cette suspension a effectivement été annoncée le 23 décembre par la société Rio Tinto] :
« Cher.e.s ami.e.s et camarades, il s’agit d’une victoire importante pour les citoyen.ne.s, car nous avons forcé le gouvernement à renoncer à des lois prédatrices en descendant dans la rue – tout comme nous avons, au cours des derniers mois et années, arrêté le projet de centrale hydroélectrique à Stara Planina, freiné la destruction de Bara Reva [réserve naturelle dans les environs de Belgrade] et fait barrage à la loi sur l’eau. »
Cependant, « nous sommes encore loin de la victoire finale », conclut leur communiqué, qui précise qu’Environmental Uprising appellera à la poursuite des manifestations et des barrages routiers si le conseil municipal de la ville de Loznica ne prend pas de décision sur la suspension du projet Jadar du plan spatial lors d’une session qui doit se tenir au plus tard le 15 décembre 2021 [la municipalité a effectivement annoncé la suspension de ce projet à la date indiquée].
Le mouvement Don’t Belgrade D(r)own [Ne laissez pas Belgrade tomber/se noyer : coalition de collectifs belgradois mobilisée contre le projet Belgrade Waterfront] a annoncé que le retrait de la loi sur l’expropriation, ainsi que les amendements annoncés à la loi sur le référendum et l’initiative populaire, sont un grand succès pour les citoyen.ne.s, mais que seul un changement de gouvernement peut être considéré comme une véritable victoire. Le communiqué du mouvement souligne que « la seule façon de traiter ces problèmes, mais aussi la seule façon dont nous pouvons être sûrs que des projets tels que ceux de Rio Tinto, Ling Long ou de Čukaru Peki seront arrêtés, est de changer ce gouvernement et de placer des personnes ayant l’intérêt public à l’esprit aux postes de décision les plus importants ».
Immédiatement après la dernière manifestation, un désaccord est apparu entre les organisateurs sur l’opportunité d’élargir la liste des revendications. Alors que Nebojša Zelenović de la Plateforme civique ouverte Action et les représentants d’Environmental Uprising étaient favorables à l’exigence d’une renonciation claire au projet Jadar, Sava Manojlović de Kreni-promeni a le plus vigoureusement défendu la thèse selon laquelle il fallait s’en tenir aux revendications initiales.
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Illustration : Atlas des conflits pour la justice environnementale,