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Les robots volent-ils nos emplois ?

Par Julien Varlin (17 septembre 2016)
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Toute une série d’articles de presse reprennent régulièrement ce thème vendeur des « robots tueurs d’emplois » : « Les robots, le chômage et les emplois de 2030 » (France Info, 10/05/2015), « Robots au travail : 3 millions d’emplois menacés en France d’ici 2025 » (La Voix du Nord, 25/05/2016)… En même temps, d’autres vont insister sur les nouveaux emplois créés (ingénieur-e-s, technicien-nes…) et soutenir qu’il n’y a pas de crainte à avoir : « Des centaines de milliers d’emplois créés par la robotique » (Monster, 16/04/2015), « La vérité sur les robots destructeurs d’emplois » (Slate, 06/06/2016).

Ce que l’on dit aujourd’hui des robots n’a rien de nouveau, on l’a dit des ordinateurs et plus généralement des machines, dès les débuts de l’économie capitaliste. C’est d’ailleurs le principal argument de ceux qui assurent qu’il n’y a pas de conséquence sur l’emploi : sur le long terme, regardez donc, il n’y a pas de « fin du travail ». En dehors de ce constat plus ou moins vrai empiriquement, peu d’explications sont apportées. Ici on va évoquer la « destruction créatrice » de Schumpeter, on va se permettre de transposer la loi de Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »

Dans le Capital, Karl Marx réfutait déjà (1867) la « théorie de la compensation » de ces « économistes bourgeois [qui] soutiennent qu’en déplaçant des ouvriers engagés, la machine dégage par ce fait même un capital destiné à les employer de nouveau à une autre occupation quelconque ». Soyons clairs : à niveau de production égal, les machines et l’automatisation diminuent bien le temps de travail nécessaire en augmentant la productivité, c’est précisément pour cela que les entreprises les introduisent.

Si nous n’assistons pas à une augmentation linéaire du chômage depuis deux siècles, c’est parce qu’il y a un autre facteur qui contrebalance la productivité : la croissance. Pour le dire simplement : on ne s’est pas contenté de produire toujours plus efficacement les objets que l’on produisait déjà au 19e siècle, on a créé d’innombrables nouveaux secteurs, à un rythme plus ou moins soutenu (taux de croissance). Décortiquer ce moteur capricieux qu’est la croissance capitaliste, c’était justement la tâche que Marx se donnait dans le Capital.

La croissance a certainement des conséquences positives en mettant à disposition des biens utiles pour la population. De ce point de vue, certains biens manquent encore cruellement à des milliards d'êtres humains (logement avec eau courante, électricité et chauffage central, congés payés, nourriture suffisante et saine, transports, moyens de transports et soins de santé accessibles...). Simultanément, la croissance est déséquilibrée et inégalitaire, conduit dans les pays riches à un consumérisme aliénant, et impose un coût écologique non soutenable en termes de consommation d'énergie et production de déchets.

Faire l’impasse sur cette dimension spécifiquement économique débouche à coup sûr sur des explications techniques réductrices, comme croire que c’était la chaîne de production fordiste qui créait des emplois (ce qui a été dit et répété au sujet des années 1920, des « 30 glorieuses »…). Quoi qu’il en soit, même si elle n’offre pas d’explication globale, dans une période de stagnation durable comme les années 1930, ou comme l’époque actuelle, l’équation « automatisation = chômage » est relativement correcte.

Par ailleurs, on pourrait tout à fait imaginer que l’automatisation conduise à travailler tou-te-s et travailler moins. Dans les années 1970, un collectif détaillait comment on pourrait « travailler 2h par jour ». On voit pourtant à quel point nous en sommes toujours loin. La logique de profit maximal conduit plutôt les capitalistes à se débarrasser des salarié-e-s « excédentaires » et à continuer de faire travailler les autres autant (voire leur demander davantage). On voit là encore que l’impact social de l’automatisation dépend du système économique dans lequel elle se développe.

Comme unique moyen d’éviter une crise sociale majeure, les politiciens prient sans cesse pour le retour de la croissance, et dès qu’ils en ont l’occasion ils y sacrifient nos intérêts (compression des salaires, flexibilisation / précarisation…). Par ailleurs, même au ralenti, la croissance incontrôlée du capitalisme dans certains secteurs suffit à nuire aux écosystèmes et à empêcher tout ralentissement sérieux de l’effet de serre.

Certain-e-s parlent de privilégier les secteurs les plus gourmands en main d’œuvre, par exemple la petite industrie au lieu de la grande, au nom de la « sauvegarde de l’emploi ». On peut remettre en question certaines industries (nucléaire, pétrolière…) pour de bonnes raisons, mais ce serait une impasse et une voie bien peu souhaitable que de chercher par principe à abaisser la productivité.

Partant de ce constat, beaucoup en viennent à penser qu’il faut un changement social, pour ne pas subir la raréfaction des emplois, mais au contraire en profiter. Ainsi, beaucoup des défenseur-ses du revenu de base inconditionnel s’appuient sur la robotisation pour déduire la nécessité d’une redistribution des fruits de la technologie, ce qui est une préoccupation juste.

D’un point de vue marxiste, ce n’est pas seulement au niveau de la distribution des richesses qu’il faut poser la question, mais au niveau de leur production. C’est-à-dire se réapproprier les moyens de production. C’est la condition pour pouvoir sortir des équations piégées du capitalisme (croissance ou chômage, machines ou emplois), laisser les robots voler les emplois que nous voulons leur laisser, et maîtriser démocratiquement l’économie : assurer un revenu universel, réduire fortement le temps de travail en mettant fin au chômage, décider de ce qui est produit, des secteurs qui doivent croître ou qui doivent décroître...

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