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Leçons de la grève du RER A

Par Daniela Cobet (20 janvier 2010)
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Fin d’année mouvementée dans les transports parisiens

Plusieurs conflits ont eu lieu dans les transports parisiens entre les mois de novembre 2009 et début janvier 2010, constituant le mouvement le plus important depuis la défaite de la grève des cheminots et agents de la RATP en 2007 contre la suppression du régime spécial de retraite dont ils bénéficiaient.

Après plusieurs jours de grève en novembre, les conducteurs de la ligne B ont finalement obtenu un relèvement de leur rémunération d’environ 180 euros par mois. Le conflit avait éclaté à propos de l’entrée en vigueur de « l’interopérabilité » qui permet au RER B d’être conduit par un même agent d’un bout à l’autre de la ligne (ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent puisqu’une relève s’effectuait en gare du Nord).

Le mois de décembre a vu quant à lui la grève des conducteurs de la ligne A du RER, la plus longue et massive depuis plusieurs années, ayant duré 17 jours avec un taux de participation de presque 100% des conducteurs. Cette grève a eu une grande répercussion dans les médias et au sein du gouvernement, car il s’agissait d’une grève quasi totale dans la ligne de transport la plus fréquentée du pays, en pleine période de fêtes ! Elle aurait pu s’étendre à d’autres secteurs comme les conducteurs du RER B et les agents du métro parisien, qui ont démarré, sans beaucoup de succès, des mouvements pendant la même période. Malgré son caractère massif et la détermination des grévistes, ce conflit a débouché sur une défaite, que nous essaierons d’analyser dans cet article.

Le lendemain de la défaite des conducteurs du RER A, une trentaine de conducteurs de manœuvre de la ligne L du Transilien, qui avaient obtenu un changement de statut mi-décembre, passant de « sédentaires » à « roulants » ont entamé une grève illimitée en demandant un rattrapage d’augmentation sur les cinq dernières années, soit 16 000 euros brut par conducteur. À partir de la gare Saint-Lazare, seul un train sur deux circulait sur les tronçons Paris – Versailles-Rive-Droite, Paris – Saint-Nom-la-Bretèche, Noisy-le-Roi – Saint-Germain-Grande-Ceinture, Paris – Maisons-Laffitte, fréquentés par quelque 100 000 voyageurs en cette période de fêtes. Le mouvement a finalement pris fin le 4 janvier, les conducteurs ayant repris le travail sans pour autant obtenir un accord. Cette grève, suivie par 95 % des 27 conducteurs de manœuvre de Saint-Lazare, a eu un impact sur le trafic car elle a été aussi suivie par un nombre indéterminé de conducteurs « classiques », soit parce que ces derniers ont été conducteurs de manœuvre dans le passé, soit parce qu’ils soutenaient le mouvement.

RER A : origines de la grève la plus longue et massive depuis 1995

Le RER A est la ligne la plus importante d’Île-de-France avec un million de voyageurs chaque jour, desservant notamment le quartier d’affaires de la Défense. La RATP gère le tronçon de Saint-Germain-en-Laye et Nanterre vers Boissy-Saint-Léger et Marne-la-Vallée, alors que la SNCF exploite celui qui va de Poissy et Cergy-le-Haut vers Nanterre-Préfecture. Le conflit qui a touché le tronçon géré par la RATP entre le 10 et le 26 décembre s’est développé autour de la revendication d’une compensation financière, liée à la complexité des tâches des conducteurs et à une dégradation des conditions de travail due à la surcharge de cette ligne.

Les origines du conflit se trouvent en février 2008, lorsque a été mis en place par la direction de la ligne un tableau de service avec des équipes supplémentaires à effectifs constants, afin d’avoir un gain de productivité dans le cadre de l’amélioration de l’offre de transport. La tension permanente pour les conducteurs pour tenir les horaires, pour éviter tout risque d’accidents voyageurs, ont tissé peu à peu une toile de mécontentement à la base. En juin 2009, la tentative de sanction d’un conducteur dans un cadre strictement professionnel, résultant des conditions d’exploitation de la ligne A, a agi comme un catalyseur, entraînant une journée d’action suivie à plus de 90%.

Le 9 novembre 2009, les agents du RER A se sont mobilisés à côté de ceux du RER B. La revendication des agents de la ligne A était de 30 points sur salaire (environ 180 €) sans contrepartie. Mais l’unité d’action n’était qu’apparente, puisque les dirigeants syndicaux du RER A n’ont appelé qu’à une journée d’action de 24 heures, alors que les travailleurs du RER B entamaient une grève illimitée. D’ailleurs, la victoire des agents de la ligne B allait être un encouragement pour le déclenchement de la grève illimitée du RER A au mois de décembre.

Sous la pression du mécontentement des conducteurs et de l’exemple du RER B, tous les syndicats appellent à une grève reconductible à partir du 10 décembre. Mais les revendications avaient déjà étés un peu revues à la baisse : 120 € de prime fixe, plus 30 € variables selon la productivité, ce qui amenait à l’acceptation du principe de contreparties pourtant refusé auparavant par les conducteurs.

La direction, de son côté, posait l’ultimatum de ne pas négocier tant que le préavis de grève ne serait pas levé. Malgré ce chantage, le 10 décembre, entre 95 et 100% des 550 conducteurs de la ligne A entamaient une grève qui allait durer 17 jours, la plus longue depuis celle de 1995.

Un service (vraiment) minimum

Les jours de grève, « je garantirai 3 heures de transports en commun pour aller au travail et 3 heures pour en revenir », avait promis Nicolas Sarkozy en 2007, en imposant la loi anti-ouvrière du service minimum avec la complicité de la CFDT et de la CGT.

Or, la grève du RER A a permis de montrer les limites de cette méthode institutionnelle pour briser les grèves. Pendant presque toute la durée du mouvement, on n’a pu assurer qu’un train sur deux aux heures de pointe et aucun pour les heures creuses, ce qui était largement insuffisant pour assurer un fonctionnement raisonnable sur la ligne.

Si le gouvernement a réussi à limiter relativement l’impact de la grève, en maintenant un train sur deux aux heures de pointe, ce n’est pas dû à la loi sur « le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs », approuvé pendant l’été 2007, mais parce que la direction a fait rouler les cadres. La loi sur le service minimum, en effet, vise à mettre des obstacles (obligation de se déclarer gréviste à l’avance, etc.) à l’exercice du droit de grève. Elle peut dans ce sens aider à organiser à l’avance un « service minimum » lorsque l’entreprise peut compter sur des travailleurs non-grévistes, mais dans le cas d’une grève suivie à 100%, comme celle du RER A, la direction de la RATP n’a pas le droit de forcer les grévistes à assurer un service minimum, ni d’utiliser des briseurs de grève extérieurs à l’entreprise.

De plus, le recours aux cadres pose des problèmes de sécurité. Bien sûr, ils sont censés être formés et connaître tout ce qu’il y a à connaître pour conduire un train. Mais il leur manque la pratique... Les quelques trains qui roulent sont en fait conduits par trois cadres dans une cabine, un vigile, un cadre traction et un agent du matériel. Malgré cette prolifération en cabine de conduite, les cadres non grévistes enchaînent faute de sécurité sur faute de sécurité, et si le service minimum a été assuré en heures de pointe, il l’était dans la plus grande insécurité ferroviaire.

Cela montre bien que la loi dite du service minimum, tout en étant une loi anti-ouvrière et une attaque contre le droit de grève, n’est pas infaillible et que, de plus, en mettant du personnel non expérimenté à la conduction des trains, elle met en risque l’ensemble des usagers ! La bourgeoisie, prenant en compte les limites de la loi existante dans le cas de grèves massives, veut maintenant, sur la base de l’expérience de la grève du RER A, ouvrir un débat notamment à l’occasion des élections régionales, sur une nouvelle loi qui mette encore plus en cause le droit de grève !

La bourgeoisie et les médias contre la grève

« Inacceptable, une grève pendant les vacances de Noël », criaient les patrons et le gouvernement, toute en essayant de la briser, soit par le « dialogue », soit par l’intransigeance. Pendant ce temps, les médias se chargeaient de faire une campagne permanente pour discréditer le mouvement auprès des usagers, inévitablement gênés par l’absence de trains, et de l’ensemble de la population : Voyez ces grévistes, ils gagnent 2500 euros pour 2 heures 50 de travail par jour et en plus ils sont en grève!  Du pur mensonge : la journée de service d’un conducteur ne se limite évidemment pas au temps de conduite ; il faut d’abord faire les tests de sécurité du train, le manœuvrer, changer de bout aux terminus, attendre l’heure de départ dans des faisceaux, etc., ce qui fait un total d’environ 6h 15 de travail par jour.

Mais cette campagne n’a été que partiellement réussie. Une enquête publiée par Le Parisien montre que, au niveau national, 46 % des sondés ont manifesté un « soutien » ou une « sympathie » pour cette grève, contre seulement 32 % qui s’y déclaraient « opposés » ou « hostiles ».

De son côté, les patrons et le gouvernement discutaient vivement des responsabilités des uns et des autres dans cette grève, et surtout sur la manière d’y mettre fin et d’empêcher qu’elle puisse devenir un exemple pour d’autres travailleurs. Ainsi, Rama Yade a critiqué la gestion de l’affaire par le président du Stif (Syndicat des transports d’Île-de-France), Jean-Paul Huchon, et Valérie Pécresse a appelé à « sortir de la passivité ».

Huchon, quant à lui, a rejeté la responsabilité sur la direction de la RATP, en déclarant que « le Stif change les matériels, investit dans l’infrastructure, il n’est pas en charge des personnels des entreprises. Le climat social était plutôt bon traditionnellement. Depuis quelques mois c’est complètement dégradé » ; et il a ajouté que la direction de la RATP, « devant les syndicats, à chaque réunion, descend d’un cran dans les augmentations possibles, c’est de la provocation ! ». Il a aussi répondu aux critiques de Rama Yade en disant que, « quand elle s’est présentée aux élections [municipales], elle s’est ramassée à Colombes (Hauts-de-Seine), elle n’a pas l’air de savoir comment fonctionnent les transports en IDF, c’est embêtant car elle est candidate [pour son département aux régionales] ». Bref, un vrai feuilleton, mélange de débat sur la meilleure méthode pour vaincre la grève et de disputes et démagogies pré-électorales.

Bilan d’une défaite

Comment expliquer alors qu’une grève aussi massive et longue, dans une ligne centrale, qui a réussi à inquiéter fortement les patrons et le gouvernement, ait fini par une défaite ? La réponse est à chercher dans l’isolement de cette grève, favorisé par la stratégie de la bureaucratie syndicale, et dans l’intransigeance avec laquelle le gouvernement et la RATP, après les discussions rapportées ci-dessus, ont décidé de répondre aux grévistes, jusqu’à arriver à « pourrir » le mouvement.

La grève du RER A nous montre que, face à la crise capitaliste actuelle et à la fermeté de la bourgeoisie pour empêcher qu’une victoire d’un secteur de travailleurs devienne un exemple pour tous, même une grève solide peut être mise en échec si elle ne cherche pas l’unification et la solidarité des autres travailleurs. Or les directions syndicales à la tête de la grève n’ont pas œuvré dans ce sens. D’un côté, la revendication très spécifique des primes liées aux conditions de travail particulières à la ligne A du RER (outre le fait que revendiquer des primes plutôt qu’une augmentation du taux de salaire est problématique, puisque les patrons ne paient pas de cotisation sociale sur les primes) ne permettait pas de rassembler l’ensemble des agents de la RATP et les cheminots, alors que, comme nous l’avons vu au début de cette article, il y avait une ambiance de conflictualité qui le permettait, tant pour les salaires que pour les conditions de travail. De plus, les directions syndicales n’ont pas eu de politique pour s’adresser aux usagers par des conférences de presse qui contestent la campagne médiatique et surtout par des appels à la solidarité des usagers, qui pourtant n’étaient pas hostiles au mouvement pour la plupart.

Face à un ennemi déterminé, et sans chercher des alliés dans sa propre classe en surmontant le contrôle des bureaucrates syndicaux, les conducteurs du RER A ne pouvaient malheureusement qu’échouer.

Il est fondamental de tirer un bilan de cette défaite et de l’impuissance d’une stratégie corporatiste pour préparer des victoires dans l’avenir. Car sinon le risque est que ce « retour sur scène » des travailleurs de la RATP et de la SNCF après la défaite de la grève de 2007 – une bonne nouvelle, puisque ce secteur du mouvement ouvrier a une grande tradition de combativité – se termine par de nouvelles défaites et la démoralisation.

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