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Meeting unitaire : «En France la peine de mort est abolie mais pas la mise à mort»
« Une réalité nouvelle se fait jour » ponctuait le porte-parole de la CGT-Info’Com dans son intervention finale ; exprimant ainsi un « tournant » constaté par l’ensemble des actrices et acteurs de ce meeting : la répression policière, l’exercice de la violence physique et directe par les représentants des « forces de l’ordre », s’applique désormais de façon large à toute personne manifestant son mécontentement – même pacifiquement – face au gouvernement et aux capitalistes. Une réalité largement éprouvée quotidiennement, et cela depuis des décennies déjà, dans les quartiers populaires ou plus généralement par les personnes non-Blanches.
Ce jeudi soir, deux mondes séparés se sont rencontrés dans un amphithéâtre aux briques rouges flamboyantes de la fac de Tolbiac à travers un meeting mettant au centre la dénonciation de ces violences, leur usage disproportionné et systématique. D’un côté des jeunes, des étudiant-e-s, des syndicalistes, mobilisé-e-s contre la loi travail au printemps dernier, de l’autre des militant-e-s de l’antiracisme politique, des proches ou parent.e.s de victimes des violences policières.
Lutter ensemble contre toutes les violences d’Etat : une nécessité
Le meeting s’est ouvert sur l’intervention d’Amal Bentounsi, fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine » et sœur d’Amine Bentounsi, tué par un policier d’une balle dans le dos en 2012. Amal Bentounsi est revenue sur l’assassinat de son frère avec émotion, lâchant également quelques larmes. Elle a remarquablement rebondi dans le partage de sa peine, permettant à l’amphi de l’accompagner, en évitant pathos et lourdeur dans l’ambiance. Elle a surtout annoncé le lancement d’un « Observatoire national des violences policières » pour donner plus de visibilité à ce problème. Cette initiative portée par les familles de victimes se veut plus large que le collectif « Urgence, notre police assassine », un aspect important pour mobiliser au-delà du milieu militant. L’observatoire sera constitué à partir de recensements déjà effectués par de nombreux collectifs et de recueils de témoignages volontaires et un appel a été lancé aux jeunes dans l’amphi pour qu’ils et elles y participent.
Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré mort au début de l’été dans une caserne de gendarmerie, a ensuite pris la parole. Assa Traoré a témoigné de l’importance du soutien que recevait sa famille qui leur permettait de face à la justice et aux mensonges qui leurs sont opposés, que cela leur donnait le courage de tenir et de ne pas baisser les bras. Contre le permis de tuer de la police, le silence et les mensonges de l’Etat devant ces crimes, elle a appelé à un soulèvement général, non seulement des quartiers populaires, mais aussi des autres, pour se battre « tous ensemble ». Dans ce sens, l’objectif pour la famille d’Adama est la mise en examen des gendarmes qui l’ont tué, et pour cela il faudra une mobilisation forte et large. Elle a aussi annoncé la création d’une association que la famille d’Adama a déposée en son nom, ayant pour but d’accompagner des jeunes comme Adama, pour qu’ils puissent construire un avenir, ce qui passe forcément par un soutien pour leur accès au droit et à la justice.
Guillaume Vadot, professeur à la Sorbonne et militant du NPA, s’est exprimé ensuite, passant rapidement sur les faits de violence policière dont il a lui-même été victime quelques jours auparavant à Saint-Denis. Conscient qu’en tant qu’universitaire et non racisé il ne pourrait décemment pas se comparer à ce que subissaient des personnes racisées, il a justifié que c’était justement pour ça qu’il ne devait pas se taire. Il a souligné la continuité historique de la répression de l’Etat français, depuis les méthodes employées dans les colonies africaines, en passant par l’exportation de l’« expertise française » dans les régimes dictatoriaux d’Amérique du sud, jusqu’à la poursuite aujourd’hui d’une oppression néocoloniale dans les quartiers populaires et la mise en place de l’état d’urgence. D’autre part, il a rappelé que lors de son agression, les policiers avaient explicitement menacé d’agression et de viol les étudiants et universitaires de sa fac, visant ainsi ce secteur qui s’était engagé pendant la loi travail, qu’il a appelé à se mobiliser aux côtés des autres victimes des violences policières. Ce meeting devait ainsi être un premier jalon pour la constitution d’un vrai front commun de luttes, avec comme prochaine échéance le rassemblement à Amiens les 19 et 20 octobre prochains en soutien aux salariés de Goodyear en procès.
Sihame Assbague, militante du collectif « Stop le contrôle au faciès » et organisatrice du camp décolonial qui s’est tenu durant l’été, a repris l’analyse du rôle de la police dans le rappel à l’ordre social et racial post-colonial. Elle a insisté sur le caractère incontournable et non négociable de la question raciale dans la lutte contre les violences policières, relevant justement que celles-ci ne suscitaient en France de médiatisation à une échelle large que lorsqu’elles touchaient les Noirs aux Etats-Unis, ou alors lorsqu’elles touchaient le mouvement social en France, de fait essentiellement Blanc. Sihame Assbague est également revenue sur la montée de l’islamophobie, avec l’épisode des arrêtés anti-burkini pris pendant l’été, revendiquant à juste titre que cette dernière mesure raciste ne devaient pas être considérée comme une simple diversion pour le gouvernement par rapport aux autres questions sociales, mais bien comme une nouvelle étape dans le durcissement durable des politiques à l’encontre des musulman.e.s qui ne font que s’aggraver.
Plus tard ce sera le tour d’Abdoul, étudiant mobilisé à Paris 1, d’évoquer le cas d’Abdoulaye, un étudiant inscrit régulièrement à cette même fac mais actuellement placé en centre de rétention administratif avant son expulsion au titre des accords de Dublin… en Espagne ! Puisque c’est dans ce pays de l’Union Européenne que ses empreintes ont été prises pour la première fois. Avant qu’il ne soit de là expulsé en Guinée, son pays d’origine où il avait mené un militantisme politique opposé au pouvoir en place par lequel il est maintenant menacé de mort s’il y retourne.
Mais derrière ces noms que chacune et chacun d’eux représente il y a aussi tou-te-s ces anonymes ; celles et ceux dont on n’entendra pas parler. Ces camarades en cours qui ne viennent plus en amphi du jour au lendemain et dont personne ne s’inquiétera, croyant souvent à un abandon des études alors qu’il s’agit d’une menace d’expulsion du territoire. D’autres victimes dont les morts après intervention de la police ne sont pas élucidées faute de mise en lumière médiatique. Car finalement c’est la mobilisation, le soulèvement, les « émeutes », qui permettent de faire parler des cas qui sont représentés, qui sont connus, pour lesquels un mouvement de soutien existe. L’émeute devient le seul moyen permettant de médiatiser ces terribles faits.
Par ailleurs, l’analyse faite des forces de répression de l’Etat français, marquées par un racisme structurel et continu à l’égard des populations Noires et Arabes, mais également mises à profit contre toute contestation sociale de la domination patronale, a permis de poser les bases d’une nécessité de renversement du système capitaliste qui n’a pas été explicitée dans ce meeting mais qui se pose implicitement dans les logiques exprimées.
Faire front dans la diversité mais en respectant les spécificités
À l’heure où nous rédigeons ces lignes il n’y a pas encore eu de structuration commune entre les organisations participantes, celles qui se sont excusées de leur absence faute de moyen, ou les individus présents. Cependant ce meeting a permis de dessiner la nécessité d’un combat, d’un front commun, contre l’État policier qui se renforce jour après jour par la prorogation sans fin de l’état d’urgence. Ce combat cependant ne devra pas tenir comme objectif un rétablissement des relations normalisées entre le mouvement social et les forces de l’ordre tel qu’il existait depuis 10 ou 20 ans. Ce serait renvoyer les quartiers populaires et les populations non-Blanches à la situation qu’ils connaissent déjà. En outre les offensives idéologiques, notamment dans les discours des présidentiables pour 2017 laissent craindre un accroissement de l’oppression envers ces personnes. Tandis que pour les autres un accroissement du chauvinisme garantirait la paix sociale. Si ce front prend jour il faudra veiller à ce qu’il n’y ait pas de subordination de l’un à l’autre afin de garantir l’indépendance des acteurs et actrices de ces mouvements qui ne se mobilisent pas selon les mêmes bases bien que nous puissions dessiner clairement un objectif commun sur le renversement du capitalisme ouvrant la voie à une société plus favorable aux combats contre les oppressions. Car comme le disait Sihame Assbague : si aujourd’hui des personnes sont réprimées avec violence par ce qu’elles font, il ne faut pas oublier que d’autres sont réprimées ainsi quotidiennement depuis des décennies pour ce qu’elles sont.