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La gauche et l’Union européenne

Par Joseph Choonara (15 novembre 2018)
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Traduction de l'article du Socialist Review, novembre 2018

http://socialistreview.org.uk/440/left-and-european-union

À la lumière des débats sur le positionnement de la gauche face au Brexit, Joseph Choonara discute d’un nouveau livre (Costas Lapavitsas, The Left Case Against the EU (Polity, 2018), £14.99) sur les problèmes structurels de l’UE.

La marche organisée par le « Vote du peuple » à Londres le samedi 20 octobre, qui, quels que soient les chiffres exacts, a été l’une des plus grandes manifestations depuis le début du nouveau millénaire, a été marquée par une étrange fusion de forces sociales. D'un côté, de nombreux orateurs à la marche, ainsi que ceux qui ont financé la publicité et les transports, faisaient partie intégrante de l'establishment.

Parmi eux figuraient des libéraux démocrates, des conservateurs pro-UE, telle que la députée Anna Soubry, ainsi que des représentants de la droite travailliste tel que le député Chuka Umunna - pour qui la marche était, au moins en partie, un défi lancé à la direction du parti travailliste menée par Jeremy Corbyn. Mais surtout, ces forces étaient motivées par le désir d’inverser le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE), un vote perçu par les couches les plus puissantes de la classe capitaliste comme préjudiciable à leurs intérêts.

Néanmoins, beaucoup de celles et ceux qui ont pris part à la marche étaient motivés par un véritable dégoût de la conception de la sortie de l'UE par les conservateurs pro-Brexit, par une peur et une insécurité reflétant le processus chaotique des négociations sur les modalités du retrait, et, dans certains cas, par un soutien aux trois millions ou plus de citoyens européens dont l'avenir est désormais incertain. Pour cette partie de la population, qui comprend un grand nombre de travailleurs, d'étudiants et de membres de la gauche radicale, l'UE apparaît de plus en plus comme un bouclier contre ce qui est perçu comme une trajectoire raciste, nationaliste, et néolibérale.

Surprise

Cependant, cette conception de l’UE surprendrait un grand nombre de ceux dont la conscience politique s'est formée dans une période antérieure. Par exemple, lors du référendum de 1975 sur l'adhésion à la Communauté économique européenne, précurseur de l'Union européenne, la plus grande partie de la gauche travailliste, ainsi que les principaux syndicats et la plupart des socialistes révolutionnaires se sont opposés à l'adhésion.

Le repositionnement d'une grande partie de la gauche sociale-démocrate, laissant de côté son hostilité envers ce qui était considéré comme un « club des patrons » pour aller vers un soutien à l'UE, est intervenu lors de l'élaboration et de l'adoption du traité de Maastricht en 1992. Comme le soutient Costas Lapavitsas dans « The Left Case Against the EU », ce traité Ce traité a ouvert la voie au lancement de l'euro et a inscrit des normes anti-démocratiques et néolibérales au cœur de l'Union européenne.

Pourtant, l'assaut du thatchérisme contre les travailleurs en Grande-Bretagne, combiné à l'échec misérable du gouvernement social-démocrate de François Mitterrand en France pour obtenir de sérieuses réformes, a amené des secteurs de la gauche à identifier l'UE comme un défenseur des droits des travailleurs. En effet, Jacques Delors, qui était ministre des finances de Mitterrand et qui dirigeait la Commission européenne au moment de Maastricht, a promis lors d'un discours célèbre devant les syndicats, que l'UE « améliorerait les conditions de vie et de travail des travailleurs » et étendrait la « négociation collective », tout en maintenant la « protection sociale existante ».

Les deux tendances - brutalité néolibérale et soutien de la gauche - se sont même intensifiées ces dernières années.

Lapavitsas, un économiste marxiste, s'appuie sur ses travaux précédents sur la crise de la zone euro pour montrer comment les intérêts capitalistes, en particulier ceux du capital allemand, étaient impliqués dans les problèmes structurels qui ont accompagné la formation de l'euro. La modération des salaires allemands rapportés aux gains de productivité, ainsi que la politique monétaire adoptée par la Banque centrale européenne (BCE), ont permis aux capitalistes allemands d'accroître leurs exportations.

Les énormes profits réalisés ont ensuite été orientés vers le crédit à des pays tels que l'Espagne et la Grèce. Avant la crise, ces emprunts ont été contractés à des taux d'intérêt similaires à ceux de l'Allemagne. Les économies les plus faibles de l’Europe ont accumulé des niveaux insoutenables de dette privée. Lorsque les flux de capitaux vers ces économies se sont inversés au cours de la récession mondiale de 2008-2009, ces pays ont été confrontés à une crise de la dette similaire à celle de nombreux pays du Sud depuis les années 1980.

Ajustement structurel

La réponse de l'UE a été familière pour ceux qui ont en mémoire les programmes d'ajustement structurel imposés par le passé aux pays d'Afrique et d'Amérique latine. La Troïka - le FMI, la BCE et la Commission européenne - a imposé « une austérité budgétaire et des réductions salariales, ainsi que la déréglementation et la privatisation » écrit Lapavitsas.

La Troïka était « non élue et en grande partie hors de contrôle… la démocratie était délibérément mise de côté » afin de protéger les banques, principalement allemandes et françaises, qui étaient exposées à la crise de la dette. Comme le dit Lapavitsas, « aucune décision économique ou sociale ne pouvait être prise par l'État grec sans l'accord de la Troïka ». Résultat : l'économie grecque s'est contractée d'un quart entre 2008 et 2016.

Les mesures imposées étaient si dures que même le FMI en est venu à préconiser un allègement de la dette de la Grèce, un appel rejeté par les deux organes de l'UE au sein de la Troïka.

Lapavitsas critique de façon impitoyable les dirigeants du parti grec Syriza, en particulier le Premier ministre Alexis Tsipras et son premier ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qui ont dirigé le gouvernement lors des négociations avec la Troïka. Tsipras et Varoufakis, malgré toutes leurs critiques du plan de sauvetage, n'ont tout simplement pas envisagé une rupture radicale avec l'UE ou l'euro.

Face aux preuves irréfutables de la complicité de l'UE dans la crise sociale grecque, certains membres de la gauche, par exemple le mouvement Diem25 fondé par Varoufakis lorsqu'il a quitté le gouvernement, ont contesté le néolibéralisme et le mépris de la démocratie de l'UE. Pourtant, ils estiment que l'UE peut, et même doit, être réformé.

Lapavitsas refuse cela. L'UE n'est pas structurée comme un gouvernement national sur lequel la population peut faire pression de la base pour obtenir des réformes. Il s'oppose à la fois aux théoriciens « intergouvernementaux », qui considèrent l'UE comme un simple ensemble d'États-nations indépendants, et aux « néo-fonctionnalistes », qui la considèrent comme une institution supranationale ayant un intérêt propre à accroître sans cesse les niveaux d'intégration.

Bureaucraties puissantes

Il existe en effet de puissantes bureaucraties liées à la Commission européenne, à la BCE et à la Cour de justice des Communautés européennes, qui ne peuvent être réduites à un ensemble d’intérêts nationaux. Mais elles sont soumises à la pression des puissances capitalistes dominantes - tant les États que les grandes entreprises - présentes dans la région.

La solution, pour Lapavitsas, n’est pas d’essayer de réformer ce « mastodonte transnational évoluant dans une direction néolibérale », mais de rompre avec l’Union européenne afin d’accélérer sa désintégration et de restaurer la « souveraineté ».

Ce dernier terme est toutefois controversé et nécessite une utilisation prudente. Après tout, la « souveraineté » est devenue un cri de ralliement de la droite pro-Brexit en Grande-Bretagne. Pour elle, la restauration de la souveraineté est un projet nationaliste d'exclusion. Cela signifie mettre en place un environnement hostile pour les migrants, les réfugiés et les musulmans, ainsi que promouvoir un projet utopique de marché libre dans lequel le rôle de la Grande-Bretagne comme plaque tournante de la finance mondiale serait renforcé.

Lapavitsas entend par « souveraineté » quelque chose de très différent. Il n’est de façon certaine pas raciste. Par exemple, il a écrit en 2015 à propos de la crise des réfugiés :

« Des vagues de personnes désespérées, provenant principalement de la Syrie déchirée par la guerre, ont traversé la mer Égée de la Turquie à la Grèce, en quête d'un passage principalement vers l'Allemagne, la Suède et le Danemark. Leur nombre n'était pas considérable, mais leur détresse l'était certainement. Si l'une des idées les plus fausses sur l'UE était réellement vraie, les réfugiés auraient dû être traités conformément au droit de l'UE et à la solidarité institutionnelle. La réalité s'est révélée très différente »

Alors que les États de l'UE luttaient pour empêcher les réfugiés d'atteindre le cœur de l'Europe, la dignité du continent n'a été sauvée que par « un mouvement populaire dynamique soutenant activement les réfugiés et les migrants ». C'est ce mouvement qui a aidé à créer des organisations telles que « Stand up to Racism » (Debout contre le racisme).

Lapavitsas a raison de contester l'idée d'une souveraineté paneuropéenne émergente, dans laquelle les institutions européennes seraient en quelque sorte analogues aux institutions politiques nationales traditionnelles et dans laquelle une classe ouvrière paneuropéenne affronterait une classe capitaliste paneuropéenne. Comme je l'ai écrit lors du référendum britannique :

« Une rupture avec le racisme et le néolibéralisme ne peut commencer... que par une contestation du pouvoir de la classe dirigeante dans les différents… Etats, avec des mouvements qui construisent leurs propres réseaux de solidarité internationale par-delà les frontières. Si la gauche en Grèce avait été capable de briser l'austérité… ce serait devenu une source d'inspiration pour des forces radicales à travers l'Europe et au-delà… Pourtant, il s'agirait, dans un premier temps, d'un mouvement de travailleurs grecs… plutôt que d'un mouvement paneuropéen uniforme combattant les structures de l'UE. Rompre avec l'austérité à la condition d'un accord au niveau de l'UE, à l'instar de ce que défendait la direction de Syriza, conduisait à étouffer le véritable processus de lutte par lequel un changement peut se produire »

De ce point de vue, Lapavitsas est également en mesure de voir plus clairement que beaucoup les raisons du vote britannique en faveur de la sortie de l'UE. Les divisions au sein de la classe dirigeante britannique, a-t-il déclaré, ont créé un espace dans lequel les travailleurs de la classe ouvrière ont pu voter contre la position dominante de l'establishment qui était de rester dans l'UE. « C'était un vote par procuration contre l'austérité, les emplois médiocres et le déclin des prestations sociales », a-t-il déclaré.

Tellement à côté de la plaque

C'est pourquoi la position consistant à appeler à ré-organiser le référendum pris par certains au sein du parti travailliste est une erreur. Comme Neal Lawson, un commentateur pro-UE l'a observé dans un article récent :

« Je ne peux pas supporter de penser à ce qu’un second vote ferait au cœur et aux espoirs des personnes qui ont voté pour le Brexit, qui, pour une fois, ont fait confiance au système, qui, pour une fois, ont disposé d’un exutoire démocratique... et à qui on reprendrait leur vote. La politique et la démocratie les ont déjà laissés tomber, ont fermé leurs industries, les ont marginalisés et humiliés - et leur ont ensuite offert une possibilité lors de ce référendum qu'ils ont saisie. Pourraient-ils maintenant se voir retirer ce dernier brin de pouvoir? »

Ce scénario serait un cadeau pour la droite radicale, qui cherche à capter le mécontentement vis-à-vis de l'establishment dans une direction raciste et nationaliste.

En contrepoint, Lapavitsas plaide pour un changement économique progressiste du type de celui proposé par Jeremy Corbyn et John McDonnell, qui est beaucoup plus facile à réaliser en dehors du cadre de l'UE. Cependant, je conteste deux éléments de l'argumentation de Lapavitsas. Le premier est l’accent mis sur l’introduction d’une nouvelle politique industrielle sur la base d’une politique réformiste axée sur l’État. Bien sûr, j'aimerais voir Corbyn à Downing Street dès que possible.

Cependant, à moins que ce projet de transformation ne s'ancre dans des luttes extraparlementaires bien plus puissantes, je ne vois malheureusement aucune possibilité pour Corbyn de mettre en œuvre son projet, puisqu'il devra faire face à la puissance des classes dirigeantes britanniques et européennes, et de leurs collabos au sein de son propre parti.

Luttes des travailleurs

En ce sens, Lapavitsas suit la logique du parti de gauche « Unite populaire » qui s'est séparé de Syriza en 2015 lors du premier gouvernement de Tsipras. Leur logique était de refaire vivre l'orientation politique initiale de Syriza qui est de combiner les luttes parlementaires et extra-parlementaires, tout en rejetant le soutien de Syriza à l'UE et à l'euro. Certes, il s’agissait d’un pas en avant, mais cela néglige le fait qu'une telle orientation axée sur les élections et l'occupation des institutions de l’État tend à subordonner la lutte des travailleurs à un rôle auxiliaire.

Deuxièmement, je pense que c’est une erreur d’écrire que la gauche « devrait plaider en faveur d’un contrôle de la circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, faute de quoi il serait impossible d’appliquer un programme radical vers le socialisme ». Même si je n'ai aucun problème à ce que les États imposent des contrôles sur les mouvements de capitaux et que j'estime que l'imposition de restrictions sur la circulation des biens et les services est une question de tactique plutôt que de principe, la libre circulation des personnes doit être défendue.

Je ne vois aucune raison pour laquelle la gauche radicale devrait s'opposer à la liberté de circulation existante au sein de l'UE, même si elle n'est réservée qu'aux citoyens de l'UE, afin de renforcer le contrôle démocratique et de progresser vers le socialisme. En effet, il me semble faire des concessions aux arguments réactionnaires qui identifient les migrations avec l'état alarmant des salaires et des services publics que perçoivent de nombreux travailleurs. Ces arguments sont brandies par la droite radicale.

En effet, en travaillant avec des organisations telles que « Stand up to Racism » (Debout contre le racisme), la gauche radicale doit redoubler d’efforts pour protéger et faire progresser les droits des citoyens de l’UE. Ne pas le faire, ce serait laisser le terrain de la défense des migrants à la droite travailliste, qui n'hésiterait pas à les abandonner à leur sort une fois qu'ils ne seraient plus utiles à leur propagande pro-UE.

En dépit de ces deux réserves, le nouveau livre de Lapavitsas fournit des ressources et des idées importantes pour un argumentaire de gauche en défense de l'internationalisme et du changement radical, et en opposition au monstre néolibéral qu'est l'UE.

Traduction en français par Gaston Lefranc

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