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Le capital fictif est vraiment fictif
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le capital fictif est vraiment fictif - CONTRETEMPS
L’économiste Jean-Marie Harribey discute le livre d’Ernest Lohoff et Norbert Trenkle : La grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l’Etat ne sont pas les causes de la crise (éd. Crise & Critique, 2024 [2014]).
Deux auteurs du courant Wertkritik (critique de la valeur), Ernest Lohoff et Norbert Trenkle, viennent de voir traduit leur ouvrage publié pour la première fois en Allemagne en 2012, La grande dévalorisation, Pourquoi la spéculation et la dette de l’État ne sont pas la cause de la crise (Albi, Éd. Crise & critique, 2024), assorti d’une « Postface à la deuxième édition française ».
Ce courant « critique de la valeur » s’est fait connaître depuis une quarantaine d’années par son interprétation de l’évolution du capitalisme contemporain et de sa crise, en se réclamant de Marx tout en s’écartant profondément des analyses des marxistes traditionnels. Les principaux ouvrages de ce courant ont été publiés par le groupe Krisis et des auteurs comme Robert Kurz, Anselm Jappe et Moishe Postone[1].
L’un de leurs thèmes de prédilection est le travail. Sur celui-ci, Marx a laissé une analyse complexe mettant en évidence sa double dimension : d’une part, une dimension anthropologique dans la mesure où l’être humain doit toujours produire ses conditions d’existence, et, d’autre part, une dimension socio-historique car le travail est toujours accompli dans un cadre précis de rapports sociaux qui sont variables dans le temps et l’espace : ainsi, dans le capitalisme, le rapport social fondamental est celui du travail salarié pour le capital.
Les auteurs de la Wertkritik excluent toute caractéristique anthropologique et transhistorique au travail qui serait uniquement spécifique du capitalisme et de la modernité. Puisque, dans ce cadre, le travail et l’être humain lui-même sont soumis à la marchandisation générale, c’est-dire à la loi capitaliste de la valeur et au travail abstrait, alors les catégories de travail et de valeur ne concerneraient que le capitalisme. Tous ces auteurs en concluent que la crise du capitalisme est fondamentalement une crise de la loi de la valeur.
Le Graal du capital
C’est de ce point que partent dans leur livre Ernest Lohoff et Norbert Trenkle pour proposer une nouvelle interprétation du moment financier de la crise que nous connaissons. Résumer ce livre très dense de 400 pages est une gageure : disons en commençant pour simplifier que, selon Lohoff et Trenkle, le capitalisme entre en crise par l’éviction progressive de la force de travail du processus productif matériel, sapant ainsi selon la théorie marxiste la base même de la production de valeur et donc du profit.
Selon les auteurs, la crise actuelle a commencé avec l’épuisement du fordisme et dont les capitalistes ont tenté de sortir par ce qu’on appelle couramment la financiarisation de l’économie, mais qu’ils préfèrent qualifier d’« industrie financière » (p. 175 et suiv.) : « le gonflement de capital fictif représente une forme spécifique d’ajournement de la crise » (p. 151). Mais cette économie « est programmée pour l’autodestruction », parce que c’est « un système de la production de richesse capitaliste qui est intenable » (p. 12-13).
Disons d’emblée, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, notre accord complet avec les concepts de Marx, notamment de valeur, d’exploitation de la force de travail, de suraccumulation et de capital fictif. Mais l’utilisation de ces concepts par les deux auteurs nous paraît contestable. Et la virulence des propos à l’encontre de leurs collègues économistes marxistes comme Elmar Altvater (p. 295, note 4), François Chesnais (p. 195, 295), Mario Candeias (p. 196), Michael Heinrich (p. 129, note 36 ; p. 136-137, note 51, p. 213, note 23) ; p. 149) ou Michel Aglietta (p. 56, 295) ne vaut pas démonstration. Ouvrons donc la discussion.
Le cœur de l’analyse de Lohoff et Trenkle porte sur le capital fictif. Ce concept, longuement développé notamment dans le Livre III du Capital désigne ce que Marx appelle le « capital porteur d’intérêt » et dont les titres de propriété circulent sur les marchés financiers à la recherche du meilleur rendement. On y trouve les titres financiers représentant le capital immobilisé dans les entreprises (actions et obligations) mais aussi les titres de la dette publique que sont les bons du Trésor et autres obligations d’État.
Mais ce qui est décisif pour Marx, c’est que les revenus tirés de la détention de ces titres sont une rente qui n’est qu’une fraction de la plus-value produite par la force de travail. En aucune façon, il n’y a de génération spontanée de valeur sur les places boursières. Il s’ensuit que, globalement, le capital ne peut pas s’accumuler par le simple jeu financier.
Dans la grammaire de Marx, le passage de A à A’ plus grand ne peut s’exonérer macroéconomiquement du passage par la marchandise force de travail M. L’enrichissement individuel de tel ou tel financier (même non spéculateur) n’invalide en rien la règle précédente. D’ailleurs, Keynes en avait conclu (lui qui disait n’avoir jamais lu Marx tout en le dénigrant) que tous les porteurs de titres ne pouvaient liquider ceux-ci en même temps. Le capital financier qui tourne à toute vitesse sur les marchés est donc fictif.
À première vue, on pourrait penser que Lohoff et Trenkle aurait pu adhérer pleinement à cette vision et que justement, leur « grande dévalorisation » ne peut être empêchée par la prolifération de ce capital fictif. Or, ce n’est du tout cela qu’ils nous disent : « Alors que le tout-venant des marchandises incarne, comme résultat du travail privé passé, de la valeur effective, les titres de propriété incarnent une anticipation de valeur future.
Dans le rapport entre créancier et emprunteur, émetteur et acquéreur d’actions, surgit ainsi une sorte de richesse capitaliste qui n’est en aucune façon moins réelle que la variante de la richesse capitaliste fondée sur l’exploitation effective du travail vivant. » (p. 168, je souligne en italique). Où est le problème ? Il est dans le passage de la première phrase de cette citation à la seconde. C’est ainsi que, tant que l’anticipation de valeur ne s’est pas traduite par la réalisation monétaire de la valeur des marchandises, elle n’est que fiction. Au sens propre des mots, la fiction n’est pas réelle.
C’est ce que Marx exprime par sa célèbre métaphore du « saut périlleux de la marchandise ». Les auteurs ont beau citer (p. 168-169, note 9) un passage du Livre III du Capital : « Pour le capitaliste industriel, cet excédent de valeur représente la valeur d’usage de la force de travail. De même, c’est sa capacité à créer de la valeur et de l’accroître qui est la valeur d’usage du capital prêté. » (je souligne), ils ne sont pas convaincants et on pourrait même dire, à leur décharge, que Marx aurait mieux fait d’écrire : « sa capacité à faire créer de la valeur », pour ne pas que s’installe insidieusement l’idée que reprennent les auteurs : on peut « faire avec de l’argent davantage d’argent » (p. 21), sous-entendu à l’échelle de l’ensemble de la société.
Et les auteurs croient pouvoir dire que Marx « a certes emprunté ce chemin, mais il ne l’a pas suivi jusqu’au bout » (p. 170). Comment les auteurs poursuivent-ils alors ? En distinguant deux types de marchandises : « les marchandises d’ordre 1 » qui sont celles qui sont produites par la force de travail dans l’industrie capitaliste, et les « marchandises d’ordre 2 » qui « peuplent les marchés monétaires et de capitaux » (p. 169). D’où viennent ces dernières ? « De la transformation du capital-argent en une marchandise propre et autonome [qui] modifie le mode de fonctionnement du système de la richesse abstraite et par là le mouvement de l’accumulation capitaliste » (p. 170). Il s’ensuit, selon les auteurs, que
« quand un propriétaire de capital-argent donne une certaine somme d’argent contre la promesse écrite qu’il recevra ultérieurement une somme d’argent augmentée, cela ne provoque pas seulement l’apparition d’une nouvelle marchandise, le titre de propriété en question, négociable sur le marché financier ; cette marchandise augmente la richesse capitaliste alors existante car, à travers elle, du capital supplémentaire s’est formé, qui n’existait pas encore avant l’acte d’échange. » (p. 180, souligné par les auteurs[2]).
Si l’on comprend bien, le capitalisme touche donc le Graal : il peut accumuler sans fin puisqu’il lui suffit de créer des titres financiers. Le miracle des petits pains d’argent s’accomplit :
« Toute relation de crédit va de pair avec un second devenir-capital dont les implications sont demeurées largement estompées dans le débat marxiste. L’ancien trésor ne se transforme pas en capital dans les seules mains de l’emprunteur, pour autant qu’il agisse en tant que capitaliste en fonction ; du côté du prêteur, également surgit du capital. Pour avoir donné la somme de départ, il reçoit un droit au remboursement de la somme augmentée ; l’argent prêté acquiert ainsi une seconde existence. À côté du capital-argent de départ se tient le capital fictif comme son reflet autonomisé. En tant que crédit accordé à un capitaliste en fonction, les 100 000 euros arrachés à la léthargie n’augmentent en aucune façon le stock de capital de l’ensemble de la société de seulement de 100 000 euros, mais immédiatement de 200 000 euros. » (p. 187, je souligne).
Pour les auteurs, la période post-fordiste est celle pendant laquelle « le système capitaliste mondial retrouva le chemin de la croissance en multipliant la capitalisation anticipée de valeur encore non produite » (p. 296). « C’est seulement à ce prix que le système capitaliste mondial retrouva dans les années 1980 et 1990, sous l’égide du néolibéralisme, le chemin de la croissance. » (p. 303). C’est-à dire au moment où, au contraire, s’est amorcé le lent déclin des taux de croissance de la productivité du travail et des PIB…[3]
Le Graal est une fiction
Parvenu à ce point, nous devons nous interroger sur la pertinence de cette thèse. Et ce sont les auteurs eux-mêmes qui ébranlent l’échafaudage qu’ils avaient construit.
« Sous la forme d’actions, de titres de créance et d’agent de crédit, la création de valeur encore à réaliser, donc future, se transforme d’avance en capital social supplémentaire et c’est précisément ce « capital fictif » qui augmente la richesse totale capitaliste actuelle. » (p. 401).
Donc le futur qui n’est pas encore là est quand même là. Et les auteurs ne craignent pas les voltefaces ou les contre-pieds :
« Mais l’acquéreur d’un titre de propriété ne peut acheter le droit de disposer de cette richesse du vendeur qu’il faut encore créer que s’il met en contrepartie dès aujourd’hui à disposition de l’entreprise en fonction, du propriétaire immobilier ou de l’État, du capital argent pour leurs opérations dans le monde de la marchandise d’ordre 1 » (p. 206).
« Le transfert dans le présent d’une richesse future est absolument lié à une ressource présente – et c’est là que le bât blesse. La capitalisation anticipée de valeur ne devance nullement un futur général et indéterminé ; bien plus, de nombreuses attentes de rendement particulières sont capitalisées, qui doivent se rattacher à des acteurs particuliers concrets. L’idée que ce capital fictif serait issu du « néant » peut être extrêmement populaire, mais elle est absolument fausse. Le néant n’est pas du néant. Tout comme la formation de valeur, la capitalisation anticipe de valeur doit être saisie comme un rapport social spécifique. Chaque capital fictif particulier résulte du rapport social que nouent l’acquéreur et le vendeur d’un titre de propriété. Mais ce rapport n’a lieu que dans des conditions tout à fait déterminées : l’acquéreur d’un titre de propriété doit pouvoir croire à la capacité de remboursement futur de son vis-à-vis. » (p. 349-350).
Ce qui très surprenant dans cette thèse, c’est que, d’un côté, les auteurs sont fidèles au modèle basique de Marx selon lequel il n’y a de valeur que si elle est destinée à l’accumulation du capital et réciproquement il n’y a d’accumulation que par production de valeur qui provient du travail, de l’autre, ils soutiennent que
« la clef conceptuelle pour saisir l’époque du capital fictif, la compréhension de ce que, du point de vue de l’ensemble de la société, l’accumulation du capital et la valorisation réelle peuvent également se séparer l’une de l’autre – et elles se sont largement séparés dans les dernières années – entre en collision avec les présupposés théoriques fondamentaux de la doctrine économique, toutes tendances confondues. » (p. 294).
Les deux surprises de cette thèse sont, premièrement, l’abandon implicite de la théorie de la valeur-travail, et, deuxièmement, les théoriciens néoclassiques adorateurs de la fécondité du capital sur les marchés financiers pourraient s’y reconnaître. Car, que rabâchent tous les propagandistes de la retraite par capitalisation qui, soi-disant, échapperait aux contraintes démographiques ?
Il se pourrait que la confusion naisse d’une mauvaise compréhension de la création de monnaie par le crédit.
« Le crédit direct [de particulier à particulier] a enrichi la société capitaliste d’un capital fictif d’un montant de seulement 100 000 euros, tandis qu’à travers l’intervention de la banque ce sont 200 000 euros qui sont en jeu. Si d’autres capitalistes financiers s’interposent entre le prêteur originel et l’emprunteur final, la chaîne de crédits s’allonge et à l’emplacement de chaque maillon surgit un nouveau descendant du capital d’origine. […] Aussi longtemps qu’un nouveau titre de propriété existe, c’est-à-dire qu’il n’a pas été réalisé ni dévalorisé, il augmente, selon la logique capitaliste aberrante, la richesse sociale existante, non seulement sur le papier, mais également dans la réalité. Pour ce qui regarde le capital supplémentaire, il s’agit certes de capital fictif ; mais en ce qui concerne sa fonction dans l’économie globale, il ne diffère en rien, dans un premier temps, d’un capital résultant d’une valorisation réelle. Tout comme celui-ci, il peut être dépensé pour stimuler la production de marchandises d’ordre 1. » (p. 188-189).
À notre sens, la contradiction du raisonnement se situe ici : dès l’instant où le crédit est utilisé pour investir dans un cycle de production de marchandises qui réussissent à se vendre, les titres de créances ne sont plus du capital fictif, et leur rendement sera un prélèvement sur la plus-value. Donc, à ce stade du raisonnement, il conviendrait de définir la « fiction » pour éviter le quiproquo concernant sa confusion avec la réalité.
S’il est indéniable que, dans la période néolibérale, on a assisté à un emballement du crédit, celui-ci s’est traduit moins par une stimulation de la production que par celle de la spéculation et des bulles financières. « Les bulles crèvent régulièrement – et elles doivent crever – quand il s’avère qu’elles ne possèdent aucune substance économique réelle » (p. 315), écrivent les auteurs.
Aussi, comme une bulle est, par définition, une fiction, il faudrait en déduire qu’elle n’enrichit ni la société, ni même les spéculateurs, hormis ceux qui réussissent à liquider leurs titres dans la phase d’expansion de la bulle. Tout le reste n’est qu’illusion sur la prétendue efficience des marchés chère aux néoclassiques ou bien sur sa sœur presque jumelle, l’accumulation de richesse grâce aux marchés financiers défendue par la Wertkritik.
Les auteurs ajoutent que « avec l’augmentation du prix de revente d’un titre de propriété déjà en circulation, on crée également du capital fictif supplémentaire. L’envol du cours des actions fait même partie des formes les plus importante de la multiplication de capital fictif » (p. 185, note 7). Mais comment l’augmentation de ce capital fictif née de l’envolée boursière peut-elle être considérée comme une accumulation selon le critère même avancé par les auteurs : celui d’un pouvoir d’achat qui peut être dépensé ?
Or pour que cela soit possible, les titres doivent être liquidés, et donc cesser d’être du capital fictif. Et il faut donc que la forme monétaire de ce capital-argent ait été retrouvée, car dans la multiplicité des transactions qui font changer x fois les titres de mains, aucune monnaie nouvelle n’est créée. Il y a donc là un point de désaccord profond qui ne porte pas pour ce coup sur Marx, mais sur ce qu’est la définition même de la création de monnaie.
Pour que les choses soient claires, autant le crédit bancaire crée de la monnaie et donc du capital prêt à s’employer, autant le carrousel entre les mains des financiers qui se transmettent les titres ne crée aucune monnaie, l’apparence de capital supplémentaire qui « surgit » – pour reprendre le terme des auteurs – n’est en l’occurrence que de la pure fiction, un fantasme du bourgeois qui croit que sa propre spéculation et celle de ses congénères additionnées les unes aux autres vaut quelque chose macrosocioéconomiquement et enrichit tous les membres de sa classe simultanément sans avoir besoin de force de travail.
Lohoff et Trenkel donnent crédit à ce fantasme en écrivant : « L’existence de marchandises d’ordre 2 offre au capitaliste financier particulier une solution de rechange pour accroître son capital, qui le dispense d’acheter et d’exploiter de la force de travail. Mais également du point de vue de l’ensemble du capitalisme – et là est le clou –, l’accumulation de richesse capitaliste et l’amassement de travail mort passé ne coïncident plus. » (p. 193-194). Ce que contredisent les auteurs eux-mêmes en faisant de la capitalisation anticipée de valeur future une « exploitation de travail à venir » (p. 203).
Que les auteurs nous pardonnent de remarquer que c’est l’utilisation de travail vivant et non pas mort qui nourrit l’accumulation en cours. Et, au lieu de dire que « les marchandises d’ordre 2 mettent en œuvre le tour de force qui consiste à capitaliser par anticipation de la valeur future non encore engendrée » (p. 199), les auteurs auraient dû dire : « le tour de force qui consiste à parier sur l’anticipation d’une capitalisation de la valeur future ». En termes simples, prendre ses désirs pour la réalité n’a pas toujours un effet performatif.
Peut-on sauver la thèse de Lohoff et Trenkle par l’idée « qu’il faut distinguer conceptuellement […] l’accumulation de capital et celle de la valeur, et que la critique de l’économie politique contient tout à fait la possibilité, au niveau de l’ensemble du capitalisme, d’une accumulation détachée d’une exploitation préalable du travail » (p. 196) ? Cette distinction n’est logiquement possible que si on a rompu l’identité accumulation Û valeur, ce qui serait contraire à la définition même de la valeur[4].
La métaphore champêtre et bucolique ne sauve pas la thèse :
« Le résultat du travail social, qu’il soit ou non un jour exécuté, représente ainsi, déjà dans le présent, un élément de la richesse sociale. Dans la nature, les poiriers doivent d’abord fleurir avant de porter leurs fruits quelques mois plus tard. Et avant la récolte, il faut en outre assurer la plantation et la croissance des arbres. Avec les marchandises d’ordre 2, la flore miraculeuse du capitalisme a produit une espèce chez laquelle l’ordre chronologique marche sur la tête. Les fruits existent, prêts à être cueillis et consommés, avant que le poirier ne fleurisse, avant même que le plan n’ait pris racine. » (p. 200).
Non, aucun fruit ne sera cueilli macroéconomiquement par le seul jeu du casino financier. Lohoff et Trenkle introduisent une subtilité pour se dégager de ces contradictions : ils distinguent le capital fictif couvert (celui qui est engagé dans une production réelle) et le capital fictif découvert (celui correspondant à des activités non productrices de valeur, comme les crédits à l’État ou à la consommation) (p. 322). À quoi sert alors le concept de « capital fictif couvert » si celui-ci n’est pas vraiment fictif ? À quoi sert l’ajout de « découvert » si le « capital fictif découvert » est vraiment fictif ?
« Maintenant, il ne s’agit évidemment pas d’affirmer ce faisant la validité de l’approche théorique, selon laquelle il va de soi que le capital-argent enfante par lui-même du nouveau capital-argent » (p. 192).
« Le capital fictif est l’expression et le résultat du rapport entre l’acheteur et le vendeur d’un titre de propriété. Son émergence a pour arrière-plan la valeur d’usage particulière de la marchandise capital, et pour contenu la capitalisation anticipée de la valeur future, l’exploitation de travail à venir. […] En fin de compte, la formation de capital fictif est toujours corrélée à la formation de capital en fonction supplémentaire. […] L’acquéreur d’un titre de propriété ne peut acheter le droit de disposer de cette richesse du vendeur qu’il faut encore créer que s’il met en contrepartie dès aujourd’hui à disposition de l’entreprise en fonction, du propriétaire immobilier ou de l’État, du capital argent pour leurs opérations dans le monde de la marchandise d’ordre 1. » (p. 203-205-206) [5].
On ne saurait mieux terminer : l’exploitation de la force de travail, comme condition nécessaire et suffisante de l’accumulation du capital[6]. Et « en réalité l’autonomisation des marchés financiers n’est jamais que relative. […] Si l’autonomisation est relative, c’est parce qu’elle ne peut pas exister sans rapport réflexif à l’économie réelle. » (p. 217).
Retour sur le travail
Pour comprendre comment de tels tête-à-queue théoriques sont possibles – tantôt l’accumulation de capital est une accumulation de valeur, tantôt ces deux accumulations sont différentes, tellement la valeur du capital fictif est « irréelle » (p. 209) – nous émettons l’hypothèse qu’il y a une mauvaise appréhension du travail aujourd’hui, dont il risque de résulter les défauts conceptuels rencontrés jusqu’ici sur la valeur et le capital fictif.
L’hypothèse introductive de Lohoff et Trenkle est que la force de travail a été évincée du processus productif et qu’elle devient « marginale » (p. 46, 128, 147, 225, 262, 277, 400) dans la période dite néolibérale. Par différence, disent-ils, avec une « expansion absolue de la masse de la valeur au cours du boom fordiste de l’après-guerre » et « le progrès vertigineux de la productivité [qui] eut pour conséquence une hausse très rapide du taux de survaleur » (p. 55). Or, dans cette période dite fordiste d’après-guerre, les parts respectives de travail et du capital sont restées relativement stables en Europe occidentale, c’est-à-dire que les salaires et la productivité progressant grosso modo parallèlement, le taux de plus-value restait à peu près stable.
C’est dans la phase néolibérale que le parallélisme précédent fut rompu et que le taux de plus-value grimpa. C’est là une première entorse à la réalité des faits, en plus de celles à la théorie[7]. Les auteurs pensent que « Les frais engendrés par la fabrication et la mise en place des « biens publics » constituent une déduction de la masse de valeur sociale globale » (p. 275). Or, si l’Etat construit un hôpital, d’une part, de la richesse réelle est créée, et, d’autre part, des revenus supplémentaires sont versés aux agents privés qui construisent.
La force de travail est-elle évincée du processus productif de valeur ?[8] En première approximation, regardons les statistiques réunies par l’Organisation internationale du travail : mise à part la période du Covid, l’emploi augmente dans le monde.
OIT, « Emploi et questions sociales dans le monde, Tendances 2022 », BIT,
Certes, toute la population active n’est pas employée par le capitalisme. Et c’est d’autant plus vrai dans les pays en développement. Au sujet de ces derniers, le Bureau international du travail note :
« Même en Afrique australe et en Afrique de l’Est, les sous-régions les moins dépendantes des ressources, la croissance s’est dans l’ensemble accompagnée d’une création d’emplois dans les secteurs des services à faible productivité. Dans ces deux sous-régions (et en Afrique centrale, où l’élasticité de l’emploi par rapport à la croissance était relativement élevée en 2010-2019), les élasticités de l’emploi ont été bien plus élevées dans les services que dans l’industrie ou l’agriculture. En outre, les élasticités de l’emploi très élevées (supérieures à 1,0) dans le secteur des services indiquent un déclin de la productivité du travail, ce qui signifie qu’une grande partie des emplois créés l’ont été dans des activités à faible productivité. »[9]
Quand Lohoff et Trenkle parlent de la diminution de la quantité de travail employée par le capitalisme, d’une part, ils assimilent montée du chômage et « contraction de la masse de valeur » (p. 94), en ne voyant pas que le chômage peut augmenter en même temps que l’emploi salarié ; d’autre part, ils ne considèrent que la quantité de travail employée « dans les secteurs clefs de la production de valeur, à savoir essentiellement le secteur industriel » (p. 60, 142,143, 278, 289, 334 note 35). Les auteurs ont conservé la conception qui prévalait à l’époque du manuel d’économie politique sous Staline, où seul le travail dans le secteur industriel était considéré comme productif de valeur, tous les services étant dits improductifs, même les services marchands. Trois remarques peuvent être faites.
Premièrement, et c’est le point qu’on peut admettre avec les auteurs, l’augmentation de la productivité du travail est toujours plus forte dans l’industrie que dans les services ; or, comme la part des services est devenue majoritaire dans les économies du monde entier, il y a là une des raisons de la tendance à la diminution générale des gains moyens de productivité depuis plus de vingt ans.
Deuxièmement, la matérialité des marchandises n’a rien à voir avec la production de valeur et c’était déjà le point de vue de Marx, à l’encontre de celui de Lohoff et Trenkle (p. 107, 218, note 19). Les services marchands sont un terrain sur lequel le capital est investi et dégage une plus-value produite par les travailleurs.
Malheureusement, les auteurs considèrent que lorsque l’État privatise des entreprises publiques, cela « n’a pas d’influence directe sur le volume de la production de valeur » (p. 303), ce qui ne manque pas d’étonner quand on voit la frénésie avec laquelle le capital veut tout privatiser. Les auteurs disent à raison qu’au cours du « boom fordiste », la production de valeur a été étendue « en dépit de la hausse de la productivité » (p. 86), mais ils oublient que c’est au cours de cette période que la production de services marchands a commencé à croître très rapidement : « le capitalisme des services, disent-ils » est dépourvu de tout fondement » (p. 111), ou encore : « une grande partie du travail dans le secteur tertiaire, qui a toujours été alimenté uniquement par la bulle sur les marchés financiers » (p. 150).
Or, la croissance de l’emploi dans le secteur tertiaire au XXe siècle est due à bien d’autres causes structurelles réelles, comme la hausse de la productivité dans l’industrie et l’agriculture, et l’externalisation des services à l’intérieur même des entreprises industrielles.
Troisièmement, le marxisme traditionnel est traversé par une discussion à laquelle Lohoff et Trenkle, comme l’ensemble des auteurs de la Wertkritik, restent imperméables. Au cours du XXe siècle, s’est développée une sphère monétaire non marchande, donc non soumise à l’exigence de valorisation du capital. Pour les auteurs marxistes traditionnels comme pour ceux étudiés ici, ce secteur est alimenté par une « ponction de survaleur » (p. 60, 247).
Or, ce secteur ne produit pas de valeur et de plus-value pour le capital, mais il produit de la valeur au plein sens économique qui s’ajoute à la production marchande et qui ne lui est donc pas soustraite. Seules les ressources humaines et matérielles sont soustraites à l’appétit du capital et ne peuvent servir à le valoriser (le mettre « en valeur »). Cela est rendu possible par la validation politique, et non pas via le marché, de faire produire du soin non marchand, de l’éducation non marchande, etc.[10] Les impôts et cotisations sociales ne sont pas prélevés sur le fruit du seul secteur marchand mais sur un PIB déjà augmenté de la production non marchande[11].
Quand Marx récuse la matérialité du produit comme critère du travail productif, c’est pour faire de la validation sociale par la vente de la marchandise sur le marché l’élément décisif du caractère productif du travail. Ainsi, ce qui est validé, c’est l’inscription des forces de travail dans la division sociale du travail. Ce qui est nouveau aujourd’hui à une bien plus grande échelle que du temps de Marx, c’est que les luttes sociales ont forcé le système à admettre une validation politique (et non pas marchande) du travail productif dans l’école non marchande, dans le soin non marchand, etc.
La question de la validation sociale est centrale pour définir le travail productif. Et Lohoff et Trenkle le disent eux-mêmes (p. 40, 176) mais l’oublient quand ils répètent que les impôts sont « ponctionnés sur la production courante de valeur » (p. 53, 240, 275) sous-entendu marchande, mais pour eux l’ajout de cet adjectif « marchande » n’aurait pas de sens puisque toute valeur l’est. Or l’espace monétaire dépasse l’espace marchand.
Autrement dit, toute valeur est monétaire, mais la réciproque n’est pas vraie : toute valeur monétaire n’est pas valeur marchande. Les auteurs font la distinction entre inflation sur les biens de consommation qui « représente une forme de dévalorisation » (p. 95) car le pouvoir d’achat diminue et inflation sur les actions et titres financiers qui représente une « valorisation de capital, parce que l’argent ne fait pas que se conserver ; il s’accroît aussi longtemps que l’accumulation de titres de propriété se poursuit » (p. 96). Tantôt les auteurs parlent de valorisation du capital, tantôt d’accumulation de capital fictif : « Le gonflement des marchés financiers ne représente aucunement un frein à l’accumulation du capital réel » (p. 103).
Il faut maintenant examiner un point de méthode qui occupe une place importante dans le livre de Lohoff et Trenkle à propos de la mesure de la productivité du travail, en commençant par la critique du fameux paradoxe de Solow (« on voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité »). L’essentiel de l’argumentation des auteurs consiste à souligner que le calcul de la productivité dans les services est arbitraire, tandis que la hausse de la productivité dans les secteurs manufacturiers reste très importante quand on la mesure en quantité de matière par heure de travail (p. 114).
Mais si l’on veut mesurer l’évolution moyenne de la productivité dans tous les secteurs (même si on se contente de l’industrie) on est obligé de passer par une quantification monétaire de la production et il n’y a là aucune raison de s’en offusquer. L’idée que « toute tentative de représenter la croissance de la productivité dans des termes monétaires est dès le début, et fondamentalement, vouée à l’échec » (p. 117) revient à raisonner dans une économie en nature, de troc, où la monnaie n’existe pas[12]. Il sera alors difficile de parler de capital.
En outre, les auteurs se livrent à un raccourci méthodologique qui se révèle être faux :
« L’heure de travail social, c’est-à-dire la norme temporelle qui définit la mesure de la valeur, se trouve redéfinie : la valeur de chaque marchandise particulière d’une branche productive diminue, parce qu’elle représente maintenant, par rapport au standard social, moins de temps de travail abstrait. Mais cela ne veut pas dire que la valeur de l’heure de travail social change. Celle-là ne diminue ni n’augmente, elle reste toujours identique. » (p. 115).
Or, cela est contredit par le concept même de travail abstrait, c’est-à-dire de temps de travail socialement nécessaire validé, qui change toujours à moyen et long terme. En effet, comment mesurer la valeur de l’heure de travail social, sinon par la valeur monétaire de la productivité horaire du travail, soit la valeur ajoutée nette divisée par le nombre d’heures de travail vivant au cours d’un cycle productif, dont le résultat est l’équivalent monétaire de l’heure de travail social ?
De plus, les auteurs accusent la théorie économique dominante de compter dans la création de valeur mesurée par le PIB les actions et les titres de créances (p. 158, 165). Personne ne dit cela, les titres financiers sont censés représentés une valeur de stock, alors que le PIB est une somme de flux.
Le raisonnement des auteurs peut encore être éclairé par la vision de l’émergence de la Chine dans la chaîne de valeur capitaliste mondiale. À propos de ce pays, ils écrivent : « Le boom de cette région [la Chine] n’a jamais reposé sur sa propre base, et il fut toujours dépendant de l’expansion globale du capital fictif. Il n’existe par conséquent aucun fondement pour une poussée d’accumulation qui se nourrirait elle-même, comme cela fut le cas lors du boom fordiste de l’après-guerre. » (p. 145). La Chine capitaliste n’accumulerait-elle donc pas de capital réel ?
La réponse est donné par les auteurs : « L’accumulation de titres de propriété ne peut remplacer long terme la réelle production de valeur. » (p. 336).
S’il ne fallait retenir qu’une chose de ce livre à la fois théorique et stratégique, ce serait cette dernière idée. Elle n’a pas besoin pour s’imposer d’une abondance d’allers et retours entre fiction et réalité. Le fait qu’il faille toujours un porteur pour le capital pour que celui-ci puisse prétendre à se transformer un jour en véritable argent suffit à détruire, à notre sens, l’idée que la possession de titres constitue une véritable accumulation présente de valeur-capital.
L’imbroglio politique déclenché par l’arrivée au pouvoir de Donald Trump a provoqué un gros affaiblissement des valeurs boursières sur toutes les places du monde, et la presse a titré : « Vent de panique à Wall Street : Plus de 6 000 milliards de dollars de valorisation boursière ont disparu en deux jours »[13]. Ce qui a « disparu », c’est une part de la fiction antérieure. La croyance contraire fait partie du fétichisme de l’argent.
Notes
[1] Krisis (Groupe), Manifeste contre le travail, Lignes-Manifeste, Paris, 2002.
Robert Kurz, Lire Marx, Les principaux textes de Marx pour le XXIe siècle, Paris, La Balustrade, 2004, Uge, 10/18 ; La substance du capital, préface d’A. Jappe, Paris, L’Échappée, coll. « Versus ».
Amsel Jappe, Les aventures de la marchandise, Pour une nouvelle critique de la valeur, Paris, Denoël, La Découverte, 2003 ; La société autophage, Capitalisme, démesure et autodestruction, Paris, La Découverte, 2017.
Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale, Paris, Mille et une nuits, 2009.
On peut ajouter aussi des auteurs assez proches comme Antonio Negri, Michaël Hardt et André Gorz, notamment par leurs analyses sur le capitalisme cognitiviste. Pour une critique, voir Jean-Marie Harribey, « Le cognitivisme, nouvelle société ou impasse théorique et politique ? », Actuel Marx, n° 36, septembre 2004, p. 151-180, ; La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, ; Enquête de valeur(s), Vulaines sur Seine, Éd. du Croquant, 2024.
[2] Par la suite, si je ne précise pas les soulignés, c’est qu’ils sont des auteurs.
[3] À la décharge des auteurs, lors de la première édition de leur livre en 2012, la connaissance de la baisse des gains de productivité était moins documentée qu’aujourd’hui, bien que cette baisse fut déjà amorcée. Mais, dans leur Postface à l’édition 2024, ils ne modifient pas leur constat.
[4] Nous mettons de côté ici notre propre thèse selon laquelle il y a dans la société production de valeur destinée à l’accumulation de capital et production de valeur dans les services non marchands, non destinée à l’accumulation du capital, et qui s’ajoute à la valeur marchande ; voir plus loin.
[5] Voir aussi p. 293.
[6] On peut se souvenir que Nobuo Okishio (« A Mathematical Note on Marxiam Theorem », Weltwirtishaftlliches Archiv, 91-2, p. 287-299, 1963) et Micjio Morishima (Marx’s Economics, Cambridge, CUP, 1973) avaient appelé cette condition nécessaire et suffisante « le théorème marxien fondamental ».
[7] Les auteurs commettent un erreur en définissant le taux de plus-value : « Le taux de survaleur, c’est-dire la part relative de survaleur rapportée à la masse sociale globale de valeur, augmenta certes continûment, à la suite des diverses vagues de rationalisation, mais cela s’effectua de plus en plus au détriment de la masse absolue de valeur, qui fut soumise à un procès fondamental d’épuisement du fait de l’éviction de la force de travail » (p. 262). Or le taux de plus-value rapporte celle-ci au capital variable (les salaires). Ce dont parlent les auteurs est en réalité la part des profits dans la valeur ajoutée.
[8] On peut s’étonner que Lohoff et Trenkle se réfèrent souvent à Jeremy Rifkin, auteur d’un best-seller La fin du travail, Paris, La Découverte, 1996, mais qui a été totalement démenti jusqu’ici.
[9] OIT, « Emploi et questions sociales dans le monde, Tendances 2022 », op. cit., p. 49.
[10] Les auteurs ne distinguent pas parmi les dépenses publiques celles qui permettent de créer de nouvelles richesses et celles qui administrent : « Tant que l’État finance ses dépenses au moyen des seules recettes fiscales courantes, il extraie de la vie économique privée de la richesse déjà existante. Si les dépenses de l’État augmentent, alors la richesse monétaire disponible pur les acteurs privés diminue. Si, par contre, l’État finance à crédit ses dépenses en hausse, alors il effectue une ponction, sur la richesse capitaliste future. » (p. 247). Or, si l’Etat construit un hôpital, d’une part, de la richesse réelle est créée, d’autre part, des revenus sont versés aux agents privés.
[11] Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit. ; Enquête de valeur(s), op. cit. ; « Dans les services monétaires non marchands, le travail est productif de valeur », La Nouvelle Revue du Travail, n° 15, 2019, .
[12] Les auteurs font aussi une critique des méthodes statistiques de calcul de prix hédoniques pour isoler les effets de volume et de qualité des produits, mais elle n’invalide pas le principe d’une évaluation monétaire. Pour un détail technique sur ce point, voir Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit., chapitre 8.
[13] Arnaud Leparmentier, Le Monde, 6 et 7 avril 2025.